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La
route des lasers
Partenariat public-privé
en Aquitaine dans le domaine des lasers
par Jean-Paul Baquiast
31/07/06 |
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Ce
document est la synthèse d'un certain nombre d'informations
obtenues sur les sites de la Région Aquitaine et
du CEA. Il fait suite à un entretien aimablement
accordé à notre Revue par le professeur Francis
Hardouin, Délégué Régional à
la Recherche et à la Technologie pour l'Aquitaine,
que nous remercions.
Image ci-dessus Le LMJ (CEA)
Forte
de 90 000 étudiants et 130 laboratoires de recherche,
la Région Aquitaine s’inscrit dans une stratégie
de croissance pour conforter sa position dans le domaine
de la recherche et de l’enseignement supérieur.
Cette
stratégie repose sur des points forts où se
réalise un partenariat public-privé autour
du développement de technologies duales (applications
pour la défense et applications civiles). La compétence
Laser représente dans ce but un atout essentiel.
C’est
l’implantation en Aquitaine, par le Commissariat à
l’Energie Atomique (CEA) du Laser Mégajoules
qui a marqué le début de ces partenariats.
Il s’agit d’un instrument unique tant par sa
conception que par sa destination. L’objectif en est
de simuler sans recours aux essais nucléaires les
phénomènes se déroulant au cœur
d’une bombe exploitant les possibilités de
la fusion de l’hydrogène. La France maîtrise
depuis de longues années ce type de projectile, mais
la poursuite des recherches s’impose pour en diminuer
les coûts, en augmenter la maniabilité et la
sécurité d’emploi. On peut contester
le fait que la France souhaite continuer à se doter
d’une force de dissuasion nucléaire stratégique.
Mais dans la mesure où le choix a été
clairement fait par les représentants de la nation,
il est indispensable de rester dans la course au plan scientifique
et technologique. On ajoutera que dans l’avenir, l’apport
de la dissuasion française à la défense
européenne sera un thème important de négociation
en vue de la construction d’une force européenne
indépendante.
Cependant,
l’Etat, par l’intermédiaire du CEA, a souhaité
dès le début faire bénéficier
la recherche civile, en priorité à travers les
établissements universitaires et les entreprises installés
en Aquitaine, du maximum de retombées et de possibilités
de coopération résultant de la présence
de ce grand équipement. Les lasers de toutes puissances
constituent dorénavant des outils de recherche et de
production industrielle aux multiples usages. Disposer en
France d’un pôle de compétence mondiale
en ce domaine ne peut que servir notre pays et plus généralement
l’Europe scientifique et technologique, en attirant
étudiants, enseignants, entreprises de nombreuses origines
professionnelles et géographiques.
Le Laser Mégajoule (LMJ)
Les
équipes du CEA implantées en Aquitaine, au Barp,
près de Bordeaux (Cesta) se consacrent à l'architecture
des armes nucléaires françaises. Elles disposent
d'importants moyens expérimentaux pour tester la tenue
des armes aux contraintes qu'elles pourraient subir (fortes
accélérations, chocs…). A la fin de la
décennie, le centre accueillera un nouvel outil de
recherche : le laser Mégajoule, le plus puissant laser
au monde. Les expériences de physique qui y seront
menées apporteront les résultats qui permettront
de passer des essais nucléaires en vraie grandeur à
leur simulation numérique.
Depuis 1965, l'utilisation des lasers comme instrument d'étude
des plasmas très denses, a conduit au développement
d'un programme de développement technologique très
important de la part de la Direction des applications militaires
(DAM) du CEA. L'expertise ainsi acquise a permis la conception
de ce qui sera le plus puissant laser du monde.
Depuis 1995, la DAM a en charge la maîtrise d'œuvre
du LMJ. Elle s'appuie sur des industriels pour assurer ces
réalisations. La réalisation a été
décomposée en une quinzaine de grands ensembles
homogènes adaptés aux différents métiers
industriels existants en France et dans le monde. Le projet
a tout d'abord été divisé en quatre phases
principales qui sont les études de définition,
les études de conception, la réalisation de
prototypes et la construction proprement dite :
* Définition : cette phase (1994 - 1996) correspond
à la définition aussi précise que possible
de l'instrument à construire. Ce travail bénéficiait
d'une part de l'expérience acquise dans le passé
sur des installations précédentes comme Phebus,
pour ne citer que le plus récent, d'autre part sur
une collaboration établie depuis près de 30
ans avec le laboratoire américain Lawrence Livermore
National Laboratory qui a un projet similaire.
