Né à Montréal en 1975, Justice De
Thézier était un intervenant culturel québécois
d’origine haïtienne. Inquiet de la montée
de la technophobie et de l'anti-science chez la Gauche,
il est convaincu que les sociaux-démocrates doivent
s'approprier l'innovation technologique s'ils veulent
atteindre leurs buts de faire avancer la liberté,
l'égalité et la solidarité. Dans
le cadre d’une recherche, il découvre le
transhumanisme démocratique et l’existence
de l’Association transhumaniste mondiale. En 2003,
il fait son entrée dans le mouvement en devenant
leur porte-parole francophone. Il entreprend ensuite des
études en Science, Technologie et Société
à l'UQÀM afin d’analyser les enjeux
sociaux des nouvelles technologies pour la société
québécoise.
Ni scientifique, ni philosophe, De Thézier
est un militant qui attire l’attention car il
est la première voix québécoise
de ce mouvement controversé mais aussi parce
qu’il est déterminé à stimuler
un grand débat au Québec et peut-être
en France autour des enjeux liés à l’émergence
des «technologies d’amélioration
humaine». Vaste programme…
Qu'est-ce que le transhumanisme démocratique?
En 1966, Fereidoun M. Esfandiary, un sociologue irano-américain
qui enseignait «les nouveaux concepts de l'être
humain» à l'Université New School
de New York, commença à identifier comme
«transhumain» ou «humain transitoire»
les gens qui étaient en train d'adopter des
styles de vie, perspectives et technologies qui les
rendaient transitionnels à la «posthumanité».
Cette hypothèse inspira des philosophes à
articuler les principes du «transhumanisme»
en 1990: Un mouvement intellectuel et culturel qui
affirme la possibilité et le désir d’améliorer
fondamentalement la condition humaine à travers
la raison appliquée, en encourageant le développement
et une plus grande accessibilité aux technologies
qui permettront aux gens de vivre plus longtemps et
en santé tout en augmentant leurs capacités
intellectuelles, physiques et émotionnelles.
Toutefois, plusieurs intellectuels à l'intérieur
du mouvement commencent à juger que le développement
et l’utilisation irresponsable et inéquitable
des technologies d’amélioration humaine,
laissée aux caprices du libre marché,
pourraient avoir des conséquences désastreuses
pour la société.
En 1997, le philosophe suédois Nick Bostrom
apporte donc au transhumanisme une dimension académique:
l’étude scientifique des ramifications,
promesses et dangers potentiels des technologies qui
permettront de surmonter les limites humaines fondamentales,
ainsi que l’étude des questions éthiques
entourant le développement et l’utilisation
de ces technologies.
En 1998, Bostrom fonde un organisme non gouvernemental,
l’Association transhumaniste mondiale (ATM),
afin d'encourager la discussion, la recherche et augmenter
la visibilité de la pensée transhumaniste
auprès du public.
En 2002, le bioéthicien américain James
Hughes contribue à un renouvellement politique
en élaborant les principes du «transhumanisme
démocratique»: un mouvement citoyen qui
noue le désir d’améliorer nos
capacités humaines avec la nécessité
de préserver nos engagements face à
la liberté, l’égalité et
la solidarité. Les transhumanistes démocrates
luttent donc pour garantir un accès sécuritaire,
universel et volontaire aux technologies d’amélioration
humaine à venir afin que tous les citoyens
puissent bénéficier des bienfaits sociaux
issus de ces technologies.
Pourquoi le besoin d’un renouvellement
politique?
Le transhumanisme contemporain est né d’une
cyberculture américaine dont les premiers adhérents
étaient issus de la classe moyenne américaine
blanche et sa perspective politique a généralement
été une version militante du néolibéralisme
qui est typique de cette culture.
Toutefois les transhumanistes sont de plus en plus
diversifiés, avec plusieurs en train de bâtir
une large mouvance démocrate, menée
par James Hughes, dans l’Association transhumaniste
mondiale. Pour que le mouvement transhumaniste grandisse
et devienne un défi sérieux à
l’opposition, c’est-à-dire les
bioconservateurs et les bioluddites, les transhumanistes
se distancent de leurs racines élitistes et
anarcho-capitalistes et clarifient leurs engagements
aux institutions, valeurs et politiques publiques
démocratiques. En embrassant l’action
politique et l’intervention de l’État
pour confronter les enjeux concernant l’équité,
la sécurité et l’efficacité
des technologies d’amélioration humaine,
les transhumanistes sont maintenant dans une meilleure
position pour mériter un auditoire plus large.
