Retour au sommaire
Dossier
Espace
L'Europe
doit prendre le relais des programmes scientifiques
gelés par la NASA
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
7 mars 2006 |
Automates
Intelligents s'enrichit du logiciel
Alexandria.
Double-cliquez sur chaque mot de cette page et s'afficheront
alors définitions, synonymes et expressions constituées
de ce mot. Une fenêtre déroulante permet
aussi d'accéder à la définition du
mot dans une autre langue (22 langues sont disponibles,
dont le Japonais). |
La
communauté spatiale scientifique est inquiète.
Les grandes revues scientifiques s’en font l’écho
(voir par exemple NASA takes a wrong turn, NewScientist
25/02.06, p. 23). De quoi s’agit-il ? L’administrateur
en chef de la NASA Michael Griffin, après avoir affirmé
lors de sa prise de fonction en septembre dernier qu’il
ne prélèverait pas un dollar sur les programmes
spatiaux de l’agence américaine, vient d’admettre
qu’il devra au contraire les amputer de 3,1 milliards
de dollars sur 4 ans.
La cause de ce sacrifice tient à la nécessité
où se trouve la NASA de remettre en vol ses navettes
et de terminer la mise au point de la Station Spatiale Internationale
(ISS). Les partenaires de la NASA dans l’exploitation
de l’ISS s’étaient ces derniers mois
inquiétés de voir l’agence paraître
se désintéresser progressivement de ce programme,
notamment du fait des risques et dépenses encourues
lors des vols de navettes. Mais d’une part la NASA
n’a pas voulu rompre ses engagements, vis-à-vis
de l’Europe et du Japon, et d’autre part, il
apparaît qu’une ISS en ordre de marche serait
un atout très utile dans le programme Retour sur
la Lune décidé par le Président Bush
à la fin de l’année 2004.
Le
regain d’intérêt de la NASA pour les vols
de navette tient, selon les observateurs, à une raison
plus profonde. Les Européens qui ont renoncé
à conduire en propre des missions humaines, "jugées
inutiles" (selon notamment un propos de Claude Allègre),
devraient la méditer. Mike Griffin est persuadé
que c’est l’aventure humaine du vol habité,
avec ses suspens, parfois ses morts, qui soutient l’intérêt
du public pour l’espace. On peut même dire que
l’image de la NASA fut et reste intimement liée
aux missions avec équipages humains. Comme il a été
dit : « Human space flight is what NASA was invented
for. NASA would surely implode without it”. Abandonner
la navette pendant 2 à 4 ans, en attendant l’arrivée
de son remplaçant, serait catastrophique pour le concept
de Space Dominance incarné très largement,
pour le grand public, par la NASA. Ceci d’autant plus
qu’au même moment la Chine, sans doute rejointe
par l’Inde, continuera à envoyer des hommes dans
l’espace.
Un
dernier argument a joué. Suspendre les vols de navettes
et se désengager de l’ISS obligerait à
licencier des milliers d’ingénieurs que la
NASA et ses sous-traitants ne retrouveraient pas quand il
faudra repartir vers la Lune.
Les
responsables de l’agence ont donc confirmé
à leurs partenaires, le 02/03/06 à Cap Canaveral,
qu'ils entendaient consacrer trois vols de navettes, dès
2006, à la poursuite de l’assemblage de l'ISS,
sur un total de seize, avant la mise à la retraite
des navettes en 2010. Discovery devrait être lancée,
sous réserve de tests techniques à réaliser
d’ici là, lors de la fenêtre de tir du
mois de mai, avec à son bord un astronaute allemand.
Dans le scénario au plus tôt, le laboratoire
Columbus de l'ESA ferait l'objet du septième voyage
afin d’être arrimé à l'ISS fin
2007. Ceci sera très apprécié en Allemagne,
qui avait misé presque tous ses crédits de
recherche spatiale sur ce module et qui se décourageait
de le voir rester au sol sans emploi.
Malheureusement
pour la recherche scientifique, la NASA s’était
engagée devant le Congrès à ne pas
dépasser le budget pluriannuel qui lui a été
fixé par l’Administration il y a un an. L’essentiel
de ce budget doit financer le programme Retour sur la Lune.
Celui-ci a lui-même été calculé
à l’économie, mais il obligera néanmoins
à moderniser les parties réutilisées
des précédents programmes et à développer
des éléments nouveaux, notamment le module
habité Crew Exploration Vehicle (CEV). La
NASA ne disposera donc pas d’un dollar en excès
Comme
les Etats-Unis (c’est notre commentaire) consacrent
des sommes énormes à leur budget militaire
et à la guerre en Irak, 600 à 800 milliards
cette année selon les estimations, à comparer
aux quelques 20 milliards de la NASA, celle-ci est condamnée
à l’austérité. Ce qui sera particulièrement
dommage pour l’image exceptionnelle qu’elle
s’était acquise lors de ses deux grandes périodes
dorées consacrées à l’exploration
spatiale, la première marquée par les Mariner,
Viking et Voyager, la seconde, qui se termine, avec Hubble,
Cassini et les Rovers martiens.