Cette étape a également permis de rédiger
les spécifications techniques pour consultation des
industriels et de définir l'organisation apte à
assurer le pilotage de cette construction. C'est dans cette
phase d'étude qu'il a été décidé
de construire, dans un premier temps, une installation prototype,
la ligne d'intégration laser (LIL),
destinée à valider en vraie grandeur l'ensemble
des concepts retenus. Cette phase s'est terminée par
une revue de projet permettant de recueillir les avis techniques
des principaux spécialistes et d'obtenir l'autorisation
de passer à la phase suivante.
La Ligne d'Intégration Laser (LIL) est le prototype
à l'échelle 1 d'une des 30 futures chaînes
laser du LMJ. La chaîne laser mesure 125 m de long et
repose sur un bâti de 3,5 m de haut. La LIL est désormais
fonctionnelle, depuis que en avril 2003, elle a obtenu une
énergie de 9,5 kilojoules, ce qui constituait le record
mondial d'énergie en lumière ultraviolette.
* Conception : les spécifications de la quinzaine d'ensemble
du LMJ ont été définis au début
de cette phase. Les marchés industriels ont été
passés après consultation. A partir des spécifications
établies, chaque industriel concerné a mis en
place les équipes nécessaires et a assuré
les études de conception permettant ensuite de lancer
les fabrications. Cette étape essentielle a été
suivie très étroitement par les experts du CEA
afin de s'assurer de la cohérence de la conception
avec les spécifications. Un plateau technique a assuré
ce suivi et veillé aux interfaces entre chaque ensemble,
la DAM conservant la responsabilité d'ensemble. Cette
étape s'est terminée par la remise de dossiers
de conception qui ont été approuvés avant
de passer à la phase suivante.
* Réalisation des prototypes : ils sont destinés
à la vérification en vraie grandeur de l'obtention
des performances requises globalement, puis ensemble par ensemble.
Une fois réalisés, ils ont été
assemblés et constituent aujourd'hui la ligne d'intégration
laser (LIL) qui a été mise ensuite en phase
de qualification.
* Construction: après validation des concepts sur la
LIL, et après la prise en compte des éléments
de retour d'expérience de celle-ci, la production des
ensembles du LMJ est lancée. Elle est précédée,
compte tenu du grand nombre de composants identiques à
réaliser, d'une période dite " d'industrialisation
", au cours de laquelle les moyens de fabrication sont
optimisés en terme de coût. Cette opération
d'industrialisation est particulièrement importante
par exemple dans le domaine de l'optique pour laquelle des
chaînes de fabrication complètes doivent être
mises en place.
* Intégration: l'intégration est l'ensemble
des opérations qui consistent, une fois les ensembles
réalisés à les installer et à
les mettre en service sur le site. Pour la LIL celle-ci a
été pilotée par les équipes du
CEA/DAM. Pour le LMJ, l'ampleur de l'opération (trente
fois la LIL) impose de faire appel à une ingénierie
industrielle pour coordonner les opérations de mise
en place par les industriels puis la mise en service progressive
de l'installation.
La partie la plus délicate concerne la fabrication
des optiques de la LIL et du LMJ. Celle-ci nécessite
de veiller à l'approvisionnement en matières
premières, les fabriquer et les usiner, les polir pour
atteindre un état de surface parfait, les traiter en
surface pour leur donner toutes leurs caractéristiques
(anti-reflet par exemple) L'ensemble de ces opérations
concerne près de 10 000 optiques, sur une durée
de 4 ans.
Le CEA a donc mis en place, dès 2004, un véritable
processus d'industrialisation afin de passer du prototype,
la LIL, à la série, le LMJ. Ceci se traduit
par des retombées industrielles indéniables
auprès des plus grands équipementiers comme
des PME/PMI les plus modestes.
La coopération public
privé autour du Laser Mégajoules
On attend du développement du Laser Mégajoule
que s'établissent en région Aquitaine des liens
cohérents entre un équipement de portée
mondiale, le milieu scientifique et le milieu industriel .
