Souveraineté de l'Europe dans l'espace
et volonté politique
Automates-Intelligents, Union Paneuropéenne
(6 mars 2006)
_____________________________________________
Avec
le progrès permanent des nouvelles technologies, l'humanité
est désormais capable d'entrer pleinement dans une
nouvelle ère qui est celle de l'espace. On abandonne
le rêve ou les tentatives limitées pour aborder l'âge
des sociétés spatio-centrées.
Les
sociétés spatio-centrées se donnent quatre
types de puissance :
- la maîtrise de l'information et de l'espace
stratégiques à l'aide de systèmes spatiaux
de défense et de sécurité, indispensables tant
que la paix ne régnera pas sur la Terre (space dominance)
;
- la maîtrise des programmes d'exploration du système
solaire et du cosmos par l'envoi de satellites et de sondes
à finalités scientifiques ;
- la maîtrise des applications de service utilisant l'espace
proche, développées à partir d'observations
satellitaires de la Terre, des océans, des climats, ainsi
que par l'usage de satellites de géolocalisation ;
- la maîtrise des vols d'exploration faisant appel à
des robots puis à des hommes vers la Lune et les planètes.
La présence d'équipages humains peut ne pas
paraître prioritaire, vu les risques et les coûts. Mais
ces vols sont indispensables à la dynamique et à la
cohésion sociale par leurs aspects exemplaires – ceci
sans mentionner leurs retombées scientifiques.
D'ores
et déjà, on constate que rares sont les produits ou
les services ne faisant pas appel à une compétence
spatiale. Les retombées, dans la vie de tous les jours, en
seront de plus en plus nombreuses. Les bénéfices intellectuels
et économiques futurs paraissent innombrables. Il faut aller
plus loin, en explicitant le concept de sociétés spatio-centrées.
Ce
concept signifie qu'aujourd'hui, le seul vrai moteur
des nouvelles croissances en matière scientifique, technologique,
industrielle et d'emplois se trouve dans d'ambitieux
programmes spatiaux. Les retombées de ceux-ci irrigueront
tous les secteurs et dynamiseront toutes les énergies. Il
s'agit comme l'avait bien pressenti John Kennedy, d'une
nouvelle frontière à dépasser. Mais ceci non
dans la perspective d'une simple rivalité entre puissances.
La perspective qui s'offre à nous, même si elle
s'engage dans une ambiance de compétition, est bien
plus large. Il s'agit d'ouvrir à l'humanité
toute entière des chemins lui permettant de sortir de ses
mortelles contradictions actuelles.
Les
Etats-Unis depuis longtemps, plus récemment la Chine, l'Inde
et le Japon, sans mentionner la Russie dont l'expérience
date des origines de la conquête de l'espace, l'ont
parfaitement compris. Ces puissances mettent en œuvre avec
continuité des politiques ambitieuses de développement
planifiées sur au moins trente ans. Elles les financent sur
des crédits publics, civils et militaires. Les Etats-Unis,
les plus en pointe, consacrent environ 40 milliards de dollars par
an à l'espace sous toutes ses formes, ce qui équivaut
à une somme d'ailleurs très faible de quelques
100 dollars par habitant.
L'Europe
seule semble désormais sur le retrait. Certains pays avaient
admis la nécessité d'une politique de présence
européenne dans l'espace, politique confiée
à l'Agence Spatiale européenne. Celle-ci s'est
remarquablement bien acquittée de sa tâche compte tenu
des budgets alloués. Mais l'élan initial s'essouffle
aujourd'hui et les relais politiques ne sont pas assurés.
Globalement, les pays européens consacrent à l'espace
environ 5 milliards d'euros par an, soit 11à 12 euros
par habitant, ce qui est absolument ridicule en termes de prélèvement
sur les PIB. Pourtant l'Europe, encore la deuxième
puissance économique du monde, pourrait tout à fait
figurer en tête des autres grandes puissances pour la conduite
de l'aventure humaine dans l'espace. Pourquoi ne le
fait-elle pas ?
La
raison principale de cette incapacité tient sans doute aux
mêmes raisons qui rendent les pays européens aveugles
aux risques de la perte de compétences dans l'ensemble
du domaine des sciences et technologies. Le rôle de ces technologies
n'est pas perçu comme ce qu'il est, c'est-à-dire
le facteur essentiel de l'indépendance politique et
de la croissance économique. L'Europe est par ailleurs
encore très imprégnée de la conviction que
le grand voisin américain est là pour apporter les
solutions et l'assistance nécessaires au développement.
Cette confiance en l'Amérique est renforcée
par l'idéologie libérale diffusée par
les Etats-Unis dans leur sphère d'influence, en contradiction
d'ailleurs avec l'interventionnisme public intense qu'ils
manifestent en ce qui les concerne. Or, que ce soit dans le domaine
des industries spatiales ou dans celui des autres industries avancées,
rien de solide ne peut être fait sans des politiques publiques
assurant avec continuité la préservation et le développement
des investissements scientifiques et industriels. Tous les pays
spatiaux le font, sans exception.
Réunis
les 5 et 6 décembre à Berlin, les ministres représentant
les 17 pays membres de l'Agence spatiale européenne (Esa),
dont le Canada, sont parvenus à un accord qualifié
par eux d'«historique» sur l'avenir de l'Agence de 2006
à 2010. Cet accord est également considéré
par les observateurs comme un début de prise en compte par
l'ensemble des pays européens de l'importance stratégique
de l'espace. Nous ne partageons pas cet optimisme. Certes, la réunion
de Berlin aurait pu tourner à la catastrophe. Le pire a été
évité. Mais presque tout reste encore à faire,
non seulement sur le plan budgétaire mais sur le plan des
esprits, pour que les Européens comprennent que sans une
politique réaffirmée de souveraineté spatiale,
les acquis spatiaux de l'Europe, importants aujourd'hui
du fait des efforts des décennies précédentes,
se dégraderont rapidement.
Un
nouveau rendez-vous du conseil des ministres a été
pris pour 2008, qui sera plus important encore que celui de Berlin.
Il s'agira de faire le bilan des actions en cours, ainsi que de
décider de nouvelles actions si, comme il apparaît
déjà nécessaire, le renforcement de la compétition
dans le domaine spatial exige que l'Europe confirme et surtout amplifie
sa stratégie.
En
conséquence, ceux qui en Europe s'intéressent
au spatial doivent d'ores et déjà formuler des
propositions ambitieuses concernant ces futures actions. Nous souhaitons
que ce numéro de notre revue y contribue. Il sera suivi d'autres,
surtout si se précise un projet que nous entretenons, celui
de monter un séminaire destiné à convaincre
les hommes politiques européens de l'importance stratégique
majeur de l'espace pour l'Europe. Ce séminaire
devrait comporter un état des lieux montrant le décrochage
actuel puis la formulation de ce que devrait être la vision
de l'Europe spatiale. L'objectif à poursuivre
est de commencer à préciser pour les trente prochaines
années les programmes mais aussi les outils humains, industriels
et budgétaires permettant à l'Europe non seulement
de conserver mais d'améliorer son rang actuel au sein
des puissances spatiales. La France a un rôle important à
y jouer. Elle a toujours été le moteur de l'Europe
dans ce domaine. Elle doit le rester.
©
Automates Intelligents 10/03/2006

Relancer
l'Europe spatiale
Entretien avec Roger-Maurice Bonnet
Roger-Maurice
Bonnet est actuellement président du Comité
mondial sur la recherche spatiale, le Cospar,dont le siège
est à Paris et qui rassemble une quarantaine de pays.
http://www.cosparhq.org/
Il est également directeur exécutif de l'International
Space Science Institute situé en Suisse, à
Berne, lequel réunit des scientifiques du monde entier
autour de sujets pluridisciplinaires liés à
l'espace et à l'observation de la Terre et de l'Univers.
http://www.issi.unibe.ch/
Il a été pendant 18 ans, de 1983 à
2001, directeur des programmes scientifiques de l'Agence
Spatiale Européenne (ASE/ESA).http://www.esa.int/esaCP/index.html
Il a enfin été fait directeur général
scientifique du Centre National d'Etudes Spatiales, de 2002
à 2003. http://www.cnes.fr/html/_.php
Il appartient au CNRS depuis 1963. Il y est directeur de
recherches.
|
Nous
avons déjà publié cet entretien sur le site
Automates Intelligents (en date du 28 janvier 2005). Après
un an, il demeure toujours d'actualité.
Jean-Paul
Baquiast (JPB) : Votre article du Monde était un véritable
signal d'alarme(1).
A le lire, on comprend que si rien n'est fait aujourd'hui, le concept
même d'Europe spatiale aura perdu dans quelques années
toute actualité. Quelle stratégie proposeriez-vous
pour sensibiliser à la fois les décideurs et l'opinion
publique pour qu'il n'en soit pas ainsi ?
Roger-Maurice
Bonnet (RMB)
: La première chose qu'il faut comprendre est que l'espace
est un domaine stratégique, mêlant les activités
civiles et les activités militaires. Cela a été
et reste le cas dans l'URSS devenue la Russie, qui a développé
des programmes civils à partir de ses programmes militaires.
C'est évidemment aussi le cas aux Etats-Unis qui conduisent
deux programmes civils, celui de la Nasa http://www.nasa.gov/home/
et son équivalent pour l'observation de la Terre, la NOAA
http://www.noaa.gov/. Parallèlement
ils mènent des programmes militaires de nature secrète
à travers le Département de la Défense et différentes
agences dont la CIA. On peut comparer les budgets dépensés
aux Etats-Unis à ceux dépensés en Europe, tous
programmes confondus : 40 milliards de dollars par an d'un côté,
à peine 6 milliards d'euros de l'autre (Agence spatiale,
Commission, budgets civils et militaires des Etats-membres). Le
militaire en Europe est extrêmement faible et ne dépasse
pas 1 milliard par an. Nous avons donc une différence de
1 à 7, pour des PNB et des populations sensiblement équivalents.
JPB.
: Ces chiffres, je suppose, ne concernent que les budgets publics.
Ils ne comptabilisent pas les financements des entreprises ?
RMB.
: Exactement. En Europe, l'investissement des entreprises est faible
car les entreprises spatiales ne sont pas en bonne santé,
c'est le moins que l'on puisse dire. Ce n'est pas le cas en Amérique.
Mais les Etats-Unis ne sont pas seuls à avoir de l'espace
une vision stratégique. C'est aussi le cas pour la Chine.
Nous avons avec ces pays une différence notoire. Les Etats-Unis,
pour ce qui les concerne, constituent une nation avec un président,
dont les décisions ne sont pas remises en cause quand elles
concernent les grands intérêts. C'est lui le décideur,
en particulier dans le domaine spatial. D'un autre côté,
l'Europe constitue un ensemble de pays rassemblés par des
traités divers mais ne disposant d'aucune autorité
capable de prendre des décisions communes, que ce soit en
matière de défense, en matière spatiale ou
dans d'autres domaines pourtant vitaux.
La capacité du Président Bush à décider
seul et vite a été illustrée il y a un an par
l'annonce, que vous connaissez bien, par laquelle il a engagé
les Etats-Unis dans la course vers Mars et la Lune. Il s'est agi
d'une initiative tout à fait spectaculaire, qui lui a permis
d'appuyer cette année la NASA afin qu'elle obtienne un budget
de 16,2 milliards de dollars en 2005, à comparer aux 2,9
milliards d'euros de l'ESA. Si on ne comprend pas cet aspect stratégique
essentiel, on aura bien du mal à convaincre l'ensemble des
politiciens de l'Europe, comme l'ensemble des populations, de l'intérêt
des programmes spatiaux.
JPB.
: Les populations, en Europe, semblent divisées sur l'espace...
RMB.
: C'est exact, et ceci même au niveau des scientifiques, qui
bénéficient pourtant, globalement, des capacités
techniques et des découvertes immenses permises par les programmes
spatiaux. L'espace n'est pas populaire chez les scientifiques, car
il est consommateur d'argent. Malheureusement, dans l'organisation
de la plupart des Etats européens, la recherche et l'espace
sont mélangés, alors que l'espace ne comporte au maximum
que 20% d'activités purement scientifiques. Le reste concerne
le développement de lanceurs, d'infrastructures orbitales,
d'instruments, de programmes d'application qui relèvent plus
de l'industrie que de la recherche.
A mon avis, comme cela d'ailleurs avait été le cas
du temps du Général de Gaulle en France, il faudrait
en Europe une vraie perception politique de l'importance stratégique
de l'espace. De cette perception devraient découler des programmes
qui devraient être présentés aux populations
par les politiciens avec une force de conviction suffisante. Si
ceux-ci ne le comprennent pas eux-mêmes, on aura beaucoup
de mal à faire admettre l'intérêt de l'espace.
On trouvera toujours des gens pour dire que l'espace pourrait être
mieux que ce qu'il est, où pire qu'il ne sert à rien.
Quel bénéfice retire-t-on en effet de l'envoi d'un
robot sur Titan ? Ce sont ce que j'appelle des jugements à
courte vue. Ce n'est pas très intelligent de s'engager dans
de tels débats, néanmoins ils existent et on n'entend
souvent qu'eux. Il faut donc réagir.
JPB. : Mais alors, qu'est-ce qui
selon vous peut faire prendre conscience aux politiques et aux populations
de l'importance des activités spatiales?
RMB. : Il faut un
petit noyau central, voire une personne qui soit capable d'incarner
l'ambition. En Europe, je le disais tout à l'heure, ce fut
le Général de Gaulle qui a donné à la
France un programme spatial de grande valeur, lequel a déclenché
l'Europe spatiale. Sans la France, l'Europe spatiale ne serait pas
ce qu'elle est aujourd'hui. Malheureusement aujourd'hui le leadership
de la France est en déclin, s'il existe encore. Et c'est
fort dommage.
JPB. : Ce rappel à De Gaulle
et au rôle de la France ne crée-t-il pas chez nos partenaires
européens un agacement ?On doit dire ici et là je
suppose que le temps n'est plus où il faudrait que la France
ait une sorte de De Gaulle moderne pour que l'Europe spatiale accroisse
ses ambitions...
RMB. : Nous ne sommes
pas obligés de répéter cela en permanence.
Il reste que sans De Gaulle et les efforts français, les
gens qui, en Europe, sont aux anges devant les succès spatiaux
européens, tels que récemment l'atterrissage réussi
sur Titan, n'auraient rien à célébrer. Il a
fallu un visionnaire pour engager ces programmes.
Ceci dit, la vision ne suffit pas. Il faut aussi des budgets.
Un
Comité français de l'espace présidé
par le président de la République
RMB.:
Ce sont là des points essentiels et c'est la raison pour
laquelle, lorsque Mme Haigneré, ministre de la recherche,
m'avait proposé de prendre la présidence d'une réflexion
sur la politique spatiale de la France, je l'avais accepté.
Dans les conclusions qui lui avaient été remises il
y a deux ans, la première page de notre recommandation proposait
la création d'un Comité français de l'espace,
présidé par le Président de la République,
comme il préside un Comité National de défense,
ceci en vue de coopérer avec un Comité équivalent
au niveau de l'Europe(2).
JPB.
: Comment ceci avait-il été reçu au niveau
européen ?
RMB.
: Il y a deux ans, nous avions une Commission européenne
un peu plus visionnaire que l'actuelle. Elle avait initié
un effort de réflexion sur la politique spatiale de l'Europe.
Il en était ressorti une conclusion très claire. Les
moyens consacrés à l'espace étaient jugés
insuffisants, qu'il s'agisse de ceux de la Commission, des Etats-
membres ou de l'ESA.
JPB
. : Vous avez beaucoup contribuéà la rédaction
des rapports formulant cette conclusion...
RMB.
: Oui. Il s'est agi d'un Livre Vert(3)
sur la recherche dans l'espace et d'un Livre Blanc(4)
rassemblant l'ensemble des considérations correspondantes,
scientifiques, industrielles, applicatives, environnementales...
C'était un document cohérent, qui ne concluait pas
à la nécessité d'avoir des budgets spatiaux
équivalents à ceux des Etats-Unis, mais qui proposait
de doubler en quelques années un budget qui, encore une fois,
coûte fort peu d'argent aux citoyens de l'Europe aujourd'hui.
Malheureusement, la Commission actuelle a séparé la
recherche spatiale du reste, et on voit mal aujourd'hui qui en son
sein reprendra la vision politique capable de faire pendant au défi
lancé par le Président Bush avec l'annonce du programme
martien américain.
JPB.
: Nous savons que vos propositions, faites il y a deux ans, ont
eu des suites très intéressantes concernant la réorganisation
du CNES et la façon de gérer ses affaires. Mais pourquoi
cette idée pourtant très stimulante concernant la
création d'un Comité français de l'espace présidé
par le Président de la République n'a pas été
retenue ?
RMB.
: Nous avons fait beaucoup d'interventions pour le convaincre de
l'intérêt de l'idée, mais elles n'ont pas eu
de suites. Le Président n'était sans doute pas à
l'époque inspiré par le thème. Il aurait pu
cependant accepter la présidence et la déléguer
de fait au Premier ministre. C'est ce qui se passait sous le Général
de Gaulle, où le Premier ministre Michel Debré prenait
de fait les initiatives. Mais alors le Président, pouvoir
suprême de la nation, conservait un œil très vigilant
sur ces affaires.
Le
programme Aurora de l'Agence Spatiale Européenne
JPB.
: J'en arrive à la question-clé. Pensez-vous que,
à supposer que des politiques européens de haut niveau
se saisissent du dossier, que l'Europe serait crédible en
se lançant dans un programme martien équivalent à
celui de la NASA ? Le terme d'équivalent n'exclurait pas
les coopérations, mais celles-ci devraient se faire sur un
pied d'égalité, et non en quémandant des sous-traitances
éclatées à la NASA. L'Europe manifesterait
ainsi la volonté de faire un monde multipolaire dans l'espace,
si je peux reprendre cette expression appliquée à
la géostratégie.
RMB.
: Vous avez raison. C'est ce qu'il faut faire. On semble d'ailleurs
oublier que bien avant que Mr. Bush ait exprimé sa vision,
l'ESA avait exprimé une vision équivalente dès
l'an 2000. Ce fut le programme Aurora(5).
Cette initiative a été poussée par certains
Etats de l'Agence, sans doute inspirés par leurs industriels
ou par leur propre vision. Ce fut en particulier le fait de l'Italie,
laquelle contribue encore aujourd'hui à 25% du budget de
Aurora.
Depuis l'an 2000, nous travaillons à l'Agence Spatiale européenne
sur ce projet. Je suis moi-même conseiller du directeur général
pour les programmes d'exploration liés à Aurora. Nous
sommes en train d'établir ce que nous appelons une "carte
routière de l'exploration", avec comme but ultime l'envoi
d'être humains sur Mars dès que possible (sans doute
dans les années 2030). C'est un objectif suffisamment lointain
pour qu'il ne soit pas effrayant. Il a cependant l'avantage d'obliger
à établir un certain nombre d'étapes, dans
cette carte routière, qui sont extrêmement bénéfiques
pour les développements scientifiques et technologiques.
Ceci, j'y insiste, n'est pas une réponse à Mr Bush.
Cela avait été initialisé avant lui. Certains
pensent même que le programme américain en a découlé.
Les Etats-Unis, comme vous le savez, sont génétiquement
programmés si je puis dire pour éviter qu'aucun pays
ne prenne une avance décisive sur eux dans un domaine important.
Ils ont besoin de montrer qu'ils sont les leaders. C'est en partie
le sens qu'ils donnent au concept de Space Control.
JPB.
: L'envoi d'un Chinois dans l'espace ne peut que renforcer l'urgence
d'une réaction, aussi bien pour les Etats-Unis que pour l'Europe...
RMB.
: Oui. il s'agit d'une résurgence très motivante pour
les Américains des compétitions spatiales américano-soviétiques
de la guerre froide. Ceci dit, pour l'Agence européenne,
ces événements constituent aussi des circonstances
favorables. Les annonces américaines et chinoises sont fort
bien venues pour nous permettre de renforcer le concept du programme
Aurora, qui est exactement dans cette lignée de vision. Elles
montrent aussi que dans un grand pays comme les Etats-Unis, c'est
le Président seul qui énonce la vision et l'inculque
à son administration. Ajoutons qu'aux Etats-Unis, quand le
Président a une vision, les moyens budgétaires permettant
de la réaliser sont aussi proposés et généralement
ne manquent pas. Ce qui s'est traduit dès cette année
par les hausses de crédits de la NASA dont je vous ai parlé.
JPB.
: Comment caractériseriez vous la vision politique de l'espace
au niveau de l'Europe, telle qu'elle se manifeste aujourd'hui ?
RMB.
: Elle est, disons, moyenne. Nous avons des Etats plus visionnaires
que d'autres. Le programme Aurora vient de bénéficier
d'une somme de 40 millions d'euros. Ce n'est pas beaucoup dans le
domaine de l'espace, même si les contribuables trouvenet sans
doute la somme importante. L'Italie en paye plus du quart, puis
l'Angleterre et la France, qui vient en 3e position. Le Royaume
Uni y voit un intérêt important. Malgré l'échec
récent de leur sonde martienne, ils ont réagi. On
pourrait même dire que cet échec les a propulsé
en avant. C'est un phénomène très intéressant.
Le seul grand pays qui ne participe pas à ce programme est
l'Allemagne.
JPB.
: Pourquoi ?
RMB.
: Encore une fois, par manque de vision. Sans doute aussi parce
que c'est le ministre de l'éducation et de la recherche qui
doit tout financer: espace, recherche, éducation (des écoles
maternelles aux Universités). L'espace n'est évidemment
pas sa priorité.
Avec ces 40 millions d'euros destinés au programme Aurora,
l'ESA dispose aujourd'hui de quelques moyens pour, non pas lancer
un grand programme, mais faire un certain nombre d'études
et développements en technologie. Il y a dans Aurora des
missions de nature scientifique. On ne peut pas aller sur Mars sans
connaître l'état d'une éventuelle vie bactérienne,
de la météorologie, des systèmes d'atterrissage
et retour vers la Terre, etc. .
JPB.
: Ces programmes seront-ils menés en coopération avec
la NASA ?
RMB.
: Il est évident que de tels programmes n'auront de chances
d'aboutir que s'ils sont menés en coopération. Mais
comme vous le disiez il y a quelques minutes, il faut que l'Europe
montre qu'elle est un partenaire indispensable à cette exploration,
du fait qu'elle détient des éléments sans lesquels
on ne pourrait pas réaliser le programme.
C'est pourquoi je dis que, si les Américains sont sérieux
en matière de coopération internationale, la première
démarche à mettre en œuvre avec eux sera d'aligner
les cartes routières respectives afin de se mettre d'accord
sur les étapes à franchir, chacun sous sa responsabilité.
Ce n'est pas très exigeant mais pour le moment je ne vois
rien de tel s'amorcer.
JPB.
: Serait-il réaliste d'envisager qu'une bonne coopération
puisse se maintenir sur trente ans ?
RMB.
: En matière scientifique, la coopération
se calcule et généralement se réalise sur de
longues durées. C'est ce qui s'est passé dans le programme
Cassini-Huygens. L'avantage de cartes routières coordonnées,
pour lesquelles nous aurons établi nous-mêmes les points
forts qui nous incomberont, sera de nous donner un rôle précis
et reconnu, sur lequel nous ne pourrons pas accepter de prendre
du retard. Soyons respectables et nous serons respectés.
C'était ma politique à l'ESA.
JPB. : Certes. Mais il faudra que
la NASA accepte que des dispositifs très importants, sinon
vitaux, soit développés par l'Europe. Il faudra aussi
que l'Europe soit assurée de ne pas se voir à tel
moment interdire l'accès à des dispositifs vitaux
développés par les Etats-Unis, sous prétexte
d'impératifs de sécurité ou simplement de concurrence
commerciale. Il faudra aussi convenir dès le début
qu'il y aura au moins un astronaute européen sur la Lune
et Mars...
RMB.
: Tout à fait. C'est pourquoi l'ESA doit avoir un Plan B,
comme on dit, d'ambitions moindres mais néanmoins spectaculaire,
qui, si le partenaire américain venait à se démettre,
pourrait être poursuivi avec d'autres partenaires.
Ceci dit, je ne suis pas trop inquiet relativement au risque d'éventuelles
trahisons de la part de la NASA. Quand dans l'espace, on a commencé
à coopérer (c'est aussi le cas avec la Station Spatiale
Internationale) on établit des liens solides. Je l'ai vu
lors de l'atterrissage de Huygens, quand un ami à moi responsable
du programme Cassini a véritablement pleuré d'émotion,
comme s'il s'agissait d'un succès américain.
Je crains bien davantage les mesures de restriction aux échanges
sous prétexte de lutte contre les trafics d'armes et le terrorisme.
Celles-ci n'ont pas commencé sous Mr. Bush. Elles étaient
apparues très fortement du temps du Président Clinton
et nous avaient beaucoup gênés. C'est pourquoi j'ai
tendance à dire qu'il faut désormais commencer sérieusement
à regarder ailleurs, notamment vers les Russes. Certes les
Russes n'ont pas beaucoup d'argent, mais ils ont des ambitions et
des capacités considérables. Je suis persuadé
que l'ESA peut coopérer très bien avec eux –
ce qu'elle a déjà fait plusieurs fois.
Mais ma position en ce qui concerne les coopérations avec
les Russes, comme avec d'autres pays, est que l'ESA ne peut les
engager qu'en étant maîtresse du jeu, et non en étant
la deuxième ou troisième roue du carrosse. Cela nous
a donné de bons résultats, par exemple avec le programme
SOHO d'exploration du Soleil(6).
Nous étions les maîtres et les autres suivaient. Au
début, ils ne comprenaient pas très bien nos méthodes
mais finalement tout a très bien marché et les résultats
ont été excellents.
Notes
(1) Voir notre commentaire : :http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/61/espace.htm

