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Interview
Gilbert
Chauvet
Cette
interview fait suite à la publication de l'ouvrage
"Comprendre l'organisation du vivant et son évolution
vers la conscience", ouvrage dont nous avons écrit
la préface
et proposé récemment la recension
dans nos colonnes. Il est conseillé de consulter
ces deux liens avant de lire l'interview..
Fondateur
et rédacteur en chef du Journal of Integrative
Neurosciences, Gilbert Chauvet est Professeur Honoraire
de la Faculté de Médecine d'Angers,
Chercheur à l'EPHE de Paris et Research Professor
à l'université de Californie du sud
(Los Angeles).
Mathématicien
et physicien de formation, il est devenu médecin
pour modéliser le vivant.
Il
est l'auteur de nombreux articles et de plusieurs
livres dont Comprendre l'organisation du vivant
et son évolution vers la conscience"
(Vuibert, collection Automates Intelligents), "La
vie dans la matière" (Flammarion,
collection "Champs") [traduit en anglais
par K. Malkani sous le titre " La nature mathématique
du monde vivant : le pouvoir de l'intégration"
chez World scientifique], ainsi que du Traité
de physiologie théorique (Masson, 3 volumes)
traduit en anglais chez Elsevier.
Automates
Intelligents (AI) : Vous proposez dans votre ouvrage une
théorie permettant de comprendre l'organisation du
vivant. Le projet est ambitieux, d'autant plus que vous
donnez au concept très galvaudé de théorie
une signification très précise. Pouvez-vous
préciser pour nos lecteur ce qu'est pour vous une
théorie scientifique?
Gilbert
Chauvet (GC) : Une théorie n'est pas seulement
un ensemble organisé de connaissances mais, du point
de vue des mathématiques, c'est une construction
qui doit faire intervenir une représentation et un
formalisme, ce dernier permettant de décrire l'évolution
du système dans cette représentation.
Suivant les domaines, cette représentation peut être
quelque chose de simple. Dans le cas de la biologie, c'est
forcément compliqué. Et dans cette représentation,
on doit être capable d'émettre des hypothèses
et de déduire mathématiquement des propriétés
qui devront être vérifiées. On peut
donc faire des prédictions et car on peut faire des
calculs. Tout le problème ici est de trouver un principe
d'organisation de ces systèmes dans le cadre d'une
telle représentation.
AI
: Oui, mais une théorie s'appuie-t-elle nécessairement
sur un formalisme mathématique ? On parle par exemple
de la "théorie de Darwin"...
Gilbert
Chauvet (GC) : Pour moi, une théorie scientifique
doit être de nature mathématique parce qu'elle
doit permettre de prédire et d'organiser, et d'induire
des propriétés par la logique mathématique.
Il me semble que c'est le seul moyen d'avoir à disposition
une théorie cohérente (mathématiquement),
car la cohérence est ce qu'il y a de plus difficile
à obtenir. Je crois même pouvoir dire d'une
théorie qu'elle est bonne dès lors qu'elle
est cohérente (et esthétique !). Evidemment,
on peut avoir des théories descriptives, mais il
n'en reste pas moins que la théorie de Darwin n'est
pas une théorie : c'est une hypothèse fondée
sur un principe général - qui n'est qu'une
hypothèse, mais une hypothèse très
importante ! Le Darwinisme est l'ensemble des connaissances
qui est interprété et justifié, à
la lueur du principe de sélection naturelle, ce qui,
en fait, ne va pas au-delà d'une simple description.
AI
: Pour vous donc, qui êtes un théoricien, "théorie"
serait un mot dont la plupart d'entre-nous ne connaîtrait
pas le véritable sens. Un mot dès lors employé
à tort et à travers... Gilbert
Chauvet (GC) : Effectivement.
Dans la vie courante, nous l'utilisons par exemple pour
dire "j'ai une théorie là-dessus",
le mot théorie prenant en fait ici le sens de spéculation,
le plus souvent une interprétation qui est une hypothèse
confirmée par les observations, ce qui est le cas
par exemple en psychologie. En science "dure",
il s'agit de toute autre chose : une théorie fait
appel à un ensemble de concepts et définitions
dans lequel on peut déduire mathématiquement
des propriétés et des théorèmes,
ces déductions étant ici les mêmes pour
tous. La théorie de la relativité ou la théorie
quantique en sont des exemples.