Ces
relations se bâtiront sur divers plans pour former autour
du Cesta ce que l'on nomme désormais "
la route des lasers ". Un des éléments
majeurs de cet ensemble sera l'Institut Laser et Plasma
(ILP) créé autour d'un partenariat
entre CEA-Université de Bordeaux 1-CNRS. Cet Institut
a une vocation nationale. Y participeront également
d'autres laboratoires universitaires dont les travaux se rapportent
à ces activités, ainsi que la région
Aquitaine, les industriels impliqués dans la construction
et la maintenance du LMJ et l'Union Européenne.
Des échanges importants concernent la physique et la
technologie des lasers impulsionnels, la propagation des faisceaux
laser et l'optique non-linéaire. Des conventions de
laboratoire de recherche correspondants ont été
signées entre le CELIA (Centre d'Etudes
des Lasers Intenses et Applications), le CPMOH
(Centre de Physique Moléculaire Optique et Hertzienne),
le MAB (Mathématiques Appliquées
de Bordeaux) et le CEA. Les thèmes concernés
donnent lieu à des échanges entre chercheurs
et à un encadrement partagé de stages universitaires
et de thèses de doctorat.
Le domaine des collaborations s'étend aujourd'hui à
l'ensemble des activités de recherche qui seront conduites
sur ces installations. La création d'un pôle
de recherche en Aquitaine sur la physique des plasmas permettra
de fédérer des compétences qui déborderont
largement du cadre de la région. Des équipes
de l'Université, du CNRS et du CEA, participent à
la préparation, au suivi, et à l'interprétation
des expériences qui sont effectuées par les
équipes du CEA chargées de la conduite du laser
et de la réalisation des mesures.
Le CEA, l'université Bordeaux 1 et le CNRS se sont
associés pour créer 2 entités :
-
Une structure régionale de recherche : une Unité
mixte de Recherche (UMR), qui effectuera des travaux
en collaboration ouverte entre des personnels du CEA, de
l'Université et du CNRS sur des thèmes précis
dans le domaine des plasmas denses et chauds d'une part,
de l'optique et des lasers d'autre part.
*
Une structure de coordination : l'Institut Laser
et Plasma, déjà cité, point
d'entrée pour les relations avec le recherche "
civile " et les expériences " ouvertes
", c'est-à-dire non protégées
par le secret défense, sur la LIL et le LMJ. Les
deux domaines scientifiques et techniques prioritaires de
l'ILP sont : La physique des plasmas denses et chauds et
leurs applications - Les lasers ultra-denses (technologie
et applications
Les scientifiques trouveront à l'ILP un point d'entrée
pour la préparation et la réalisation de leurs
travaux. L'Institut sera aussi le promoteur actif de projets
scientifiques auprès de chercheurs et d'industriels.
Il réunira un ensemble de compétences sur
les thématiques des plasmas denses et chauds, sur
la physique des conditions extrêmes et des lasers.
De multiples applications en découleront : scientifiques,
technologiques et industrielles. Par ailleurs, l'Institut
s'appuiera sur des compétences exceptionnelles d'enseignement
et de formation par la recherche. L'Université Bordeaux
1 pourra proposer des formations grâce au parc de
lasers auquel auront accès étudiants et professionnels.
Enfin, le transfert de technologies et, de manière
plus générale, l'implication dans des problématiques
de nature industrielle feront partie de la mission de l'Institut.
De nouveaux outils
En appui aux programmes LIL et LMJ, d'autres installations
viennent compléter les moyens d'études menées
en physique des lasers ou des plasmas.
Il s'agit du laser Alisé et du laser Pétawatt
* Le Laser Alisé
Pour
parfaire la compréhension de beaucoup des phénomènes
physiques mis en jeu dans les lasers de puissance et améliorer
les technologies actuelles, des installations adaptées
sont mises en place au CEA Cesta. Une d'entre elles est le
laser Alisé.
Alisé, Activité Laser ImpulSionnel pour
les Études, est un laser de puissance. Il
délivre une impulsion lumineuse de 100 milliards de
watts à 100 mille milliards de Watt dans une durée
extrêmement courte, un milliardième de seconde
voire, dans certaines configurations, 1000 fois moins.
Cette installation apporte un soutien technique et scientifique
au projet LMJ en complément de son prototype, la LIL.
Elle servira également aux études de physique
plus prospectives (physique du laser ou étude de l'interaction
laser/matière) ainsi qu'à la formation des professionnels
aux lasers de puissance.