(2)Voir http://www.recherche.gouv.fr/discours/2003/rapcnes.htm

(3) Voir http://europa.eu.int/comm/space/doc_pdf/greenpaper_fr.pdf
(4) Contribution de l'Académie des Sciences
française au Livre Blanc :
http://www.academie-sciences.fr/actualites/textes/livre_blanc_27_05_03.pdf

(5) Sur Aurora, voir http://www.esa.int/SPECIALS/Aurora/index.html

(6) Sur SOHO, voir http://sohowww.nascom.nasa.gov/
© Automates Intelligents 10/03/2006

L'avenir
de la politique spatiale en Europe
Résumé d'un exposé de
François Auque devant le cercle Stratégia
Résumé
par Jean Paul Baquiast.
Texte relu et corrigé par
l'orateur, que nous remercions
On
trouvera ci-dessous le compte-rendu synthétique d'un exposé
prononcé par François Auque devant le cercle Stratégia
le 8 février 2006, sur l'avenir de la politique spatiale
en Europe.
François Auque est membre du comité exécutif
de EADS, Président Directeur Général de EADS
SPACE.
L'orateur,
en introduction, rappelle que le projet de Traité Constitutionnel
prévoyait que l'Espace serait une compétence partagée
entre les Etats-membres - ce qui n'est malheureusement pas encore
le cas. C'est très dommage.
Plan
L'exposé s'articulera autour de 4 idées simples :
- L'Europe après 40 ans d'efforts dispose d'un patrimoine
spatial important
- Celui-ci est actuellement menacé par l'atonie des ambitions
spatiales européennes.
- L'Europe doit cependant rester un grand acteur spatial.
- Pour cela, elle doit satisfaire à un certain nombre de
conditions.
1.
L'Europe après 40 ans d'efforts dispose d'un
patrimoine spatial important
C'est en majeure partie grâce à la France, et
pour répondre à des besoins de défense, que
l'Europe a acquis ce patrimoine.
Quelles en sont les composantes ?
1.1.
La dimension stratégique et militaire. Trop
souvent passée sous silence, voire oubliée, celle-ci
est essentielle. Elle se manifeste dans 4 domaines principaux :
-
L'accès à l'espace grâce à des lanceurs
développés en pleine autonomie. C'est Arianespace
qui porte encore ce programme, avec les fusées Ariane et
Véga (It.),
- L'observation, optique (Hélios, France), radar (Allemagne,
Italie),
- Les télécommunications militaires : Skynet5 britannique,
Syracuse français(1),
- L'alerte avancée et la dissuasion.
1.
2. La dimension scientifique. Il s'agit d'observer
l'univers mais aussi la Terre et son environnement; Ceci à
des fins de services collectifs : la météo avec Eunetsat
et Météosat, la Terre avec la filière Spot
en optique et radar.
La dimension scientifique comporte aussi l'exploration robotisée
et habitée et, bien que le domaine fasse actuellement l'objet
d'incertitudes, l'utilisation de la plate forme spatiale
internationale ISS.
1.3.
La dimension économique et commerciale.
Celle-ci a permis à l'Europe de se doter de grands
acteurs : opérateurs commerciaux (Eutelsat…) ; industriels
(EADS Space, Alcatel Alenia) ; entreprises de services spatiaux
(Arianespace, Spot Image…) ; fournisseurs de prestations militaires.
2.
Mais le patrimoine de l'Europe est actuellement menacé
par l'atonie des ambitions spatiales européennes.
L'opinion
se félicite de voir maintenir les acquis, mais ne se rend
pas compte que le reste du monde, et pas seulement les Etats-Unis,
accélère : Inde, Chine, Japon, Corée du Sud,
Brésil….
Or quels sont les fondamentaux de toute politique spatiale, que
l'Europe a progressivement oubliés ?
2.1.
Les systèmes spatiaux sont faits pour des clients
institutionnels. Les acteurs européens (dont Arianespace)
ont voulu croire ou faire croire que les marchés porteurs
étaient commerciaux. C'est faux. Le commercial ne représente
que le quart de l'institutionnel. Ce sont les budgets publics
qui financent l'essentiel des efforts et c'est normal.
Il faut étudier les chiffres budgétaires américains:
3mds de $ par an pour le commercial, 17 mds pour l'institutionnel
civil (Nasa), 25 mds pour l'institutionnel militaire (en hausse
de 7% par an actuellement).
En Europe, les chiffres sont les suivants : 5 mds pour le civil,
tous pays cumulés et 0,7 md pour le militaire (dont 70% à
la charge de la France). Ces budgets stagnent en euros courants.
Donc ils régressent.
Enoncer ces chiffres entraîne quelquefois un effet pervers,
dont il faut se garder. On a tendance à dire que le retard
européen avec les USA est trop grand pour être rattrapé.
Ce n'est pas le sujet. Le vrai défi, c'est d'éviter
de se faire rattraper par ceux dont l'ambition « explose
».
2.2.
Les clients européens sont fragmentés,
empêchant les rationalisations, contrairement à ce
qui se passe dans tous les autres pays hors Europe. L'Esa
représente 50% des demandes, les agences nationales 50%.
La règle du retour s'applique projet par projet, ce
qui empêche la spécialisation industrielle. Certains
pays ont même essayé de rapatrier ou renationaliser
des projets communs menés par l'Esa.
2.3.
Les systèmes spatiaux ne s'exportent pratiquement
pas. Les «nouveaux entrants», Chine, Inde,
etc. veulent une industrie spatiale sur leur sol. L'Europe ne peut
pas espérer leur vendre de façon significative.
2.4.
Finalement, dans chaque pays, la taille de l'industrie spatiale
est une fonction directe de l'ambition spatiale
des gouvernements.
Il
faut comprendre à cet égard ce que signifie l'ambition
américaine : space dominance, c'est-à-dire
être le premier dans tous les secteurs – space
control : empêcher les ennemis et même
les « alliés » de porter atteinte à la
domination américaine.
Il en découle une politique indéfectible de soutien
à l'industrie américaine. Par ailleurs, le contexte
stratégique international est utilisé chaque fois
que nécessaire à des fins commerciales. Ainsi les
lanceurs russes sont utilisés pour tenter d'éliminer
Ariane du marché commercial.
Les nouveaux entrants (Inde, Chine) sont eux aussi pilotés
par une volonté gouvernementale inflexible. Leurs budgets
augmentent continuellement. On doit interpréter ce que signifie
le budget dans ces pays. Ainsi le budget spatial de l'Inde peut
paraître modeste aujourd'hui, soit 700 mns de $. Mais l'ingénieur
en Inde coûte 10 fois moins qu'en Europe, ce qui équivaut
à un budget de 7 mds – largement supérieur au
budget européen.
3.
L'Europe doit cependant rester un grand acteur spatial
Tous
les grands et moins grands pays veulent l'être. Pourquoi
l'Europe ferait-elle exception ? Les raisons pour elle de
rester un grand acteur spatial sont simples à énoncer
et ne nécessitent pas de longs développements:
3.1.
La sécurité et la défense.
C'est une question de souveraineté, pour aujourd'hui
et encore plus pour l'avenir. Voulons-nous n'être
plus qu'une nation marchande ? Combien payons-nous, et à
qui, pour assurer notre défense ?
3.2.
Le développement durable, la préservation
de l'environnement.
3.3.
La création d'emplois très qualifiés
et d'activités économiques à haute valeur
ajoutée.
4.
Pour rester un grand acteur spatial, l'Europe doit satisfaire
à un certain nombre de conditions.
4.1. La première et l'essentielle est la volonté
politique. La faiblesse de l'Europe est qu'elle
n'a pas la structure politique permettant à un homme
ou à une institution clairement identifiée de porter
son ambition spatiale au plus haut niveau. Ce n'est pas le
cas des pays compétiteurs, USA, Inde, Chine. De telles autorités
ne se trouvent même pas au sein des pays européens
les plus impliqués dans l'espace. Autrement dit, l'Europe
a besoin, dans les grands pays et au niveau européen, de
« parrains politiques » - ce rôle que de Gaulle
avait su très bien tenir pendant qu'il était
au pouvoir. Qui seront les prochains parrains politiques de l'espace
qui manquent cruellement à l'Europe aujourd'hui
?
4.2.
Il faut ensuite que l'Europe apprenne à optimiser
les moyens dont elle dispose encore. Le modèle idéal
est celui d'Airbus où l'on a su organiser l'interdépendance,
sans prétendre tout faire en un seul pays. Aujourd'hui,
les industriels européens ont beaucoup de mal à créer
des pôles de compétences spécialisés.
4.3.
Le « juste retour » n'est pas à exclure
au sein de l'Esa, mais il doit être négocié
globalement et au profit de pôles de compétences
reconnus.
4.4.
Il faut enfin tirer les leçons des vraies solutions innovantes
en matière de financement, avec mutualisation
des ressources public-privé. Citons l'avenant signé
récemment par Paradigm Secure Communications Ltd, filiale
d'EADS SPACE Services, avec le Ministère de la Défense
britannique [Voir encore
note(1)].
4.5.
Il ne faut pas s'illusionner sur les possibilités de
coopération avec les Etats-Unis, la Russie. De telles coopérations,
à l'évidence nécessaires, ne peuvent
pas résoudre nos problèmes car il s'agit de
garder ou faire revenir le plus de compétences en Europe
même.
Conclusion
Sur
ces bases, comment recréer une volonté politique
? C'est d'abord au niveau budgétaire que tout
se jouera. La prochaine échéance est celle de la conférence
des ministres de l'Esa en 2008. Il faut éviter de renouveler
le résultat de la conférence de Berlin en décembre
2005 où l'accord n'a pu être obtenu que
sur la base d'une totale stagnation budgétaire.
Mais
se posera aussi la question de la contribution de la Commission
européenne. Les promesses faites par le précédent
commissaire à la recherche Philippe Busquin n'ont pas
été reprises. Il n'y a pas de volet espace significatif
dans les projets actuels de budgets de R/D européens.
Enfin,
que seront les financements militaires. L'espace
va-t-il survivre aux ajustements budgétaires qui se profilent
partout en Europe ?
Questions
:
De J.P. Baquiast, Paneurope France et Automates Intelligents:
Ne
pensez vous pas que la communauté spatiale et ceux qui comme
nous s'intéressent à l'avenir de l'Europe
dans l'espace, devrions faire l'effort d'élaborer
une feuille de route à 30 ans précisant en termes
concrets ce que l'on proposerait aux Européens : donner
une descendance à Ariane 5, envoyer une mission habitée
sur la Lune puis sur Mars, développer (le cas échéant)
des satellites anti-missiles, etc. Tant que les citoyens ne visualisent
pas les projets, les enjeux et les bénéfices, ils
ne comprendront pas l'intérêt des dépenses
spatiales et ne constitueront pas de groupes de pression en leur
faveur. De ce fait les Politiques ne s'y intéresseront
pas non plus.
Réponse
de F.A. : Si, vous avez raison, nous ne communiquons pas assez.
Je serais près pour ma part à collaborer à
une telle feuille de route.
De XX : La Grande Bretagne soutient-elle l'effort spatial
européen ?
Réponse
de F.A. : La GB a été très en retrait à
Berlin. D'abord, l'autonomie de lancement ne l'intéresse
pas, car elle pense que l'on pourra toujours trouver des lanceurs
sur le marché (ce qui n'est pas exact s'il s'agit
de vols stratégiques). Concernant les services satellitaires,
elle ne s'y intéresse que s'ils sont demandés
par le marché. Or les utilisateurs formant un marché
potentiel ne connaissent pas assez les questions pour formuler des
demandes efficaces. Exemple : ce ne sera pas le ministère
de l'agriculture britannique qui va pousser au développement
de GMES. Il faut établir un chaînon intermédiaire
entre les utilisateurs et les promoteurs. Dans le domaine militaire
enfin, la GB est bien dotée, mais elle n'a en matière
spatiale fait de choix d'autonomie stratégique que
pour les Télécoms.
De XX. : Craignez vous que les rapprochements entre les fabricants
des fusées Delta et Atlas, en cours aux Etats-Unis, aggrave
la concurrence vis-à-vis d'Ariane ?
Réponse
de F.A. : Les industriels américains se satisfont de leurs
commandes institutionnelles, qu'ils ont en abondance. Ils
ne vont pas chasser sur le terrain commercial. Par contre, le Pentagone
et la Nasa concurrencent indirectement Ariane en soutenant les lanceurs
russes Proton et Soyouz. Il n'est pas exclu qu'ils le
fassent un jour en faveur des offres indiennes et chinoises s'ils
y trouvent un intérêt stratégique.
De XX. : De quels pays européens pourraient selon vous
émerger les « parrains politiques de l'espace
» qui manquent encore à l'Europe ?
Réponse
de F.A. : Il faut être réaliste. Pour le moment, ce
ne peut être que dans le cadre d'une coopération renforcée
institutionnelle entre la France, l'Italie, l'Espagne
et bien sûr l'Allemagne dont le nouveau gouvernement
semble marquer un renouveau d'intérêt pour les
technologies spatiales. Le Club ne sera pas fermé, cependant.
Ceux qui voudraient y entrer en respectant ses fondamentaux seront
les bienvenus.
De XX. : serait-il judicieux d'envisager à nouveau
des vols habités sous la responsabilité et avec la
participation des Européens ?
Réponse
de F.A. : On peut discuter interminablement de leur intérêt
dans l'immédiat. A terme, ils sont indispensables, ne sera-ce
que pour matérialiser l'engagement humain des Européens
dans la découverte des planètes proches. Mais les
vols habités n'excluent pas, avant, pendant et après,
des vols faisant appel à des robots humanoïdes de la
nouvelle génération(2).
Notes de la rédaction
(1) Sur Skynet voir http://www.space.eads.net/press-center/press-releases/paradigm-prolonge-de-2-ans-le-contract-skynet-5-et-commande-un-troisieme-satellite
(2) Tels
le désormais fameux Robonaut de la Nasa. Malheureusement
en Europe, la robotique autonome est au point mort.
Voir dans ce numéro : Les robots et l'exploration
spatiale 
© Automates Intelligents 10/03/2006

L'Europe,
une puissance spatiale face aux Etats-Unis, à la Russie,
à la Chine et à l'Inde ?
Conférence de M. Serge Plattard
Secrétaire général de l'European Space Policy
Institute
Cercle
Economique Franco-Allemand. (26/10/06).
Résumé et commentaires de Jean-Claude Empereur.
Le texte a été relu et corrigé par M. Plattard,
que nous remercions.
Au
cours d'une intervention passionnante, M. Plattard a mis en évidence
la dimension géopolitique qu'allait prendre, dans les prochaines
années, les stratégies spatiales de ces grands ensembles
continentaux.
Il a montré ce qu'avaient de spécifique ces différentes
stratégies : pour les Etats-Unis la « dominance mondiale
», pour la Chine, conformément à sa tradition
et, au moins pour le moment, le « rayonnement commercial »,
pour l'Inde, le « développement économique »,
pour la Russie le « maintien de son rang », la composante
de souveraineté restant également forte pour ces trois
derniers pays.
Pour l'Europe, en revanche, aucune stratégie d'ensemble,
communément acceptée, n'est perceptible.
Pourtant
l'Europe ne manque pas d'atouts mais la situation apparaît
contrastée, très hétérogène et
sans vision d'ensemble lorsque l'on passe en revue les différents
segments de l'activité spatiale: applications scientifiques,
exploration, transport, télécommunications, navigation,
défense.
•
sur le plan de la science spatiale nous pesons beaucoup : astronomie,
observation des océans, Mars express, Huygens, Rosetta, etc.
•
dans le domaine de l'exploration spatiale, nous sommes très
faibles, tandis que les Etats-Unis grâce aux projets de réinstallation
sur la Lune et de conquête de Mars s'engagent dans un vaste
programme mobilisateur sur trente ans, aux retombées considérables,
avec tout de même une incertitude budgétaire réelle.
• pour ce qui concerne le transport spatial, l'Europe dispose
d'un atout majeur, grâce à la stratégie d'autonomie
d'accès à l'espace, initiée il y a trente ans
par la France, stratégie qui a été l'un des
moteurs du développement et qui a permis, par la suite, le
développement d'une industrie des satellites, hautement stratégique,
très dynamique.
•
en matière de télécommunications l'Europe,
qui contrôle 35% du marché des satellites de télécommunication
et de diffusion directe, est une véritable puissance spatiale.
Elle comporte également des opérateurs qui sont parmi
les premiers mondiaux comme SES Global et Eutelsat.
• pour ce qui est de la navigation, Galileo constitue une
très grande avancée dans un domaine vital, tout particulièrement
significatif, car c'est un véritable projet d'intérêt
communautaire, défini comme tel dès l'origine par
la Commission (sécurité et souveraineté).
•
en revanche, dans le domaine de la défense, l'Europe ne peut
en aucun cas être considérée comme une puissance
spatiale.
Cette situation reflète une insuffisance de réflexion
globale à long terme. Elle est très préoccupante.
Elle montre en effet que ni les gouvernements ni les opinions publiques
n'ont pris, à la différence de ce qui se passe au
sein des autres ensembles continentaux, la mesure de l'importance
capitale de l'enjeu des politiques spatiales.
C'est
ainsi que le pourcentage du PIB consacré par l'Europe à
l'espace est stable, voire décroissant depuis 1993 alors
qu'il est en forte progression en Inde et en Chine, et qu'il croît
à nouveau aux Etats-Unis. Il n'existe pas en Europe de véritable
dynamique spatiale. Les préoccupations commerciales qui déterminent
une large part de son effort spatial n'ont, en aucune manière,
le même effet porteur que la dynamique de sécurité
et de défense qui commande la politique spatiale américaine.
Aux Etats–Unis la stratégie spatiale militaire irrigue
la chaîne de commandement, jusqu'à un niveau très
bas, en particulier dans le cadre du concept de « network
centric warfare ». Ceci suppose des développements
technologiques permanents, à tous les niveaux, qui à
leur tour entraînent, les coûts de R&D étant
pour l'essentiel amortis, des retombées considérables
en direction des marchés civils.
Pour
conclure Serge Plattard souligne l'importance de la volonté
politique dans la mise en œuvre d'une politique spatiale. A
l'évidence celle-ci manque à l'Europe aujourd'hui.
La raison en est que les Européens n'ont pas encore répondu
à cette question fondamentale voire existentielle : l'Europe
veut elle s'affirmer en tant que puissance mondiale ou bien seulement
se contenter d'un rôle régional ?
La réponse à cette question commande la stratégie
spatiale dont le rôle est, de ce point de vue, devenu déterminant
L'exposé
résume la ligne générale de réflexion
que s'est donné l'European Policy Space Institute. Cet Institut,
qui fonctionne depuis un peu plus d'un an, créé
par une décision du Conseil de l'ESA, a pour mission,
en s'appuyant sur un réseau d'experts, de contribuer à
la réflexion stratégique sur tout ce qui concerne
l'espace.
Cette
ligne correspond tout à fait à ce que nous souhaitons
voir se développer dans le domaine de la souveraineté
technologique de l'Europe. A.I.
*
European Policy Space Institute http://www.espi.or.at/home/index.php
© Automates Intelligents 10/03/2006

Programmes
Etats-Unis, Chine et Inde |
Le
programme de la Nasa: Retour sur la Lune (Back to the Moon)
Adaptation
de la page http://www.nasa.gov/mission_pages/exploration/spacecraft/cev.html
How
we will go back to the Moon (22/09/05)
Avant
la fin de la prochaine décennie, les astronautes de la Nasa
vont de nouveau explorer la surface de la Lune. Cette fois-ci, ce
sera pour y rester, afin de construire des avant-postes préparant
le chemin à l'exploration de Mars et au-delà.
Le retour sur la Lune doit être préparé sans
attendre, avec la réalisation d'un nouveau système
de transport spatial. Rassemblant le meilleur du programme Apollo
(premières expéditions sur la Lune) et de la technologie
de la navette, la Nasa va créer le système d'exploration
du XXIe siècle, qui sera financièrement accessible,
fiable, polyvalent et de haute sécurité pour les équipages.
(à gauche, le Crew Exploration Vehicule en orbite lunaire)
L'élément central du système sera un
nouveau vaisseau spatial, capable d'emporter vers la Lune
et de ramener sur Terre quatre astronautes. Il devra aussi servir
de base à six hommes lors des futures missions sur Mars,
et assurer l'apport d'équipages et d'approvisionnements
à la Station Spatiale Internationale (ISS).
Le module habité (Crew Exploration Vehicule) sera conçu
comme la capsule Apollo mais il sera 3 fois plus grand afin d'emporter
4 astronautes vers la Lune.
Le nouveau vaisseau comportera des panneaux solaires. La capsule
et l'atterrisseur lunaire utiliseront du méthane liquide
comme carburant. Ceci pour préparer l'avenir, où
l'on pourra convertir les ressources atmosphériques
de Mars en méthane.
Le vaisseau pourra être réutilisé 10 fois. Après
le retour sur la Terre freiné par des parachutes (sur le
sol, mais avec une option de récupération en mer),
la Nasa pourra le récupérer, remplacer son bouclier
thermique et le relancer.
Couplé avec le nouvel atterrisseur lunaire, le système
pourra envoyer deux fois plus d'hommes sur la Lune que Apollo.
Ils pourront y rester plus longtemps, les premières missions
pouvant durer 7 jours. De plus, alors qu'Apollo ne pouvait
atterrir sur l'équateur lunaire, le nouveau vaisseau
transportera assez de carburants pour atterrir n'importe où
sur la Lune.
Une fois établi le premier avant-poste lunaire, les équipages
pourront rester sur place jusqu'à six mois. Le vaisseau
pourra aussi opérer en orbite lunaire sans équipage,
éliminant l'obligation de laisser un homme à
bord pendant que les autres explorent la surface.
Fiabilité et sécurité
Le
Système de lancement qui emportera l'équipage
sera fiable et sûr. Il comportera les éléments
propulseurs éprouvés depuis longtemps sur la navette.
Le module humain reposera au sommet d'un lanceur unique comportant
en premier étage le booster à poudre de la navette
et en second étage le principal moteur de celle-ci
(à droite de l'image ci-contre).
Un deuxième système gros-porteur sera réalisé.
Il utilisera deux boosters à poudre de la navette et cinq
moteurs principaux de cette-ci, afin de mettre en orbite 125 tonnes
– à peu près une fois et demi le poids de l'orbiteur
de la navette. Ce système polyvalent sera utilisé
pour emporter des charges et mettre en orbite les composants nécessaires
aux voyages sur la Lune et sur Mars. Le lanceur lourd pourra aussi
être modifié afin d'emmener des équipages
ultérieurement (à gauche de l'image ci-contre).
Ces divers systèmes seront dix fois plus sûrs que la
navette du fait de la présence d'une fusée de
secours au sommet de la capsule qui pourra évacuer l'équipage
en cas de problèmes lors du lancement. La capsule placée
au sommet du système ne pourra pas non plus être endommagée
par des débris provenant du lanceur.
Le plan de vol
Pas plus tard que dans 5 ans, le nouveau système commencera
à transporter des hommes et des matériels vers l'ISS.
Les prévisions sont de 6 vols par an. Dans le même
temps, des missions robotiques vont préparer les bases à
terre de l'exploration de la Lune. En 2018, les humains y
retourneront. Comment une mission se déroulera-t-elle ?
Un lanceur lourd décolle, emportant l'atterrisseur
lunaire et le module de sortie de l'orbite terrestre : "departure
stage". (à gauche) L'équipage est lancé
séparément. (au centre) Il amarre ensuite la capsule
à l'atterrisseur et au module de sortie d'orbite.
Le tout prend la direction de la Lune (à
droite).

