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Article
Trous
noirs ou étoiles à énergie noire
(gravastars)
par
Jean-Paul Baquiast
13 mars 2006 |
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L’opinion
publique éclairée (celle des lecteurs de revues
scientifiques de vulgarisation) s’était habituée
à l’existence possible des trous noirs. Voici
une vingtaine d’années que les cosmologistes
théoriciens nous avaient convaincu qu’en application
de la relativité générale (RG) les étoiles
d’une masse adéquate (supérieure à
celle de notre soleil) devaient, après avoir épuisé
tout leur hydrogène, s’effondrer sur elles-mêmes
sous l’effet de la gravitation. Le nouvel objet extrêmement
dense ainsi formé pouvait, dans certaines conditions,
atteindre une densité telle qu’il se transformerait
en Singularité, c’est-à-dire en un nouvel
objet non descriptible par les lois de la physique ordinaire.
Ses dimensions seraient inférieures à celle
du point mathématique, autrement dit il disparaîtrait
de notre espace. Mais sa masse serait telle qu’elle
continuerait à attirer les particules situées
à son voisinage. Celles-ci seraient avalées,
au terme d’un processus d’accrétion. Elles
ne pourraient plus en ressortir. Le temps s’y arrêterait.
L’information engloutie y serait à jamais perdue.
D’où le nom de trou noir donné à
la nouvelle entité. Mais le trou noir resterait présent
dans notre univers. Bien qu’invisible, il continuerait
à exercer différents effets sur son environnement,
soit directement soit à ses frontières, effets
mesurable par nos instruments(1).
L’hypothèse
du trou noir (selon laquelle une étoile massive s’effondrant
gravitationnellement sur elle-même donnerait naissance
à une Singularité au-delà de laquelle
se trouverait un autre univers dont la physique relativiste
ne pouvait rien dire ) a rejoint celle selon laquelle notre
univers actuel serait né d’une autre Singularité,
le Big Bang. Celle-ci a été émise à
la suite de diverses observations astronomiques, paraissant
démontrer la fuite des galaxies et l’expansion
de l’univers. En remontant l’histoire à
l’envers, on à imaginé un évènement
unique générateur, le Big Bang. On sait que
de plus en plus de physiciens remettent en cause le concept
de Big Bang, mais celui-ci demeure encore fermement implanté.
On pourrait dire que le Big Bang représente l’émergence
du temps et de l’espace dans notre univers. Autrement
dit, il marque la frontière au-delà de laquelle
commence le règne de la physique relativiste.
Mais
à la question constamment posée : «Qu’est
ce qu’il y avait avant le Big Bang ?» les physiciens
relativistes ne peuvent rien répondre de précis.
La barrière de la Singularité, autrement dit
de l’inconnaissable, délimite pour eux dans les
deux sens les limites de l’intelligibilité, la
limite avant (avant le Big Bang) et après (après
l’effondrement gravitationnel). On sait que dans les
hypothèses qui avaient encore cours il y a quelques
années, selon lesquelles l’univers pourrait,
après une phase d’expansion, se contracter à
nouveau et s’effondrer sur lui-même, au cours
d’un évènement baptisé Big
Crunch, on retrouvait la Singularité initiale
et la question de l’avant l’univers, transformée
en question de l’après. L’univers, après
le Big Crunch, dans ce cas, pourrait sans doute devenir un
gigantesque trou noir.
