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Editorial
L'Amérique
dangereuse
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
3 avril 2006 |
Automates
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Nos
lecteurs savent bien que, dans cette revue, nous ne faisons
pas d’anti-américanisme sommaire. Beaucoup nous
reprochent au contraire de donner une part trop belle aux
innovations et aux produits venant des laboratoires et des
entreprises de la zone dollar. Selon eux, nous ne parlons
pas assez selon eux de tout ce qui se réalise en Europe.
Sans doute ont-ils raison, mais ceci traduit un état
de fait. Ce sont les recherches, les développements,
les communications, les stratégies émanant de
l’outre-atlantique qui retiennent l’attention
d’un éditorialiste, parce que ce sont elles qui
se font le mieux connaître.
Cela
dit, nous ne perdons pas, espérons le, notre liberté
critique. Chaque fois que nous le pensons utile, nous essayons
de replacer le développement technologique et scientifique
impulsé par les Etats-Unis dans le mouvement général
du monde. Plus particulièrement quand il s’agit
de l’Europe. Depuis plusieurs années déjà,
nous avons participé de notre mieux aux mouvements
visant à renforcer sa présence et son indépendance
dans tous les domaines des connaissances avancées.
L’Europe ne saurait, sans mourir à terme, accepter
de laisser le leadership dans ces domaines ni aux Etats-Unis
ni aux puissances montantes, Chine et Inde notamment.
Nous
faisons davantage, lorsque l’occasion l’exige.
Nous n’hésitons pas à relayer les mises
en garde faites, dans le monde « multipolaire »
et aux Etats-Unis même, contre l’orientation
de plus en plus unilatérale et impérialiste
des politiques économiques, industrielles et scientifiques
de ce pays. Or il semble bien qu’aujourd’hui,
ces mises en garde devraient être renouvelées
et ne pas se traduire par de simples discours. Elles devraient
entraîner des décisions politiques de précaution
émanant des pays menacés, au sein desquels
se trouvent évidemment les Etats européens.
De
quoi s’agit-il ? Les équipes au pouvoir à
Washington se sont engagées depuis l’arrivée
à la présidence de G.W.Bush, dans des politiques
qui menacent l’avenir même de la planète.
Malgré les échecs apparents de ces politiques,
notamment au Moyen-Orient, les tendances profondes de l’évolution
sociétale américaine, qui les avaient rendues
possibles, ne semblent pas proches de s’inverser. Ce
n’est pas nous qui le disons, ce sont des observateurs
avertis de la vie politique aux Etats-Unis. Ces observateurs
eux-mêmes ne sont pas des gauchistes, mais des membres
très respectables de l’establishment intellectuel.
La
Théocratie américaine
Pour illustrer ce propos, nous commentons, non pas dans cette
lettre, pour ne pas l’encombrer, mais sur notre Blog
du Monde (Voir ci-dessous. Vous pouvez réagir), deux
publications que nous trouvons plus qu’alarmantes.
La première émane d’un écrivain
politique chevronné, Kevin Philipps, ancien membre
du parti Républicain. Il ne reconnaît plus dans
les dérives actuelles de la majorité au pouvoir,
ni ce parti (le Good Old Party) ni même l’Amérique
qui lui reste chère. Dans son ouvrage American
Theocracy, The Peril and Politics of Radical Religion, Oil,
and Borrowed Money in the 21st Century. Viking, 2006,
l'auteur montre clairement comment les forces sociologiques
très implantées dans une grande partie du territoire
américain soutiennent ceux qu’il qualifie de
générateurs de chaos : les industriels du pétrole,
les fondamentalistes chrétiens et les fonds d’investissement
jouant sur l’endettement pour créer des bulles
spéculatives. Même si Bush était remplacé
par un président démocrate, ceci ne changerait
rien selon lui car les démocrates comme les républicains
sont désormais soumis à la tyrannie d’un
électorat largement majoritaire partageant non seulement
des intérêts économiques précis
mais aussi des idées messianiques voire apocalyptiques
sur le rôle de l’Amérique face au reste
du monde.
Sur les questions de politique scientifique et de recherche
qui nous préoccupent ici, les conséquences sont
immenses. Les risques de tension voire de guerre avec le reste
de la planète ne cessent de s’accroître,
ce qui retentit nécessairement sur la sérénité
des laboratoires et la libre circulation des connaissances.
Mais on constate des conséquences plus immédiates.
La préservation à tous prix des intérêts
pétroliers condamne les politiques internationales
de lutte contre les modifications climatiques et de recours
aux énergies renouvelables. L’obligation faite
aux scientifiques de tenir compte des Ecritures dans l’orientation
et les conclusions de leurs recherches s’étend
comme une lèpre. Enfin, l’accroissement vertigineux
de l’endettement met l’économie en dollar,
c’est-à-dire l’économie mondiale
tout entière, à la merci d’une crise systémique
qui peut maintenant se produire à tous moments et frapper
tout le monde, même au sein de la zone euro.