Trois
jours après, l'équipage se place en orbite lunaire
(à gauche). Les 4 astronautes entrent dans l'atterrisseur,
laissant la capsule en attente en orbite. Après l'atterrissage
et l'exploration de la surface pendant 7 jours, l'équipage
met à feu une partie de l'atterrisseur (au centre),
se ré-amarre à la capsule et entreprend le retour
sur la Terre. Après la sortie d'orbite, le module de
service est démantelé, exposant le bouclier thermique
pour la première fois. Les parachutes s'ouvrent, le
bouclier est largué et la capsule se pose en douceur, sur
le sol ou dans l'océan(à
droite).

Vers
le cosmos
Avec un minimum de deux missions lunaires par an, il sera possible
d'envisager rapidement la mise en place d'une station
lunaire permanente. Les équipages vont demeurer plus longtemps
sur la Lune et apprendre à exploiter ses ressources, pendant
que des atterrisseurs feront des voyages allers seuls pour apporter
du matériel et des approvisionnements. Eventuellement, le
nouveau système permettra la rotation d'équipes
restant 6 mois en séjour lunaire.
On étudie déjà le pôle sud comme candidat
à la localisation de la station lunaire. On pense y trouver
d'importantes concentrations d'hydrogène sous
forme de glace d'eau et un fort ensoleillement fournisseur
d'énergie solaire.
Ces
programmes donneront à la Nasa une avance considérable
pour l'exploration de Mars. Le lanceur lourd cargo, la capsule
habitée et les systèmes de propulsion seront disponibles
et réutilisables, afin de tirer parti des ressources martiennes.
Une base lunaire à 3 jours de voyage de la Terre permettra
d'entraîner les équipages à vivre loin
de celle-ci, avant d'entreprendre les longs voyages de 6 mois
vers Mars.
(Image ci dessus: 4 astronautes débarquent
sur la Lune à partir du nouvel atterrisseur).
Comme le président Bush l'a annoncé
en faisant connaître la Vision pour l'exploration spatiale,
« les Humains sont destinés à explorer le cosmos
». Maintenant nous savons comment nous allons le faire.
Nos
commentaires
La Chine a déjà manifesté la même intention.
On ne sait encore avec quels moyens elle se lancera dans l'aventure,
mais nous pouvons être certains qu'elle le fera. Les
Européens pourront-ils accepter de regarder ces réalisations
en simples spectateurs ? La solution de facilité serait:
puisque les Américains (et les Chinois?) y vont, pourquoi
nous? Laissons les faire.
Notre réponse, au contraire, est clairement que l'Europe
doit, quel que soit le coût, élaborer un programme
lunaire puis martien analogue, avec ses propres ressources. Sinon,
elle cessera de compter entant que puissance dans le monde multipolaire
de demain.
Mais on voit les pas qui devront être franchis, ceci dès
les premières années : réaliser des lanceurs
lourds fiables et réutilisables, des capsules habitables,
des atterrisseurs et autres dispositifs de mise en orbite et de
retour sur Terre. L'Esa et l'industrie européenne
disposent de technologies et d'expériences suffisantes
pour le faire. Encore faudrait-il que la décision correspondante
soit prise au plus vite et affichée dans un programme à
15/30 ans.
© Automates Intelligents 10/03/2006
Le
programme spatial de la République Populaire de Chine (PRC)
Ces notes sont adaptées et traduites (sauf les noms des organismes
et des programmes) de Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Chinese_space_program
Résumé :
Le
programme spatial de la PRC a été initialisé
en 1968, à la suite de premiers essais destinés à
se doter de lanceurs militaires après la rupture avec l'URSS
en 1960. Le premier satellite chinois, Dong Fang Hong I (L'est
est Rouge) fut lancé en 1970. En 30 ans, 50 satellites dérivés
du Dong Fang Hong ont été mis en orbite. Le programme
de vol habité a été lancé en 1968 et
la Chine a réussi en 2003 à devenir la 3e puissance,
après l'URSS et les Etats-Unis, à mettre un
cosmonaute (taïkonaute) en orbite.
Historique
et perspectives
Le maître d'oeuvre des programmes spatiaux habités
fut dès le début le Space Flight Medical Research
Centre. Le Projet 714 fut engagé en 1973 avec l'objectif
de satelliser 2 hommes dans les meilleurs délais. Le vaisseau
retenu fut le Shuguang-1 et le lanceur une fusée CZ-2A capable
d'emporter la charge correspondante. Le programme fut arrêté
en 1972 faute de financement suffisant.
En
1992, le projet fut repris sous le nom de Project 921 devenu Programme
Shenzhou. De 1999 à 2002, 4 Shenzhou, numérotés
de 1 à 4, furent lancés, avec des animaux puis des
mannequins. A la suite des succès enregistrés, la
mission Shenzhou 5, emportant le taïkonaute Yang Liwei, permit
à la Chine, comme indiqué ci-dessus, de devenir le
15 octobre 2003 la 3e nation au monde à satelliser
un humain. Shenzhou 6 pris la suite 2 ans plus tard, emportant 2
hommes (notre photo). Ces premiers
astronautes sont, à juste titre, considérés
comme des héros nationaux. Toute l'Asie et même
l'Occident ont suivi avec attention et admiration leurs exploits
et ceux des équipes à Terre. Les risques en effet
n'étaient pas peu importants.
En 2006, deux autres missions Shenzhou sont planifiées, comportant
d'autres équipages, avec des sorties dans l'espace.
Les missions sont désormais assurées par des lanceurs
Long March 2F à partir de la base dite Jiuquan Satellite
Launch Center.
En février 2004, la PRC a officiellement lancé une
première phase d'exploration de la Lune, utilisant
des engins inhabités. L'organisme en charge de ce programme
est la China National Space Administration. Selon son administrateur
Sun Laiyan, le programme comportera 3 phases : mise en orbite lunaire
(avant 2007), alunissage, retour d'échantillons. La
1e phase est estimée à 170 millions de dollars. L'alunissage
devrait être réalisé avant 2010. Le retour sur
Terre des échantillons lunaires est planifié pour
avant 2020.
Le 25 novembre 2005 le responsable des vols habités a annoncé
que la China National Space Administration avait décidé
de réaliser une station orbitale et une mission habitée
sur la Lune vers 2020, sous réserve de financements par le
gouvernement. D'ici là, de nombreux vols perfectionneront
les procédures de marche dans l'espace et d'accostage
(docking). Les lanceurs lourds utilisés pour ces missions
seront de la série Chang Zheng 5. A partir de 2012, des essais
perfectionneront les procédures de retour vers la Terre de
capsules inhabitées, le tout pendant 5 ans environ.
Organisation
Confiés
initialement à l'Armée populaire de Libération,
les programmes spatiaux de la PRC furent réorganisés
dans le cadre de la gestion des programmes généraux
d'industries de défense. Comme indiqué ci-dessus,
l'Agence responsable pour les vols est la China National Space
Administration, qui dépend de la Commission of Science, Technology
and Industry for National Defense. Les lanceurs banalisés
auxquels il est fait appel sont de la série bien connue en
Occident dite Longue Marche, produite par la China Academy of Launch
Vehicle Technology. Les satellites sont fabriqués par la
China Aerospace Science and Technology Corporation. Cette dernière
est une entreprise d'Etat mais il est envisagé de l'ouvrir
à des capitaux privés (chinois) voire de la mettre
entièrement sous un statut de droit privé.
Les établissements publics de recherche Tsinghua University
et Harbin Institute of Technology apportent leurs compétences
à l'ensemble de ces projets.
Objectifs
à long terme
Le programme spatial chinois prévoit des objectifs à
long terme détaillés dans divers documents, dont un
Livre Blanc de la China National Space Administration. Ces objectifs
sont les suivants :
*
Etablir un système d'observation satellitaire de la
Terre
Les réseaux actuels (remote sensing) ont déjà
de nombreuses applications qui seront développées
: météorologie, industries minières, agriculture,
forêts, gestion des ressources en eau, océanographie,
séismologie, planification urbaine.
*
Réaliser un réseau indépendant de satellites
de communication
* Mettre en place un système indépendant de positionnement
satellitaire et de navigation
* Offrir des services de lancement commerciaux au reste du monde
* Réaliser des études scientifiques en microgravité,
matériaux, sciences de la vie et astronomie
* Entreprendre l'exploration au sol de la Lune. Ce dernier
objectif supposera la réalisation d'une station spatiale
habitée, de nombreuses missions humaines lunaires et la construction
d'une base lunaire durable.
Parmi les programmes scientifiques, on peut noter
* Le lancement de satellites évolués, de la série
Dong Fang Hong
* Le lancement du plus grand télescope solaire du monde en
2008 (Solar Space Telescope)
* La mise en place d'un réseau de suivi des sondes
dans l'espace lointain (deep space) avec la réalisation
de la plus grande antenne radio du monde (500m de diamètre)
à Guizhou
En
matière de lanceurs, les solutions prévues
sont les suivantes : Kaituozhe-1 nouveau lanceur à carburant
solide
• Les fusées Longue Marche (Chang Zheng 1 - 4) - photo
• La fusée Chang Zheng 5 disposant de carburant plus
efficaces et non toxiques et pouvant délivrer 25 tonnes en
orbite basse
• La fusée Chang Zheng 6 , seconde génération
de la précédente, lanceur lourd pour les missions
lunaires et les injections de sondes dans l'espace profond
(70 tonnes en orbite basse).
• Parallèlement, les 3 bases de lancement actuellement
en service (Jiuquan, Xichang and Taiyuan) seront completes par la
base de Hainan Spaceport plus proche de l'équateur
et équipée pour les lanceurs lourds de la série
CZ-5 et 6.
Véhicules et stations
Ces projets feront appel à tous les véhicules
et systèmes nécessaires à des missions orbitales
et lunaires de longue durée. Citons :
• Le Projet 921-1 — Shenzhou spacecraft
• Le Projet 921-2 — Laboratoire spatial et Station spatiale
permanente
• Le Projet 921-3 . Il s'agit d'une navette réutilisable,
mais le projet semble abandonné.
• Shenzhou Cargo . Il s'agit d'un cargo, version
non habitée du Shenzhou spacecraft destiné à
ravitailler la Station Spatiale permanente
Missions lunaires
Les missions lunaires comporteront les phases suivantes
•
Première
phase, exploration
•
Deuxième
phase: premières installations durables et début d'exploitation
des ressources lunaires
•
Troisième
phase: bases lunaires permanentes et exploitation des ressources
lunaires à grande échelle
Ces
missions lunaires seront accompagnées d'exploration
par sondes du système solaire. Elles pourront être
suivies par l'exploration de Mars, avec des robots d'abord
puis par des équipages.
Pour
en savoir plus
China's Space Activities
(White Paper) :
http://www.cnsa.gov.cn/english/spacye_policy/more.asp?id=7
Nos
commentaires
- Les documents disponibles pour le grand public ne précisent
pas les systèmes satellitaires militaires, qui pourraient
entre autres comporter des systèmes anti-satellites (ASAT).
- Tous les programmes présentés sont conçus,
financés et à ce jour réalisés par des
organismes publics. En aucun cas ne se pose donc la question de
leurs éventuelles rentabilités commerciales.
- Tous les programmes présentés sont conçus
comme devant être réalisés avec des ressources
nationales, implantées sur le sol chinois. L'importation
est exclue. Des coopérations internationales sont possibles,
mais elles sont conçues comme temporaires (ex : Galiléo).
Par contre la Chine n'exclue pas de vendre des produits et
services sur le marché international, à des prix échappant
à tout calcul économique de type occidental.
- Le véritable moteur de tous ces développements,
y compris sous leur aspect militaire, est représenté
par les vols habités, devant déboucher très
vite sur l'exploration lunaire puis martienne. Pour l'influence
de la Chine dans le monde, à commencer sur la zone Asie Pacifique,
ces vols apportent un grand prestige diplomatique.
- Il est difficile d'évaluer les capacités de
la Chine à suivre, non pas budgétairement mais technologiquement,
ces ambitieux programmes. Néanmoins, les objectifs fixés
en matière de vols humains orbitaux ont été
jusqu'ici remplis.
- La Chine ne cherche pas de solutions technologiquement sophistiquées,
suivant en cela l'exemple russe. Au niveau de ses ambitions,
elle vise seulement à « coller » aux réalisations
américaines – ce qui est déjà beaucoup.
- La Chine affirme en toutes occasions qu'elle n'a pas de visées
militaires offensives. Elle prétend ne pas vouloir contester
la puissance américaine. Néanmoins, les stratèges
américians estiment qu'elle fait tout pour, à échéance
de quelques décennies, jouer dans l'espace civil et militaire
le rôle de challenger tenu par l'URSS jusqu'à son effondrement.
- L'Europe devrait en tirer la conclusion que si elle ne suit
pas le même chemin que la Chine, avec des méthodes
et des principes voisins (priorité aux financements publics
et aux ressources nationales) elle aurait disparu de la scène
spatiale dans quelques années.
© Automates Intelligents 10/03/2006

Le
programme spatial Indien
Résumé
d'une intervention faite par le Dr R.V. Perumal,
directeur à l'Indian Space Research Organisation http://www.isro.org/
au Sénat français, lors d'un colloque consacré
aux stratégies spatiales internationales le 2 novembre 2005
(voir http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/68/espace.htm)
L'Inde
a établi à partir de 1963 un programme spatial à
40 ans, orienté vers les applications civiles. Il faut rappeler
que le premier acte de ce programme a été en 1977
l'utilisation du satellite Symphonie acquis auprès de la
France. Toute une série d'applications ont été
définies et progressivement mises en oeuvre : télévision,
télécommunications, observation de la Terre, etc.
Un principe de base est que cela doit être fait en utilisant
et intégrant les ressources scientifiques et industrielles
nationales. C'est le cas notamment en matière de lanceurs
et de satellites.
L'orateur
donne plusieurs exemples montrant comment des Systèmes d'informations
géographiques spatiaux (SIGS) permettent d'élaborer
des politiques de gestion de l'eau, des terres agricoles, de la
sécheresse, des ressources halieutiques.
Viennent ensuite des applications plus complexes : télémédecine,
télééducation, gestion des urgences et calamités,
secours et navigation en mer, météo. Ainsi en télémédecine
115 hôpitaux sont aujourd'hui organisés en réseau
et peuvent dispenser des télé-soins sur l'ensemble
du territoire rural. Il en est de même concernant les universités.
C'est
l'Etat qui prend l'initiative des premiers services. Mais le point
important est que les moyens d'utiliser les données au service
des besoins locaux sont mis en place d'emblée, parallèlement
à l'offre de services. C'est la formule dite des «
Ressources de Village ». Un ou plusieurs
terminaux donnent les informations critiques aux villageois qui
en ont besoin. Ceux-ci, dans un premier temps, les utilisent telles
quelles. Ils interviennent ensuite pour que les services s'améliorent.
L'exemple indien pourrait intéresser l'Europe, dans ses relations
de coopération avec l'Afrique.
Autres
informations, tirées du site de l'Indian
Space Research Organisation (ISRO) http://www.isro.org/
Résumé
du programme spatial Indien
par le Dr Vikram Sarabhai , qui en est considéré comme
le père:
Certaines personnes s'interrogent sur l'opportunité
d'activités spatiales dans les pays en développement.
Pour nous, il n'y a aucune ambiguïté. Nous n'avons
pas le désir d'entrer en compétition avec les
nations économiquement avancées dans l'exploration
de la Lune, des planètes ou par des vols habités.
Mais nous sommes convaincus que nous devons faire jouer à
l'espace un rôle significatif au plan national. Dans
la communauté internationale, nous devons nous montrer les
premiers concernant les applications des technologies spatiales
avancées à la solution des vrais problèmes
de l'homme et de la société.
Organisation
Le Gouvernement de l'Inde crée la Space Commission
et le Department of Space (DOS) en juin 1972. L'Indian Space
Research Organisation (ISRO) est mise en place sous l'autorité
du DOS afin de mettre en oeuvre le programme spatial dans divers
établissements répartis sur le territoire national
Vikram Sarabhai
Space Centre (VSSC)
ISRO Satellite Centre (ISAC)
Satish Dhawan Space Centre, SHAR Liquid Propulsion Systems Centre
(LPSC)
Space Applications Centre (SAC)
Development and Educational Communication Unit (DECU)
ISRO Telemetry, Tracking and Command Network (ISTRAC) INSAT Master
Control Facility (MCF)
ISRO Inertial Systems Unit (IISU)
National Remote Sensing Agency (NRSA)
Regional Remote Sensing Service Centres (RRSSC)
Physical Research Laboratory (PRL)
National Mesosphere/Stratosphere Troposphere Radar Facility (NMRF)
Objectifs
Les
principaux objectifs du programme spatial comprennent le développement
de satellites (nombreux exemplaires, non énumérés
ici), de lanceurs, de petites fusées à charge utile
scientifique (Sounding Rockets) et des équipements à
terre associés
•
Les Lanceurs :
Le programme de lanceurs a commencé avec le SLV-3, dont 3
exemplaires ont été lancés avec succès
à partir de 1980. Le second lanceur a été l'
Augmented Satellite Launch Vehicle avec 2 vols réussis. Aujourd'hui,
le Polar Satellite Launch Vehicle est en service opérationnel.
Enfin le Geosynchronous Satellite Launch Vehicle (GSLV) est en cours
de développement. Ce dernier est destiné à
mettre en orbite géosynchrone les satellites de la classe
INSAT de 2,5 tonnes. Les moteurs des étages supérieurs
cryogéniques, d'abord fournis par la Russie, sont actuellement
développés en Inde (notre photo).
• Les Etapes
On ne reprendra pas ici les étapes du programme spatial qui
se sont déroulées depuis 40 ans. Mentionnons seulement
la phase expérimentale comprenant la Satellite Instructional
Television Experiment (SITE) et la Satellite Telecommunication Experiment
(STEP), les programmes d'observation de la terre et des applications
associées, le lancement de satellites comme Aryabhata, Bhaskara,
Rohini et APPLE , la mise en service des lanceurs SLV-3 et ASLV.
Systèmes
actuels
Les systèmes actuels comprennent l' Indian National Satellite
(INSAT) pour les télécommunications, la télévision,
la météorologie et la prévention des désastres
naturesl, ainsi que l' Indian Remote Sensing Satellite (IRS) pour
la gestion des ressources naturelles et le monitoring.
Le Polar Satellite Launch Vehicle (PSLV) sert à lancer les
Satellites IRS et le Geosynchronous Satellite Launch Vehicle (GSLV)
lancera les satellites de la classe INSAT.
Citons enfin les activités de recherche scientifique utilisant
les satellites SROSS et IRS-P3 .
L'Inde
participe par ailleurs à divers programmes internationaux.
Elle a des accords de coopération avec les agences spatiales
de plusieurs pays, dont la France. Elle forme des ingénieurs
et techniciens au profit d'autres nations.
L'Antrix
Corporation est l'agence exécutive de l'ISRO
pour les ventes de matériels et de services spatiaux.
Rappel
des principales étapes récentes
2005 Successful launch of INSAT-4A by Ariane from Kourou French
Guyana, (December 22, 2005).
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ISRO's
Polar Satellite Launch Vehicle, PSLV-C6, successfully launched CARTOSAT-1
and HAMSAT satellites from Sriharikota(May 5, 2005).
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2004 The first operational flight of GSLV (GSLV-F01) successfully
launched EDUSAT from SDSC SHAR, Sriharikota (September 20, 2004)
--------------------------------------------------------------------------------
2003 ISRO's Polar Satellite Launch Vehicle, PSLV-C5, successfully
launched RESOURCESAT-1 (IRS-P6) satellite from Sriharikota(October
17, 2003).
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Successful launch of INSAT-3E by Ariane from Kourou French Guyana,
(September 28, 2003).
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The Second developmental launch of GSLV-D2 with GSAT-2 on board
from Sriharikota (May 8, 2003).
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Successful launch of INSAT-3A by Ariane from Kourou French Guyana,
(April 10, 2003).
2002 ISRO's Polar Satellite Launch Vehicle, PSLV-C4, successfully
launched KALPANA-1 satellite from Sriharikota(September 12, 2002).
--------------------------------------------------------------------------------
Successful launch of INSAT-3C by Ariane from Kourou French Guyana,
(January 24, 2002).
2001 ISRO's Polar Satellite Launch Vehicle, PSLV-C3, successfully
launched three satellites -- Technology Experiment Satellite (TES)
of ISRO, BIRD of Germany and PROBA of Belgium - into their intended
orbits (October 22, 2001).
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The first developmental launch of GSLV-D1 with GSAT-1 on board from
Sriharikota (April 18, 2001)
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2000 INSAT-3B, the first satellite in the third generation INSAT-3
series, launched by Ariane from Kourou French Guyana,
(March 22, 2000).
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1999 Indian Remote Sensing Satellite, IRS-P4 (OCEANSAT), launched
by Polar Satellite Launch Vehicle (PSLV-C2) along with Korean KITSAT-3
and German DLR-TUBSAT from Sriharikota
(May 26, 1999).
--------------------------------------------------------------------------------
INSAT-2E, the last satellite in the multipurpose INSAT-2 series,
launched by Ariane from Kourou French Guyana, (April 3, 1999).
1998 INSA
© Automates Intelligents 10/03/2006