Il
est difficile sinon impossible de refuser les modèles
de trous noirs si l’on s’en tient à la
RG. Cette dernière a été vérifiée,
depuis Einstein, par des expériences si nombreuses
qu’elle ne parait pas contestable, tout au moins quand
on s’en tient aux postulats posés par Einstein
lui-même et jamais remis en cause depuis. Le concept
de trou noir est donc devenu quasi incontournable. Toute une
littérature s’est développée autour
de lui, y compris dans des domaines qui relèvent d’une
cosmologie théorique encore invérifiable aujourd’hui
faute des instruments adéquats, cosmologie que certains
estiment confiner à la métaphysique. Pour ne
citer que des exemples récents, évoqués
dans cette revue, le physicien Paul Wesson explore l’idée
qu’un trou noir comporte plus de 4 dimensions, et que
l’une de ces dimensions supplémentaires, en l'espèce
la 5e, convenablement développée, pourrait rendre
le trou noir habitable. D’où la conclusion qu’il
en tire : peut-être vivrions nous à l’intérieur
d’un gigantesque trou noir, aux dimensions de notre
univers. Mais, comme nous allons le faire plus en détail
ci-dessous, dans cette approche, Paul Wesson tente d’établir
un pont entre la RG et la mécanique quantique (MQ)
afin de décrire le « vide » qui se trouverait
au-delà des Singularités relativistes et qui
constituerait en fait le tissu même d’un univers
profond(2).
Avant
Wesson, de nombreux scientifiques ont utilisé le concept
de Big Bang (et corrélativement celui de trou noir)
comme brique fondamentale pour élaborer un modèle
darwinien de l’évolution cosmologique. Nous avons
précédemment indiqué que dans un de ses
ouvrages, le physicien de la gravitation quantique en lacet
Lee Smolin avait fait la supposition que, dans l’hypothèse
des univers multiples, les univers surgissant en permanence
évoluaient en concurrence les uns avec les autres,
et que les plus aptes à se reproduire le faisaient
en générant un plus grand nombre de Big Bang
que les autres, certains de ces Big Bang pouvant se révéler
plus féconds que leurs concurrents en ce sens qu’ils
donneraient naissance à des univers favorables à
la vie. L’hypothèse a été reprise
récemment par James Gardner dans l’ouvrage Biocosm
dont nous avons rendu compte(3).
Il reste que ces diverses hypothèses, si elles se situent
à l’intérieur des contraintes de la physique
relativiste, se heurtent, pensons-nous, à la barrière
de la Singularité. Comment, par exemple, un univers
rendu intelligent, comme le nôtre, à supposer
que ce soit le cas, pourrait transmettre à un bébé-univers
qu’il voudrait rendre capable de se doter d'une intelligence
supérieure à celle de son père les informations
nécessaires à ce gain de connaissances, si toute
information était détruite par le passage obligé
à travers l’horizon d’un trou noir? La
connaissance serait perdue et ne pourrait donc pas se retrouver
au sein d’un nouvel univers, né d’un nouveau
Big Bang.
Le
vide quantique
Mais,
comme tous les lecteurs de revues de vulgarisation le savent
depuis longtemps déjà, les physiciens tentent
d’établir un pont entre la physique relativiste,
amplement démontrée aux échelles cosmologiques
et la mécanique quantique (MQ) elle-même amplement
démontrée et incontournable, aux échelles
microphysiques et même, dans certains domaines, aux
échelles de la macrophysique, celle que nous utilisons
tous les jours dans d’innombrables appareils et instruments.
Il ne s’agit pas ici de résumer l’état
du dialogue difficile entre les deux physiques, à la
recherche d’une théorie du Tout (dite parfois
M. Théorie) qui pourrait se résumer en une formulation
mathématique commune. Bornons nous seulement à
l’actualité récente, qui nous reconduit
aux trous noirs et à la question de savoir ce qu’il
y aurait, derrière un trou noir ou avant un Big Bang.
On
dit généralement aujourd’hui, qu’en
amont et en aval de ces évènements se trouve
le vide quantique, lequel constituerait le tissu même
de l’univers profond. Le concept de vide quantique
nécessite de faire appel au formalisme de la MQ.
Nous n’allons pas nous y risquer ici. Bornons-nous
à dire que le vide quantique serait loin d’être
vide. Ce serait au contraire un trop-plein bouillonnant.
La physique quantique parle d’ailleurs moins de vide
que d’énergie du vide.
En
physique classique, le vide est une simple absence de matière
ou d’énergie. Il s’agit d’un pur
concept. Selon la MQ, au contraire, le vide est empli de particules
virtuelles qui apparaissent dans notre univers observable
et en disparaissent de même. Cette activité,
dénommée fluctuation quantique correspond à
une énergie propre du vide, l’énergie
de point zéro (zero-point energy) qui, si le vide était
un continuum, serait infinie(4).