AI
: A lire votre livre, un problème drastique en biologie
serait le manque de compréhension entre expérimentateurs
et théoriciens, induisant ainsi une certaine stagnation
dans le domaine alors qu'il dispose d'outils novateurs ? Gilbert
Chauvet (GC) :La
biologie a été jusqu'à présent
majoritairement une science d'expérimentation. Et
il faudrait que les expérimentateurs aient les connaissances
suffisantes leur permettant de lire ce qu'écrivent
les théoriciens, de façon à ce qu'il
existe enfin une osmose. En fait, plutôt que théorie,
je préfère employer le terme de "cadre
théorique" parce que l'on comprend mieux comment
on doit faire un modèle à l'intérieur
de ce cadre théorique, modèle qui, je le répète,
fournit une interprétation d'un phénomène
dans un cadre théorique, par conséquent dans
une représentation et en utilisant le formalisme
correspondant.
AI
: Comment définissez-vous le concept de modèle,
par rapport à la définition que vous donnez
de la théorie scientifique. Un modèle peut-il
être analogique, par exemple un modèle réduit
d'oiseau simulant le vol de celui-ci sans que les lois mathématiques
du vol des oiseaux aient été analysées
? Gilbert
Chauvet (GC) :Comme
je le disais plus haut, un modèle est différent
d'une théorie, en ce sens que le modèle, réalisé
dans le cadre théorique dont il hérite du
principe général, aura sa vie propre avec
ses propres hypothèses. Quant à votre question,
le modèle peut bien évidemment être
analogique. Mais on ne peut pas demander à un modèle
analogique de faire ce que fait un modèle explicatif,
à partir des mécanismes élémentaires.
Pour moi, le modèle analogique n'est pas explicatif.
Ce n'est pas un modèle de connaissance, mais un modèle
qui permet de reproduire quelque chose, sans les mécanismes
réels...
AI
: Oui, mais ne doit-on pas étendre le concept de
modèle à toutes les théories scientifiques,
en disant que celles-ci sont des modèles par lesquels
l'homme en société se représente un
réel qui n'est pas accessible directement ? Gilbert
Chauvet (GC) :Ceci
revient à la distinction entre théorie et
modèle. La théorie est englobante et fondée
sur des principes généraux. Pour moi, un modèle
doit être fait à l'intérieur d'une théorie.
Il satisfait donc à ces principes généraux.
A ce moment-là, plutôt que de dire "le
modèle est faux, on représente mal le modèle",
c'est la théorie qui doit être justifiée,
et donc son principe général. Le modèle
peut être faux, mais alors c'est parce que la théorie
peut elle-même être fausse. On peut dire qu'une
théorie est un "supermodèle".
AI
: Les montages expérimentaux destinés à
vérifier ou falsifier une théorie sont-ils
des modèles? Gilbert
Chauvet (GC) :Devant
permettre de confirmer ou non l'hypothèse du modèle,
l'expérience
doit
être conçue dans le cadre de la théorie.
Il faut qu'il existe des modèles. Par exemple, en
ce qui concerne ma théorie, celle que j'expose dans
l'ouvrage qui vient de paraître, il faudrait concevoir
des montages expérimentaux en fonction d'un modèle
couplant système nerveux et système rénal,
dans le cadre de cette théorie (supposée vraie),
consistant à confirmer ou infirmer l'hypothèse
du modèle. En quelque sorte, on a une vérification
en deux étapes : d'abord le modèle, ensuite
la théorie qui englobe le modèle. Car il ne
faut pas oublier que les calculs sont faits pour le modèle
dans le cadre de la théorie.