L'Europe
doit prendre le relais des programmes scientifiques gelés
par la NASA
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
7 mars 2006
La
communauté spatiale scientifique est inquiète. Les
grandes revues scientifiques s'en font l'écho (voir par exemple
NASA takes a wrong turn, NewScientist 25/02.06, p. 23).
De quoi s'agit-il ? L'administrateur en chef de la NASA Michael
Griffin, après avoir affirmé lors de sa prise de fonction
en septembre dernier qu'il ne prélèverait pas un dollar
sur les programmes spatiaux de l'agence américaine, vient
d'admettre qu'il devra au contraire les amputer de 3,1 milliards
de dollars sur 4 ans.
La cause de ce sacrifice tient à la nécessité
où se trouve la NASA de remettre en vol ses navettes et de
terminer la mise au point de la Station Spatiale Internationale
(ISS). Les partenaires de la NASA dans l'exploitation de l'ISS s'étaient
ces derniers mois inquiétés de voir l'agence paraître
se désintéresser progressivement de ce programme,
notamment du fait des risques et dépenses encourues lors
des vols de navettes. Mais d'une part la NASA n'a pas voulu rompre
ses engagements, vis-à-vis de l'Europe et du Japon, et d'autre
part, il apparaît qu'une ISS en ordre de marche serait un
atout très utile dans le programme Retour sur la Lune décidé
par le Président Bush à la fin de l'année 2004.
Le
regain d'intérêt de la NASA pour les vols de navette
tient, selon les observateurs, à une raison plus profonde.
Les Européens qui ont renoncé à conduire en
propre des missions humaines, "jugées inutiles"
(selon notamment un propos de Claude Allègre), devraient
la méditer. Mike Griffin est persuadé que c'est l'aventure
humaine du vol habité, avec ses suspens, parfois ses morts,
qui soutient l'intérêt du public pour l'espace. On
peut même dire que l'image de la NASA fut et reste intimement
liée aux missions avec équipages humains. Comme il
a été dit : « Human space flight is what
NASA was invented for. NASA would surely implode without it”.
Abandonner la navette pendant 2 à 4 ans, en attendant l'arrivée
de son remplaçant, serait catastrophique pour le concept
de Space Dominance incarné très largement,
pour le grand public, par la NASA. Ceci d'autant plus qu'au même
moment la Chine, sans doute rejointe par l'Inde, continuera à
envoyer des hommes dans l'espace.
Un
dernier argument a joué. Suspendre les vols de navettes et
se désengager de l'ISS obligerait à licencier des
milliers d'ingénieurs que la NASA et ses sous-traitants ne
retrouveraient pas quand il faudra repartir vers la Lune.
Les
responsables de l'agence ont donc confirmé à leurs
partenaires, le 02/03/06 à Cap Canaveral, qu'ils entendaient
consacrer trois vols de navettes, dès 2006, à la poursuite
de l'assemblage de l'ISS, sur un total de seize, avant la mise à
la retraite des navettes en 2010. Discovery devrait être lancée,
sous réserve de tests techniques à réaliser
d'ici là, lors de la fenêtre de tir du mois de mai,
avec à son bord un astronaute allemand. Dans le scénario
au plus tôt, le laboratoire Columbus de l'ESA ferait l'objet
du septième voyage afin d'être arrimé à
l'ISS fin 2007. Ceci sera très apprécié en
Allemagne, qui avait misé presque tous ses crédits
de recherche spatiale sur ce module et qui se décourageait
de le voir rester au sol sans emploi.
Malheureusement
pour la recherche scientifique, la NASA s'était engagée
devant le Congrès à ne pas dépasser le budget
pluriannuel qui lui a été fixé par l'Administration
il y a un an. L'essentiel de ce budget doit financer le programme
Retour sur la Lune. Celui-ci a lui-même été
calculé à l'économie, mais il obligera néanmoins
à moderniser les parties réutilisées des précédents
programmes et à développer des éléments
nouveaux, notamment le module habité Crew Exploration
Vehicle (CEV). La NASA ne disposera donc pas d'un dollar en
excès
Comme
les Etats-Unis (c'est notre commentaire) consacrent des sommes énormes
à leur budget militaire et à la guerre en Irak, 600
à 800 milliards cette année selon les estimations,
à comparer aux quelques 20 milliards de la NASA, celle-ci
est condamnée à l'austérité. Ce qui
sera particulièrement dommage pour l'image exceptionnelle
qu'elle s'était acquise lors de ses deux grandes périodes
dorées consacrées à l'exploration spatiale,
la première marquée par les Mariner, Viking et Voyager,
la seconde, qui se termine, avec Hubble, Cassini et les Rovers martiens.
Mike
Griffin a affirmé devant les parlementaires que la NASA ne
renonçait pas à la science. Le pourcentage de ses
budgets consacré à la recherche spatiale devrait passer
de 24% en 1992 à 32% en 2010. Le télescope Hubble,
notamment, sera maintenu au lieu d'être abandonné à
la déréliction, ce dont se réjouiront les astronomes
du monde entier. Il reste que les coupes seront sévères.
Les sacrifices seront tels que la NASA, qui envoie dans l'espace
au moins une grande mission scientifique par année, ne devrait
rien lancer entre 2009 et 2012.
Parmi
les principales victimes (voir encadré 1. ci-dessous), on
compte un satellite destiné à rechercher des planètes
extra-solaires similaires à la Terre, une sonde qui devait
se consacrer à l'exploration d'Europe, la Lune de Jupiter,
une autre qui devait ramener sur Terre des échantillons de
roches martiennes. Mais ce sont les missions destinées à
compléter ou même remplacer les modèles de relativité
proposés avec le succès que l'on sait par Einstein
au début du XXe siècle, qui seront le plus regrettées
des cosmologistes. Il s'agissait du programme dit «Beyond
Einstein», au-delà d'Einstein, visant à
explorer les confins de l'univers profond.
Les chevaux de bataille de Beyond Einstein étaient
les deux missions connues sous le nom de Constellation X d'une part
et de LISA d'autre part. Elles avaient été mises en
tête des priorités par la revue décennale de
l'académie américaine des sciences consacrée
à l'astronomie en 2002. Constellation X devait s'appuyer
sur 4 satellites d'observation en rayons X orbitant en formation
afin d'obtenir la même puissance qu'un télescope géant.
Ils devaient étudier les trous noirs, la formation des galaxies,
l'évolution de l'univers à grande échelle,
le recyclage de la matière et de l'énergie pouvant
induire les hypothétiques matière noire et énergie
noire. L'observatoire LISA (Laser Interferometer Space Antenna),
pour sa part, était destiné à étendre
à l'espace la recherche des ondes gravitationnelles entreprise,
sans succès jusqu'à ce jour, par les Etats-Unis et
l'Europe dans leurs observatoires à terre. Remarquons que
LISA était conçue comme une mission commune ESA-NASA.
On peut se demander si l'ESA pourra poursuivre seule la part du
programme lui incombant.
1.
LA NASA revoit certains programmes à la baisse
et en diffère (indéfiniment?) d'autres
Si
dans le budget 2007 de la NASA, la priorité à
été mise sur la station orbitale internationale,
le Shuttle et le programme d'exploration "Constellation",
certains programmes vont être retardés. C'est
par exemple le cas de la Space Interferometer Mission
(SIM, baptisée aussi PlanetQuest), qui devait être
lancée en 2012 et qui est retardé de 3 ans
avec des ambitions technologiques moindres. Rappelons
que l'objectif initial de cette mission visait la détermination
de l'orbite et de la masse des exoplanètes, ainsi
que la détection des exoplanètes du type
terrestre le plus proche. Dans la nouvelle mouture, le
télescope passe de 4 à 3 éléments
et la base passe de 10 mètres à 9 mètres.
Par ailleurs, comme SIM devait précéder
la mission Terrestrial Planet Finding (TPF), celle-ci
est donc reportée à une date indéterminée.
Le programme Beyond Eintein est aussi réexaminé
: la mission Lisa, qui devait détecter pour la
première fois les ondes gravitationnelles, et la
mission constellation X, prochaine génération
de ce type de satellites d'astronomie sont revues à
la baisse, voir à la portion congrue...
La
sonde d'exploration du satellite de Jupiter Europa, pour
sa part, laisse place à la mission Juno du programme
New Fontiers, qui consiste à l'étude des
lunes de la planète jovienne - dont Europa - via
un orbiteur de Jupiter.
Le financement du programme Sofia (programme germano-américain)
- télescope infrarouge embarqué sur un B747)
est purement et simplement arrêté. La Nasa
souhaite sans doute que son partenaire apporte les crédits
manquants...
Le
lancement des satellites Glast (réalisé
en coopération avec la France, l'Italie, la Suède,
le Japon et l'Allemagne) et Kepler sont désormais
fixés en septembre 2007 et juin 2008.
|
L'ESA
prendra-t-elle le relais de la NASA ?
La question de
la suite que l'Europe pourrait apporter seule à LISA nous
conduit à une autre plus importante, dans le même esprit.
Nous y faisons allusion dans le titre de cet article : l'ESA prendra-t-elle
le relais de la NASA en matière de recherche cosmologique?
Beaucoup de scientifiques espèrent encore, en faisant pression
sur la NASA et sur ses bailleurs de fonds, obtenir les rallonges
de crédits qui permettraient à l'Agence américaine
de reprendre ses programmes, quitte à les retarder un peu.
Ce sont des pressions identiques qui avaient convaincu de la nécessité
de réhabiliter Hubble. La mission d'étude de la gravité
dite Gravity Probe B avait été sauvée de la
même façon. Cependant, rien ne vaut la concurrence.
Si l'ESA obtenait des gouvernements européens des rallonges
de crédit (sans doute 2 milliards d'euros sur 4 ans) elle
devrait pouvoir augmenter les ambitions de ses propres programmes
scientifiques, les avancer en date et le cas échéant
se substituer aux projets américains défaillants.
Ceci ne devrait pas se faire au détriment des financements
déjà acquis mais résulter de budgets véritablement
nouveaux. Nous avons discuté ces questions budgétaires
dans de précédents articles. Inutiles d'y revenir.
Disons seulement que l'Europe se grandirait et obtiendrait le supplément
de visibilité spatiale qui lui manque encore, si dès
maintenant elle offrait à la NASA de collaborer avec elle
dans les programmes retardés par celle-ci, voire de l'y remplacer
– ceci pour le plus grand bien de la connaissance. Les contribuables
européens en seraient quittes pour verser quelques euros
de plus par an au profit de l'espace. L'enjeu est considérable.
Nous souhaitons que ces actions soient étudiées et,
si possible, retenues, dans le plan décennal que nous demandons
aux gouvernements européens de prévoir concernant
l'avenir de l'Europe spatiale.
Le
relais que l'ESA pourrait apporter à la NASA dans le domaine
des programmes scientifiques est à distinguer de l'action
propre de l'ESA en matière d'exploration de Mars, qui devrait
elle-même se voir pensons-nous mieux reconnue et soutenue
budgétairement sur le long terme (voir encadré ci-dessous).
2.
L'Europe et l'exploration martienne (projets actuels)
Même
l'exploration robotique de Mars du côté de
la NASA est touchée, ce qui constitue peut-être
une opportunité pour l'Europe. En cette matière,
l'Europe a engagé le programme Aurora lors du conseil
ministériel tenu en décembre dernier (enveloppe
de quelque 710 Meuros, si le Canada porte sa contribution
à 65 Meuros. Cela dit, la vision est ici limitée
aux missions martiennes, priorité définie
par la communauté scientifique qui considère
l'étude de la Lune comme secondaire (cela dit, si
une coopération était engagée avec
les USA dans le cadre du retour sur la Lune, l'Europe pourrait
s'intéresser à certains sujets liés
à la base lunaire (énergie, recyclage, environnement...).
Nous
considérons pour notre part que les crédits
et donc les ambitions du programme Mars et (éventuellement)
Lune de l'ESA manquent d'ambitions. L'Europe devrait ambitionner
de développer des programmes d'explorations reposant
sur la perspectives de vols robotisés puis humains
de même nature que ceux de la NASA, laquelle devrait
être rejointe dans les prochaines années par
la Chine. Ceci peut nécessiter des coopérations
avec la NASA, mais ces coopérations devraient demeurer
ponctuelles, et ne pas créer de dépendance
à l'égard de l'agence américaine, afin
de ne pas renouveler les épisodes actuels autour
du module Colombus imposés par la dépendance
à l'égard de la navette.
Dans
l'état actuel de ses projets, concernant l'étude
de Mars, l'ESA va développer la mission ExoMars pour
2011, qui consiste à aller chercher des échantillons
jusqu'à 2 mètres de profondeur et de les analyser
sur place afin de détecter d'éventuelles activés
biologiques, actives ou anciennes. Ensuite, l'objectif est
la mission de retour d'échantillons martiens (MSR),
mission pour laquelle il est déjà prévu
des pré-développements sur certaines technologies
critiques. Il s'agit ainsi d'être en mesure de proposer
aux Américains une coopération d'égal
à égal pour une mission autour de 2020. Une
mission de démonstration technologique pourrait être
insérée entre ExoMars et MSR.
Cette stratégie en 3 étapes doit être
proposée lors du conseil ministériel de 2008,
Elle devrait tenir compte de l'objectif plus lointain de
l'exploration humaine de Mars. Pour l'Europe, il s'agit
de pouvoir réorienter la coopération avec
les Etats-Unis, si celle-ci ne donne pas satisfaction et
de ne pas se retrouver dans une situation de dépendance,
comme indiqué ci-dessus.
|
Pour
en savoir plus
Constellation X: http://constellation.gsfc.nasa.gov/
Sur LISA et la recherche des
ondes gravitationnelles, voir notre article détaillé
L'Europe participe activement à la recherche des ondes gravitationnelles
dans http://www.automatesintelligents.com/actu/051130_actu.html.
© Automates Intelligents 10/03/2006

Les
robots et l'exploration spatiale
Jean Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
28 janvier 2006