Malheureusement, l’immense majorité des
critiques du transhumanisme sont ignorants de cette
maturation ou refuse de l’admettre du à
un manque de rigueur en recherche ou à un préjugé
bioconservateur.
Quels sont les objectifs à court terme
de l’Association transhumaniste mondiale?
Nous voulons organiser une campagne pour un programme
de recherche pour développer des thérapies
pour ralentir le vieillissement. Les buts spécifiques
seraient de convaincre les institutions gouvernementaux
des États-Unis et d'Europe s'occupant de la
recherche médicale de reconnaître et
soutenir le programme de recherche ''Longevity Dividend''
(dividendes de la longévité) du Dr.
S. Jay Olshansky. L'anti-vieillissement est un de
nos buts les plus populaires. Les dividendes de l'accroissement
de la longévité humaine est la meilleurs
façon de confronter les problèmes liés
au vieillissement de la population et donc fourni
un pont aux débats pressants de politiques
publiques.
On nous dit que l'être humain «amélioré»
ou «posthumain» est à nos portes
et inévitable mais sur quels faits est-ce que
les théoriciens transhumanistes se basent pour
faire se genre de déclaration?
Voici une liste de faits:
• Des chercheurs ont utilisé des techniques
de génie génétique pour créer
des souris qui sont plus fortes, plus intelligentes
et qui vivent deux fois plus longtemps qu’une
souris normale.
• Tout les gènes qui ont été
changés dans ces souris se retrouvent chez
les humains – ceci suggère que les mêmes
techniques pourraient être utilisées
pour améliorer les capacités humaines.
• Presque 10 000 adultes humains ont déjà
eu leurs gènes modifiés à travers
des techniques de thérapie génique utilisées
pour traiter des maladies génétiques.
• Plus de 2 million de bébés sont
nés après avoir été conçus
dans une éprouvette à travers la fertilisation
in vitro.
• Aux États-Unis, 1 sur presque 100 bébés
sont conçus à travers cette méthode.
• Des parents ont déjà utilisé
le diagnostique génétique préimplantatoire
pour avoir des bébés moins à
risque d’avoir le cancer ou la maladie d’Alzheimer
ou ayant plus de chance de fournir une compatibilité
génétique à un frère ou
une soeur nécessitant une greffe d’organe.
Autre que la génétique, la cybernétique
permet déjà ou très bien tôt
des améliorations humaines assez impressionnantes:
• 70 000 personnes sourdes ont eu leur ouie
restaurée à travers des électrodes
implantés dans leurs nerfs auditifs.
• 40 000 personnes ont eu des électrodes
implantées dans leurs cerveaux pour contrôler
la maladie de Parkinson.
• Une poignée d’hommes et de femmes
paralysés ont des électrodes dans leurs
cerveaux qui leur permettent de contrôler des
appareils ménagers ou des bras robotiques par
la simple pensée.
• Plus d’une douzaine de groupes de recherche
ont testé des implants électroniques
qui peuvent restaurer la vue à un aveugle en
envoyant des signaux visuels dans le nerf optique
ou le cortex visuel.
Mais l’utilisation de technologies
d’amélioration ne pose telle pas des
problèmes éthiques?
Oui il y a en plusieurs mais le problème éthique
le plus important est celui de l’accessibilité
car quand le public sera assuré de la qualité
et efficacité des ces technologies d’amélioration,
beaucoup de gens voudront les utiliser. Mais tous
ne pourront se les procurer et on pourrait assister
à une «fracture cognitive et génétique»
entre riches et pauvres. Si ce problème est
confronté et résolu par l'assurance
santé fourni par l'État, certains théoriciens
transhumanistes envisagent l'émergence d'une
nouvelle société, exploitant les technologies
d’amélioration, qui stimulent les changements
économiques et politiques du 21e siècle.
Le transhumanisme prône donc un utopisme
technologique?
L'accusation d'«utopisme» est souvent
lancée aujourd'hui non seulement contre les
plus modérés des réformes sociales
mais aussi contre le transhumanisme. Il est vrai que
le transhumanisme est, en partie, un mouvement utopiste
mais cette caractéristique n'est pas une faiblesse.
Au contraire, c'est sa force! Où serions-nous
sans utopie? Où irions-nous? L'utopisme a toujours
été le moteur psychosocial puissant
derrière tous les mouvements de libération
qui ont lutté pour les droits et libertés
que nous prenons pour acquis. Le Rapport NIBC commandité
par la National Science Foundation indique que la
convergence des nanotechnologies, biotechnologies,
technologies de l’information et sciences cognitives
pourront permettre à des aspirations, qui étaient
jusqu'a maintenant purement utopiques, de devenir
des options de politiques publiques pratiques dans
un avenir proche.