Destruction Unilatérale
Assurée
S’il n’y avait que cela, nous pourrions nous estimer
heureux. Mais nous vous invitons aussi à réfléchir
à ce qui nous parait être une orientation stratégique
bien arrêtée du Pentagone et avec lui, du complexe
militaire, industriel et politique qui détient les
crédits de recherche et les contrats dispensés
aux industriels. Deux experts se disant indépendants
viennent en effet de publier dans la très officielle
revue Foreign Affairs, émanation connue du Département
d’Etat, ce que nous sommes obligés de considérer
comme un avertissement sans frais à tous les Etats
disposant d’une force nucléaire ou voulant la
renforcer, Russie et Chine en premier (mais France aussi,
why not ?). Les Etats-Unis ne toléreront aucun armement
nucléaire susceptible de représenter une quelconque
possibilité de deuxième frappe. On sait que
pendant la Guerre froide, les capacités nucléaires
soviétiques étaient devenues telles que l’URSS,
même atteinte par une première frappe aussi destructrice
soit-elle, pouvait riposter et semer la destruction chez l’adversaire.
D’où l’équilibre instable mais finalement
robuste dit de la Destruction Mutuelle Assurée (MAD).
Cette situation avait gêné les Etats-Unis, l’empêchant
d’imposer librement sa loi aux pays de la zone soviétique.
Aujourd’hui, l’administration américaine
ne veut plus que cela se reproduise. Elle doit donc empêcher
qu’un Etat, grand ou petit, se dote d’une capacité
de première frappe ou même de deuxième
frappe. Pour cela elle fait annoncer de façon subliminale
– à bon entendeur salut – qu’elle
fera détruire les sites nucléaires, les bases,
les réseaux pouvant représenter une menace contre
l’Amérique, aussi ténue que soit cette
menace. L’argument de la frappe préventive, déjà
implicite dans les relations Etats-Unis/Iran, est désormais
étendu au reste du monde. Les Russes et les Chinois
l’ont bien compris, et commencent à réagir.
Comme les frappes préventives américaines ne
pourraient rester chirurgicales, c’est l’ensemble
du monde développé qui serait frappé
et s’effondrerait. Ceci nous permet de parler du concept
de Destruction Unilatérale Assurée, qui se substituerait
dorénavant à celui de Destruction Mutuelle Assurée.
Les optimistes diront qu’il s’agit seulement de
gesticulations de la part de quelques excités du Pentagone,
voire de billevesées d'experts irresponsables. Nous
ne le pensons pas car l’observation des budgets de recherche
fédéraux montre que tout ou presque dorénavant
est destiné à renforcer le potentiel des armes
nucléaires et des vecteurs, ainsi qu’à
développer les innombrables réseaux terrestres
et satellitaire nécessaires. Nous pourrions mentionner
aussi les recherche dans les armes nouvelles, notamment en
matière de bio et nanotechnologies comme de robotique
autonome, lesquelles inquiètent de plus en plus les
rares scientifiques américains non financés
par la Darpa.
Que conclure de tout cela ? Si les Etats-Unis affichent explicitement
leur volonté de devenirles maîtres du monde grâce
à un effort d’armement sans précédent
et continué indéfiniment, un certain nombre
de personnes et de pays se soumettront, contents de bénéficier
du parapluie américain. Cette tendance est forte en
Europe, notamment en Grande Bretagne et à l’Est.
Mais les sociétés et les hommes sont ainsi faits
que beaucoup n’acceptent pas la dépendance et
l’humiliation. Ils se battront par tous moyens contre
la sujétion américaine, quitte à provoquer
une catastrophe. Les laboratoires seront plus que jamais le
territoire où cette bataille s’organisera. On
sera loin alors du rêve, qui paraît de plus en
plus utopique, de Singularité prôné par
Ray Kurszweil [voir
notre article du 25/10/2005]. Ou alors, si la Singularité
advenait, ce serait celle du retour au Trou Noir.
Soyons philosophes. C’est peut-être ainsi finalement
que périront les sociétés technologiques
terrestres, à la grande satisfaction des suicidaires
évangélistes qui pourront ainsi retrouver la
communion perdue avec un Messie dont ils appellent le retour
de tous leurs vœux.
Pour
en savoir plus
Vous pourrez lire nos deux articles et y réagir sur
le Blog Automates-Intelligents hébergé par le
journal Le Monde. Soit :
- A propos d''American Theocracy http://automatesintelligent.blog.lemonde.fr/automatesintelligent/2006/04/a_propos_dameri.html
- Destruction unilatérale assurée. L'Amérique
va-t-elle atomiser le monde?
http://automatesintelligent.blog.lemonde.fr/automatesintelligent/2006/04/destruction_uni.html
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