Robonaut
(Image Nasa)
Rodney
Brooks, le légendaire roboticien américain, directeur
du Computer Science and Artificial Intelligence Laboratory du Massachusetts
Institute of Technology, veut réveiller l'intérêt
de la Nasa pour la robotique. Il n'oublie pas qu'en 1989, c'est
lui qui avait lancé l'idée d'explorer les planètes
avec des équipes de petites machines bon marché sur
le modèle du robot qu'il avait développé à
l'époque, un certain Genghis(1).
La Nasa n'avait pas suivi exactement cette direction. Néanmoins,
elle s'était inspirée des produits de Rodney Brooks
pour concevoir le « rover » Sojourner, envoyé
sur Mars huit ans plus tard. Ce robot ressemblait plus à
un petit tank qu'à un androïde, néanmoins il
disposait dès cette époque d'un certain nombre de
capacités pour s'adapter à un environnement inconnu
directement inspirées des idées de Rodney Brooks.
Aujourd'hui,
celui-ci voudrait que la Nasa s'affranchisse complètement(2)
du concept d'engin d'exploration téléguidé
pour envisager l'emploi de robots qui seraient véritablement
des partenaires des explorateurs. Ils pourraient s'inspirer des
robots qui sont actuellement développé dans le laboratoire
de Brooks au MIT, l'un doté d'un sens très fin du
toucher, l‘autre capable d'identifier les visages humains,
un autre encore (baptisé Domo) capable de manipuler un tournevis
en imitant un utilisateur humain de cet instrument et non en déroulant
un programme informatique préparé à l'avance.
De tels auxiliaires seraient très opportuns aujourd'hui,
alors que l'administration et le Congrès viennent d'officialiser
les projets de retour sur la Lune, que devraient suivre ensuite
des débarquements sur Mars. Ces expéditions seraient
confiées dans un premier temps non à des astronautes
mais à des robots capables de se comporter quasiment comme
des humains. Il faudrait qu'ils puissent apprendre seuls des tâches
nouvelles, utiliser les outils de la même façon que
les hommes et se comporter le moment venu en équipes d'assistance
expérimentées.
La Nasa avait longtemps hésité à promouvoir
l'exploration robotique. Certains de ses responsables craignaient
peut-être de diminuer l'intérêt du public –
et consécutivement les crédits – si des robots
et non des humains étaient envoyés en première
ligne. Mais aujourd'hui, de nombreux arguments militent pour un
changement d'optique. D'une part, l'opinion est de plus en plus
attachée à la protection de la vie humaine, ce qui
oblige à multiplier les sauvegardes et donc les coûts.
Mais surtout des robots performants sont désormais disponibles,
équipés de composants informatiques de plus en plus
puissants. Ils peuvent être envoyés dans l'espace après
de courts délais préparatoires et avec des budgets
relativement réduits. La Nasa a donc décidé
de les promouvoir à la dignité d'auxiliaires à
temps complet, c'est-à-dire avant les missions humaines,
mais aussi pendant et après ces missions.
Rodney Brooks voudrait aller plus loin, c'est-à-dire que
les responsables des futurs vols abandonnent la distinction datant
des années soixante, entre ce que peuvent faire les robots
et ce que les hommes peuvent faire. Désormais cette ségrégation
devrait disparaître. Hommes et robots, selon leurs capacités
différentes, pourront se répartir les mêmes
tâches(3).
Il est certain qu'en termes de coûts, les robots sont sans
compétiteurs. Selon les chiffres fournis par le Jet Propulsion
Laboratory de Pasadena, les rovers martiens Spirit et Opportunity
ont coûté environ 900 millions de dollars sur 5 ans.
Par comparaison, en 30 ans, les 112 vols de la navette spatiale
ont provoqué 14 pertes humaines et coûté environ
1,3 milliard par vol.
Mais des robots auraient-ils pu faire ce qu'ont fait les équipages
des navettes ? Certes, les deux Rovers martiens fonctionnent encore
après deux ans de service alors qu'ils étaient prévus
pour travailler 90 jours. Mais ils n'ont jamais été
livrés à eux-mêmes. Chaque jour, une équipe
de 50 scientifiques et techniciens leur dicte ce qu'ils ont à
faire, en interprétant les données qu'ils envoient
sur Terre. On estime que le travail accompli par eux aurait pu être
réalisé en une journée par un explorateur humain
bien entraîné.
Aussi faut-il dorénavant combiner les capacités d'adaptation
et d'invention de l'esprit humain aux ressources purement mécaniques
des Rovers. Mais comment ? Dans un premier temps, l'objectif est
d'entraîner les robots à travailler en coopération
avec des humains dans des conditions simulant l'environnement lunaire
ou martien. Le robot aide le scientifique à analyser les
sols, à porter des équipements, à réaliser
des tâches de construction et de maintenance d'installations(4).
Au Johnson Space Center de Houston, des chercheurs développent
Robonaut, un astronaute robotisé qui peut
utiliser divers outils et dépasser en performance n'importe
quel astronaute lors d'une marche dans l'espace. De même le
SCOUT, engin de transport lunaire développé par la
Nasa, pourra véhiculer des astronautes mais aussi potentiellement
se comporter de façon autonome.
La Nasa a lancé récemment deux concours pour encourager
le secteur privé à développer des robots autonomes.
L'un devra assembler des structures avec le minimum d'interventions
humaines. L'autre devra suivre un plan de vol et toucher terre en
certains points pour prélever des échantillons de
sol. .
Il va sans dire que de tells robots pourront trouver très
vite des applications sur Terre, dans les hôpitaux, les écoles
et les locaux d'habitation. Leur capacité à se passer
de plus en plus des interventions humaines fera peur à certains,
mais leur vaudra beaucoup d'intérêt de la plupart de
leurs futurs utilisateurs et commensaux. Avec l'assistance des robots,
les humains seront beaucoup plus efficaces et, en contrepartie,
les robots entourés d'humains se perfectionneront (s'humaniseront)
rapidement(5).
Nous
n'avons ici qu'un regret à formuler, c'est que ce que nous
venons de résumer dans cet article ne soit pas encore compris
en Europe. L'exploration spatiale intéresse peu les Européens
et la robotique autonome encore moins. Il faudrait réagir
(voir encadré in fine).
Pour
en savoir plus
Les nouvelles générations de robots
La
revue NewScientist, dans son numéro du 4 février
2006, présente un Dossier consacré aux nouvelles
générations de robots développées
dans les pays qui s'intéressent à cette science
et financent les recherches (Ne cherchez pas, ce n'est pas en
France).
L'objectif
est de réaliser des robots bien plus aptes que les robots
actuels à construire des relations avec les humains. Il
est certain que les robots aspirateurs ou même les humanoïdes
tels que l'Asimo de Honda ne sont pas très engageants,
car leurs possibilités physiologiques sont limitées
et surtout ils ne sont pas capables d'autonomie. Aujourd'hui,
les progrès foudroyants des nouvelles technologies de la
robotique et de l'IA forte (strong IA) permettent de réaliser
des entités qui se comporteront de plus en plus comme des
égales et des partenaires de l'humain, même si leurs
aspects physiques restent différents. Ce qui compte pour
l'homme est de pouvoir entrer en empathie avec un androïde.
A cet égard il est plus important de le voir marcher ou
de l'entendre parler comme nous, que de lui trouver un physique
agréable mais inerte.
Le
dossier présente un certain nombre de robots manifestant
des progrès substantiels dans les 3 disciplines suivantes:
-
la marche sur deux jambes avec auto-apprentissage
de l'équilibre. Citons le marcheur bipède Cornell
de l'université du même nom, le robot Denise, doté
de genoux, contrairement au précédent, réalisé
à l'université de technologie de Delft, le Toddler
du MIT. Tous pourront avoir des applications en prothèses
pour handicapés.
- la parole. Citons le Waseda Talker de l'université
Waseda au Japon.
- la dextérité manuelle dans la
manipulation des objets même très petits. Citons
le plus révolutionnaire de tous, le Robonaut de la Nasa,
et visant à seconder les hommes dans les missions spatiales.
Le Robonaut s'inscrit dans une lignée de collatéraux,
notamment le Dexter de l'université du Massachusets et
le Domo du MIT.
Inutile
de dire que ces robots sont l'aboutissement d'études approfondies
de biomécanique permettant de comprendre comment les humains
ont au cours de l'évolution acquis la maîtrise des
comportements correspondants. Mais dans aucun cas, il ne s'agit
de copier l'homme. Il faut inciter le robot à redécouvrir
lui-même comment utiliser les dispositifs dont il est doté
par les ingénieurs pour interagir avec des commensaux humains.
Notes
(1)
L'exploration spatiale est considérée
comme l'apothéose de l'aventure humaine sur la Terre. Elle
permet à l'Homme de commencer à quitter le milieu
où il est apparu il y a un million d'années et d'aborder
des rives inconnues. A travers l'homme, elle permet l'expansion
de la vie et de l'intelligence dans le cosmos. C'est donc une nouvelle
aventure qui s'ouvre, et nul ne peut dire où elle s'arrêtera
car les frontières de l'espace semblent reculer d'année
en année. Mais,
bien évidemment, les hommes sans les machines ne pourraient
que rêver. Ils devront s'appuyer sur les technologies extraordinaires
qu'ils ont mises au point depuis cinquante ans.
On
connaît les plus importants des auxiliaires de l'homme dans
l'espace. Ce sont les lanceurs (fusées) et les moteurs de
plus en plus puissants (cryogéniques) qui les propulsent,
les centaines de satellites qui tournent autour de la Terre, parmi
lesquels se trouve la Station Spatiale Internationale et le télescope
Hubble, les sondes qui quittent l'orbite terrestre pour explorer
le système solaire, les « orbiteurs » qui circulent
autour des astres proches pour les observer et y envoyer des instruments.
La
plupart des missions spatiales sont automatiques, mais certaines,
dès les origines, ont emporté des équipages.
Ce fut en 1961 le Russe Youri Gagarine, suivi des premiers américains.
Les missions Apollo ont permis le débarquement américain
sur la Lune en 1967. Malheureusement, l'exploit ne fut pas renouvelé
car jugé trop coûteux et inutile. Par contre, depuis
cette date, de nombreux cosmonautes de divers pays ont été
envoyés en orbite, pour des missions de quelques jours à
six mois. Aujourd'hui, les Etats-Unis ont planifié un retour
sur la Lune à échéance d'une dizaine d'année,
qui devrait précéder une opération autrement
difficile et risquée, un débarquement humain sur Mars.
La Chine et peut-être le Japon viseront très probablement
aussi la Lune dans la décennie qui vient. Pourquoi pas l'Europe
? 
(2) Cependant, contrairement
à ce que l'on croit, les robots n'ont pas jusqu'ici joué
un rôle très important dans l'aventure spatiale. Ceci
pour une raison simple, c'est qu'ils commencent seulement à
être véritablement efficaces, en acquérant de
l'intelligence et de l'autonomie. De tels robots, que l'on qualifie
de robots autonomes, sont partout encore en cours de développement
dans les laboratoires. Mais ils arrivent…
Ce que l'on appelait robot il y a quelques années n'était
pas autre chose qu'une machine un peu complexe téléguidée
de la Terre. C'était le cas des premiers robots martiens,
les deux Viking des années 1970 et le Mars Pathfinder de
1997. C'est presque encore le cas des deux robots en opération
sur Mars aujourd'hui, Spirit et Opportunity. Certes, ces robots
ont étonné le monde entier par leur résistance
à l'atterrissage, les photos qu'ils ont prises en se déplaçant
sur des sols accidentés, leur longévité. Mais
sur le plan de la robotique, ils n'ont pas grand-chose de ce qui
fera le robot spatial de demain, c'est-à-dire la capacité
à se comporter seul, comme le ferait un homme. Il ne s'agit
encore que des versions spatiales des robots utilisés dans
l'exploration des fonds marins, qui restent toujours sous contrôle
d'un navire de surface. 
(3)
Il est évident que plus le robot sera capable de se comporter
de façon intelligente et réfléchie, plus il
sera utilisé. Pourquoi ? Simplement parce que l'homme est
trop fragile et trop précieux pour pouvoir être chargé
des multiples tâches qui s'imposeront dans les futures missions.
On réservera les équipages humains aux travaux où
ils seront vraiment irremplaçables. Même lorsqu'on
enverra des hommes dans l'espace, on les entourera d'une escorte
de robots qui seront pour eux des auxiliaires indispensables. 
(4)
Pour quoi faire ? Le premier besoin consiste
à surveiller et si possible réparer les lanceurs,
satellites et vaisseaux spatiaux. On a vu lors des derniers vols
de la navette que l'équipage ne pouvait pas intervenir à
l'extérieur de celle-ci pour observer les défauts
qui se révèlent et remplacer les parties défectueuses.
De petits robots pourraient le faire, soit au bout de « bras
manipulateurs » soit en orbite autour du vaisseau. Même
des opérations plus complexes, comme la maintenance du télescope
Hubble ou celle des sondes d'exploration du cosmos, pourraient dans
l'avenir être confiée à des robots ou assistés
par eux. N'oublions pas non plus que, dans l'avenir, des robots
médicaux pourront intervenir pour secourir des hommes en
difficulté lors de vols de longue durée.
Les
futures missions auront par ailleurs besoin de construire des bases
sur les planètes explorées : entrepôts, abris,
usines à fabriquer du combustible à partir des ressources
locales. La construction et la maintenance de ces bases seront presque
entièrement confiées à des robots assembleurs,
mécaniciens, chimistes… Les hommes ne s'y aventureront
que lorsque les robots auront fait l'essentiel du travail.
Un
deuxième grand besoin, celui auquel tout le monde pense,
concerne l'exploration des planètes, la Lune et Mars pour
commencer. Un bon robot d'exploration devra savoir faire plusieurs
choses : se déplacer sur des sols accidentés, le cas
échéant utiliser l'atmosphère martienne pour
survoler les terrains inabordables par la voie terrestre, observer
le plus de choses possibles y compris des objets ou situations inattendues,
contourner les obstacles sans prendre de risques inutiles, etc.
Ceci supposera le recours à des robots de formes diverses,
au-delà du banal robot à roues : robots marcheurs,
robots rampants, robots volants. On envisage de faire appel à
plusieurs solutions conjointement. Par exemple un grand robot principal
ou maître qui pourra se faire escorter par de petits robots
en essaim, plus économiques et plus souples. On parle même
de plus en plus de « poussières intelligentes »,
c'est-à-dire de très petits robots (quelques millimètres)
qui seraient lâchés par le robot maître dans
des grottes ou zones inconnues. Le robot maître lui-même,
qui serait débarqué sur la planète, devrait
rester en liaison avec des robots en orbite embarqués sur
la capsule ou orbiteur. Cette dernière représenterait
le centre nerveux de la mission, opérant loin de la Terre
de la façon la plus autonome possible. (image Esa: le futur
rover robotisé Exomars de l'Agence spatiale européenne,
Esa). 
(5)
Mais c'est dans la réalisation de ce que l'on appelle aussi
des automates intelligents ou cognitifs (capables de conscience)
que reposent les plus grands espoirs des roboticiens qui préparent
les futures explorations spatiales. On espère disposer dans
un délai de 2 à 5 ans de robots disposant des facultés
intellectuelles d'un enfant de 5 ans. Ces facultés intellectuelles
seront alimentées, ne l'oublions pas, par des organes des
sens (capteurs sensoriels) infiniment plus puissants que ceux dont
disposent les enfants des hommes. De même leurs organes effecteurs
pourront faire infiniment plus de choses qu'un humain. Ceci voudra
dire que ces robots auront conscience d'eux-mêmes et du milieu
dans lequel ils agiront en utilisant d'innombrables données
fournies en temps réel par leur corps robotique. Ils pourront
donc assez vite apprendre à éprouver des sentiments
: volonté de découvrir et de réussir, désir
de travailler en groupe avec les homologues, mais aussi peur, génératrice
d'une nécessaire prudence…
Mais
pourquoi le robot spatial devra-t-il penser et ressentir de façon
autonome ? Parce que ces robots, machines coûteuses, livrées
à elles-mêmes loin de la Terre, n'auraient aucune chance
de survivre longtemps si elles n'avaient pas ces qualités
typiquement humaines. On voit ici que les programmes spatiaux seront
le moteur qui tirera dans les prochaines années les progrès
de la robotique et qu'à l'inverse, les progrès de
la robotique multiplieront sans limites définissables aujourd'hui
les progrès de l'exploration de l'espace et du cosmos. 
Pour un pôle
technologique français Robotique Autonome
En
France, les rares universitaires qui voudraient développer
des prototypes de robots autonomes ne peuvent recevoir aucun
financement de l'Etat. Il existe certes des organismes qui
réalisent des pièces et des morceaux, mais
cela ne permet pas de créer des filières durables.
Le secteur privé, pour sa part, ne s'y intéresse
pas. Il est donc impossible d'obtenir des capitaux, même
modestes, afin de créer une start-up dédié
à la robotique autonome évolutionnaire, sur
le modèle de ce qu'avait fait Rodney Brooks et bien
d‘autres inventeurs aux Etats-Unis.
Ne pourrait-on cependant envisager la création d'un
pôle technologique ou de compétitivité
sur le thème de la Robotique autonome, qui rassemblerait
les nombreuses entreprises pouvant bénéficier
d'un noyau de recherche commune : entreprises du secteur
de l'armement, entreprises industrielles, entreprises d'exploration
pétrolière et océanographique, robotique
médicale, robotique civile et de loisirs, jeux électroniques,
gestionnaires de réseaux et de moteurs de recherche.
L'Etat pourrait prélever sur les dotations des deux
agences qui viennent d'être créées pour
encourager la Recherche Développement de quoi apporter
sa part à ce thème. On éviterait ainsi
de voir partir aux Etats-Unis, au Japon et bientôt
en Chine tous les thésards qui ont choisi ce sujet
d'études.
|
© Automates Intelligents 10/03/2006
Capitalisme,
patriotisme industriel et industries stratégiques
par Jean-Paul Baquiast, 18/02/06
L'opinion
française a découvert, suite à la perte de
Péchiney repris par Alcan, puis aux menaces d'OPA hostile
sur Danone et aujourd'hui sur Arcelor, que des entreprises, ayant
certes souvent leur siège hors de France mais participant
directement au potentiel industriel du pays, pouvaient être
rachetées du jour au lendemain par des concurrents extérieurs
à l'Union européenne et peu soucieux de maintenir
en Europe des activités stratégiques. Cette prise
de conscience a entraîné, en ce qui concerne la France,
et après de nombreuses discussions avec la Commission européenne,
une première réaction. Ce fut la prise d'un décret
visant à protéger les plus importantes des activités
de défense(1).
Le gouvernement français étudie par ailleurs différentes
mesures destinées à consolider si faire se pouvait
l'actionnariat des entreprises nationales. Mais le danger demeure.
Des entreprises considérées comme le fleuron de l'industrie
et de la recherche européenne, notamment dans le secteur
aérospatial, restent "opéables".
Cela
tient d'abord à ce que les Etats ont vendu leurs participations
anciennes dans leur capital. Ce phénomène dit de privatisation
a été général en France depuis les années
1990. Par ailleurs, la faible importance des fonds d'épargne
et de pension privés européens n'offre aucune
résistance aux grands fonds de pensions ou aux fonds spéculatifs
opérant à partir des Etats-Unis et de plus en plus
à partir de pays émergents, aux fortes liquidités,
comme la Chine. Enfin, l'épargne populaire européenne,
qui n'est pas négligeable (pensons aux réserves
des Caisses d'Epargne en France) n'est pas considérée,
libéralisme oblige, comme susceptible de prendre des participations
dans les entreprises stratégiques. L'actionnariat salarié
enfin est trop marginal pour jouer un rôle défensif
sérieux.
Devant
la menace, les directions des entreprises stratégiques cherchent,
en renforçant leur culture d'entreprise, à fidéliser
moralement leurs actionnaires. Mais elles restent hostiles à
d'éventuelles recapitalisations à base de capitaux
publics, que d'ailleurs aucun des Etats qui sont tous confrontés
à des déficits importants ne leur offre. Elles ne
demandent pas non plus de mesures de protection de type réglementaire.
Elles font valoir qu'elles s'adressent aux marchés
internationaux et que toute intervention d'un Etat européen
en leur faveur se paierait par des mesures de rétorsion des
gouvernements dont elles espèrent obtenir de grands contrats.
Ces mesures de rétorsion prendraient la forme d'aides
compensatoires versées à leurs concurrents, de plaintes
à l'OMC ou devant l'Union européenne,
voire de contre-mesures plus occultes mais tout aussi destructrices.
Nous ne voulons pas citer ici les entreprises françaises
qui tiennent ce discours. Mais elles sont nombreuses. Pour elles,
le concept de « patriotisme économique », évoqué
il y a quelques semaines par le Premier ministre, est soit vide
de sens soit dangereux
Est-ce
à dire que, dans les domaines stratégiques, et particulièrement
en ce qui concerne les industries spatiales, cette pensée
unique économique et politique, généralement
reprise par les médias, en France et en Europe, soit bien
raisonnable. Il semble faire fi d'une réalité qui
saute aux yeux quand on y regarde de plus près. Tous les
domaines stratégiques, de sécurité et de défense
d'abord, mais aussi ceux intéressant les industries aérospatiales
civiles, l'atome, l'énergie, bénéficient d'une
protection « invisible » et parfois visible des grands
Etats. En d'autre terme, le discours économique dominant,
selon lequel la mondialisation impose la dérégulation
et la non-intervention aux Etats, est un faux-semblant qui ne trompe
que ceux assez naïfs pour y croire.
Un
certain nombre d'économistes, même en France, pays
très libéral, commencent à s'en rendre compte.
Ceci les conduit à penser que le libre jeu des marchés,
sous la pression permanente des spéculations financières,
est en train de détruire le capitalisme traditionnel en lui
enlevant la capacité de s'investir dans le long terme et
d'enrichir non seulement les actionnaires mais les nations. Mais
peut-on empêcher l'auto-destruction du capitalisme sans un
retour mesuré à l'intervention publique, afin de faire
valoir un minimum de patriotisme industriel? C'est certainement
dans le cas des industries dites stratégiques que la question
se pose avec le plus d'actualité. Un peu de réalisme
montre en fait que dans ce cas les grands Etats ont toujours protégé
leurs champions industriels. Les pays européens d'aujourd'hui
auraient tort de l'oublier.
Le
capitalisme est-il en train de se détruire ?
Pourquoi
cette question ? Trois économistes français ont récemment
écrit des ouvrages de mise en garde concernant l'avenir du
capitalisme. Il s'agit de Elie Cohen (Le nouvel âge du capitalisme,
bulles, cracks et rebonds, Fayard 2005), Patrick Artus et Marie-Paule
Virard (Le capitalisme est en train de s'auto-détruire, La
Découverte 2005) et Jean Peyrelevade (Le capitalisme total,
Seuil 2005). Nous allons les résumer rapidement, car, sans
épuiser le thème que nous voulons traiter, ces ouvrages
apportent des éclairages indispensables.
Pour
Elie Cohen, le capitalisme a récemment traversé une
crise grave, marquée par l'éclatement de diverses
bulles (notamment la bulle Internet) et des kracks retentissants.
Cette crise a résulté de la pression spéculative
des actionnaires et des évaluateurs, entraînant la
diminution de l'efficacité des processus internes et
externes de contrôle de l'activité des dirigeants.
S'y est ajoutée la démission des autorités
publiques régulatrices des marchés. Cela a donné
les crises « historiques » de Vivendi en France, Enron
et Worldcom aux Etats-Unis, provoquant la ruine des salariés
et des actionnaires respectifs. Mais cette crise qui a culminé
en 2002, n'a pas provoqué de crise générale
analogue à celle de 1929. Elle a été résorbée
du fait de la réactivité du capitalisme financier
à l'américaine. Le rôle devenu prédominant
de celui-ci dans la détermination des stratégies industrielles
réduit les risques en les diffusant mais il les aggrave en
favorisant la spéculation. La situation est donc loin d'être
stabilisée, même si de nouvelles procédures
de contrôle externe sont en cours de mise en place dans certains
pays. Que peuvent alors être de nouvelles logiques de contrôle,
comment réduire les risques sans diminuer les capacités
d'innovation ? La question est posée d'abord
aux gouvernements et aux grandes institutions financières
internationales. Elie Cohen semblerait pour sa part assez favorable
à des interventions des Etats favorisant les investissements
à long terme, afin de protéger les entreprises du
CAC 40 (voir son article dans Le Monde du 15 février 2006,
Après Arcelor, tout le CAC 40 à l'encan http://abonnes.lemonde...934122).
Patrick
Artus et Marie Paule Virard font le constat qu'au moment où
les grandes entreprises de la planète, y compris en France,
affichent des profits élevés, rémunèrent
confortablement leurs dirigeants et distribuent des dividendes importants
à leurs actionnaires, la croissance économique stagne,
les délocalisations se multiplient, chômage et précarité
s'aggravent. Ils se demandent dons si le capitalisme n'est pas de
plus en plus vulnérable, sa prospérité actuelle
cachant un vice profond. Pour eux, la crise du capitalisme n'est
pas seulement due à la faillite des autorités traditionnelles
de contrôle. Elle est beaucoup plus systémique c'est-à-dire
liée à l'organisation même du capital. On est
progressivement passé d'un capital détenu par des
familles industrielles soucieuses d'investissement à long
terme à un capital détenu par des actionnaires, et
notamment par des fonds de pension spéculatifs, soucieux
de rentabilité à très court terme (15% en 18
mois, sinon rien). Ceci empêche la prise en compte de l'investissement
d'intérêt général à 15 ans ou
20 ans, dut-il se traduire dans l'immédiat par des pertes.
Du coup, les entreprises privilégient le rendement à
trois mois plutôt que des retours à long terme, quitte
à délocaliser, à faire pression sur les salaires
et à renoncer à créer des emplois durables.
Or aucune activité ne peut vivre avec un horizon limité
à 18 mois. Le capitalisme est devenu sans projet, ne fait
rien d'utile de ses bénéfices, n'investit pas pour
préparer l'avenir. Face à ce phénomène,
les gouvernements ne traitent que les symptômes. Ils ne cherchent
pas à réformer la gestion de l'épargne, imposer
de nouvelles règles de gouvernance aux gérants comme
aux régulateurs, définir de grands programmes structurants.
La crise du capitalisme est en vue, avec toutes ses conséquences
politiques et sociales. Les auteurs n'abordent pas particulièrement
le secteur aérospatial, mais leurs analyses s'y appliquent
particulièrement bien.
Pour
Jean Peyrelevade le diagnostic est assez voisin. Il s'appuie
sur la constatation de la fin des deux modèles européens
marqués par des cultures nationales, le modèle Rhénan
des grandes entreprises familiales et le modèle du capitalisme
de service public à la française. Le capitalisme moderne
est désormais organisé comme une gigantesque société
anonyme. A la base, trois cents millions d'actionnaires contrôlent
la quasi-totalité de la capitalisation boursière mondiale.
Souvent d'âge mûr, de formation supérieure, avec
un niveau de revenus relativement élevé, ils confient
leurs avoirs financiers à quelques dizaines de milliers de
gestionnaires pour compte de tiers dont le seul but est d'enrichir
leurs mandants. Les techniques pour y parvenir s'appuient sur les
règles du " gouvernement d'entreprise " et conduisent
à des exigences de rentabilité excessives. Elles transforment
les chefs d'entreprise en serviteurs bien rémunérés
des actionnaires. Ainsi le capitalisme n'est pas seulement le modèle
unique d'organisation de la vie économique mondiale : il
est devenu " total " au sens où il règne
sans partage ni contre-pouvoir sur le monde et ses richesses. Ajoutons
que les interventions publiques à la française, qui
visaient à protéger le capitalisme national des effets
d'une concurrence internationale trop vive, comme à
favoriser les grands travaux et les grands équipements, sont
devenues difficiles sinon impossibles. Nous pensons pour notre part
que ce pessimisme est mal venu. Mais il ne faut pas oublier que
l'auteur a une culture de banquier et n'a sans doute
pas beaucoup approfondi les conflits de puissance entre grands Etats
dans les domaines industriels à haute valeur ajoutée
technologique.
Le
moteur du patriotisme industriel est mondialement utilisé
Aussi
fondés qu'ils semblent être, ces diagnostics
ne sont pas suffisants. Ils oublient la dimension patriotique, voire
nationaliste des entreprises capitalistes qui réussissent.
Derrière l'apparent pouvoir omnipotent des actionnaires se
trouvent des superpuissances en conflit pour la domination mondiale.
Elles prennent du libéralisme ce qui leur convient et l'abandonnent
quand c'est nécessaire. Ce que l'on appelle le "capitalisme"
n'est que l'écran derrière lequel s'organisent ces
compétitions. Il ne peut pas s'auto-détruire car il
n'a jamais existé à proprement parler. Pour le comprendre,
il faut examiner le statut "politique" des trois grandes
catégories d'entreprises mondialisées qui s'affrontent
désormais pour la conquête du monde.
Contrairement
à ce que l'on croit généralement, sous le chapeau
du capitalisme, on trouve en effet des entreprises très différentes.
Elles différent moins par leurs statuts juridiques que par
leurs adhérences nationales et finalement leur mobilisation
plus ou moins grande (inexistante en ce qui concerne l'Europe) au
service d'une volonté «patriotique» de domination
mondiale. On y trouve :
Des
entreprises mondialisées d'origine américaine. Ex.:
Microsoft, IBM, Boeing et toutes celles de l'industrie spatiale
civile et de défense : lanceurs, satellites, stations au
sol, etc. Ces entreprises étendent leurs activités
au monde entier. Dans l'informatique et les services, elles localisent
généralement leurs productions là où
c'est le plus favorable pour elles. Elles tendent à échapper
aux réglementations nationales visant à régulariser
les marchés financiers, protéger les salariés
et fixer l'emploi. Mais leur coeur reste profondément national.
Il ne viendrait à l'idée de personne d'oublier que
IBM ou Microsoft sont, où que ce soit, prioritairement au
service de la puissance américaine. C'est d'ailleurs pourquoi
elles sont accueillies avec une certaine prudence dans des pays
comme l'Inde, soucieux de conserver leur indépendance. Le
patriotisme, sinon le nationalisme, reste encore plus la règle
dans la défense et l'aérospatial, où la localisation
demeure la règle. Il s'agit d'une précaution de simple
bon sens. On verrait mal les fournisseurs des nombreux satellites
militaires commandés par le département de la défense
s'installer en Amérique Latine ou en Asie. De même,
les industriels étrangers qui voudraient prendre des parts
dans leur capital se verraient opposer les divers Patriot Acts réglementant
les acquisitions d'action.
Plus
généralement, il serait faux de penser que les entreprises
américaines, même délocalisées en partie,
ont perdu le sens du patriotisme économique. Il existe un
subtil accord entre les cadres dirigeants, les actionnaires et les
responsables politiques américains pour maintenir et étendre
la « domination globale américaine » au reste
du monde. Ces entreprises bénéficient donc en priorité,
sinon exclusivement, des contrats d'achat et des contrats
de recherche du gouvernement fédéral américain.
Elles reçoivent par ailleurs un appui total des services