Il est important de noter que la nouvelle vague de
transhumanistes se distinguent en étant des
«techno-réalistes». Au lieu d’uniquement
spéculer sur les merveilles que l’avenir
pourrait nous apporter, nous préférons
continuellement examiner de façon critique
comment les nouvelles technologies peuvent aider ou
gêner les citoyens dans leur lutte pour améliorer
la qualité de leurs vies et de leurs communautés.
Nous avons donc besoin d’un projet d’utopies
réalisables: des idéaux utopistes qui
reposent sur les potentiels réels de l’humanité,
des destinations utopiques qui ont des gares accessibles,
des desseins utopistes d’institutions qui peuvent
informer nos tâches pratiques de survivre et
vivre dans un monde aux conditions imparfaites pour
un changement social.
Que proposez-vous comme solutions concrètes?
Premièrement, nous devons garantir la liberté
morphologique et l’autonomie corporelle de tous
les citoyens. Nous devons moderniser notre compréhension
de ce qu’est un citoyen, le détenteur
de droits, mais aussi des droits que nous avons de
contrôler nos corps et esprits et des institutions
que nous avons pour rendre ces droits réels.
Le droit de contrôler nos corps et esprits devrait
aussi inclure le droit des adultes sains d’esprit
de changer et améliorer leurs propres corps
et esprits, d’être propriétaire
de leur propre code génétique, prendre
des nootropiques et contrôler leurs morts. La
liberté reproductive, un prolongement de notre
droit de contrôler notre corps et vie, doit
inclure le droit d’utiliser les nouvelles technologies
de reproduction pour assurer la meilleure vie possible
à nos enfants. En d'autres mots, soyons maîtres
de nos corps!
Deuxièmement, on devrait établir une
institution dont le mandat serait de valoriser la
recherche et le développement des technologies
d’amélioration humaine mais aussi de
vigoureusement tester ces technologies pour que les
utilisateurs comprennent leurs risques et bienfaits.
Troisièmement, tous les citoyens devraient
être assurés d'un accès équitable
à ces technologies d’amélioration
humaine à travers le système de santé
quand c’est fiscalement faisable. Quand des
technologies d’amélioration ne peuvent
pas être offertes par l’assurance santé
pour des raisons politiques ou fiscales, elles devraient
être disponibles sur le marché mais leurs
prix devraient être strictement contrôlés.
Comment voudriez-vous qu’on voit le débat
sur les nouvelles technologies?
Les deux groupes organisés qui sont déjà
actifs autour de la question des nouvelles technologies
et de l’amélioration humaine sont d'un
coté les entreprises biotechnologiques et de
l’autre les «bioconservateurs» (c’est-à-dire
les intellectuels et activistes de droite et de gauche
qui veulent qu’on résiste au progrès
au nom de la «loi divine» ou de la «loi
naturelle» ou d’une «éthique
de l’espèce humaine»). La conséquence
tragique de cette situation est que si ces groupes
d’intérêts et points de vue polarisés
restent les seules sources de référence
pour nos politiciens, ils prendront des décisions
qui seront au détriment des droits et du bien-être
des citoyens.
Il est donc crucial qu’une nouvelle voix entre
dans le débat. Une voix qui n’est pas
opposé aux nouvelles technologies ni à
l’amélioration humaine, mais qui est
très concernée par les enjeux sociaux,
économiques et politiques de ces technologies
et qui ne veut certainement pas mettre notre avenir
entre les mains de corporations qui priment le profit
au-dessus de la responsabilité sociale ou que
les progrès technologiques soient stoppés
par des conservateurs qui rêvent d’un
status quo permanent!
Donc, il doit y avoir de nouvelles initiatives à
l’intérieur des organisations politiques
existantes et nous avons besoin de nouvelles organisations
qui pourront contribuer à un renouvellement
des idées et l’animation de débats
publics autour de ces enjeux avec une approche futuriste
rassembleuse. Nous avons besoin de philanthropes visionnaires
pour soutenir ces efforts. Tant au Québec et
en France qu’à une échelle internationale,
nous avons besoin de nouveaux niveaux de conscientisation
et d’engagement – bref, un nouveau mouvement
social – pour s’assurer que les technologies
d’amélioration humaine vont soutenir
au lieu de renverser nos engagements durement gagnés
à nos valeurs essentiels – la liberté,
l’égalité et la solidarité.
