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Science
et politique
Le rapport Stern sur le changement climatique. Conclusions
à retenir par les pays européens
Par
Jean-Paul Baquiast 31 octobre 2006
|
Ours polaire en
difficulté sur la banquise qui fond (photo Le Monde)
Le
rapport Stern (Stern Review) vient d’être publié
in extenso sur le site du ministère des finances
britannique (voir http://www.hm-
...cfm ).
Les 700 pages qu’il contient ne peuvent être
analysées en détail, mais il faut retenir
que ce travail marque un changement important dans la prise
de conscience des conséquences économiques
qui résulteraient des changements climatiques si
rien n’était fait dès les prochains
mois pour enrayer les causes du réchauffement. Ce
ne sont plus en effet seulement les scientifiques qui tirent
la sonnette d’alarme mais les économistes et
les financiers. De plus le rapport s’adresse à
la plus haute autorité politique du pays, le Premier
ministre Tony Blair, lequel en avait commandé la
rédaction. L’auteur du rapport, Sir Nicholas
Stern, sait ce que les chiffres veulent dire puisqu’il
est l’ancien économiste en chef de la Banque
mondiale.
La
presse européenne s’est faite l’écho
de la principale prédiction du rapport : le coût
sur 10 ans du changement climatique serait au plan mondial
de 5.500 milliards d’euros (5,5 trillions). A titre
de comparaison, les dépenses de l’Etat français
pour 2006 calculées par la loi de finances avoisinent
les 290 milliards d’euros soit environ 18 fois moins.
Par ailleurs plus de 200 millions de personnes seraient
obligées de quitter leurs territoires pour trouver
refuge ailleurs. A première vue, on pourrait penser
que ces montants ne sont pas considérables, rapportés
au PNB mondial annuel que l’on peut estimer à
35.000 milliards de dollars, les Etats-Unis comptant pour
le tiers de cette somme, soit 10.000 milliards. Par ailleurs
la population mondiale se situera durant la période
aux alentours de 6,5 milliards de personnes. 200 millions
n’en constituent donc que le trentième.
Mais
ces chiffres ne sont que des chiffres et cachent mal les
réalités. En ce qui concerne les dépenses,
il faut bien voir qu’elles s’ajouteront aux
dépenses actuelles, dont on sait qu’elles sont
tout à fait insuffisantes pour faire face aux besoins
vitaux de l’humanité. De même, des migrations
supplémentaires viendront déstabiliser complètement
les balances migratoires déjà à la
limite de la rupture dans certaines parties du monde. Les
sommes consacrées à réparer les dégâts
des changements climatiques devront donc être considérées
comme des pertes pures et simples, qu’il faudra soustraire
des sommes actuellement consacrées à des dépenses
productives. Il en résultera un processus de récession
généralisé qui déstabilisera
les équilibres politiques et économiques du
monde. Les dommages finaux seront donc bien supérieurs
à ceux évalués par le rapport. Il en
sera de même en ce qui concerne les effets du réchauffement
sur les populations. Au-delà des 200 millions de
personnes directement touchées, un bien plus grand
nombre d’individus seront déstabilisés
dans leur mode de vie et de production. Il est très
vraisemblable alors que le monde s’engagera, sous
la pression des égoïsmes, dans de véritables
guerres entre les riches et les pauvres.
Recommandations
Concrètement, le rapport Stern recommande que le
renouvellement du protocole de Kyoto soit signé en
2007 et non en 2010/11 comme actuellement prévu.
En terme de dépenses, il demande que l’humanité
consacre 1 % du produit national annuel de la planète,
soit près 275 milliards d'euros sur 10 ans, à
la réduction de la production des gaz à effet
de serre (GES) et des autres facteurs de réchauffement.
Sinon, le coût, comme indiqué ci-dessus, serait
de 5 à 20 fois plus élevé. La somme
de 1% équivaut aux dépenses publicitaires
mondiales. La dépense provoquée par une pandémie
grippale, selon la Banque mondiale, serait du double. 1%
du PNB mondial ne représente donc pas une somme considérable,
contrairement à ce que prétendent les partisans
du laisser-faire, qui pronostiquent une récession
si les mesures d'économies étaient décidées.
Les dépenses, en bonne logique, devraient être
réparties en proportion de la part de chaque pays
ou ensembles de pays dans le PNB global. L’Europe
qui est une grosse productrice de GES, après les
Etats-Unis, devrait dont en prendre en charge au moins le
quart, soit grossièrement 70 milliards. Au prorata
de l’activité économique, les grands
pays européens devraient donc accepter de majorer
leurs dépenses, budgétaires ou autres, de
10 à 15 milliards chacun, toujours sur 10 ans environ.
Là encore, la somme ne paraîtra pas considérable
si on la rapporte aux dépenses 10 à 20 fois
supérieures que ces pays devront consentir s’ils
ne font rien. Encore faut-il suggérer les bonnes
façons de se procurer les ressources et de les dépenser.