Mike
Griffin a affirmé devant les parlementaires que la
NASA ne renonçait pas à la science. Le pourcentage
de ses budgets consacré à la recherche spatiale
devrait passer de 24% en 1992 à 32% en 2010. Le télescope
Hubble, notamment, sera maintenu au lieu d’être
abandonné à la déréliction,
ce dont se réjouiront les astronomes du monde entier.
Il reste que les coupes seront sévères. Les
sacrifices seront tels que la NASA, qui envoie dans l'espace
au moins une grande mission scientifique par année,
ne devrait rien lancer entre 2009 et 2012.
Parmi
les principales victimes (voir encadré 1. ci-dessous),
on compte un satellite destiné à rechercher
des planètes extra-solaires similaires à la
Terre, une sonde qui devait se consacrer à l'exploration
d'Europe, la Lune de Jupiter, une autre qui devait ramener
sur Terre des échantillons de roches martiennes.
Mais ce sont les missions destinées à compléter
ou même remplacer les modèles de relativité
proposés avec le succès que l’on sait
par Einstein au début du XXe siècle, qui seront
le plus regrettées des cosmologistes. Il s’agissait
du programme dit «Beyond Einstein»,
au-delà d’Einstein, visant à explorer
les confins de l’univers profond.
Les chevaux de bataille de Beyond Einstein étaient
les deux missions connues sous le nom de Constellation X d’une
part et de LISA d’autre part. Elles avaient été
mises en tête des priorités par la revue décennale
de l’académie américaine des sciences
consacrée à l’astronomie en 2002. Constellation
X devait s'appuyer sur 4 satellites d’observation en
rayons X orbitant en formation afin d’obtenir la même
puissance qu’un télescope géant. Ils devaient
étudier les trous noirs, la formation des galaxies,
l’évolution de l’univers à grande
échelle, le recyclage de la matière et de l’énergie
pouvant induire les hypothétiques matière noire
et énergie noire. L’observatoire LISA (Laser
Interferometer Space Antenna), pour sa part, était
destiné à étendre à l’espace
la recherche des ondes gravitationnelles entreprise, sans
succès jusqu’à ce jour, par les Etats-Unis
et l’Europe dans leurs observatoires à terre.
Remarquons que LISA était conçue comme une mission
commune ESA-NASA. On peut se demander si l’ESA pourra
poursuivre seule la part du programme lui incombant.
1. LA NASA revoit certains programmes à la
baisse et en diffère (indéfiniment?)
d'autres
Si dans le budget 2007 de la NASA,
la priorité à été mise
sur la station orbitale internationale, le Shuttle
et le programme d'exploration "Constellation",
certains programmes vont être retardés.
C'est par exemple le cas de la Space Interferometer
Mission (SIM, baptisée aussi PlanetQuest),
qui devait être lancée en 2012 et qui
est retardé de 3 ans avec des ambitions technologiques
moindres. Rappelons que l'objectif initial de cette
mission visait la détermination de l'orbite
et de la masse des exoplanètes, ainsi que
la détection des exoplanètes du type
terrestre le plus proche. Dans la nouvelle mouture,
le télescope passe de 4 à 3 éléments
et la base passe de 10 mètres à 9
mètres. Par ailleurs, comme SIM devait précéder
la mission Terrestrial Planet Finding (TPF), celle-ci
est donc reportée à une date indéterminée.
Le programme Beyond Eintein est aussi réexaminé
: la mission Lisa, qui devait détecter pour
la première fois les ondes gravitationnelles,
et la mission constellation X, prochaine génération
de ce type de satellites d'astronomie sont revues
à la baisse, voir à la portion congrue...
La sonde d'exploration du satellite
de Jupiter Europa, pour sa part, laisse place à
la mission Juno du programme New Fontiers, qui consiste
à l'étude des lunes de la planète
jovienne - dont Europa - via un orbiteur de Jupiter.
Le financement du programme Sofia (programme germano-américain)
- télescope infrarouge embarqué sur
un B747) est purement et simplement arrêté.
La Nasa souhaite sans doute que son partenaire apporte
les crédits manquants...
Le lancement des satellites Glast
(réalisé en coopération avec
la France, l'Italie, la Suède, le Japon et
l'Allemagne) et Kepler sont désormais fixés
en septembre 2007 et juin 2008.
|
L’ESA
prendra-t-elle le relais de la NASA ?
La question de la suite que l’Europe pourrait apporter
seule à LISA nous conduit à une autre plus
importante, dans le même esprit. Nous y faisons allusion
dans le titre de cet article : l’ESA prendra-t-elle
le relais de la NASA en matière de recherche cosmologique?