AI
: Comment situez-vous la science par rapport au réel
? Vous situez-vous dans le réalisme (au sens de la
physique) pour lequel il y a un réel en soi que les
théories scientifiques et les modèles permettent
d'approcher - sans jamais sans doute pouvoir l'atteindre
complètement - ou dans le "non réalisme",
pour lequel la science ne peut connaître que le produit
de l'interaction d'un instrument, d'un observateur et d'un
réel inconnaissable autrement ? Gilbert
Chauvet (GC) :Je
me situe clairement dans le réalisme, mais c'est
un autre débat, de nature philosophique. Même
si mes travaux ne relèvent pas du domaine de la physique
quantique, et s'inscrivent dans le domaine de l'observation
pure et dure, macroscopique, je crois sans ambiguïté
à des principes généraux en biologie
comme celui que j'expose dans mon livre (le PAAS), en raison
de l'origine commune de tous les êtres vivants. Il
ne s'agit d'ailleurs pas d'une croyance mais d'une réalité
à démontrer mathématiquement !
AI
: Qu'est-ce qui pose problème dans l'interprétation
biologique ? Gilbert
Chauvet (GC) :En
biologie, ce n'est pas la structure qui pose problème,
mais la fonction (ndlr : physiologique) puisqu'elle
dépend de la théorie, de la modélisation
que l'on utilise, que l'on fait ou que l'on ne fait pas.
AI
: Pour concevoir votre théorie du vivant, vous ne
vous êtes pas basé sur des instruments... Gilbert
Chauvet (GC) :Il
existe des modèles de systèmes biologiques,
et ils sont nombreux car issus de l'uvre de biomathématiciens.
Leur validité dépend de leur capacité
à interpréter les donnée expérimentales.
Ces modèles sont donc fondés sur des instruments,
comme vous le dites. Une théorie est à un
autre niveau, pour moi elle doit permettre d'organiser ces
modèles qui représentent les phénomènes
biologiques. Ma théorie du vivant permet cette organisation
grâce à un principe, le PAAS (ndlr
: Principe d'Auto-Association Stabilisatrice).
Il est donc clair qu'elle aussi est fondée sur des
instruments. En outre, un système biologique étant
un système physique, donc un système naturel,
il est nécessaire que les lois de la physique s'appliquent
à ce système biologique. Il est évident
que les quantités qui vont varier sous l'effet de
stimulations au cours d'une expérience vont varier
et vont être observées. Ce sont donc des observables.
La théorie doit être capable de manipuler ces
observables, parce qu'une théorie biologique est
au moins une théorie de nature physique, et donc
mathématique puisque les lois de la physique sont
mathématiques.
AI
: Votre théorie est novatrice, unique, permettant
de comprendre l'organisation du vivant et son évolution
dans le temps... Gilbert
Chauvet (GC) :Unique
est un bien grand mot. On n'est jamais unique à faire
quelque chose, mais en ce sens d'intégration, d'organisation
explicative des mécanismes élémentaires,
oui, elle est unique. Et en tant que théorie mathématique
aussi, c'est-à-dire au sens d'une vraie théorie,
avec une représentation spécifique et son
formalisme spécifique permettant de tenir compte
des propriétés spécifiques des systèmes
biologiques, et pas seulement des systèmes physiques.
Je ne connais à ce jour aucune autre théorie
mathématique - en physiologie, puisqu'il s'agit ici
d'étudier l'organisation fonctionnelle des êtres
vivants- reposant sur des hypothèse propres à
la biologie permettant d'expliquer de façon prédictive
des phénomènes, autant du développement
que du vieillissement, bref, à toute la vie de l'organisme.
AI
: En quoi, sans prétendre s'y substituer, votre théorie
supplée-t-elle aux lacunes de l'hypothèse
darwiniste - et de ce fait répondre aux critiques
faites à cette dernière par les défenseurs
de l'Intelligent Design (ID) ? Gilbert
Chauvet (GC) :Le
problème fondamental en biologie est toujours d'expliquer
comment une propriété macroscopique observée
peut être interprétée par des mécanismes.
Le darwinisme, en fait, ne le permet pas : on peut toujours
trouver une explication parce que l'on connaît le
résultat. Mais sans connaître le résultat,
simplement par déduction mathématique, est-on
capable de l'expliquer ? Voilà le véritable
problème...
