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Affirmer
la puissance, assurer la cohésion. Les objectifs
d'une politique européenne volontariste en
matière de transports
Par Jean-Paul Baquiast
juillet 2006
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Aujourd'hui et demain
Images LTF: Liaison Lyon Turin Ferroviaire
Pour
beaucoup d’hommes politiques, américains et
britanniques, l’Europe n’est rien qu’un
territoire sans frontières, non sructuré et
donc incapable de se comporter en puissance politique et
économique. Ce serait en partie vrai si l’Europe
ne s’était pas organisée depuis longtemps
autour de réseaux de transports d’une qualité
unique au monde, en plein développement et capables
d’apporter à l’Europe des prochaines
décennies l’indispensable cohésion qui
en feront une vraie puissance.
Les
transports en Europe donnent cependant l’impression
d’une grande anarchie et de multiples contradictions
: entre la route omniprésente et les autres modes,
entre les Etats et régions bien desservis et les
autres, entre les interventions publiques en faveur des
infrastructures lourdes et les initiatives privées
jouant la carte de la rentabilité immédiate
aux dépends des intérêts européens
à long terme. C’est indéniable. Cependant,
quand on compare la situation des transports en Europe et
celle des transports dans les autres continents, y compris
dans la « riche » Amérique du Nord, l’avance
européenne est indiscutable. Il suffirait de peu
de choses pour la transformer en un avantage décisif
dans la compétition mondiale.
Nous pensons que ce peu de choses – qui représenterait
en fait une mutation considérable des esprits contaminés
par les pensées uniques libérales –
est à la portée des Européens. Ce "peu
de choses" serait en effet dans la ligne des traditions
historiques ayant fait, depuis l’Empire romain, de
l’intervention de la puissance publique en faveur
des voies de communication la base même de la puissance
impériale. Certes, aujourd’hui, une politique
de puissance en matière de transports ne suffira
pas. Elle ne remplacera pas l’effort considérable
en recherche développement qu’il faut mener
par ailleurs pour que l’Europe se tienne à
la hauteur des grands concurrents américains et asiatiques.
Mais elle y contribuera directement, car les technologies
nécessaires à une politique de puissance en
matière de transports ne seront pas obtenues sans
précisément un effort de recherche/développement
considérable – dont heureusement les Européens
possèdent déjà certaines des bases,
grâce à des industries et des laboratoires
très concurrentiels.
Mais
comment définir une telle politique de puissance
au profit des transports européens. Nous voudrions
présenter dans cet article quelques points qui nous
semblent devoir en constituer les préalables.
1.
Le cadre géographique
L’Europe
concernée ne se limitera pas aux pays de l’Union.
Elle comprendra d’abord la Confédération
helvétique, déjà bien engagée
pour sa part dans une politique intelligente de modernisation
des infrastructures, au profit notamment du rail, et qu’il
faudra convaincre de rejoindre une démarche géopolitique
commune. Elle visera aussi à impliquer, même
s’ils ne font pas partie politiquement de l’Europe,
les pays voisins générateurs de flux entrants
et sortants et donc intéressés à leur
rationalisation : Russie, Turquie et autres pays frontaliers.
On
ajoutera au domaine terrestre le domaine maritime de la
zone exclusive des 200 miles. Cet espace doit être
repris en main par les Etats européens, avec l’imposition
de mesure de surveillance et de protection s’imposant
à tous navires, de quelque nationalité qu’ils
soient. Les Etats-Unis l’ont décidé
pour ce qui concerne leurs eaux territoriales de façon
unilatérale et tout le monde a du en tenir compte.
L’Europe doit faire de même. Cela supposera
notamment la mise en place de corps et flottes de garde-côtes
efficaces, ainsi que sans doute le pilotage obligatoire
dans les détroits et chenaux à risque, tant
en Manche et mer du Nord qu’en Méditerranée.
2. Les types de transports
La
politique concernera les transports de marchandises, en
priorité (les plus lourds et les plus polluants),
mais aussi les transports de voyageurs. Elle inclura aussi
les transports « dématérialisés
» à base de réseaux numériques,
compléments et de plus en plus alternatives crédibles
aux précédents. De tels réseaux seront
généralement satellitaires et nécessiteront
donc une politique spatiale européenne active. On
mettra notamment en place, plus vite qu’actuellement
prévu, le système de géolocalisation
européen Galiléo destiné à remplacer
l’américain GPS. Ce serait une erreur de faire
de la politique spatiale l’objet d’investissements
non coordonnés distincts des précédents.
Cependant; dans ces divers domaines, les investissements
les plus lourds concerneront les infrastructures assurant
un maillage convenable de l’espace européen
(voies de communication ferroviaires et plates-formes logistiques
ou d’entreposage).