Beaucoup de scientifiques espèrent encore, en faisant
pression sur la NASA et sur ses bailleurs de fonds, obtenir
les rallonges de crédits qui permettraient à
l’Agence américaine de reprendre ses programmes,
quitte à les retarder un peu. Ce sont des pressions
identiques qui avaient convaincu de la nécessité
de réhabiliter Hubble. La mission d’étude
de la gravité dite Gravity Probe B avait été
sauvée de la même façon. Cependant,
rien ne vaut la concurrence.
Si l’ESA obtenait des gouvernements européens
des rallonges de crédit (sans doute 2 milliards d’euros
sur 4 ans) elle devrait pouvoir augmenter les ambitions
de ses propres programmes scientifiques, les avancer en
date et le cas échéant se substituer aux projets
américains défaillants. Ceci ne devrait pas
se faire au détriment des financements déjà
acquis mais résulter de budgets véritablement
nouveaux. Nous avons discuté ces questions budgétaires
dans de précédents articles. Inutiles d’y
revenir. Disons seulement que l’Europe se grandirait
et obtiendrait le supplément de visibilité
spatiale qui lui manque encore, si dès maintenant
elle offrait à la NASA de collaborer avec elle dans
les programmes retardés par celle-ci, voire de l’y
remplacer – ceci pour le plus grand bien de la connaissance.
Les contribuables européens en seraient quittes pour
verser quelques euros de plus par an au profit de l’espace.
L'enjeu est considérable. Nous souhaitons que ces
actions soient étudiées et, si possible, retenues,
dans le plan décennal que nous demandons aux gouvernements
européens de prévoir concernant l’avenir
de l’Europe spatiale.
Le
relais que l'ESA pourrait apporter à la NASA dans
le domaine des programmes scientifiques est à distinguer
de l'action propre de l'ESA en matière d'exploration
de Mars, qui devrait elle-même se voir pensons-nous
mieux reconnue et soutenue budgétairement sur le
long terme (voir encadré 2. ci-dessous),
2. L'Europe et l'exploration martienne (projets
actuels)
Même l'exploration robotique
de Mars du côté de la NASA est touchée,
ce qui constitue peut-être une opportunité
pour l'Europe. En cette matière, l'Europe
a engagé le programme Aurora lors du conseil
ministériel tenu en décembre dernier
(enveloppe de quelque 710 Meuros, si le Canada porte
sa contribution à 65 Meuros. Cela dit, la
vision est ici limitée aux missions martiennes,
priorité définie par la communauté
scientifique qui considère l'étude
de la Lune comme secondaire (cela dit, si une coopération
était engagée avec les USA dans le
cadre du retour sur la Lune, l'Europe pourrait s'intéresser
à certains sujets liés à la
base lunaire (énergie, recyclage, environnement...).
Nous considérons pour notre
part que les crédits et donc les ambitions
du programme Mars et (éventuellement) Lune
de l'ESA manquent d'ambitions. L'Europe devrait
ambitionner de développer des programmes
d'explorations reposant sur la perspectives de vols
robotisés puis humains de même nature
que ceux de la NASA, laquelle devrait être
rejointe dans les prochaines années par la
Chine. Ceci peut nécessiter des coopérations
avec la NASA, mais ces coopérations devraient
demeurer ponctuelles, et ne pas créer de
dépendance à l'égard de l'agence
américaine, afin de ne pas renouveller les
épisodes actuels autour du module Colombus
imposés par la dépendance à
l'égard de la navette.
Dans l'état actuel de ses
projets, concernant l'étude de Mars, l'ESA
va développer la mission ExoMars pour 2011,
qui consiste à aller chercher des échantillons
jusqu'à 2 mètres de profondeur et
de les analyser sur place afin de détecter
d'éventuelles activés biologiques,
actives ou anciennes. Ensuite, l'objectif est la
mission de retour d'échantillons martiens
(MSR), mission pour laquelle il est déjà
prévu des prédéveloppements
sur certaines technologies critiques. Il s'agit
ainsi d'être en mesure de proposer aux Américains
une coopération d'égal à égal
pour une mission autour de 2020. Une mission de
démonstration technologique pourrait être
insérée entre ExoMars et MSR.
Cette stratégie en 3 étapes doit être
proposée lors du conseil ministériel
de 2008, Elle devrait tenir compte de l'objectif
plus lointain de l'exploration humaine de Mars.
Pour l'Europe, il s'agit de pouvoir réorienter
la coopération avec les Etats-Unis, si celle-ci
ne donne pas satisfaction et de ne pas se retrouver
dans une situation de dépendance, comme indiqué
ci-dessus.
|
Pour
en savoir plus
Constellation
X: http://constellation.gsfc.nasa.gov/
Sur
LISA et la recherche des ondes gravitationnelles, voir notre
article détaillé L'Europe participe activement
à la recherche des ondes gravitationnelles dans
http://www.automatesintelligents.com/actu/051130_actu.html.
Retour au sommaire