Les tenants de l'Intelligence Design disent que le Darwisnisme
ne permet pas d'expliquer les propriétés des
systèmes biologiques... Et ils ont raison, parce
que tant que l'on ne pourra pas retrouver une propriété
observée en intégrant les mécanismes
élémentaires, on pourra toujours dire que
"c'est Dieu qui fait cela". En venant donner au
darwinisme un des socles qui lui manquait, ma théorie
vient alors prouver - et de façon mathématique
- que les tenants de l'ID ont tort. Par exemple, elle explique
pourquoi un système biologique, qui devient de plus
en plus complexe, reste stable.
AI
: Les biologistes et les spécialistes des neurosciences
se rattachant au matérialisme scientifique pourraient
donc trouver dans votre théorie une réponse
non-réductionniste à la grande question de
l'apparition de la vie et de la conscience dans notre univers
?... Gilbert
Chauvet (GC) :Qu'entendez-vous
par "réponse non-réductionniste"...
La théorie que je propose est intégrative,
mais on peut dire aussi qu'elle est réductionniste...
Tout dépend si l'on part de haut en bas ou de bas
en haut... l'objectif étant évidemment d'expliquer
les propriétés observées au niveau
macroscopique, à partir des phénomènes
microscopiques. Et c'est ce que permet ma théorie.
AI
: Comment proposez vous de la vérifier ou de la mettre
en défaut ? Gilbert
Chauvet (GC) :Il
existe beaucoup de moyens, j'en ai mentionné un certain
nombre dans mon livre. Ma théorie repose sur un principe
d'organisation qui permet de construire les systèmes
à partir de ses phénomènes les plus
élémentaires. La construction hiérarchique
est observée et ne peut donc être réfutée,
de même que le principe d'accroissement de stabilité
par accroissement de complexité. Par contre, le choix
de l'interaction fonctionnelle pourrait, lui, être
réfuté, en ce sens que ce serait alors une
"mauvaise" interaction fonctionnelle qui, à
la suite du calcul, conduirait à une instabilité.
Mais ce pourrait être, en premier lieu, un mauvais
choix des paramètres du modèle. Le plus important
est ici de bien voir que la théorie met en uvre
un principe de construction général. Il ne
peut être mis en défaut qu'après avoir
épuisé les conséquences du modèle
spécifique lui-même sur la stabilité
de la fonction. On peut aussi faire des modèles très
généraux à l'aide de cette théorie,
par exemple un modèle du développement, et
il peut être réfuté car je fais aussi
des hypothèses spécifiques pour réaliser
ce modèle, hypothèses qui peuvent être
réfutées par l'observation. Alors, c'est le
modèle qui sera d'abord réfuté, pas
la théorie.
AI
: Oui, mais est-ce que le principe d'organisation sur lequel
repose votre théorie est vrai ? Gilbert
Chauvet (GC)
:
Oui, jusqu'à ce que l'on démontre qu'il est
faux ! C'est ce que je disais plus haut. Mais d'après
l'observation dans le cadre biologique on observe que plus
un système devient complexe et plus il devient stable,
contrairement aux systèmes physiques. Ce qui veut
dire que le système biologique est organisé
de telle sorte que les conditions de stabilité sont
satisfaites. Et il est clair que ces conditions sont celles
qui ont été retenues au cours de l'évolution.
Si on arrive à réfuter cela, et à démontrer
que cela n'existe pas (pour le médecin c'est une
évidence)... alors effectivement, à ce moment-là
ma théorie sera réfutable et il faudra alors
trouver autre chose...
AI
: Quelles applications entendez-vous faire, à court
terme, de cette théorie ? Gilbert
Chauvet (GC)
: L'application essentielle se situe tout
d'abord dans le secteur médical et pharmacologique
puisque cette théorie permet par exemple de simuler
l'effet de molécules sur la construction physiologique.
Mais il n'y a pas que le secteur pharmaceutique. La théorie
permet de modéliser n'importe quel système
physiologique, qui, implémenté sur un processeur,
pourra se substituer à une fonction réelle.
On peut par exemple se servir de ma théorie pour
l'explication de la coordination du mouvement en robotique.