On suppose généralement que l’on pourrait
identifier en théorie la plus petite unité de
vide, pour laquelle l’énergie de point zéro
ne serait pas infinie mais encore énorme. Dans cette
optique, chaque millimètre carré de vide contiendrait
assez d’énergie de point zéro pour créer
un nouvel univers. Selon la théorie quantique des champs
(quantum field theory), chaque particule que nous observons
correspond à l’excitation (une onde) d’un
champ sous-jacent du vide, et c’est seulement l’énergie
de l’onde que nous pouvons détecter. De même,
à la surface de l’océan, nous pouvons
mesurer la hauteur des vagues sans pouvoir mesurer nécessairement
la profondeur de l’océan. Mais en ce qui concerne
l’énergie de point zéro, certains effets
peuvent en être observés par nos instruments.
C’est ce que montre par exemple l’effet Casimir(5).
L’effet
Casimir a l’intérêt de nous introduire
dans un domaine de la physique en pleine émergence,
c’est le cas de le dire. C’est celui consistant
à mettre en évidence des effets quantiques se
manifestant à l’échelle macroscopique.
Nous avons précédemment présenté
l’ouvrage que, à tort ou à raison, nous
pensons fondateur, celui du physicien Robert Laughlin(6).
L’auteur base tout son plaidoyer pour une physique différente
sur les cas qu’il connaît bien, puisqu’ils
lui ont permis d’obtenir son prix Nobel, ceux des matériaux
super-conducteurs et super-fluides. Ces matériaux,
à certaines conditions de température, enregistrent
des transitions de phase qui ne sont pas descriptibles par
la physique macroscopique. C’est plus précisément
au moment où le matériau bascule, par exemple,
d’un état magnétique à un état
non magnétique, que se produit l’état
non descriptible, c’est-à-dire l’émergence
du principe d’incertitude de la MQ. Il n’est plus
possible à ce moment de décrire l’évènement
en termes déterministes. Autrement dit, à des
conditions de température et de pression données,
on verrait ainsi s’ouvrir en ce court instant (non mesurable)
une fenêtre sur le vide quantique. On parle d’un
état de criticité quantique (quantum criticality).
Un
article récent de l’écrivain scientifique
Mark Buchanan dans le NewScientist(7),
montre comment aujourd’hui le concept de criticité
quantique se révèle fructueux. Il permettra
peut-être de comprendre prochainement, grâce à
des expériences (relativement) simples de laboratoires,
les mystères de l’univers physique fondamental
auxquels les futures générations d’accélérateurs
de particules géants seront de leur côté
censés s’attaquer. Ces expériences de
laboratoires concernent l’étude, au sein d’un
nombre de plus en plus grands de cristaux réputés
exotiques, des évènements dits de transition
de phase. C’est pendant le « point critique »,
celui où se trouve le matériau entre deux états
d’organisation des atomes, que se produisent les phénomènes
intéressants. Les modifications de températures
induisent en général ces points critiques. Mais
il pourrait aussi s’agir, à des températures
proches du zéro absolu, de « simples »
manifestations du principe d’incertitude de la MQ. A
ce moment, on se trouverait en présence d’un
état proche du vide quantique: des atomes gelé
au zéro absolu qui vibrent cependant et des particules
à courte vie émergeant et se détruisant
sans arrêt. Des particules différentes de celles
que nous connaissons pourraient apparaître, par exemple
des particules résultant de la décomposition
de l’électron et se répartissant l’une
la charge et l’autre le spin de celui-ci.
On
n’entrera pas ici dans des détails qui dépasseraient
non seulement le cadre de cet article mais notre compétence.
Il faut retenir seulement que les expériences portant
sur les « cocktails quantiques » utilisant des
matériaux exotiques soumis au zéro presque
absolu sont conduites, en laboratoire, par ces mêmes
physiciens qui, comme Robert Laughlin, s’attaquent
dorénavant à la description du vide cosmologique.