Pour le rapport Stern, ce seront des taxes sur les activités
polluantes et des détaxes sur les activités
non polluantes qui fourniront les principaux outils permettant
d’imposer un changement dans les comportements. Mais
ces politiques devront faire l’objet d’accords
mondiaux. Sinon les pays vertueux seront découragés
d’agir par le laisser-aller des autres. Les mesures
à prendre, en ce qui concerne les pays européens,
devront se traduire par des politiques européennes
communes, acceptées et appliquées par tous
les Etats membres. L’Europe est assez importante,
dans sa totalité, pour donner le bon exemple au reste
du monde. Il serait très dommage qu’elle prenne
prétexte des retards de décision de pays égoïstes,
comme les Etats-Unis, l’Australie ou les pays asiatiques,
pour ne pas faire le premier pas.
Il faudra cependant, comme le rapport Stern le suggère,
qu’un cadre général de réduction
des émissions soit décidé au niveau
mondial, chaque pays pouvant s’y inscrire de façon
différente. En ce qui concerne les taxes, des débats
virulents se feront immédiatement jour. En Europe,
devront-elles porter sur les carburants fossiles, les voyages
outre-mer, les produits verts importés ou bien sur
d’autres activités réputées contribuer
à la production globale des GES ? Et comment, en
parallèle aux « impôts verts »,
encourager les dépenses vertueuses, moins productives
en GES : par des détaxes, des subventions, des réglementations
? C’est en tous cas non seulement au niveau des grosses
industries que le changement de comportement devra se faire,
mais à celui de la vie quotidienne de chacun des
citoyens européens. Toute production, toute activité,
en principe, devra faire l’objet de calculs et de
bilans énergétiques. Les défenseurs
de l’environnement s’y efforcent déjà,
mais leur démarche suscite encore l’indifférence
sinon l’hostilité des pouvoirs publics, des
grands groupes industriels et des médias. C’est
par les grands décideurs pourtant que les conclusions
et les propositions du rapport Stern devront être
reprises et transformées en politiques nationales
et européennes.
Plus
globalement, le rapport Stern recommande quatre approches
concourantes:
-
Les
permis d'émission. Il faudra généraliser
la technique européenne du « cap and trade
», autrement dit du pollueur-payeur, selon laquelle
les émissions sont plafonnées à un
certain niveau au-delà duquel les entreprises émettrices
sont obligées d’acheter des bons aux entreprises
faiblement émettrices, ceci de préférence
à l’échelle du monde. Il s'agit de favoriser
la réduction des rejets de gaz à effet de
serre en développant les différentes bourses
déjà instituées et en créant
des passerelles entre elles. Les pays en développement
y seraient associés. La fixation d'objectifs ambitieux
pour les pays riches pourrait rapporter des dizaines de
milliards de dollars par an aux pays en développement,
ce qui les aiderait à adopter des modes de production
limitant les émissions de CO2.
-
La coopération technique. Les investissements
à réaliser pour développer des technologies
faiblement émettrices de CO2 exigent une concertation
et une coordination mondiales. L'effort international de
recherche et de développement devrait être
multiplié par deux, et celui consacré aux
technologies propres par cinq.
-
La lutte contre la déforestation
et la dégradation de la couverture végétale.
La disparition des forêts primaires contribue, davantage
encore que les transports, à l'augmentation de la
teneur de l'atmosphère en gaz carbonique. Enrayer
la déforestation serait donc une mesure d'une grande
efficacité et peu coûteuse. Des programmes
pilotes internationaux de grande ampleur pourraient être
mis en oeuvre sans délai.
-
L'aide des pays riches aux pays les plus
pauvres. Ceux-ci sont à la fois grands producteurs
de GES et les plus vulnérables aux conséquences
d'un changement climatique de grande ampleur. Les politiques
d'aide au développement doivent tenir compte de cette
réalité. Il faudra également financer
des campagnes d'information régionales sur l'impact
du réchauffement, des recherches sur de nouvelles
variétés de cultures, plus résistantes
aux variations climatiques, aux sécheresses ou aux
inondations. Ceci inclut l'appel aux OGM, à conditions
que ceux-ci soeitn mis en libre accès et non monopolisés
par les grands semenciers.
Le
Royaume Uni en tête de la lutte contre le changement
climatique
Il faut reconnaître que, quelques soient les critiques
faites au gouvernement travailliste et à Tony Blair
lui-même, grâce à eux, le Royaume Uni
donne à l’Europe un excellent exemple. La Grande
Bretagne entend continuer à le faire en travaillant
la question activement au sein des instances européennes.
Le futur Premier ministre présumé, Gordon
Brown, vient d'ailleurs d'annoncer qu'il recherchera le
conseil de Al Gore, désormais prophète mondial,
grâce à son film, de la lutte contre le changement
climatique.
Downing Street et le ministère des finances britannique
(Treasury) estiment que le rapport Stern devrait véritablement
marquer un tournant dans les politiques internationales,
obligeant notamment G.W. Bush à changer d’opinion
sans attendre son remplacement à la présidence
par une personnalité plus ouverte à ces enjeux.