d'information économique et des représentations diplomatiques
américaines. Ceci les aide considérablement, notamment
pour maintenir un très haut niveau de compétences
technologiques grâce à leur participation à
de grands programmes publics (en majorité de défense)
finançant leur Recherche/Développement (R/D). On pourrait
parler en ce qui les concerne d'un « capitalisme mondialisé
sous contrôle national ou de Sécurité Nationale».
C'est ce qu'exprime, dans le domaine spatial, le concept
de Space Control. Il s'agit d'empêcher, par quelque
moyen que ce soit, des entreprises concurrentes non américaines
de prendre des avances technologiques substantielles aux dépends
des entreprises nationales.
Cela
ne veut pas dire que le capitalisme de Sécurité Nationale
à l'américaine sache toujours tenir compte des
intérêts de long terme, que ce soit ceux du monde ou
même ceux de la société américaine. On
le voit actuellement. Le CMI (complexe militaro-industriel) préfère
les contrats d'achats de matériels militaires au financement
de grands programmes spatiaux. Le coût de la guerre en Irak
(estimé à près de 1000 milliards de dollars
sur 5/8 ans), ne permet pas d'augmenter le budget de la Nasa,
plafonné à quelques 18 milliards par an. Pourtant
le programme fixé par G.W. Bush, Retourner sur la Lune et
aller ensuite sur Mars, mériterait mieux. Avec quelques dizaines
de milliards en plus, la Nasa atteindrait sans doute cet objectif
en 15 ans plutôt qu'en 30 ans.
Face à ce premier groupe d'entreprises et les défiant
directement dorénavant, on trouve et on trouvera de plus
en plus des entreprises mondialisées asiatiques. Elles résultent
de la montée en puissance très rapide des grands pays
asiatiques où le patriotisme national ne cesse de se renforcer,
Chine, Inde, Corée du Sud. Leur statut juridique est difficile
à comprendre. Ce sont souvent, notamment en Chine, des entreprises
publiques. Mais les influences familiales y sont fréquentes.
On y ajoutera les entreprises de pays aux traditions industrielles
plus anciennes, où la composante nationaliste est elle aussi
de plus en plus présente: Japon, Russie. …Ces entreprises
sont particulièrement redoutables pour les précédentes
car elles jouent à fond la mondialisation et la dérégulation
quand ceci leur est utile, tout en faisant appel si nécessaire
à tous les ressorts de l'intervention économique et
politique de l'Etat lorsque elles se trouvent dans une situation
difficile. Aussi bien, il est difficile de les croire quand elles
affirment que la recherche du profit est leur seul moteur. Il n'y
a pas besoin d'analyses approfondies pour voir qu'elles sont animées
d'un fort patriotisme. Ceci leur permet d'être des partenaires
privilégiées dans les programmes publics de R/D, ainsi
que de bénéficier des achats publics dans les pays
respectifs. Elles sont soutenues à tous moments (comme les
entreprises américaines) par les représentations diplomatiques
de leurs gouvernements. Sous une apparence capitaliste libérale,
ce sont en fait de bons soldats des patriotismes nationaux.
L'exemple
est particulièrement visible dans le cas des programmes spatiaux
de tous les nouveaux entrants : Chine, Inde, Japon, Brésil,
Corée du Sud. Comme le remarque François Auque dans
son intervention devant le club Stratégia, reprise dans ce
numéro, aucun de ces pays n'acceptera d'acheter
des systèmes spatiaux à l'étranger. Ils
veulent des industries implantées sur leur sol, travaillant
avec leurs citoyens et, évidemment, non opéables.
Nous
avons donc au niveau du monde l'affrontement entre deux types de
patriotismes capitalistiques, l'américain et l'asiatique.
Qui sera le plus fort? L'américain dispose de l'immense avance
technologique que l'on connaît, mais l'asiatique rattrape
son retard à grand pas (sans compter le fait que la technologie
américaine repose sur 40 à 50% d'immigrés de
très haut niveau d'origine asiatique dont la fidélité
à la bannière étoilée ne sera pas sans
faille à l'avenir). De plus, les entreprises asiatiques disposent
d'un avantage économique considérable. Elles s'appuient,
contrairement aux entreprises américaines et européennes,
sur d'immenses ressources en main d'œuvre qui ne
leur coûtent pas grand-chose. Elles n'ont donc pas besoin
de se délocaliser pour comprimer leurs coûts salariaux
et accroître la flexibilité du travail. On ne leur
reprochera pas non plus de créer du chômage car même
si elles se comportent en employeurs sans pitié, tout ce
qu'elles font contribue en dernier ressort à diminuer
le chômage endémique des pays dont elles proviennent.
Ces entreprises jouent donc sur tous les tableaux et commencent
de ce fait à provoquer la crainte des défenseurs du
capitalisme mondialisé américain lui-même, comme
le montre le changement d'ambiance significatif qui s'est
manifesté cette année au Forum économique de
Davos.
Entre ces deux grands groupes d'entreprises, on trouve encore (pour
combien de temps?) des entreprises mondialisées d'origine
européenne. Ex. : Arcelor, Nokia, EADS…Elles ne sont
en rien comparables aux entreprises asiatiques. Elles ressemblent
beaucoup aux entreprises américaines, sauf sur un point capital:
elles sont orphelines d'une tutelle politique forte, d'un pouvoir
qui s'appuierait sur elles pour survivre. Ceci pour une raison simple,
qui est l'inexistence à ce jour d'une puissance politique
européenne dont les entreprises pourraient être les
bons soldats. Nous pourrions dire alors d'elles qu'elles risquent
de tomber, du fait de l'ignorance stratégique de beaucoup
de dirigeants européens, dans le piège du capitalisme
libéral dont on leur impose d'appliquer les contraintes
même si cela devait entraîner leur perte. Comme les
précédentes, elles étendent leurs activités
au monde entier et localisent (ou tentent de localiser) leurs productions
là où c'est le plus favorable pour elles, y
compris hors d'Europe. Elles font tout ce qu'elles peuvent pour
échapper à ce qui reste des réglementations
nationales visant à régulariser les marchés
financiers, protéger les salariés et fixer l'emploi.
Elles risquent de sacrifier ce faisant leurs bases arrières,
notamment en ressources humaines. Si l'Europe n'a pas l'avance technologique
massive des Etats-Unis ni les réserves en population des
pays asiatiques, elle dispose encore de quelques atouts, tant sur
le plan des compétences que des effectifs de population.
Mais des entreprises européennes acharnées à
copier le modèle américain sans les ressources de
l'Asie n'en feront pas le meilleur usage possible.
On
peut leur trouver des excuses. Les anciens modèles nationaux
de capitalisme patriotique, capitalisme familial ou capitalisme
public protégé à la française, ne sont
plus là pour les empêcher de "passer à
l'ennemi", c'est-à-dire se vendre à la concurrence
extérieure. Au contraire, les gouvernements européens
semblent faire tout ce qu'ils peuvent pour les pousser dans les
bras d'un capitalisme international dont l'avenir de l'Europe est
le moindre des soucis: ventes à des fonds étrangers
des actifs des entreprises publiques françaises dans le cadre
des privatisations, hostilité de la Commission européenne
à tout effort de regroupements entre entreprises européennes
sous prétexte de lutter contre les monopoles, indifférence
superbe aux rachats par les Américains ou les Asiatiques
d'activités que nos concurrents jugeraient stratégiques
(par exemple dans les chantiers navals et l'armement terrestre,
l'électronique de sécurité et de défense,
etc.). De plus, l'origine européenne de ces entreprises ne
leur apporte le plus souvent que des contraintes. Notamment, elles
ne disposent que de très peu d'aides à la R/D,
faute de grands projets européens mobilisateurs eux-mêmes
en panne généralisé de financement. Elles ne
jouissent d'aucun avantage lors des appels d'offres publics, au
contraire. Elles sont systématiquement mises en concurrence
par des donneurs d'ordre recherchant les offres les plus basses,
souvent aux dépends des performances...Dans ces conditions,
il est de plus en plus vain de compter sur un quelconque patriotisme
européen de leur part. Certaines n'hésiteront
pas à « trahir » leurs actionnaires traditionnels,
leurs salariés, leurs consommateurs et finalement leurs cultures
nationales. Elles deviendront évanescentes ou sans racines
au plan du patriotisme culturel. C'est ce que déplore
Elie Cohen dans l'article du Monde précité.
Elles
n'acquièrent pas non plus, quand elles sont issues
de plusieurs Etats européens, de culture ou de patriotisme
européen, car ces concepts n'existent pas encore suffisamment
pour les porter. Il est évident que, pénétrés
de l'idéologie libérale propagée par la superpuissance
américaine (qui ne l'applique qu'aux autres et
se garde généralement d'y recourir en ce qui
la concerne), ni les Etats européens ni l'Union européenne
n'encouragent les entreprises capitalistes européennes
de haute technologie à se rattacher à leurs sources
nationales ou européennes. Le plus vite elles apparaîtront
internationales, c'est-à-dire semblables à des entreprises
américaines, le mieux cela sera. Tout ceci défavorise
globalement l'Europe par rapport à l'Amérique.
Pour le voir, il faut comparer les positionnements géopolitiques
d'Arcelor et de Nokia par rapport à ceux d'IBM
et Microsoft. Ce que nous disons ici des entreprises s'applique
aussi évidemment aux cerveaux européens, pour qui
s'expatrier ou se faire engager comme représentants locaux
des concurrents non-européens ne pose généralement
aucun problème de conscience patriotique. Il faut bien vivre,
dit-on.
On
constate cependant des exceptions. Ainsi, dans la suite du capitalisme
de service public à la française, demeurent encore
des entreprises qui ont su se donner une compétitivité
internationale tout en acquérant des racines et un patriotisme
européen. C'est le cas de certaines des filiales de
EADS, notamment Airbus Industries ou de EADS.Space . Mais ce patriotisme
européen découle en partie du fait que ces entreprises
sont en compétition directe avec leurs concurrentes américaines
et qu'il s'ensuit une sorte de match mondial qui intéresse
l'opinion. Mais pour combien de temps ? Et encore, le phénomène
joue surtout au profit de Airbus contre Boeing. On sent bien que,
par ignorance, cette même opinion, si elle devait apprendre
que Arianespace abandonne Ariane ou Alcatel abandonne ses satellites,
faute de contrats, ne verserait guère de larmes.
Dans
ces conditions, que pourraient faire les Européens ?
On
a vu qu'ils sont pris en sandwich entre deux types de capitalismes
mondialisés à forte composantes nationalistes, celui
des Etats-Unis et celui des grands pays asiatiques. Il ne saurait
être question cependant de prôner pour les pays européens,
comme certains partis de gauche en rêvent encore, un retour
à la propriété publique des biens de production
et à un nationalisme économique généralisé.
On sait trop à quelles impasses ont mené ces solutions
pour vouloir y revenir. Elles entraîneraient un appauvrissement
général dont les populations ne voudraient pas. A
l'inverse, on ne pourrait pas accepter, comme le proposent avec
obstination les défenseurs de l'atlantisme, de renoncer à
toute autonomie à l'égard des entreprises américaines
dominantes.
C'est
en mobilisant l'Europe en faveur d'objectifs scientifiques et technologiques
susceptibles d'apporter un bénéfice à l'humanité
toute entière que les Européens pourront sortir des
contradictions du capitalisme actuel. Les programmes possibles ne
manquent pas susceptibles d'améliorer le sort du monde global(2).
Ces programmes nécessitent des entreprises de haute technologie
susceptibles de faire des bénéfices en développant
de nouveaux produits et services. Mais ils nécessitent aussi
et en parallèle des interventions publiques, voire des capitaux
publics prenant en charge les infrastructures qui ne seront rentables
qu'à terme. On en a une parfaite illustration avec les actions
de monitoring de la planète et d'assistance aux populations
découlant de la mise en place de réseaux satellitaires
pour les télécommunications et l'observation (remote
sensing). L'Inde, comme le montre la fiche consacrée à
ses programmes spatiaux présentée dans ce numéro,
en donne un excellent exemple.
Le
tout, pour ce qui nous concerne, devra se jouer sur une base de
patriotisme européen de même que les programmes indiens
ou chinois correspondants se jouent sur la base de leurs patriotismes
propres. Par patriotisme, il ne s'agira pas de développer
des sentiments nationalistes agressifs du type de ceux qui polluent
le sport au plan international. Il s'agira seulement de créer
des réflexes d'équipes se dévouant à
des missions d'intérêt général en y apportant
les valeurs de leur culture nationale mais sans exclure la coopération
avec celles des autres. Le succès d'une entreprise comme
Airbus montre que cela est possible. Il faut étendre ces
réussites à bien d'autres domaines.
Ajoutons,
en ce qui concerne les entreprises, que dans chaque pays européen
se trouve encore un tissu plus ou moins riche de PME et entreprises
innovantes qui s'insèrent le plus possible dans l'économie
globale mais qui restent fixées à des territoires
où elles créent des emplois. Elles appliquent donc
volontairement ou non la carte du patriotisme local. La survie de
l'Europe en tant que puissance économique dépend
en grande partie de la survie d'un tel tissu d'entreprises.
Mais à elles seules, elles ne peuvent remplacer les grandes
entreprises mondialisées européennes de demain, appelées
de nos vœux ici, qui comme Airbus porteraient haut dans le
monde le pavillon de notre patrie commune.
C'est
pourquoi, dans cette perspective, il convient de considérer
les stratégies de souveraineté européenne
dans l'espace comme la pierre de touche et le moteur de tous
les autres développements. Si un patriotisme européen
s'impose, c'est en priorité dans ce domaine.
Les retombées en terme de R/D et de croissance bénéficieront
à toutes les économies européennes, sans exception.
Mais au-delà de ces retombées, ce sera l'image
d'une Europe spatiale en ordre de bataille derrière
ses entreprises et ses laboratoires de haute technologie qui s'imposera
au monde.
Notes
(1)
Nous avons précédemment signalé la parution
au Journal officiel français du 31 décembre 2005 d'un
décret visant la protection des secteurs jugés stratégiques
par l'Etat. Désormais, les "investissements étrangers
réalisés dans ces secteurs seront soumis à
une autorisation préalable" délivrée par
le ministère des finances. De même, une entreprise
française ne pourra plus, sans en référer,
délocaliser une activité sensible à l'étranger.
Ce droit de regard s'applique, en premier lieu, aux domaines soumis
au "secret-défense" tels que la recherche et la
production en matière d'armement ou toute industrie fournissant
le ministère de la défense. Le gouvernement a tenu
à faire figurer dans cette liste les systèmes de technologies
de l'information pouvant être utilisés dans le domaine
civil et militaire. C'est très bien et nous ne sommes pas
de ceux qui s'indignent d'un tel texte. Mais il a été
très mal reçu par la Commission européenne
et divers Etats-membres. La Commission a bataillé pour réduire
la liste des secteurs stratégiques et le gouvernement français
a du s'incliner. Si l'Europe avait existé en tant que puissance,
elle aurait réagi tout autrement, c'est-à-dire comme
les Américains, Chinois ou Russes. Nul n'est intervenu pour
empêcher le rachat par Alcan des activités stratégiques
de Péchiney, désormais délocalisées
hors d'Europe. Et l'acier, notamment les aciers fins? Sont-ils stratégiques?
Evidemment oui. Mais nul n'interviendra sans doute pour empêcher
le rachat d'Arcelor par son concurrent Mittal et la délocalisation
certaine des activités sidérurgiques à haute
valeur ajoutée hors d'Europe, à une époque
où les aciers deviennent des enjeux majeurs de compétition
économique. Qu'en serait-il ensuite d'EADS, d'Alcatel? 
(2)
Lutte contre le réchauffement climatique
et pour les énergies renouvelables, amélioration des
conditions d'accès des pays pauvres aux soins, aux ressources
alimentaires et à l'eau, mise en place de services d'intérêt
général utilisant les possibilités des réseaux
numériques et des systèmes spatiaux, etc. 
© Automates Intelligents 10/03/2006
Vision
de l'Europe spatiale |
Vision
de l'Europe spatiale pour les 20/30 prochaines années
Ce
texte résume la position proposée conjointement par
Automates-Intelligents et L'Union Paneuropéenne en matière
de stratégie spatiale européenne. Il a été
rédigé par Jean-Paul Baquiast. On y trouve de nombreux
liens permettant d'approfondir les questions.
Les décisions relatives au lancement des programmes Galiléo
et GMES dont la presse a rendu compte en fin d'année 2005
ne doivent pas faire illusion. Non plus que la réussite précédente
de l'orbiteur de l'Esa Mars-Express autour de Mars ou l'atterrissage
sur Titan de la sonde Européenne Huygens. La réalité
profonde est que la politique spatiale européenne se porte
mal. Tous les acteurs, institutionnels, scientifiques et industriels
du spatial le savent. Mais pour des raisons différentes,
beaucoup ne le disent pas. Certains veulent conserver des situations
dont ils pensent pouvoir encore bénéficier même
s'ils les savent fragiles. D'autres plus nombreux reculent devant
l'ampleur des réformes qu'ils pensent nécessaires
mais qu'ils jugent pour le moment improbables. D'autres enfin ne
s'expriment pas parce qu'ils croient que les opinions européennes
ne s'intéressent pas à l'espace et que nul décideur
politique, en conséquence, ne les écoutera.
Mais pourquoi la politique spatiale européenne se porte-t-elle
mal, que ce soit au niveau européen ou au niveau français
? Nombre d'arguments explicatifs ont été avancés.
Nous pensons qu'ils sont restés trop techniques et qu'ils
n'ont pas mis suffisamment en évidence le fait qu'il n'y
aura pas de politique spatiale européenne digne de ce nom
si le concept de souveraineté technologique, scientifique
et politique de l'Europe n'est pas davantage affirmé. Or
aujourd'hui, la construction européenne est elle-même
en panne, faute de s'être donné un objectif à
la hauteur des enjeux qui pèsent sur elle, c'est-à-dire
l'affirmation d'une Europe véritablement indépendante
dans un monde multipolaire.
Ici, nous croyons pouvoir affirmer qu'une politique spatiale européenne
extrêmement ambitieuse et visant à assurer en tous
domaines la souveraineté de l'Europe dans l'Espace sera l'un
des meilleurs moyens de conforter la présence de l'Union
dans le cercle très étroit des puissances politiquement
souveraines. Autrement dit, une politique spatiale européenne
visant la souveraineté serait le meilleur moyen d'affirmer
la volonté de l'Europe à l'indépendance et
à la puissance. Il y a 40 ans, Charles de Gaulle avait compris
cela concernant la France. Grâce à ses choix, notre
pays et l'Europe à sa suite comptent encore parmi les puissances
spatiales. La même ambition est à reprendre aujourd'hui
au niveau européen. Cependant la France, s'appuyant sur sa
vieille expérience de l'Espace, ne doit pas attendre que
les institutions européennes ou les Etats-membres se persuadent
de la nécessité d'agir. Elle doit reprendre l'initiative
et pousser à s'organiser avec elle, en donnant l'exemple,
ceux des pays et des institutions européennes qui accepteront
de relever ce nouveau défi.
Précisons à ce stade que l'Espace n'a jamais été
une compétence européenne commune. Son statut est
semblable à celui de la défense. Mais les Etats-membres
qui désirent en faire un domaine de coopération renforcée,
défini par des accords bi- ou multilatéraux, peuvent
le faire. C'est ainsi qu'un certain nombre d'Etats membres de l'Union
Européenne sont membres de l'Agence Spatiale Européenne
(ESA). L'Espace peut relever en ce cas de votes à la majorité
qualifiée, qui évitent le blocage par des Etats refusant
de s'engager dans une politique spatiale européenne.
Depuis quelques années, la Commission européenne,
agissant cette fois au nom de tous les Etats membres, a décidé
de consacrer quelques crédits prélevés sur
ses budgets de recherche (Programmes cadres communautaires de Recherche
)à des programmes engagés au sein de l'ESA. C'est
notamment le cas concernant les programmes Galiléo et GMES.
Il s'agit d'une bonne initiative puisque ainsi les 25 Etats conviennent
de s'unir dans une politique spatiale. Il n'est pas du tout dit
que les Etats jusqu'ici peu motivés ne puissent pas s'intéresser
au domaine spatial. Mais beaucoup reste à faire pour les
convaincre tous de l'intérêt de ces activités.
Le sujet est complexe, les documents à consulter nombreux
et souvent difficiles à interpréter. Dans le cadre
de ce document, nous sommes obligés de simplifier l'argumentaire.
Mais le message peut être résumé simplement.
Nous estimons que la France, qui a toujours eu un rôle d'entraînement
en matière de souveraineté spatiale, doit continuer
à le faire et rallier ceux des Etats-membres qui partageront
ses vues dans la définition d'un programme à 20 ans
précisant clairement les finalités, les acteurs et
les moyens. Pour ce faire, elle doit insister pour que l'Europe
affirme sa présence en tête dans l'ensemble des domaines
au sein desquels se marque la souveraineté spatiale : l'Espace
militaire ; l'Espace des applications civiles, l'Espace scientifique
; l'Homme dans l'Espace.
Nous consacrerons la première partie de cette note à
préciser ces domaines. Dans une seconde partie, nous examinerons
les questions communes liées aux moyens techniques et industriels,
aux budgets et à la coordination.
1.
Les domaines de la souveraineté spatiale
1.1. L'Espace militaire et de sécurité.
Dans un prochain numéro, nous publierons un article plus
détaillé concernant les politiques spatiales en matière
de défense. Bornons nous ici à quelques considérations
générales. La priorité immédiate est
d'assurer la présence militaire de l'Europe dans l'Espace.
Autrement dit, il ne faut pas laisser aux Etats-Unis ni bientôt
à la Chine le concept de full spatial dominance. Si l'espace
doit être militarisé – et il l'est déjà
–, les forces armées européennes doivent y être
présentes, dans toutes les configurations permises par les
technologies. Parler de militarisation de l'Espace fera peur. Mais
il ne devra pas s'agir d'une militarisation de type offensif, par
exemple prévoyant des premières frappes faisant appel
à des vecteurs spatiaux. Il s'agira de moyens d'observation
et de défense dont le rôle serait analogue aux moyens
de dissuasion, y compris nucléaires, dont disposent actuellement
deux pays européens, la Grande Bretagne et la France. Il
s'agira aussi de moyens contribuant à assurer la sécurité
civile de l'Europe face aux grandes menaces naturelles ou de civilisation.
Par ailleurs, la "militarisation" de l'Espace ne devrait
pas signifier que des Etats-majors ignorant souvent le domaine spatial
seront les seuls décideurs en matière de choix technologiques
ou d'emploi. Il faudra trouver des solutions analogues à
celles mises en oeuvre aux Etats-Unis, où les impératifs
stratégiques sont clairement exposés et partagés
par tous les acteurs. Pourra-t-on généraliser ceci
au niveau européen, où les Etats peuvent à
la rigueur s'entendre sur des projets spatiaux scientifiques, généralement
confiés à l'Esa, mais éprouvent encore de grandes
difficultés à s'entendre sur le spatial militaire
et de sécurité? C'est là tout l'enjeu de la
question abordée ici.
Qu'implique
dans ces conditions le concept d'Espace militaire et de sécurité
européen?
1.1.1. Des moyens techniques et scientifiques
-
des infrastructures de lancement et de stations de suivi au sol
(dont l'Europe dispose déjà grâce notamment
à Kourou, mais qu'il faut agrandir);
- des lanceurs de diverses capacités : la filière
Ariane, à ne pas abandonner même s'il faut la faire
évoluer, mais aussi ceux développés par d'autres
Etats européens, notamment l'Italie, ou obtenus par coopération
avec la Russie;
- des satellites d'observation dans les différents spectres
(optique, radar, infra-rouge, etc.) avec les meilleurs définitions
accessibles à la technologie du moment. Déployés
en réseaux, ils pourront, sans compromettre les objectifs
militaires, contribuer à des applications civiles, notamment
en observation de la Terre (dans le cadre du concept précité
dit GMES (Global Monitoring for Environment and Security). Les données
recueillies par ces satellites n'ont d'intérêt que
si elles peuvent être traitées dans des temps très
court par de puissants moyens de calculs et de transmission de l'information
aux centres compétents pour l'utiliser.
- des satellites de télécommunications et stations
au sol capables d'acheminer les débits nécessaires
en protégeant les données.
- d'un système de positionnement par satellites autonome.
Il s'agira de Galiléo mais étendu ou adapté
de façon à satisfaire en premier les besoins militaires,
les besoins civils étant assurés par surcroît,
comme avec le GPS américain.
Or
il faut bien admettre que, en matière de satellites, l'Europe
n'a que le strict minimum, principalement grâce à la
France. Sans tomber dans la profusion de satellites déployés
par les Etats-Unis, il faudrait au moins tripler les effectifs,
préparer dès maintenant les générations
suivantes, harmoniser les modes de recueil et de traitement des
informations afin de les rendre interopérables. Autrement
dit, il faut (autrement que dans les discours) mettre en place le
concept de net centric warfare ou combat infocentré impliquant
les différentes armes des différents pays. On voit
que l'effort a faire est immense, plus d'ailleurs en termes d'organisation
que d'équipement. Ces satellites, rappelons-le devront impérativement
être commandés aux industriels européens (Alcatel,
Astrium, etc.) afin de maintenir leurs compétences dans un
cadre européen.
Faut-il
ajouter à ces dispositifs des systèmes plus sophistiqués
et plus coûteux, dont l'efficacité est parfois contestée,
visant à prévenir les attaques balistiques soit par
des faisceaux laser soit par des missiles? Faut-il envisager également
des satellites dits tueurs ou anti-satellites, à but au moins
défensif (ASATs ou anti-satellites weapons. Voir http://www.fas.org/spp/military/program/asat/)?
Nous pensons que si l'Europe ne se dote pas d'un minimum de dispositifs
destinés à protéger son espace territorial
d'abord, ses systèmes orbitaux ensuite, qu'ils soient militaires
ou civils, elle se mettra à la merci de n'importe quelle
puissance s'étant doté de moyens même rustiques
de brouillage, d'interception ou de destruction. Ce ne sera pas
l'existence de la force nucléaire stratégique à
la disposition de certains pays qui pourra résoudre ces difficultés.
Il conviendrait donc d'étudier et mettre en place de tels
systèmes anti-missiles et anti-satellites tueurs. Les retombées
civiles, comme dans d'autres secteurs, seront considérables
et justifieraient à elles seules les investissements. Comme
toujours, il faudra cependant méditer les échecs relatifs
enregistrés précédemment par les Etats-Unis
et l'URSS dans le développement du concept de guerre des
étoiles. Il faudra développer des systèmes
raisonnables et pragmatiques.
1.1.2.
Une reconfiguration et une légère augmentation des
budgets militaires
Les
budgets de l'Espace militaire ne devront pas être imputés
sur les budgets de recherche, mais sur des budgets militaires et
civils existant dans chacun des Etats, à renforcer en tant
que de besoin. Même si les trois armes (terre, mer, air) se
voient imposer actuellement, notamment en France, des restrictions
budgétaires qu'elles jugent insupportables, elles devront
admettre qu'une meilleure utilisation en commun de certains crédits
leur permettra de financer le spatial militaire à développer.
Des crédits nouveaux devront cependant être ajoutés
provenant d'autres secteurs de l'administration. Ils pourront, mais
très marginalement, être compensées à
terme par les applications civiles de certaines infrastructures.
On considère généralement qu'une somme supplémentaire
de 1 à 1,5 milliard d'euros par an devrait suffire à
couvrir pendant les prochaines années tous les besoins de
défense européens, en assurant par ailleurs le maintien
à niveau du potentiel industriel.
1.1.3. Une reconfiguration des autorités de tutelle et
de commandement
Il
n'existe actuellement, ni en France ni en Europe, contrairement
aux Etats-Unis (CINCSPACE, Commander-in-Chief, United States Space
Command ), d'autorité suprême qui puisse être
responsable de l'Espace militaire, en coordination avec les autres
moyens. Nous reprendrions volontiers ici la suggestion faite par
le rapport de Roger Maurice Bonnet au gouvernement français
en 2002 : créer en France un Comité français
de l'espace, présidé par le Président de la
République, comme il préside un Comité National
de défense. Ce Comité ferait la synthèse entre
les besoins militaires et civils. La France devra demander qu'en
parallèle soit créé entre les Etats-membres
souhaitant s'engager dans cette voie un Comité européen
de l'Espace, composé des chefs d'Etats et présidé
par une autorité européenne reconnue.
Ces
deux comités n'auraient pas pour seule compétence
le domaine militaire, mais celui-ci étant mis en priorité,
les autres domaines seraient conçus de façon à
être le plus possible compatibles et convergents avec lui.
Les
organismes nationaux (CNES en France) ou européens (Esa)
ne perdraient pas leur autonomie mais seraient considérés
comme maîtres d'ouvrage et /ou maîtres d'oeuvre, sous
la tutelle de ces comités, des domaines entrant dans leur
compétence et ayant un impact sur la politique de militarisation
de l'Espace. Il faudra évidemment faire admettre aux membres
de l'Esa que celle-ci puisse intervenir dans le domaine du spatial
militaire (ou tout au moins du spatial dual). L'idée jusqu'ici
admise de spécialiser l'Esa dans le spatial civil et de créer
une autre structure pour coordonner le spatial militaire parait
irréaliste et dangereuse.
Les
structures du commandement européen (non Otan) actuellement
en cours de mise en place devront aussi être organisées
pour assurer un commandement adéquat s'exerçant sur
la conception et le déploiement des systèmes spatiaux
européens.
1.1.4. Une bonne intégration dans la politique d'aide
à la recherche et à l'innovation.
En
France, les deux agences en cours de montée en puissance,
Agence pour l'Innovation industrielle (AII) et Agence Nationale
de la Recherche (ANR), devront être mises à contribution,
chacune dans leurs domaines de compétence, pour encourager
les développements et recherches amont, en liaison avec les
laboratoires et entreprises françaises. Ceci pour éviter
ce qui risque de se produire avec Galiléo : donner du chiffre
d'affaire aux entreprises non européennes, en leur offrant
l'opportunité de développer des produits et applications
civils et militaires.
La même politique de ciblage de la R/D devra être conduite
au niveau européen, d'abord avec le PCRD, puis ensuite, quand
elle entrera en activité, avec l'Agence Européenne
de l'Armement.
1.1.5. La mise en œuvre de politiques industrielles
Il
ne serait pas concevable d'espérer conduire une politique
spatiale européenne, quelle qu'elle soit mais surtout quand
elle s'intéressera au domaine militaire, en laissant les
industriels européens sans protection à l'égard
du marché. Des politiques industrielles de filières
devront être mises en œuvre de bout en bout, depuis le
financement des start-up jusqu'à la garantie de contrats
à long terme aux grands fournisseurs. En contrepartie, les
industriels bénéficiant de cette « protection
» ne devraient pas être autorisés à se
faire acheter par des concurrents non-européens sans l'autorisation