Autrement dit, est-ce qu’une physique de laboratoire
d’université, relativement abordable en termes
de moyens matériels (à condition pourtant
d’abandonner les préjugés de la physique
traditionnelle) ne pourrait pas donner des éclairages
sur les profonds mystères de l’univers fondamental
?
Les
étoiles à énergie noire (Black Energy
Stars) ou Gravastars
Une gravastar (GRAvitational VAcuum STAR ) serait
un objet astronomique compact que certains astrophysiciens
présentent comme une bonne alternative à l’existence
supposée des trous noirs, lesquels nous l’avons
rappelé ne sont pas observables directement et posent
de nombreux problèmes, aussi bien en cosmologie proprement
dit qu’en philosophie. Le concept de Gravastar a été
proposé en 2001 par les physiciens Pawel O. Mazur et
Emil Mottola . Il a été développé
en 2005 par le physicien George Chapline dans une note publiée
sur le web(8).
Dans cette note, George Chapline rappelle ce que nous venons
de dire, c’est-à-dire que la MQ n’est
pas compatible avec l’hypothèse des trous noirs.
Un trou noir détruit à jamais l’information
contenue dans la matière qu’il absorbe. Or
la MQ postule que l’information ne peut jamais disparaître
de l’univers. Par ailleurs la MQ exige l’existence
d’un temps absolu. Or, selon la RG, un objet tombant
sur l’horizon du trou noir semble voir son temps ralentir
à l’infini. Ce sont deux des raisons, qui pour
lui condamnent définitivement l’hypothèse
des trous noirs. Il suggère de les remplacer par
l’hypothèse de l’Etoile à énergie
noire ou Gravastar.
La gravastar résulterait comme le trou noir de l’effondrement
gravitationnel d’une étoile de masse suffisante.
Mais les phénomènes se produisant à
la limite de son horizon seraient différents. Chapline
suggère, pour réconcilier le modèle
de l’effondrement gravitationnel avec les contraintes
de la MQ, qu’une transition de phase dans l’espace
des phases se produit à l’horizon de la gravastar.
Il s’appuie sur l’exemple de la superfluidité,
bien étudié par Laughlin et al. Si on augmente
la hauteur d’une colonne d’un gaz en état
de superfluidité (expérience de pensée),
l’augmentation de densité devient telle qu’à
un certain point, elle ralentit la vitesse de transmission
du son jusqu’à la rendre nulle (ou presque).
Cependant, à ce point, la MQ fait que les ondes sonores
dissipent leur énergie dans le superfluide, si bien
que la condition limite où la vitesse du son deviendrait
nulle ne se rencontre jamais. Le concept d’infini
et de singularité est donc évacué.
Dans l’hypothèse de l’étoile à
énergie noire, la matière approchant l’horizon
du (supposé) trou noir se désagrége
en particules de plus en plus légères. Près
de l’horizon, le proton lui-même se désagrège.
Ceci peut expliquer les sources d’émission
de rayons cosmiques hautement énergétiques
et de positrons (inexpliquées autrement) que l’on
détecte à l’horizon des supposés
trous noirs. Quand la matière traverse l’horizon
de l’étoile (car elle la traverse en partie),
une partie de son énergie est convertie en force
répulsive, ou anti-gravité, ou énergie
noire. Cette énergie combat l’augmentation
de gravité de l’astre et lui permet d’éviter
de se transformer en singularité, c’est-à-dire
en trou noir au sens propre du terme. L’étoile
demeure une étoile, mais génératrice
non plus de lumière mais d’énergie répulsive
ou noire. Par ailleurs, dans certaines conditions, ce qui
traverse l’horizon de la gravastar pourrait en ressortir,
rebondir à l’extérieur. L’information
serait-elle alors conservée ? Pourquoi pas ?
Cette hypothèse pourrait expliquer aussi où
se trouverait la masse manquante, dite matière noire,
nécessaire à l’équilibre entre
gravité et répulsion au sein de notre univers,
et que les observations astronomique ne permettent pas d’identifier.