AI
: Et à plus long terme, quelle application recommanderiez-vous
? Gilbert
Chauvet (GC)
:
La plus belle application est certainement la recherche
déterministe de médicaments, c'est
à dire permettre par le calcul de découvrir
directement les molécules qui agiront sur les fonctions
physiologiques déficientes. Ce sera alors une véritable
révolution...
AI
: Est-ce que vos travaux théoriques peuvent servir
à modéliser les sociétés ? Gilbert
Chauvet (GC)
:
C'est une question qui m'est souvent posée. Je pense
que oui pour certains aspects. Car il faut savoir qu'il
y a dans la théorie des hypothèses spécifiques
à la biologie, d'autres qui ne le sont pas. C'est
par exemple le cas de l'application au développement
de l'organisme (autoreproduction et croissance par division
et différentiation cellulaire) et cette application
là, évidemment, n'existe pas dans le cadre
d'une société. Cependant, en ajoutant des
modèles spécifiques au comportement des sociétés,
oui, c'est modélisable. La théorie le permet
puisqu'il s'agit ici d'une organisation fonctionnelle. Mais
là, il me faudrait une seconde vie...
AI
: Les revues que nous lisons ou citons, à l'intention
de nos lecteurs, signalent l'absence de toute bonne théorie
du vivant suite à la crise prétendue du déterminisme
génétique (néo-darwiniste ?). Serait-il
hâtif de supposer que les auteurs de ces propos ne
sont pas au courant de vos travaux... Gilbert
Chauvet (GC) :
Je pense que ce n'est pas à moi de répondre
à cette question. A mon avis, vous devriez interviewer
certains de ces auteurs et le leur demander. Est-ce dû
au niveau mathématique très élevé
qui est nécessité ici pour bien comprendre
mes travaux ? Ou à leur conviction intime que le
vivant n'est pas théorisable mathématiquement
? Peut-être finalement ignorent-ils la physiologie,
discipline pourtant reine des sciences du vivant ? Evidemment,
vous remarquerez qu'en disant cela, la génétique,
l'immunologie font pour moi partie de la physiologie. Ce
n'est qu'une question de niveau d'organisation. Et c'est
la même chose pour l'histologie qui fait partie de
l'anatomie. De sorte qu'il n'y a que deux sciences en biologie
: l'anatomie science de la structure et la physiologie science
de la fonction ! Mais il faut un cadre théorique
pour exprimer et accepter cela
AI
: Cependant, ces mêmes revues signalent quelquefois
les nombreuses expériences consistant à "recréer"
de la vie en éprouvette. Derrière des termes
qui manifestement cherchent le sensationnel, il semble qu'il
y ait aujourd'hui de nombreux travaux qui, partant des génomes
déjà décryptés ou des nouveaux
outils proposés sur étagère pour séquencer
des ARN ou ADN, visent à synthétiser - ou
réussissent à synthétiser - des virus
artificiels (par exemple en enfilant les paires de bases).
D'autres vont plus loin, en dépassant le simple bricolage
du génie génétique industriel. Ils
veulent fabriquer des cellules en éprouvette, soit
avec des composants biologiques, soit même avec des
composants chimiques. Ils commencent, si nous comprenons
bien, par ce que vous avez vous-même signalé
comme essentiel, la synthèse d'une membrane. Mais
apparemment aucun ne fait appel à votre modèle
du Principe d'Auto-Association Stabilisatrice (PAAS) ? Sont-ils
voués à l'échec ou, pour présenter
la chose autrement, s'ils utilisaient votre théorie,
pourraient-ils réussir plus vite et mieux ? Gilbert
Chauvet (GC) : Quelle question !!
Il faut bien voir que tous les scientifiques qui travaillent
sur ce sujet, d'un point de vue expérimental, travaillent
sur les structures. En gros, ils font de la chimie. Partant
des propriétés de macromolécules, avec
la physico-chimie, on arrive à faire des membranes.
Mais peut-on dire qu'il s'agisse de membranes biologiques
pourvues de leurs nombreux récepteurs ? Pensez à
la membrane du tubule rénal par exemple, véritable
chef-d'uvre technologique, couplée à
tous les autres systèmes, hormonaux, cardiovasculaire.