Ainsi les scientifiques qui, au sein de l’Intergovernmental
Panel on Climate Change et ailleurs, estiment qu’il
n’y a plus un instant à perdre, se trouvent
confortés. Mais des esprits pervers comme celui de
Claude Allègre en France (voir Le Monde du 27 octobre,
« Le droit au doute scientifique »),
continueront à égarer l’opinion en expliquant
que les scientifiques ne sont pas d’accord et qu’il
est donc inutile d’inquiéter la population.
Les arguments les plus spécieux sont déjà
évoqués, mettant en doute la fiabilité
des calculs, s’interrogeant sur les intérêts
qui profiteront des mesures recommandées. Derrière
ces arguments se retrouveront inévitablement tous
ceux qui, même en Europe dépourvue de ressources
pétrolières, restent liés à
la poursuite des modes de production et de consommation
actuels, malgré leurs effets néfastes.
Les partis politiques français, pour ce qui les concernent,
doivent utiliser les conclusions du rapport Stern pour proposer
des politiques audacieuses à l’occasion de
la campagne pour les élections de 2007. L’opinion
craint maintenant suffisamment les conséquences du
réchauffement pour accepter des mesures de rigueur,
de la même façon qu'elle accepte progressivement
les mesures de renforcement de la sécurité
routière et de réduction de la consommation
de tabac.
Politiques
publiques européennes d'accompagnement
Au
lieu de mettre en question le détail du rapport Stern,
les Européens doivent dès maintenant en tirer
les conséquences afin de définir les grandes
politiques publiques permettant à l’Europe
de jouer un rôle efficace dans le combat mondial contre
les changements climatiques. Ces politiques, pour la plupart,
n’existent pas encore et ce sera par leur définition
et leur mise en œuvre que l’Europe devra montrer
sa capacité à se comporter comme une puissance
adulte dans le monde en crise qui se prépare. En
voici une courte liste :
- Une politique européenne de l’énergie,
visant à abandonner rapidement – même
si les sources n’en sont pas encore épuisées,
l’usage de pétrole et du gaz naturel (sans
mentionner le charbon). Cet abandon ne sera possible que
si des technologies économisant l’énergie
sont mises en œuvre systématiquement au sein
des processus de production et dans les habitudes de consommation.
En parallèle, il faudra développer systématiquement
toutes les formes d'énergie renouvelable. Comme les
technologies correspondantes n’existent pas encore
à échelle suffisante, un important effort
de recherche et les politiques industrielles en découlant
devront être décidées. Ceci n’exclura
évidemment pas le nucléaire, sous sa forme
actuelle ou futur (énergie de fusion).
- Une nouvelle politique agricole commune visant à
valoriser les productions de carburants verts ou
de biomasse – sans pour autant diminuer excessivement
les surfaces agricoles destinées à la subsistance,
dont le monde aura de plus en plus besoin dans la perspective
du changement climatique.
- Une nouvelle politique de gestion des ressources
en eau, impliquant au niveau des collectivités
locales elles-mêmes tous les intérêts
qui puisent inconsidérément dans les réserves
et n’assurent aucune récupération.
- Une politique ambitieuse de mise en place des moyens
satellitaires d’observation et de simulation,
ainsi que les ressources informatiques permettant de traiter
en toute indépendance les données recueillies.
Actuellement le programme européen GMES (Global Monitoring
for Environment and Security) se donne cet objectif, mais
il ne dispose pas encore de tous les satellites et moyens
dont il aurait besoin. Ceci ne sera pas possible sans une
ambitieuse politique européenne de présence
dans l’espace, qui fait encore défaut.
- L’étude préparatoire des grands travaux
de génie civil et de génie maritime
qui seront nécessaires pour protéger les zones
sensibles urbaines et rurales des conséquences catastrophiques
des phénomènes climatiques prévisibles.
- Des accords de coopération scientifique
et économique avec les principaux pays menacés
par ces phénomènes, ainsi qu’avec les
grands pays pollueurs, tels que la Chine et l’Inde,
qui pourraient être intéressés par des
échanges croisés de technologie.
- Des propositions précises à l’ONU,
à la Banque Mondiale et aux autres organismes
internationaux permettant à l’Europe, non seulement
de faire entendre sa voix, mais de jouer un rôle majeur
dans les combats futurs où elle ne devrait pas être
suspecte de menées néo-impérialistes.
On
voit à l’énoncé de ces différentes
politiques que les institutions communautaires actuelles
ne sont pas armées politiquement et techniquement
pour prendre la responsabilité d’un tel ensemble
de programmes. On ne peut pas non plus imaginer qu’ils
qu'ils puissent ne dépendre que de la bonne volonté
des Etats-membres. La meilleure solution serait d’instituer,
dans les domaines où elles n’existent pas encore,
des agences européennes dotés par les Etats
de budgets et de moyens d’autorité suffisants
pour agir par délégation des gouvernements
et sous leur contrôle.