Lors du Big Bang, selon Chapline et ses collègues,
les fluctuations de l’énergie du vide auraient
pu provoquer l’apparition d’étoiles à
énergie noire primordiales, dont la masse constituerait
ainsi la matière noire dont les cosmologistes recherchent
actuellement la source.
Revenons à l’étoile à énergie
noire. Lorsqu’une étoile de masse adéquate
subit un effondrement gravitationnel, elle ne se transformerait
pas donc pas en trou noir, c’est-à-dire en
une singularité dotée d’une densité
virtuellement infinie. Au contraire l’espace qui l’entoure
subirait une transition de phase empêchant la poursuite
de l’effondrement. Il se transformerait en un vide
sphérique entouré par une forme de matière
super-dense.
De l’extérieur, une gravastar ressemblerait beaucoup
à un trou noir. Elle ne serait visible que par les
émissions de haute énergie qu’elle émettrait
en détruisant une partie de la matière qu’elle
absorberait. A l’intérieur, l’espace serait
totalement courbé par les conditions extrêmes
y régnant et par l’énergie noire orientée
vers l’extérieur en émanant. Autour de
cet espace de vide, se trouverait une bulle de matière
extrêmement dense, analogue au condensat de Bose-Einstein(9)
où toutes les particules (protons, neutrons, électrons…)
seraient agglutinées dans un état quantique
créant un « super-atome ». On peut penser
que s’approcher d’une gravastar serait aussi destructeur
pour la matière ordinaire, et plus encore pour la matière
vivante, que s’approcher d’un trou noir. Mais
à supposer que la barrière de l’horizon
de la gravastar ait pu être franchie, l’intérieur
de celle-ci serait peut-être plus confortable que l’intérieur
d’une Singularité.
L’évènement
du 22e Pacific Coast Gravity Meeting
L’hypothèse de la gravastar telle qu’initialement
proposée par Mazur et Mottola puis reprise par George
Chapline n’avait pas suscité beaucoup d’intérêt
car elle reposait sur des spéculations tirées
des recherches en matière de gravitation quantique.
Les physiciens estimaient pouvoir résoudre les difficultés
qu’elle était censée résoudre
de façon plus simple – encore que rien ne soit
simple en cosmologie. Abandonner l’hypothèse
du trou noir était de toutes façons pour eux
une perspective un peu brutale.
Mais, lors du 22e Pacific Coast Gravity Meeting tenu tout
récemment, en mars 2006(10),
George Chapline et Robert Laughlin ont conjointement repris
l’hypothèse de Mazur, Mottola et Chapline. Chapline
y a été catégorique. Pour lui, les incohérences
entre l’hypothèse des troux noirs et la MQ sont
telles que l’histoire se demandera comment les physiciens
y ont été si longtemps aveugles. Pour expliquer
ce qui pourrait se passer à la surface d’une
gravastar, Chapline et Laughlin (dont les travaux sur la superconduction
et l’effet Hall semblent avoir été d’un
apport décisif dans cette nouvelle version de l’hypothèse)
s’appuient sur les comportements bizarres d’un
cristal superconducteur approchant ce que l’on appelle
la transition de phase critique quantique (quantum critical
phase transition). Durant cette transition, le spin des électrons
dans le cristal est supposé fluctuer erratiquement,
mais l’observation montre que les fluctuations ralentissent
et même s’arrêtent, comme si le temps lui-même
s’arrêtait.
Si
un phénomène de transition de phase critique
quantique se produisait à la surface d’une
étoile, le temps paraîtrait s’y arrêter
et la surface se comporterait comme l’horizon d’un
supposé trou noir. De ce fait, la MQ qui ne peut
admettre que le temps s’arrête ne serait pas
violée, car le temps ne s’y arrêterait
pas entièrement.
George
Chapline, Robert Laughlin, rejoint par Pawel Mazur et Emil
Mottola, ont appliqué cette hypothèse à
la modélisation de l’effondrement d’une
étoile massive. Leurs analyses prédisent une
transition de phase qui crée une mince enveloppe
en état de transition de phase critique quantique.