Dans
le même esprit, la politique européenne à
élaborer ne se limitera pas aux infrastructures.
Elle comportera une politique dynamique de développement
de véhicules adaptés aux nouvelles infrastructures
et aux nouveaux enjeux économiques : matériels
roulants ferroviaires, navires de divers types, moteurs
et réseaux de distribution d’énergie
faisant appel aux énergies appelées à
remplacer le pétrole.
Mentionnons
ici le cas particulier du transport aérien à
destination des aéroports européens ou en
provenant. La réforme de l'Agence Eurocontrol, toujours
envisagée, jamais encore entreprise, devrait devenir
une priorité, afin de permettre un suivi paneuropéen
des trafics, plutôt qu’un éclatement
des contrôles au sein des espaces aériens nationaux.
3.
La prise en compte des évolutions économiques,
technologiques et de protection de l’environnement
à prévoir sur le quart de siècle, sinon
sur le demi-siècle
Il
est difficile de prévoir sur de telles durées,
vu la rapidité des évolutions technologiques
et de celles des contraintes. Néanmoins le transport
implique le long terme, ce qui en fait précisément
le domaine par excellence des politiques publiques visant
l‘intérêt général de longue
période.
Dressons
ici une courte liste des évolutions à intégrer
dans des politiques échelonnées sur un quart
de siècle et sur un demi-siècle :
- la diminution des réserves accessibles et le coût
croissant des carburants fossiles. Ceci impose de les remplacer
sans attendre, grâce à des actions volontaristes
d’incitation (notamment fiscales), par des énergie
de remplacement : traction électrique, hydrogène
d’origine nucléaire, bio-carburants (dans certains
limites à ne pas dépasser).
- le refus croissant des accidents et gaspillages de toutes
sortes dus aux transports routiers, même si ceux-ci
consomment d’autres carburants que le pétrole.
Le transport routier demeurera utile pour les liaisons courtes
mais devrait progressivement être condamné
pour les liaisons longues et les frets lourds. La reconversion
des métiers de la route devra être organisée
au profit de nouvelles activités, notamment dans
le groupage-dégroupage de proximité, le multi-modal,
etc. Plus généralement, la politique européenne
des transports devra intégrer des normes élevées
de sécurité, pour les personnes comme pour
l’environnement.
- la volonté de plus en plus affirmée de protection
des sites urbains ou touristiques. Celle-ci ne pourra pas
être assurée en toutes circonstances. Le ferroutage
et le merroutage consommeront des espaces de service qu’il
faudra bien trouver quelque part autour des points d’éclatement.
Mais la pire des pollutions est celle provoquée par
le trafic de poids lourds dont, si rien n’est fait,
la croissance sera exponentielle et destructive. C’est
donc ce trafic qu’il faut viser à réduire
rapidement, en mettant en place, beaucoup plus vite que
prévu, de nouvelles liaisons ferroviaires, maritimes
et accessoirement fluviales. L'utilisation d'avions, même
gros porteurs, sur des liaisons intra-européennes
ne devrait pas par contre être encouragée.
- le développement des procédures de gestion
des marchandises et des personnes faisant appel aux solutions
télé-électroniques : échanges
de données informatisées, étiquettes
radio, géolocalisation par satellites, etc. Ceci
supposera, à l’initiative principalement des
Etats, en liaison avec les professions, un grand effort
de normalisation des documents, des données (data)
et des échanges. Le web sémantique sera généralisé.
En amont, les procédures administratives et commerciales,
déjà en bonne voie d’harmonisation,
devront l’être encore davantage. On évitera
ce faisant de laisser l’Europe continuer à
se laisser imposer les normes techniques, commerciales,
financières et juridiques définies par les
opérateurs américains. L’espace de transport
européen, tel que défini ici, aura un poids
suffisant pour obliger ceux qui veulent y commercer d’adopter
ses propres normes et procédures. Encore faudra-t-il
coordonner ces dernières, entre Etats-membres et
Etats voisins.
4.
L’adoption de procédures de décision
et de financement faisant un large appel à une régulation
intergouvernementale émanant des Etats et de l’Union
européenne
On
fera valoir que les objectifs énumérés
ci-dessus, aussi souhaitables soient-ils, se heurteront
d’une part au manque de ressources financières,
d’autre part à la concurrence et au refus de
coopérer des Etats – sans parler de l’opposition
de groupes d’intérêt capables de bloquer
la vie économique et de défaire des majorités
parlementaires en cas d’affrontements directs.
C’est
bien pourquoi ceux qui, comme nous, défendent le
concept d’une Europe souveraine, indépendante
et solidaire doivent faire d’une politique des transports
telle que résumée ici un élément
majeur de la construction d’une telle Europe, à
« vendre » en priorité aux citoyens conscients
de la nécessité de faire face aux changements
qu’imposera le siècle. Il faudra convaincre
l’opinion qu’il faut dorénavant anticiper
les mesures à prendre plutôt que réagir
aux contraintes, tardivement et dans le désordre.