Ce mouvement est le transhumanisme démocratique
et c’est mon espoir que les Québécois
et les Français à son avant-garde.
Mais l'intellectuel américain Francis
Fukuyama semble avoir convaincu plusieurs que le transhumanisme
est l’idéologie la plus dangereuse du
21e siècle car l'émergence possible
d'une «aristocratie posthumaine» serait
une menace pour la démocratie et l'égalité.
Quelle est votre réaction?
Ce genre de discours hystérique me fait sourire
étant donné que nous sommes tous témoins
du fait que l’idéologie néo-conservatrice
de Fukuyama, et les politiques de l’administration
Bush qu’elle a influencée, a des conséquences
tragiques tant aux États-Unis que dans le reste
du monde.
Ceci dit, la société humaine a toujours
été à risque qu'un groupe décide
de voir un autre groupe comme méritant d'être
mis à l'esclavage ou d'être massacré.
Pour contrer ces tendances, les sociétés
modernes ont créé des lois et institutions,
et les ont doté de pouvoirs d'exécution,
qui agissent pour prévenir que des groupes
de citoyens en attaquent un autre. L'efficacité
de ces institutions ne dépend pas sur le fait
que tous les citoyens aient des capacités égales.
Les sociétés modernes et civilisées
ont un large nombre de personnes ayant des capacités
physiques et mentales diminuées ainsi que de
personnes qui sont peut-être exceptionnellement
fortes physiquement ou en santé ou intellectuellement
douées de différentes façons.
Ajouter des personnes avec des capacités améliorées
à cette distribution d'habilité déjà
variée ne vas pas nécessairement scinder
la société en deux ou déclencher
un génocide ou de l'esclavage. Cessons de voir
le futur à travers le prisme de mauvais films
de science-fiction!
Toutefois, les transhumanistes démocrates
ne se contentent plus de simplement lutter pour une
égalité sociale, économique et
politique. Que valent ces droits tout aussi longtemps
que les gens sont nés biologiquement inégaux?
Tout aussi longtemps que certains sont nés
en santé et d'autres malades, certains forts
et d'autres faibles, certains brillants et d'autres
idiots - en d'autres mots tout aussi longtemps que
nous avons une inégalité biologique
- toutes les égalités sociales sont
extrêmement importantes mais parfois peuvent
valoir très peu. Nous n’accepterons rien
d'autre que la conquête de cette «bioinégalité»
qui est à la racine de toutes les inégalités
humaines.
Mais si la nature humaine était avant
tout un fait biologique, est-ce que Fukuyama a raison
quand il dit que les biotechnologies font courir le
risque à l'humanité de perdre sa nature
si on commence à la modifier?
Comme l’explique le philosophe français
Dominique Lecourt, il est vrai que l'humanité
a un noyau biologique. Mais la biologie nous montre
aussi que le déterminisme génétique
ne suffit pas à expliquer le comportement humain.
La notion de «nature humaine» n'a d'ailleurs
pas été élaborée par des
biologistes, mais par des philosophes qui, au 18e
siècle, pensaient qu'elle pouvait servir à
fonder des normes. C'est absurde de croire que l'on
puisse, du fait de notre capacité à
maîtriser notre noyau biologique, en inférer
que la nature humaine est en danger.
Même si on met la notion de nature humaine
de coté, Fukuyama soutient quand même
que les biotechnologies pourraient porter atteinte
à la «dignité humaine».
Comme le demande Dominique Lecourt, que signifie cette
notion de dignité humaine? Comment la définit-on?
En s'en servant pour condamner la procréation
artificielle, le pape Benoît XVI est cohérent
avec le dogme de l'Église catholique. Mais
Fukuyama ne peut se référer à
ce dogme. A quoi donc se réfère-t-il?
A une valeur morale absolue, immuable. C'est l'impératif
catégorique de Kant. Il ne sait peut-être
pas que l'expression «dignité humaine»
a été employée pour la première
fois au 16e siècle par un philosophe humaniste
pour dire que la dignité de l'homme est celle
de l'être qui ne se satisfait jamais de la place
qu'il occupe. Et qui toujours avance sur le chemin
de la connaissance et de l'ingéniosité.
Si c'est ça la vraie définition de
la dignité humaine, ce sont les transhumanistes
qui en sont les plus grands défenseurs et non
les bioconservateurs comme Fukuyama!
Association transhumaniste mondiale: http://transhumanism.org/index.php/WTA/languages/C46/
Démocratie Cyberorganique: http://cyborgdemocracy.net/
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