La taille de l’enveloppe (shell) est fonction de la
masse de l’étoile. Elle ne contient pas une
singularité d’espace temps, mais au contraire
un vide quantique analogue à celui du vide de l’espace.
Au fur et à mesure que la masse de l’étoile
s’effondre, elle est convertie en énergie qui
contribue à l’énergie du vide. Celle-ci
a un puissant effet anti-gravité, analogue à
celui qui semble causer l’expansion accélérée
de l’univers. Elle n’est pas telle cependant
qu’elle fasse exploser l’étoile. De nombreux
modèles montreraient que des gravastars stables pourraient
exister. Elles se formeraient dans des régions où
l’on supposait que se formaient des trous noirs.
Aussi ceux-ci (si le concept de trou noir était conservé
– ce qui ne devrait pas être le cas) et les
gravastars auraient des signatures identiques (par exemple
des disques d’accrétion) ce qui les rendrait
difficile à distinguer. Cependant, ils ne seraient
pas totalement identiques. Contrairement aux trous noirs
qui absorbent tout ce qui passe à leur portée,
les gravastars pourraient restituer certaines des particules
résultant de éléments de la matière
désagrégée qu’elles absorberaient,
par exemple des positrons résultant de la désintégration
des quarks qui les traverseraient. Ceci expliquerait l’abondance
anormale de positrons que l’on trouve dans le centre
de notre galaxie, autour de la zone censée contenir
un trou noir massif. Les émissions de rayons gamma
en émanant devraient être de même fréquence
que les rayons gammas reçus des bouffées gamma
de très haute énergie enregistrés par
ailleurs.
Pourrions
nous vivre à l’intérieur d’une gravistar
? La question a été posée car pour une
étoile de la taille de notre univers, la valeur calculée
de l’énergie du vide à l’intérieur
de son enveloppe correspondrait à la valeur de l’énergie
noire calculée aujourd’hui. Chapline se demande
donc s’il serait possible que nous vivions à
l’intérieur d’une gravistar de la taille
de notre univers. Mais une étoile d’une telle
taille serait-ce envisageable ? Rien ne permettrait de l’expliquer(10).
Conclusion
Que
pourrions nous retenir des hypothèses que nous venons
de résumer, concernant l’existence possible
des gravastars et la fin de celle des trous noirs ? Rappelons
d’abord qu’il s’agit d’hypothèses
encore peu admises sinon peu connues par la vaste population
des physiciens cosmologistes. Elles restent de toutes façons
à vérifier. Les auteurs suggèrent différentes
observations qui paraissent assez faciles à faire,
mais leur interprétation restera certainement matière
à disputes. Nous proposons pour ce qui nous concerne
de ne pas entrer dans ces querelles de spécialistes.
Nous nous bornerons à prendre note de l'apparition
de cette nouvelle entité dans la zoologie des êtres
cosmologiques, l'étoile à énergie noire
ou gravastar. Y faire allusion négligemment dans
une conversation sera certainement remarqué et valorisant.
Mais le concept apportera-t-il vraiment une révolution
épistémologique, au-delà du fait –
d’ailleurs très important- qu’il permettrait
d’expliquer l’énergie noire et la masse
noire ?
Nous
en voyons une, et de taille. Des physiciens hétérodoxes
comme Robert Laughlin et George Chapline vont dans l’avenir
mener en parallèle deux types de recherches convergentes.
Les unes seront conduites, comme nous l'avons dit, à
l’échelle du laboratoire, afin d’explorer
les états de la matière aux conditions limites.
On utilisera pour cela des matériaux plus ou moins
dits « exotiques » soumis aux expériences
de superfluidité ou superconductivité. Les
autres seront conduites aux échelles cosmologiques.
Elles permettront d'étudier, grâce à
des instruments à terre et des sondes spatiales,
diverses émissions électromagnétiques
provenant de l’univers profond. Dans les deux cas,onl’on
cherchera à détecter les évènements
résultant de la criticité quantique ou, pour
parler plus généralement, ce qui correspondrait
à ce que l’on appelle le vide quantique.