des responsables de la politique spatiale.
Tout ceci, nous ne nous le cachons pas, est aux antipodes de la
pensée économique et politique actuelle. Mais il s'agit
du prix intellectuel à payer pour exister dans le domaine
spatial de défense et de sécurité tel que défini
ici.
1.2. Les applications spatiales civiles
On désignera sous ce nom les programmes spatiaux ayant en
priorité la satisfaction des besoins des utilisateurs civils
: télécommunications, diffusion, observations, traitements
des données, géolocalisation, etc. Les besoins vont
se multiplier, dans le monde entier. Le nombre des satellites, stations
à terre, matériels, centres de calcul dédiés
va croître en conséquence. On voit déjà,
outre ce que se fait aux Etats-Unis, de grands et de moins grands
pays développer des programmes très ambitieux. Citons
ce que fait l'Inde:
L'Inde a établi à partir de 1963 un programme
spatial à 40 ans, orienté vers les applications civiles.
Il faut rappeler que le premier acte de ce programme a été
en 1977 l'utilisation du satellite Symphonie acquis auprès
de la France. Toute une série d'applications ont été
définies et progressivement mis en oeuvre : télévision,
télécommunications, observation de la Terre, etc.
Un principe de base est que cela doit être fait en utilisant
et intégrant les ressources scientifiques et industrielles
nationales. C'est le cas notamment en matière de lanceurs
et de satellites.
A la base, des Systèmes d'informations géographiques
spatiaux (SIGS) permettent d'élaborer des politiques de gestion
de l'eau, des terres agricoles, de la sécheresse, des ressources
halieutiques.
Viennent ensuite des applications plus complexes : télémédecine,
télééducation, gestion des urgences et calamités,
secours et navigation en mer, météo. Ainsi en télémédecine
115 hôpitaux sont aujourd'hui organisés en réseau
et peuvent dispenser des télé-soins sur l'ensemble
du territoire rural. Il en est de même concernant les universités.
C'est l'Etat qui prend l'initiative des premiers services. Mais
le point important est que les moyens d'utiliser les données
au service des besoins locaux sont mis en place d'emblée,
parallèlement à l'offre de services. C'est la formule
dite des « Ressources de Village ». Un ou plusieurs
terminaux donnent les informations critiques aux villageois qui
en ont besoin. Ceux-ci, dans un premier temps, les utilisent telles
quelles. Ils interviennent ensuite pour que les services s'améliorent.
L'Europe
s'est déjà engagée, non sans réticences
et lenteurs, dans de tels systèmes, à l'initiative
de l'Esa et avec le soutien de la Commission européenne.
Il s'agit des programmes Galiléo et GMES, Global Monitoring
for Environment and Security' (Pour détails, voir : http://www.gmes.info/
- voir aussi ci-dessous 1.3. L'espace scientifique). Mais
ceci ne doit pas faire illusion. Ces programmes viennent de commencer.
Au rythme actuel leur déploiement durera des années.
Il faudrait dès maintenant, notamment pour GMES, envisager
d'élargir le nombre et la variété des satellites
et des stations de traitement des données impliqués.
Enfin les politiques de soutien à l'industrie, notamment
pour permettre l'émergence de petites sociétés
innovantes offrant des services commerciaux à partir des
données de base (par exemple dans le domaine de la géolocalisation)
commencent à peine à être envisagées.
On
ne voit donc pas, contrairement à ce qui se passe en Inde,
comme indiqué ci-dessus, un grand mouvement de modernisation
des secteurs professionnels publics et privés s'organiser
sur l'ensemble de l'Europe, à partir du déploiement
de réseaux satellitaires avancés. La plupart des décideurs
ignorent même de quoi il peut s'agir. Rappelons que les satellites
militaires évoqués dans la rubrique précédente
pourraient participer à ce mouvement.
1.2.1.
Ces applications doivent elles être conçues comme commerciales,
c'est-à-dire rentables ?
Dans ce cas, les investissements correspondants ne seraient entrepris
que s'ils pouvaient à plus ou moins brève échéance
être amortis par des contributions versées par les
utilisateurs publics et privés. A la limite, la responsabilité
des programmes pourrait être déléguée
directement à des concessionnaires privés.
Pour nous, la réponse ne peut être que négative.
Jusqu'à ce jour, aucun pays, même aux Etats-Unis, ne
compte sur les loyers versés par les utilisateurs pour financer
les infrastructures spatiales ou les grands services associés.
Il s'agit bien qu'intéressant le domaine civil, de responsabilités
ressortant, au même titre que les programmes militaires, du
domaine régalien. Elles concernent directement la sécurité
nationale et les grands services publics. D'où la proposition
de soumettre les décisions à prendre aux Conseils
nationaux et européen de l'Espace mentionné dans la
section précédente.
Certes, si certaines prestations peuvent être facturées
à des utilisateurs solvables, il n'y a pas de raison de ne
pas le faire. De même, si certaines entreprises privées
utilisent les données fournies par les services publics spatiaux
pour y ajouter de la valeur et les commercialiser, ce sera parfait.
On se retrouve dans la situation déjà connue depuis
longtemps par les services publics de météorologie.
Mais en aucun cas, ce ne devront être la loi du marché
et la concurrence brutale qui décideront de ce qu'il faudra
faire et comment le faire.
1.2.2.
Budgets
La nécessité d'une planification souple à 15/20
s'impose pour la mise en place des nouvelles infrastructures, comme
en ce qui concerne les réseaux de transport terrestres. Cette
planification devra comporter dès maintenant l'évaluation
et la réservation des crédits publics nécessaires,
apportés par les Etats européens et par l'Union européenne,
1.3. L'Espace scientifique
Contrairement à ce que l'on croit, la part des budgets spatiaux
actuellement consacrée à la recherche est faible.
De plus une part importante de cette recherche, consacrée
à la Station Spatiale Internationale, n'a pas d'intérêt
pratique pour le moment. Plus généralement, pour certains
observateurs, les retombées de recherche fondamentale liées
à l'Espace seraient peu importantes.
Il paraît difficile de retenir ce point de vue qui est bien
trop abrupte. Il signifie seulement qu'il ne faut pas faire reposer
le financement des grands programmes spatiaux sur les seuls budgets
de recherche actuels. Ceux-ci sont déjà largement
sous-dimensionnés en Europe, puisque ils atteignent à
peine les 2% des PIB alors qu'ils devraient dans le cadre des objectifs
dits de Lisbonne dépasser 3% en 2010. Il convient donc de
faire apparaître clairement les objectifs de la recherche
scientifique dans le domaine de l'Espace, le rôle que l'Europe
doit y jouer et les moyens qu'elle doit y affecter. Il ne faut pas
en effet renoncer à mettre la politique spatiale au service
de la recherche fondamentale européenne, y compris en augmentant
les crédits affectés à celle-ci. Mais il faudra
bien choisir les priorités internes à ce type de recherche,
là où l'Espace est irremplaçable.
Jusqu'à présent l'Europe a enregistré des succès
majeurs dans l'observation de la Terre (Envisat, Topex, Jason...)
et dans les sciences de l'univers (Mars Express, Huygens...). Mais
ces succès sont le fruit de décisions prises il y
a plus de 25 ans. Aujourd'hui, les plans d'alors arrivent à
terme. De nombreux grands problèmes mériteraient pourtant
une nouvelle programmation à 10/20 ans. C'est ce qu'on fait
les scientifiques en proposant à l'Esa un programme intitulé
« Cosmic vision » qui prévoie jusqu'à
2025 un échéancier de missions qui pourront donner
lieu à des appels d'offres à condition d'être
financées. Ce qui au delà de 2008, n'est pas le cas
aujourd'hui.
Dans
le domaine des sciences de l'univers, les grandes questions portent
sur :
- l'origine et l'évolution de l'univers. De quoi est-il fait
? Que sont exactement l'énergie noire et la masse noire ?
- les lois actuelles de la physique sont-elles suffisantes pour
comprendre l'univers?
- existe-t-il d'autres planètes de type terrestre hors du
système solaire?
- la vie existe-t-elle ailleurs ?
- quelle est l'influence de l'activité du soleil sur les
planètes (étant rappelé que la Terre ne peut
guère compter maintenant que sur 1 milliard. d'années
d'activité solaire supportable) ?
Or aucune mission n'est actuellement programmée pour répondre
à ces questions, sauf, semble-t-il la sonde Planck en 2006
(?) . On attend les budgets et les programmes. Notamment, l'Europe
lancera –t-elle et quand un télescope orbital pouvant
prendre le relais du vieil Hubble ?
En ce qui concerne les sciences d'observation de la Terre (hydrologie,
biologie, atmosphère, climat, structure interne, tectonique,
magnétisme), la priorité est actuellement de rassembler,
normaliser, retraiter et diffuser l'ensemble des données
obtenues par les moyens d'observation actuels. C'est l'objet du
programme européen Global Monitoring for Environment and
Security' GMES (NB. Pour détails, voir : http://www.gmes.info/).
Mais
poursuivre les observations s'impose. Ce sont les programmes Living
Planet, Cryosat (à reprendre après l'accident d'octobre
2005), GOCE, ADM-AEOLUS, SMOS, Swarm, Météosat 3e
génération, etc. à lancer d'ici 2008. Devrait
suivre en 2012 Earth Care (Earth, Clouds, Aerosol and Radiation
Explorer), mission européo-japonaise et 6e de la série
Living Planet Explorers
(pour détails voir http://www.esa.int/esaEO/SEM9JP2VQUD_index_0_m.html
)
Comme
dans les domaines militaires et civils, une programmation à
10/15 ans - voire au delà - comportant des engagements précis
de financement par les Etats s'impose. Ni l'industrie spatiale ni
les communautés scientifiques et d'utilisateurs concernées
ne peuvent préparer de tels projets sans la sécurité
qu'apporterait cette programmation et ces engagements.
I.4.
L'homme dans l'espace
Dès maintenant, plutôt que regarder faire les Etats-Unis
et la Chine, l'Europe se doit de définir des programmes lui
permettant de s'inscrire en propre dans cette priorité essentielle,
de même que l'ont fait ou vont le faire, derrière les
Etats-Unis et la Chine, le Japon, peut-être l'Inde, sans mentionner
des Etats plus petits. Beaucoup de rapports d'experts considèrent
qu'il ne peut s'agir d'une priorité acceptable pour l'Europe,
compte-tenu de l'irréalisme des perspectives d'exploration
interplanétaire et de leur coût excessif au regard
des retombées. Selon les défenseurs de cette thèse,
seuls les très grandes nations, Etats-Unis, Chine…
continueront dans les prochaines décennies à envoyer
ou envisager d'envoyer des hommes dans l'espace. L'Europe, selon
ces mêmes auteurs, devrait être raisonnable et renoncer
à l'effet d'entraînement qui pousse à imiter
les très grands quand on en a pas les moyens. Elle pourrait
d'ailleurs dans l'immédiat se retirer du budget de la Station
Spatiale Internationale (ISS), qui coûte très cher
à l'Esa.
Nous considérons qu'il s'agit là d'un raisonnement
politiquement inacceptable et scientifiquement non fondé.
Politiquement,
même s'il s'agit d'un rêve à la fois fou et coûteux,
un ensemble géopolitique tel que l'Europe qui déciderait
aujourd'hui de se retirer de la course à la Lune et à
Mars se condamnerait pour 50 ans à un rôle moralement
et psychologiquement subordonné – sans même parler
de la subordination technologique et scientifique. Les éléments
jeunes et dynamiques ne pourront accepter de voir l'ambition extraterrestre
déléguée à d'autres. Il s'agirait en
fait, pensons nous, de l'arrêt de mort de l'Europe puissance
scientifique et technologique. Nous n'avons pas le droit de faire
un tel choix qui pénalisera nos enfants et petits-enfants.
Scientifiquement, par ailleurs, le raisonnement n'est pas fondé.
Tous les ans, de nouvelles technologies apparaissent qui rendront
les voyages interplanétaires plus faciles et moins dépensiers.
Par ailleurs, les avancées de la cosmologie peuvent conduire
à penser qu'à moyen/long terme, le cosmos et donc
la possibilité de s'y déplacer nous apparaîtront
différents de ce qu'ils semblent être aujourd'hui.
Si l'Europe ne s'est pas préparée à tirer parti
des nouvelles visions scientifiques, ce seront d'autres qui le feront.
Rappelons enfin que l'homme dans l'espace sera toujours précédé
et accompagné de robots. Il ne faut donc pas établir
une frontière étanche entre l'homme actuel, l'homme
«augmenté» de demain et le robot humanisé.
L'exploration planétaire sera même un des moteurs les
plus exigeants pour la réalisation de multiples types de
robots de plus en plus autonomes dont les sociétés
développées ont par ailleurs besoin.
En conclusion de ce qui précède, même si l'exploration
humaine de l'espace ne vient pas en première priorité
actuellement pour l'Europe, elle doit être programmée
et financée dès maintenant. La solution la plus simple
et la plus économique sera pour ce faire de mandater l'Esa
afin qu'à partir de son projet Aurora, actuellement orienté
vers Mars, elle s'intéresse d'abord à la Lune, en
parallèle de ce que fera la Nasa.
Ce ne serait que dans ce cadre là qu'il faudrait traiter
la question de la Station spatiale internationale (ISS) et des véhicules
fournis par l'Europe et permettant d'y accéder. La Nasa manifeste
de plus en plus l'intention d'abandonner l'ISS et les vols de navettes
susceptibles de l'approvisionner et la terminer. Elle entend mettre
tous ses moyens sur la vision dite de « retour sur la Lune
». L'Europe ne devrait-elle pas reprendre le programme ISS,
en utilisant des vaisseaux de liaison développés à
partir des capsules russes. Il n'y a en tous cas aucune urgence
pour le moment à afficher le retrait de l'ISS (ce qui fâcherait
d'ailleurs l'Allemagne responsable du module scientifique). Un tel
module, hormis l'étude de la microgravité, pourrait
sans doute dans la perspective d'une exploration planétaire,
jouer un rôle intéressant. Pour le reste, Aurora s'appuiera
évidemment sur les infrastructures et solutions développées
dans le cadre des deux premières priorités, celle
de l'Espace militaire et celle de l'Espace scientifique.
Il reste cependant que l'Europe ne dispose pour le moment d'aucun
des vecteurs qui seront indispensables pour mener des vols robotisés
puis habités autour puis sur la Lune et Mars : lanceurs puissants,
orbiteurs, modules habités capables de se poser et de repartir,
stations au sol capables d'assurer les communications. Elle devrait
tout demander à la Nasa, ce que celle-ci a déjà
fait savoir qu'elle refuserait. Il faudrait donc dès maintenant
programmer, sans doute en coopération partielle avec la Russie,
la mise au point des dispositifs nécessaires. Les dépenses
seront importantes mais les retombées industrielles nombreuses.
Ceci nous conduit à la 2e partie de cette note.
2. Moyens, coopération, budgets
2.1.
Moyens technologiques dits de souveraineté
2.1.1. La propulsion. Lanceurs et moteurs
Les lanceurs
Le refus par les Américains de lancer le satellite franco-allemand
de télécommunications Symphonie en 1973 a conduit
l'Europe à décider de se doter d'un « lanceur
de souveraineté » en 1979. Ce fut une réussite
européenne. Aujourd'hui Arianespace a lancé les 2/3
des satellites en orbite dans le monde, ce qui est peu connu. Les
clefs du succès aujourd'hui sont Ariane 5 et Ariane 5 lourd
ECA, dont le 2e vol de qualification a eu lieu en novembre 2005.
Les lanceurs Ariane sont développées par le CNES sous
l'égide de l'Esa et font travailler toute l'industrie européenne
du spatial. Les autres clefs du succès sont le centre spatial
guyanais de Kourou, le meilleur cosmodrome au monde - et finalement
l'offre intégrée de services aux clients proposée
par Arianespace.
Mais
ce succès reste fragile. Le modèle du marché
ne permet pas d'assurer l'avenir d'un lanceur de souveraineté.
Il faut le soutien des gouvernements, comme cela est le cas partout
ailleurs dans le monde (USA, Chine, Japon, Inde, etc.). Les gouvernements
européens n'utilisent pas Arianespace comme ils devraient
le faire, dans le cadre d'un nécessaire « Buy european
act ». Ils la mettent en concurrence à chaque
lancement de satellite. Or le marché commercial est fluctuant
et en baisse. Il ne peut financer les développements nécessaires
de Arianespace.
De
plus, la concurrence met en compétition des offres relevant
de systèmes économiques différents : régaliens
d'un côté (USA, Japon), à très bas coûts
de production d'un autre (Chine, Inde, Brésil).
Une autre raison d'inquiétude tient à ce que l'on
arrive à la fin d'un cycle. Faute de nouvelles commandes
assurées, les bureaux d'études se vident et la compétence
des industriels disparaît. Le succès d'un groupe comme
Arianespace tient à l'équilibre entre les contrats
actuels et le développement. Or le développement n'est
plus alimenté.
Les
Européens doivent soutenir leur industrie des lanceurs. Sans
lanceurs de souveraineté, il n'y a plus d'Europe spatiale.
Les industriels, pour éviter cela, ont proposé en
2003 le pacte EGAS, European garanteed access to space
qui doit permettre de travailler jusqu'à 2015 en fixant des
étapes importantes (NB Voir http://www.esa.int/esaCP/SEMHQYR1VED_index_0.html).
Dès maintenant il faut entreprendre les développements
permettant en liaison avec l'Esa d'assurer l'accès humain
aux orbites basses, les rendez-vous orbitaux, la rentrée
dans l'atmosphère, les propulseurs du futur.
On peut envisager un développement de Ariane 5 jusqu'à
2015 avec un étage cryogénique réallumable
versatile, les carburant Hydrogène et Méthane, des
améliorations d'architecture et d'ingénierie générale,
de nouveaux prototypes de logiciels et d'essais complexes. Mais
après il faudra autre chose, que personne n'a encore clairement
envisagé.
Que
sera le lanceur européen en 2015 ? La réponse doit
être donnée aujourd'hui. Elle ne l'est pas.
On doit envisager une stratégie de développement de
démonstrateurs permettant de maintenir les compétences
techniques. Les prochains lanceurs ne seront pas réutilisables
(reusable). Mais ensuite viendront des générations
réutilisables ou mixtes, des systèmes hybrides lanceurs-satellites.
L'industrie doit disposer de perspectives rationalisées s'étendant
au moins à 2020-2025. Les décisions effectives seront
à prendre entre 2008 et 2012.
Ceci n'exclut pas une coopération internationale, notamment
avec la Russie. C'est le programme Oural, initié par la France
mais ayant vocation à devenir européen. Il prévoit
l'étude et la réalisation de démonstrateurs
technologiques, au service du développement futur d'un lanceur
en coopération avec la Russie (NB voir http://www.cnes.fr/html/_115_3244_.php).
On peut concevoir un lanceur en commun si chaque partenaire conserve
son indépendance technique et l'accès à son
segment de marché.
Les moteurs
La
fiabilité de la propulsion est essentielle pour la fiabilité
des lancements. L'activité industrielle moteur est faible
: 600 millions d'euros pour le carburant liquide, 250 millions pour
le solide. Mais il s'agit de technologies clefs. En ce qui concerne
les moteurs à carburants liquides, le CNES travaille à
la future génération de moteur cryogénique.
C'est le Vinci sous maîtrise d'oeuvre de la SNECMA et de son
partenaire Safran EADS. La cryotechnique est la solution la plus
efficace pour les étages supérieurs des lanceurs.
Le Vinci servira de démonstrateur pour toute une gamme d'étages
supérieurs, sur Ariane ou d'autres lanceurs. Il est réalisé
en participation avec Astrium (Allemagne) pour la chambre de combustion,
Techspace Aero (société belge du groupe Snecma) pour
les vannes, Volvo Aero Corporation (Suède) pour les turbines
et Avio (Italie) pour la turbopompe oxygène. L'option consistant
à remplacer l'hydrogène par du méthane est
à l'étude. Le méthane est plus facilement stockable
en orbite. La solution est aussi celle de la Nasa. Elle est indispensable
pour les lanceurs réutilisables
La
propulsion solide reste par ailleurs fondamentale puisqu'elle assure
90% de la poussée au décollage sur Ariane 5. Elle
est fiable. On étudie des propulseurs d'appoint modulaires
et d'autres génériques.
D'autres technologies sont en développement. Par exemple
le moteur à propulsion plasmique. En 2003 l'Europe a réussi
une première mondiale avec la sonde Smart 1 lancée
vers la lune. (NB : voir http://sci.esa.int/science-e/www/area/index.cfm?fareaid=10).
On devra étudier aussi pour les vols de longue durée
le moteur atomique.
De
toutes façons, il faut poursuivre sans arrêts la R/D.
On arrive à une période critique avec l'achèvement
des programmes précédents. Il faut améliorer
constamment les performances et les prix avec la R/D. Mais on doit
aller plus loin.
Qu'en
est-il du projet Merlin ? Il s'agissait de consolider en Europe
les industriels de la propulsion liquide, en rapprochant SNECMA
et EADS ESpace Transportation. Le projet a échoué
devant le refus allemand (crainte de perte de souveraineté).
Il sera représenté en 2006.
2.1.2. Les satellites et les sondes
On se bornera à rappeler que pour maintenir la compétence
de l'industrie européenne des satellites, il est indispensable
de réserver à celle-ci – dans des limites à
déterminer – les commandes de nouvelles unités
provenant de donneurs d'ordre européens. C'est ce que font
toutes les autres puissances spatiales. On se trouve à nouveau
là dans des domaines relevant de la souveraineté européenne
et touchant de près à sa sécurité-défense.
2.1.3. La robotique et les nanotechnologies
Les programmes spatiaux feront de plus en plus appel à diverses
formes de produits et applications robotiques. Enumérons
entre autres les robots embarqués (bras robotiques, robots
de maintenance en vol ou en orbite, robots de mise en œuvre
des instruments), les robots d'exploration télécommandés
plus ou moins complètement de la Terre, les robots d'exploration
autonomes (dotés de « personnalités) et diverses
formes de minirobots d'exploration travaillant en formation ou en
essaim. On mentionnera aussi les robots appelés à
intervenir pour la mise en place des installations au sol, lunaires
puis martiennes. L'utilisation des nanotechnologies pour la synthèse
artificielle (mécanosynthèse) de nouveaux matériaux
et nouveaux carburants à partir des ressources locales doit
aussi être préparée expérimentalement.
Développer ces compétences en propre est indispensable
à toute puissance spatiale. Or l'Europe a pris dans ces domaines
des retards considérables qu'elle doit rattraper. Les Etats-Unis
dominent la robotique militaire, le Japon la robotique civile. Il
faudrait donc que les budgets spatiaux prévoient expressément
des crédits permettant de développer des produits
adaptés aux missions prévues, qui seraient réalisés
sur des plates formes ou pôles de compétence européennes.
Ces produits trouveraient aussi des applications civiles.
2.2.
Coopération
Nous avons évoqué, à propos des programmes
spatiaux militaires, quelques solutions permettant d'assurer une
bonne coopération entre Esa, Agences spatiales nationales,
PCR de la Commission. On ne les reprendra pas ici.
D'une façon générale, il conviendrait que l'ensemble
de ces actions relève des Comités de l'Espace précités,
proposés par le rapport Bonnet : pour la France Comité
français présidé par le président de
la République et Comité européen regroupant
les Chefs d'Etats.
2.3. Budgets
La réunion à Berlin des ministres membres de l'Esa,
en décembre 2005, lui a garanti les ressources nécessaires,
soit 8,4 milliards d'euros sur 3 ans – pour mener à
bien l'essentiel des programmes qu'elle compte poursuivre ou démarrer
dans cette période. Ce budget est à comparer au budget
de la Nasa qui dépasse les 16 milliards de dollars par an
auxquels le spatial militaire américain ajoute plus de 20
milliards par an. Roger Maurice Bonnet, président du COSPAR
et auteur du rapport de 2003 sur la stratégie spatiale européenne,
rappelle qu'aux Etats-Unis les budgets spatiaux civils équivalent
à une dépense de 110 dollars par habitant, pour 15
euros en Europe, soit une différence de 1 à 7 pour
des PNB et des populations voisines. Est-ce admissible? N'importe
quel esprit de bon sens répondra par la négative.
Il faudrait donc augmenter ces budgets, en les inscrivant dans des
investissements de recherche/développement ou de sécurité
contribuant à la croissance européenne et échappant
de ce fait aux contraintes du pacte de stabilité.
Jusqu'où les porter ? Très grossièrement, on
peut admettre que l'Esa se montrant généralement plus
efficace que la Nasa, à ambitions égales, doubler
son budget pour les 3 prochaines années, en l'élevant
à 18 milliards d'euros, devrait lui donner les moyens d'ambitions
plus grandes. Le tripler serait mieux. Ultérieurement, il
faudra réviser ces montants, non pas à la baisse mais
à la hausse. Rappelons qu'une sanctuarisation sur plusieurs
années des ressources budgétaires et humaines s'impose
par ailleurs afin de gérer convenablement des programmes
pluriannuels.
Ces sommes ne comprendraient pas celles allouées par les
Etats à leurs agences nationales de l'espace (le CNES en
France) non plus que celles apportées par les PCR européens.
En ce qui concerne le domaine militaire, on estime aussi que l'Europe
n'a pas besoin de tous les programmes lancés par le ministère
de la défense américain. Une augmentation de 1 milliard
d'euros pas an de ces programmes est généralement
considérée comme suffisantes, toutes choses égales
par ailleurs, c'est-à-dire en l'absence de menaces nouvelles
inattendues.
Ceci conduirait à une dépense d'environ 45 euros par
habitant sur 3 ans, ce qui devrait être considéré
comme insignifiant au regard des retombées.
Nous
pensons que si l'Europe s'engageait dans la mise en place de systèmes
anti-missiles et anti-satellites défensifs, ces sommes devraient
être au moins doublées.
Conclusion
L'Espace, en Europe, doit demeurer régalien, comme le demeureront
la défense, la sécurité, la santé et
l'éducation. Les budgets correspondants doivent donc être
fournis par l'impôt ou par des modes de financement à
long terme bien maîtrisés et échappant aux spéculations
financières. De toutes façons, ces budgets sont et
demeureront très modestes, au regard des autres dépenses
publiques.
Les programmes doivent être établis (et publiés)
sur plusieurs années, ce qui suppose des décisions
non soumises à l'annualité budgétaire. On estime
généralement qu'une programmation à 3-8 et
12 ans, selon l'état d'avancement des projets, s'impose pour
donner aux industriels la capacité de s'organiser. Elle sera
évidemment révisable en cas de nécessité.
Ajoutons que si les gouvernements avaient bien compris le rôle
stratégique de l'Espace, tel que défini ci-dessus,
ils le présenteraient aux citoyens d'une façon telle
que ceux-ci, nous en sommes persuadés, ne refuseraient pas
des contributions spécifiques aux investissements spatiaux,
dès lors que ceux-ci seraient conduits – y compris
dans le domaine militaire - de façon transparente et démocratique
Les citoyens s'inspireraient peut-être alors d'un patriotisme
européen qui trouverait là ses premières raisons
d'exister.
En
conséquence de ce qui précède, nous demandons
donc, dans un premier temps, aux gouvernement européens qui
veulent jouer un rôle dans la stratégie spatiale de
l'Europe de s'entendre pour publier un programme à 10/15
ans, prolongé d'options à 20/30 ans, précisant
les objectifs et les moyens qu'ils entendent mettre au service de
cette politique.
Jean-Paul Baquiast, pour Automates Intelligents et l'Union Paneuropéenne
19/01/2006
Notes
Rapports
* Résumé du rapport de la commission de réflexion
présidée par Roger Maurice Bonnet sur l'avenir de
la politique spatiale française et le rôle du CNES
(CRPSF). Toutes les propositions de ce rapport devraient être
relues aujourd'hui avec la volonté affirmée de faire
aboutir celles qui n'ont pas été reprises à
l'époque. http://www.recherche.gouv.fr/discours/2003/rapportcnes.pdf
* Le Livre Vert de la Commission Européenne consacré
à la recherche dans l'espace: http://europa.eu.int/comm/space/doc_pdf/greenpaper_fr.pdf
* La contribution de l'Académie des Sciences française
au Livre Blanc de la Commission Européenne consacré
à la politique spatiale européenne:
http://www.academie-sciences.fr/actualites/textes/livre_blanc_27_05_03.pdf
* Note d'information de l'Esa http://www.esa.int/esaCP/Pr_2_2005_i_EN.html
L'étude de cette note est essentielle pour la bonne compréhension
de ce qui précède.
* Compte-rendu établi par nos soins du Colloque consacré
par le Sénat à la politique européenne de l'Espace
le 2 novembre 2005. On y trouve de nombreux liens ajoutés
afin de faire de ce document
un véritable outil pédagogique
http://www.automatesintelligents.com/manif/2005/crespaceprogramme.html
* Notre note: Galiléo, un affichage de la souveraineté
européenne http://www.automatesintelligents.com/echanges/2005/dec/galileo.html
* Notre note: Le programme européen GMES
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2005/dec/gmes.html
Résumé
des principales décisions de la réunion de Berlin
Activités
obligatoires de l'Agence
Le
niveau de ressources est maintenu pour 2006-2010.
Les programmes en cours seront donc poursuivis et par conséquent
financés sur les bases actuelles :
- Programme d'observation de la Terre (Earth Observation Envelope
Programme)
- Programme d'exploitation de l'ISS (Colombus) Programme Periode
2 and programme ELIPS 2
- Evolution des lanceurs et de la plate-forme de Kourou
- Programme ARTES (Advanced Research in Telecommunications Systems)
Nouveaux
programmes
-
Financement des composants spatiaux du GMES (Global Monitoring for
Environment and Security) qui représente la participation
européenne à l'initiative internationale GEOSS (Global
Earth Observation System of Systems). Le programme commencera par
le remplacement des satellites Envisat et ERS-2 qui commencent à
vieillir. (voir dans ce numéro notre article GMES) . Mais
ce remplacement ne sera pas immédiat. Le premier satellite
de la série des Sentinels qui bénéficie d'un
soutien financier de l'Union européenne. doté d'un
radar, ne devrait voler qu'en 2011. La continuité des observations
des continents, des océans et des glaces repose donc sur
la bonne santé des satellites en exploitation.
- Premiers financements du programme Aurora, comprenant une mission
d'exploration robotique ExoMars (notre image, à lancer vers
2011) et un programme dit Core visant à préparer de
futures explorations planétaires.
- Financement des premiers travaux nécessaires aux prochaines
générations de lanceurs et de moteurs.
- Premiers financement pour le programme GSTP (General Support Technology
Programme) destiné à mettre au point des composants
électroniques ou des technologies dédiés aux
futurs projets spatiaux. Il s'agit de développer des solutions
indispensables qui ne sont pas en possession des industriels européens.
Or de plus en plus, les Etats-Unis, sous prétexte de protéger
la sécurité nationale, refusent leur exportation ou
leur incorporation dans des produits finis. On cite en particulier
le vol des satellites en formation, destiné à réaliser
des observatoires en orbite utilisant l'interférométrie.
On ajoutera à cette série de décision le projet
de réalisation de plates-formes satellitaires pour les futures
missions commerciales en orbite géostationnaire (Mission
AlphaSat dans la suite de la structure dite Alphabus déjà
prise en charge par l'ESA et le CNES). ainsi que l'étude
du concept de petits satellites géostationnaires proposés
par les Allemands et les Britanniques.
Enfin
le remplacement du satellite Cryosat récemment détruit
a été décidé, à la grande satisfaction
des experts qui comptent sur lui pour étudier l'évolution
de la calotte glaciaire arctique.
© Automates Intelligents 10/03/2006