Ce laser, dont les premiers photons sont sortis en février
2002, est proposé dans les programmes de recherche
du Programme Cadre de Recherche et Développement de
la Commission européenne. Alisé constituera
à terme un outil unique ouvert à la communauté
scientifique.
* Petawatt : le laser de l'extrême
!
Un
petawatt est un million de milliards de watts : peu d'énergie,
mais délivrée en un millième de milliardième
de seconde. L’association entre la LIL, laser énergétique
avec un laser puissant, le Pétawatt, constituera à
son tour une réalisation unique au monde. Il s’agira
d’un outil de tout premier ordre dans le domaine des
plasmas denses et chauds, mais aussi, un instrument décisif
dans la compréhension des processus élémentaires
qui pourraient aboutir à la maîtrise de la fusion
thermonucléaire contrôlée et apporter
une réponse définitive à la satisfaction
des besoins énergétiques de demain.
Indiquons à ce propos que le développement du
réacteur nucléaire expérimental à
fusion Iter, qui repose sur d’autres principes de confinement
du plasma que le laser (confinement magnétique) ne
pourra que bénéficier des apports du LMJ, tant
dans la compréhension des phénomènes
de plasma et de leurs turbulences, que dans la maîtrise
des neutrons rapides et des matériaux résistants.
Cet ensemble de deux lasers, l’un de haute énergie
et l’autre de forte puissance, pourrait montrer l’intérêt
de l’utilisation des lasers brefs et intenses dans le
domaine de la fusion. Il permettra la mise au point de nouveaux
moyens d’allumage des réactions de fusion, des
diagnostics et d’analyse.
Le couplage, LIL-Petawatt, entre un laser très énergétique
et un laser de puissance multiplie les possibilités
d’études sur l’interaction laser-matière,
mais permet également d’aborder des nouveaux
domaines de recherche qui, sans cet instrument unique, ne
pourraient être réalisés.
La région Aquitaine est maître d'ouvrage de la
construction du laser Petawatt, manifestant par là
sa volonté d'être un acteur de premier plan dans
l'évolution technologique de l'Aquitaine. Outil unique
et fédérateur pour les chercheurs, s'il est
couplé à la ligne d'intégration laser
(LIL), le laser Petawatt permettra par exemple de recréer
et d'observer, en laboratoire, des conditions de formation
d'une étoile. Le laser est aussi un outil pour mieux
comprendre l'Univers. Il présente donc aux yeux des
scientifiques un grand intérêt pour la recherche
fondamentale. Avec un tel outil, c'est la physique "des
extrêmes" qui devient enfin accessible en laboratoire
: une physique peu explorée dans laquelle la Région
Aquitaine jouera un rôle de pionnier grâce à
ce moyen unique dont elle peut décider de se doter.
Le laser Petawatt, est aussi un important outil de diagnostic
à disposition des scientifiques: grâce à
ses "flashs" d'intensité lumineuse, il permettra
de prendre, en quelque sorte, des "photos" du déroulement
des expériences menées sur la ligne d'intégration
laser (LIL) puis sur le laser Mégajoule.
La Route des lasers fait partie des 165 projets issus de 57
pôles de compétitivité financés
par l’Etat avec la participation des collectivités
régionales.
oOo
Nous
pouvons terminer ce bref exposé par une courte considération
politique. Un tel programme montre bien le caractère
indispensable des grands équipements publics dits
de souveraineté, y compris dans le domaine aujourd'hui
très mal perçu de la défense - dès
lors qu'une étroite collaboration entre les universités
et les entreprises permet de maximiser leurs retombées
pour la recherche fondamentale comme pour la croissance
économique. Nous avons déjà signalé
dans cette Revue le rôle tenu, dans un domaine proche,
par le CEA concernant la réalisation de grands centres
de calcul (Tera 10) échappant, au moins en partie,
à la domination de l'industrie américiane
(voir notre article "Projet d' « Initiative pour
des réseaux européens de calcul à haute
performance"
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2005/dec/calcul.html
Pour
en savoir plus
DRRT
Aquitaine http://www.drrtaq.u-bordeaux.fr/presentation.htm
Conseil
Régional d'Aquitaine
http://aquitaine.fr/
Le
LMJ sur le site du CEA
http://www-lmj.cea.fr/html/rubrique511.html
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