Il
est clair que puisque nous sommes dans le domaine de la
MQ, on ne décrira pas le vide quantique ni ce qui
s’y passe par des modèles déterministes.
Mais ceci ne sera pas un inconvénient, loin de là.
Si nous supposons que le vide quantique est, pour reprendre
le terme de Laughlin, le royaume de l’émergence,
nous comprendront peut-être mieux comment, parmi d’autres
émergences, la physique et, pourquoi pas, la biologie
telles que nous les connaissons ont pu en émerger,
comment des formes analogues ou différentes pourraient
encore éventuellement en émerger.
Pour
reprendre la comparaison formulée précédemment,
nous sommes en ce moment comme l’étaient les
marins primitifs sur l’océan. Ils ressentaient
l’énergie des vagues qui les secouaient, mais
ils ne pouvaient pas observer ce qui provoquait ces vagues
au sein de l’océan profond. Pourtant il y avait
quelque chose à observer, que nous avons progressivement
appris, non pas à comprendre, mais à imaginer
en termes très grossiers. Il faudrait continuer à
descendre de plus en plus profond, au sein des atomes, des
particules et des énergies primordiales dites aujourd’hui
du vide, pour nous rapprocher de ce que l’on appelle
parfois de façon poétique l’essence des
choses. Ce serait là nous semble t-il une des retombées
fructueuses de l’hypothèse des gravastars(12).
Notes
(1)On appelle en RG horizon du trou noir
(event horizon) la frontière d’espace
temps au delà de laquelle, pour un observateur extérieur,
plus aucune énergie électromagnétique,
incluant la lumière, ne peut lui parvenir. La lumière
émise de l’intérieur de l’horizon
n’atteindra jamais un observateur extérieur stationnaire.
D’où le nom de trou noir. Mais ceci n’est
pas vrai pour un observateur tombant dans un trou noir. L’observateur
extérieur le verra approcher de l’horizon mais,
dans son propre temps, il ne le verra jamais l’atteindre.
Il le verra ralentir de plus en plus et émettre un
décalage vers le rouge (red shift) de plus en plus
marqué, tendant vers l’infini. Mais il ne le
pourra pas le voir traverser l’horizon du trou noir.
(2)Enter
the void. Is there life inside a black hole, NewScientist,
11 février 2006, p. 32. Les scientifiques pourront
se référer à l'ouvrage récent
de Wesson, Five Dimensional Physics, Classical and Quantum
Consequences of Kaluza-Klein Cosmology, février
2006 par Paul S Wesson (University of Waterloo, Canada &
Stanford University, USA)/ Voir http://www.worldscibooks.com/physics/6029.html
(3) Gardner, http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2006/fev/bioscom.html
(4)
Sur l’énergie de point zéro, voir une
présentation générale dans Wikipedia
(anglais) http://en.wikipedia.org/wiki/Zero-point_energy
(5) Sur l’effet Casimir, voir une
présentation dans Wikipedia (en français, mais
pour mathématiciens). On trouve de nombreuses autres
références sur le web. http://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Casimir
(6 ) Robert Laughlin, A different Universe.
Voir notre recension, que nous conseillons aux lecteurs du
présent article de relire attentivement, car la suite
dudit article s’en trouvera éclairée http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2005/juin/laughlin.html.
Nous y écrivions en paraphrasant Laughlin (permettez
nous de nous citer) : « La
réalité quotidienne est un phénomène
d'organisation collective, se traduisant par des « vérités
» statistiques ou probabilistes (ce qu'on dit depuis
longtemps les biologistes comme les physiciens quantiques).
On peut pour des besoins pratiques, dans le monde quotidien,
décrire les objets macroscopiques comme des constructions
d'atomes situés dans l'espace-temps newtonien, mais
l'atome isolé n'est pas newtonien. C'est une entité
quantique « éthérée » manquant
de la première des caractéristiques du monde
newtonien, la possibilité d'être défini
par une position identifiable. Ceci apparaîtra non seulement
dans les expériences de la physique quantique, mais
dans les expériences de la physique des matériaux
et des états de la matière intéressant
la vie quotidienne. Les physiciens s'intéressant aux
phénomènes macroscopiques doivent donc eux aussi
apprendre à gérer l'incertitude née de
l'émergence, considérée comme un aspect
incontournable de toute « réalité »
et la voie permettant d'accéder à de nouvelles
découvertes.