Là c'est une autre histoire. Est-on capable de faire
interagir des systèmes qui ont déjà
des fonctions ? Personne ne l'a encore fait. Et comme il
y a des milliers de fonctions à prendre en compte
et que cela doit être organisé de façon
hiérarchique, je vous laisse imaginer la difficulté....
AI
: Reposons notre question de façon plus simple :
peut-on créer de la vie en éprouvette ? Gilbert
Chauvet (GC) :
Il faudrait d'abord savoir ce qu'est la vie exactement.
Personne n'est actuellement capable de le dire. Pour moi,
il faut créer une première interaction non
locale et non symétrique. La seule chose que l'on
soit capable de faire aujourd'hui, c'est de travailler sur
des structures. En physique, on fait de belle chose, avec
les nanotechnologies. Mais créer des fonctions, et
des combinaisons de fonctions, structurées comme
dans la manière vivante, c'est une autre histoire...Alors
évidemment, si on part du génome, c'est-à-dire
de macromolécules, qui sont pourvues de fonctions
- que l'on ne connaît pas encore, mais il y en a certainement
- on pourra sûrement faire quelque chose à
partir de ces structures. Mais encore une fois, sans pouvoir
coupler directement les fonctions, sûrement pas.
AI
: Donc pour vous, on ne peut pas fabriquer un être
vivant... Gilbert
Chauvet (GC) : Il
faudrait recommencer par tous les niveaux d'organisation
et reconstruire le système, physiquement, ce qui
à mon avis est impossible. C'est ce que montre ma
théorie qui met en évidence des équations
à retard dues à l'organisation hiérarchique.
C'est ce qu'a fait l'Evolution. Le problème est la
hiérarchisation des structures et des fonctions.
En revanche, si la question est : peut-on aider à
modifier les structures pour qu'elles soient plus efficaces
biologiquement, je vous réponds alors de façon
affirmative.
AI
: Mais peut-on imaginer, simplement à l'aide de la
chimie, en mettant des systèmes ensembles, créer
des fonctions ? Gilbert
Chauvet (GC) : Il y a très peu de chances pour
que cela marche. Il faudrait repasser par les étapes
de l'évolution, reproduire ce qu'a fait l'évolution,
et donc procéder à un nombre immense d'essais,
retenir ceux qui marchent, rejeter ceux qui ne marchent
pas. Or ce que dit le principe d'organisation utilisé
dans ma théorie est qu'il ne faut retenir, parmi
toutes les expériences possibles, que celles qui
entraînent l'auto-association stabilisatrice. Car
il faut que le système soit stable fonctionnellement.
AI
: Et si on prend un système stable fonctionnellement
et que l'on y adjoint un autre système ? Gilbert
Chauvet (GC) :
Ceci voudrait dire par exemple "je prends deux cellules
souches qui ne sont pas au même niveau de développement
(de différenciation) et je les mets ensemble".
Alors c'est vrai qu'avec le principe d'organisation que
j'ai découvert, on pourrait trouver plus facilement
les conditions leur permettant de fonctionner ensemble (au
moins virtuellement). Mais de là à réaliser
par synthèse des cellules souches... je n'y crois
pas. Fabriquer des cellules souches, c'est-à-dire
possédant toutes les potentialités de la vie,
implique une série (immense) d'essais-erreurs. Et
là, il y a trop de possibles.
AI
: Les scientifiques s'essayant à cet exercice ne
sont donc pas au bout de leur peine ? Gilbert
Chauvet (GC) : C'est le moins que l'on puisse
dire ! Ils feront des structures analogiques de systèmes
dits vivants, mais ce ne sera pas de la même teneur.
C'est exactement comme les scientifiques qui veulent réaliser
un cerveau artificiel : ils obtiendront ce que j'appelle
des cervoïdes, mais pas des cerveaux, au sens vivant
biologique du terme, puisqu'un cerveau a non seulement évolué
depuis les origines, mais aussi au cours de la vie individuelle
par apprentissage. En tous cas, l'apport de mes travaux
réside dans le fait qu'il est désormais possible
de construire quelque chose de déterministe. Ce n'est
plus du bricolage : on associe deux systèmes, et
on connaît les conditions d'amélioration de
la stabilité du nouveau système...