La
question des financements ne sera pas résolue si
on ne change pas radicalement les perspectives. Aujourd’hui,
le transport routier prélève sur les économies
et les sociétés en général un
coût au moins 10 à 20 fois supérieur
aux gains qu’il rapporte. Mais, pour le montrer, il
faudrait généraliser les procédures
d’évaluation publique autour de principes de
comptabilité analytique admis par tous les partenaires.
Ces coûts mis en évidence, le transfert progressif
des ressources consacrés indûment aux formes
de transport obsolètes pourra se faire avec des mécanismes
mixant l’impôt (taxations et détaxations)
et les financements bancaires de moyen et long terme.
D’une
façon générale, le projet présenté
ci-dessus repose sur le concept général d’optimisation,
en temps aussi réel que possible. Généralisée
dans les systèmes vivants (par exemple au sein des
échanges se produisant dans les cellules et dans
les organismes) cette optimisation permet de proportionner
exactement les solutions tant aux ressources qu’aux
besoins de survie. Utilisant ces exemples, des modèles
biomimétiques de l’espace européen,
accessibles par Internet à l’ensemble des citoyens,
devraient concrétiser les handicaps actuels et les
réformes à entreprendre. Même les entreprises
privées axées sur la concurrence sans freins
et le profit immédiat pourraient sans doute se convaincre
de la nécessité d’entrer dans un système
global auto-organisateur et auto-optimisateur tel qu’esquissé
ici.
Quant
aux institutions nécessaires à la définition
et à la conduite d’une telle politique, n’en
parlons pas ici. Elles apparaîtront d’elles-mêmes
si le nouvel état d’esprit se répand.
Elles associeront les gouvernements (ceux des Etats-membres
et les autres), les institutions de l’Union européenne
et, sans doute, des associations et fondations à
créer pour populariser la démarche. 02/08/06
Note
Aujourd'hui, la volonté politique pour mener à
bien les stratégies présentées dans
cet article est bien timide, sinon parfois inexistante.
Comme le rapporte Jean Sivardière, président
de l'Association Nationale des associations d'usagers des
transports dans Le Monde du 3 août 2006, p. 16:
"Le projet de liaison ferroviaire
transalpine Lyon-Turin est ambitieux : il comporte une section
internationale constituée d'un tunnel à grand
gabarit de basse altitude, long de 53 km, entre Saint-Jean-de-Maurienne
et l'Italie, complétée côté français
par un nouvel itinéraire ferroviaire entre Ambérieu-en-Bugey,
Lyon et la Maurienne. L'objectif essentiel est de reporter
sur le rail une part importante du trafic routier franco-italien
: 25 millions de tonnes par an transitent par les tunnels
du Mont-Blanc et du Fréjus et 18 par Vintimille (8
seulement passent sur le rail) ; les trafics Nord-Sud stagnent
depuis dix ans mais leur croissance future ne peut être
exclue et les trafics Est-Ouest se développent rapidement.
Objectif secondaire : faciliter les relations ferroviaires
des voyageurs, aujourd'hui déplorables, entre la
France et l'Italie.
....Vu
son coût (près de 7 milliards d'euros pour
la seule section internationale), le projet n'a de sens
que s'il associe une volonté politique forte de transférer
massivement le trafic routier sur le rail à un investissement
ferroviaire dimensionné en conséquence. Or
cette volonté est aujourd'hui absente. L'Etat continue
ainsi à pousser les projets d'autoroute A48 Ambérieu-Bourgoin
et de rocade autoroutière de Chambéry, qui
faciliteraient l'accès des poids lourds au Fréjus.
Une politique compatible avec le projet Lyon-Turin suppose
au contraire :
- l'abandon définitif des projets routiers directement
concurrents, en accord avec la Convention alpine signée
par notre pays;
- un assainissement du trafic routier en luttant contre
la fraude (vitesses, charges, temps de conduite des chauffeurs)
pratiquée par de nombreux transporteurs ;
- enfin l'instauration d'une redevance écologique
sur le trafic routier, dont le produit serait affecté
au financement du projet ferroviaire, selon le modèle
adopté en Suisse il y a déjà douze
ans. Cette troisième condition est essentielle :
une redevance routière permettrait à la fois
de dégager un financement spécifique du Lyon-Turin
sans peser sur les possibilités de financement des
autres projets ferroviaires, et de le rentabiliser en relevant
le prix du transport routier. Seule une politique cohérente,
en France comme en Italie, peut assurer le succès
économique et environnemental du projet Lyon-Turin..."
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