Ceci concerne des phénomènes de la vie quotidienne,
dans lesquels le public ne voit généralement
aucun mystère alors qu'ils demeurent pour Robert
Laughlin pleins d'inconnu. Il cite l'exemple des différentes
phases permettant à la matière de passer d'un
état à l'autre, par exemple du gazeux au liquide
et au solide. Il s'agit de phénomènes d'organisation
mal compris. On a ainsi mesuré que l'eau pouvant
adopter onze phases cristallines distinctes, selon les circonstances.
Certes des lois microscopiques expliquent certainement cette
propriété, sinon il s'agirait d'un miracle,
mais on ne sait pas montrer de façon déductive
pourquoi et comment elles le font, c'est-à-dire en
fait expliquer et maîtriser le phénomène
d'émergence par auto-organisation qui se manifeste
en ce cas.
(7) The quantum Cokctail, par Mark
Buchanan, NewScientist 28 janvier 2006, p. 40. Dans son ouvrage
Small Worlds (2000), comme dans le suivant, Nexus
(2002) , Mark Buchanan s’est livré à
des réflexions philosophiques voire métaphysiques
s’appuyant sur les bases de la mécanique quantique
et de la complexité en réseau. On peut le lire
sans pour autant le suivre dans toutes ses extrapolations.
http://www.wwnorton.com/catalog/spring02/004153.htm
(8)
George Chapline. Dark Energy Stars, présentation d’une
étude menée au Lawrence Livermore National Laboratory
sur financement du département de l’énergie
16 mars 2005 http://www.llnl.gov/tid/lof/documents/pdf/317506.pdf
. La note (anglais) est très claire et lisible par
les non spécialistes.
(9)
Condensat de Bose-Einstein. Voir Wikipedia (français)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Condensat_de_Bose-Einstein
(10)
Voir l’article du NewScientist : Three Cosmic enigmas,
one audacious answer, par Zeeva Merali, NewScientist, 11 mars
2006, p. 8
(11)Comment imaginer qu’une gravastar
puisse être aussi grande que notre univers? Par ailleurs,
comment pourrions nous survivre dans les conditions régnant
au sein d’une telle étoile ? Peut-être
pourrait-on répondre que cette taille et ces conditions
ne sont pas absolues. Elles sont relatives à un observateur.
Si l’observateur se trouve à l’extérieur
de la gravastar, elles lui paraîtront insupportables.
Mais s’il se trouve à l’intérieur,
elles ne lui poseront aucun problème. L’objection
a déjà été faite aux hypothèses
selon lesquelles nous vivrions dans un immense trou noir.
(cf note 2 précédente). Nous
avons vu que Paul Wesson ne rejette pas l’hypothèse
des trous noirs, mais la complète par celle selon laquelle
les trous noirs comporteraient plus de 4 dimensions. La 5e
dimension d’un trou noir rendrait celui-ci habitable,
ce qui serait compatible avec l’hypothèse selon
laquelle notre univers serait l’intérieur d’un
gigantesque trou noir. Le même raisonnement devrait
pouvoir être transposé, semble-t-il, aux gravastars.
(12)
Le vide quantique et ses mystères sont peut-être
plus proches de nous que nous ne le pensons. J’en discutais
récemment avec un ami mathématicien, Gilbert
Chauvet, qui rappelait que le problème de la nature
des nombres premiers, dont il est impossible d’obtenir
la suite par un algorithme usuel, pourrait être significatif
du genre d’indéterminé profond qui nous
entoure. On pourrait dire la même chose des automates
cellulaires étudiés par Stephen Wolfram. Un
automate cellulaire très simple génère
très vite des complexités inexplicables et imprédictibles.
D’où tient-il ce pouvoir ? Et d’où
viennent ces complexités ?
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