AI
: Revenons aux cellules souches.
Votre théorie pourrait servir aux scientifiques qui
travaillent sur le sujet pour construire des organes. En
effet, ils ont absolument besoin de savoir, lorsqu'ils vont
réintroduire cet organe dans le corps, si tous les
couplages fonctionnels vont bien fonctionner... Gilbert
Chauvet (GC) :Oui, ma théorie peut aider
à trouver les bonnes conditions de couplage entre
les systèmes.
AI
: Très récemment, des chercheurs ont réussi
à "faire"une vessie à partir de
cellules souches. Peuvent-ils imaginer dès à
présent réimplanter cette vessie et que tout
fonctionne normalement. Gilbert
Chauvet (GC) :
Pour qu'elle puisse remplacer une vessie externe et qu'elle
soit complètement indépendante et intégrée
dans l'organisme, il faut qu'elle soit connectée
au système nerveux autonome et au système
nerveux moteur volontaire (ce système est physiologiquement
très complexe car il est capable d'inhibition volontaire
consciente et d'inhibition involontaire : ce n'est pas un
simple réservoir !). On arrivera un jour à
le faire. En tous cas, le couplage entre de tels systèmes
serait facilité par des recherches théoriques
et virtuelles de modélisation sur ces systèmes.
Et ma théorie permettrait d'affiner ces outils, puisqu'elle
est fondée sur les interactions entre systèmes.
C'est le même type de problème pour le cur
artificiel.
AI
: Une autre application : la greffe de peau. Imaginons que
l'on veuille greffer une partie de notre peau sur un patient.
Il y aurait rejet... Gilbert
Chauvet (GC) :
Oui puisque le système immunitaire intervient, pour
toute transplantation d'ailleurs. La connaissance du couplage
du système immunitaire au système que l'on
veut transplanter est ici fondamentale. Là encore,
mes travaux peuvent être d'une aide essentielle puisqu'ils
reposent sur une théorie de champ : on parle de réseau
immunitaire au même titre que le réseau nerveux.
AI
: Les applications semblent donc revêtir un champ
très large. Quel autre exemple pourriez-vous donner
? Gilbert
Chauvet (GC) : Le coeur. Si on connaît bien la
modélisation qui permet de coupler le système
nerveux autonome au système nerveux volontaire, au
système hormonal et au système cardiaque (c'est-à-dire
musculaire), on pourrait remplacer le coeur par un pacemaker,
à condition de disposer de capteurs appropriés
qui permettent d'effectuer les mesures en fonction du temps
et à ce moment-là, de moduler l'activité
cardiaque en fonction de l'effort.
AI
: Nous croyions que les pacemakers le faisaient ? Gilbert
Chauvet (GC) : Non. Parce qu'ils ne sont pas encore
"intelligents". Ils le sont de plus en plus, mais
ils ne peuvent pas tenir compte de tous les problèmes.
Mais c'est aussi un problème de capteurs: le modèle
est capable de donner la bonne réponse, à
condition de lui donner les bonnes entrées.
Cela dit, il est probablement plus facile d'agir au niveau
moléculaire sur les systèmes existant pour
les empêcher de se détériorer, plutôt
que d'attendre de les voir détériorés
pour les remplacer. Je pense que c'est surtout à
cela que peut servir ma théorie.
AI
: Votre dernier livre "Comprendre l'organisation du
vivant et son évolution vers la conscience",
qui explicite vos travaux, nous semble avoir une immense
portée, non seulement théorique, pratique
mais aussi politique. Quel message aimeriez-vous faire passer
en cette fin d'interview ? Gilbert
Chauvet (GC) : A
mon avis, la seule façon de donner toutes leur lettres
de noblesse à ces aspects théoriques sera
de les faire accepter par les biologistes. Et cela passe
par une modification de leur éducation. Et fait,
il faudrait que cela commence dès les études
secondaires, en montrant sans attendre que l'aspect biologique
peut désormais s'élever au rang d'une véritable
science, j'entends au sens de "science dure".