Les armées d'Europe face aux défis
capacitaires et technologiques
par Alain De Neve et Raphaël Mathieu, Bruylant 2005 Collection
: Axes p. 448
Ce
livre excellent a sa place dans notre numéro spécial
consacré à l'espace. On y retrouve les mêmes
problématiques, ainsi que des chapitres consacrés
à l'espace de sécurité et de défense.
A.I.
Présentation
par l'éditeur :
Il est actuellement un lieu commun d'évoquer
les disparités à la fois technologiques et
capacitaires dont souffrent les relations transatlantiques
sur le plan de l'intégration militaire. La
guerre du Golfe (Desert Storm, 1991), le conflit du Kosovo
(Allied Force, 1999) ont attesté du différentiel
militaire existant entre la plupart des Etats européens
et les Etats-Unis. Quelques analystes n'ont d'ailleurs
pas hésité à s'interroger sur
l'aptitude des Européens à conduire
une guerre de l'ampleur de celle qui eut cours en
Irak en 2003. Tandis que la révolution dans les affaires
militaires américaine semble aujourd'hui conduire
les Etats-Unis sur la voie d'une réelle transformation
de leurs systèmes de force, les Européens
tardent à investir dans une dynamique collective
de revalorisation à la fois technologique et doctrinale
de leurs appareils de défense. Or, le temps joue
assurément contre notre capacité à
préserver l'interopérabilité
de nos organisations militaires. Il serait, cependant, réducteur
de restreindre l'analyse à ce constat. La réalité
des équilibres politiques, militaires et industriels
transatlantiques se révèle plus complexe et
ambivalente. C'est d'elle dont ont souhaité
nous entretenir les auteurs de cet ouvrage.
Ce livre se veut un guide introductif aux initiatives politiques
et industrielles qui ont récemment vu le jour en
Europe en vue de combler les déficits tantôt
révélés à l'occasion des
dernières campagnes, tantôt issus des multiples
exercices comparatifs des capacités. Sans prétendre
à l'exhaustivité, cet ouvrage entend
apporter des éclaircissements sur quelques programmes
majeurs qui, bien qu'ils n'aient pas attiré
sur eux la lumière des projecteurs, n'en constituent
pas moins des jalons fondamentaux dans la recherche d'une
modernisation des systèmes de forces européens.
Lucides, les auteurs de ces pages désignent les limites
auxquelles se heurtent les efforts et dressent également
les critiques constructives des quelques développements
technologiques européens dont ils retracent les évolutions.
Alain De Neve et Raphaël Mathieu sont attachés
de recherche au Centre d'Etudes de Défense
de l'Institut Royal Supérieur de Défense
(Bruxelles) et membres du Réseau Multidisciplinaire
d'Etudes Stratégiques (RMES).
|
Commentaires
par Jean Paul Baquiast 08/02/06
Notre
revue connaît déjà Alain De Neve, qui nous avait
confié quelques articles bien documentés sur les nouvelles
technologies de défense. Le livre qu'il vient de faire
paraître, avec son collègue Raphaël Mathieu, est
une véritable somme, résultat de plusieurs années
de travail que l'on suppose très intense. Le nombre
des lectures et réflexions qu'il a exigé, au
vu des citations toutes pertinentes qu'il comporte, est considérable.
On ne peut pas discuter sérieusement des stratégies
militaires mais aussi technologiques et scientifiques du monde d'aujourd'hui,
sans l'avoir lu.
Ceci dit, il est difficile de commenter un tel ouvrage de façon
pertinente, tellement il est riche d'informations diverses
et généralement peu accessibles aux non spécialistes.
La première chose à faire est de recommander sa lecture
à tous ceux qui en Europe s'intéressent aux
questions de défense, que ce soit pour soutenir l'augmentation
des dépenses militaires ou pour demander leurs réductions.
Ils y trouveront tout ce qu'il est indispensable de connaître
si l'on veut s'y retrouver pour comprendre quelque chose
aux difficiles questions des nouvelles armes et des stratégies
associées. Le lecteur en sort presque aussi compétent
que ne le sont les experts des Ecoles de guerre. Le livre est à
jour des dernières nouveautés sur la question, ou
tout au moins suffisamment à jour pour qu'avec quelques clics
supplémentaires sur le web le lecteur puisse obtenir les
données les plus récentes fournies par les sites traitant
du sujet, sans s'y perdre.
La
bataille pour les technologies de souveraineté
Mais
l'ouvrage présente aussi pour nous un intérêt
particulier. On sait que notre projet éditorial est d'engager
l'Europe à se dégager de sa dépendance actuelle,
notamment vis-à-vis des Etats-Unis, dans le domaine de ce
que nous nommons désormais les technologies de souveraineté.
Celles-ci ne concernent pas exclusivement les technologies militaires.
La plupart sont duales, c'est-à-dire applicables aussi bien
à des fins civiles que de défense. Or nous avons plusieurs
fois constaté – c'est d'ailleurs une banalité
- que les Etats-Unis, depuis la 2e guerre mondiale, ont bâti
leur domination scientifique et technologique sur les recherches/développements
et sur les politiques industrielles inspirées par leur politique
de défense. Mais il faut voir ce qui se cache derrière
cette politique de défense. Dans beaucoup de cas, et plus
que jamais aujourd'hui, les menaces ont été constamment
grossies afin de faire supporter aux populations le poids des dépenses
militaires et des contraintes en découlant. Le responsable
en est ce que certains mémorialistes américains appellent
The Monster, le Monstre, c'est-à-dire le lobby militaro-industriel
aujourd'hui associé aux mouvements néoconservateurs
et évangélistes de combat. Il en est résulté
une politique consistant à faire peur à l'opinion
de façon à encourager sans cesse de nouvelles dépenses
militaires et la recherche de nouvelles armes de plus en plus sophistiquées
– même si celles-ci ne correspondent pas réellement
à des besoins de défense(1).
Le
commentaire n'est pas anodin. Il commence à être fait
par de nombreux observateurs politiques américains. La guerre
en Irak, dont l'Amérique est loin d'être sortie, a
été riche d'expériences douloureuses pour les
défenseurs des armes technologiques. On a vu qu'elles n'avaient
qu'une efficacité limitée dans la lutte contre des
mouvements de guérillas mettant en oeuvre des combattants
disséminés dans des populations et des territoires
plus que primitifs(2).
Les ruineux hélicoptères d'attaque et les chars Abrams
sont à la merci d'un simple RPG7. Les systèmes sophistiqués
d'écoute ne permettent toujours pas de distinguer un paysan
inoffensif d'un combattant bardé d'explosifs. Engagés
comme précédemment les Soviétiques, dans une
guerre de plus en plus totale contre les populations, les Américains
ont atteint les limites de résistance de leur corps expéditionnaire…et
de leurs budgets. Fait autrement grave, ils sont pratiquement impuissants
dorénavant pour mener des opérations semblables dans
d'autres parties du monde. Même des bombardements aériens
sembleraient incapables, d'après les experts, à empêcher
l'Iran de développer des armes nucléaires, vu la dispersion
des sites. Il ne resterait plus que l'arme atomique, dont les effets
seraient terrifiants, non seulement pour les pays ciblés,
mais pour la place des Etats-Unis dans le monde.
Or
malgré cela, qui n'échappe plus au Pentagone, les
laboratoires et les industriels financés par le DOD continuent
à sophistiquer de plus en plus les systèmes d'armes.
Aujourd'hui la tendance est à la robotisation totale du combattant
et de ses véhicules, au sein du système réseaucentré.
Les «vieux» systèmes eux-mêmes continuent
à engloutir des milliards, sous prétexte de renouvellement
et de mise à jour. Le cas le plus emblématique est
le programme intéressant l'avion de combat Joint Strike Fighter
F-35. Son coût et son manque de souplesse auraient dû
en entraîner l'arrêt depuis longtemps. Pourquoi cet
entêtement de la part des grands décideurs du système
militaro-industriel ? Ce n'est pas seulement parce que les contrats
rapportent de substantiels bénéfices. C'est aussi
parce que derrière les ennemis avoués aujourd'hui
(le terrorisme, l'Axe du mal), ils visent à surpasser tous
les compétiteurs possibles y compris parmi leurs alliés.
Non seulement avec des armements de plus en plus sophistiqués,
que l'opinion doit accepter même si elle est consciente qu'il
y aurait bien d'autres occasions d'utiliser plus sainement les ressources
publiques, mais avec une avance technologique qui leur permet de
s'imposer sur les marchés mondialisés civils. Le propre
du système est en effet de faire financer les recherches
civiles par les budgets militaires tout en prétendant que
la libre concurrence, la déréglementation et la non-intervention
de l'Etat doivent être la règle pour tous dans l'économie
monde.
Les
besoins de la défense offrent pour cela un argument imparable.
Le cas du JSF, bien étudié par Philippe Grasset(3),
est exemplaire. Son objectif était de démanteler toutes
les industries aéronautiques mondiales, à commencer
par les industries européennes. Il est presque atteint. Seul,
grâce au gouvernement français, Dassault avec le Rafale
a jusqu'ici échappé à la destruction, mais
il est dans une situation précaire. Dans le même temps,
les solutions développées pour le JSF sont offertes
gratuitement aux avionneurs civils américains, mais elles
ne sont évidemment pas comptabilisées dans les aides
apportées par les Etats tant à Boeing qu'à
Airbus, aides dont le gouvernement américain demande avec
tant de continuité la suppression. Il en est évidemment
de même dans tous les domaines, moins visibles mais encore
plus déterminants, qui concernent les 4 technologies émergentes,
nano, bio, info et cogno technologies. Nous sommes donc en présence,
avec les budgets militaires américains et les multiples produits
développés grâce à elle, d'une machine
de guerre qui ne vise pas prioritairement les ennemis avérés
et futurs des Etats-Unis mais surtout le reste du monde. Il s'agit
d'imposer partout et en tous domaines l'hyperpuissance dominatrice
de l'Empire.
Les
auteurs du livre n'insistent pas véritablement sur cet aspect
des choses. On ne peut pas le leur reprocher. Mais ils mettent cependant
en évidence la façon dont depuis la 1ère guerre
du Golfe, les Etats-Unis ont adopté ce qu'ils ont appelé
la Revolution in Military Affairs ou RMA. Il en est résulté
une véritable explosion de nouvelles technologies et de nouvelles
façons de les employer(4).
Si les Américains avaient vraiment joué la coopération
avec leurs alliés, plutôt qu'une posture de domination
et d'assujettissement, ils les auraient partagées, au moins
au sein de l'OTAN. Mais ils s'en sont bien gardés, car la
guerre économique était et demeure pour eux prioritaire
à la défense. Ceci a produit un décrochage
aujourd'hui presque achevé entre l'Amérique et les
autres membres de l'Otan, désormais réduit à
des rôles secondaires. On a beaucoup reproché aux Européens
de ne pas investir dans les dépenses militaires, notamment
dans la R/D. C'était vrai et cela le demeure. Mais les Américains,
répétons-le, ne le souhaitaient pas. Aujourd'hui encore,
on peut voir avec quelle méfiance insultante ils traitent
leurs fidèles allés britanniques au sein de la special
relation, au point que ceux-ci commencent à vouloir
s'en émanciper.
La
défense européenne
En
dehors des lumières qu'ils jettent sur les stratégies
du département de la défense US, les auteurs consacrent
la part la plus importante du livre à l'examen de la façon
dont les pays européens, malgré et sans doute à
cause du refus de coopérer des Américains, sont en
train de se doter à travers mille vicissitudes des moyens
de commandement et des matériels nécessaires à
une politique autonome de défense et de sécurité.
Là encore, pour ceux qui hésitent encore à
se plonger dans ces questions, la lecture du livre offre une introduction
précieuse. Alain De Neve et Raphaël Mathieu mettent
bien en évidence la disparité des efforts et des résultats
qui pénalise les Etats de l'Union européenne. C'est
la France et ses industriels qui sortent les grands gagnants de
l'évaluation, la Grande Bretagne et l'Allemagne, loin derrière,
venant ensuite. Mais leur regard reste, fort justement, sévère,
y compris à l'égard de la France, bonne élève
de la classe. Ni dans chacun des grands pays(5)
ni au niveau communautaire, on n'a su encore trouver le moyen de
concurrencer efficacement les Etats-Unis. Ce ne sont pas seulement
les crédits ou les bonnes idées qui manquent, mais
la coordination entre forces, entre industries et entre laboratoires.
C'est
aussi en général la grande difficulté d'assurer
de bonnes retombées civiles des investissements de recherche
consacrés à la défense. On considère
généralement en France que les dépenses de
R/D militaires n'ont pas de retombées dans le civil.
C'est sans doute vrai en France mais c'est tout à
fait faux aux Etats-Unis (et même dans des pays plus ouverts
au dialogue internes comme le Royaume Uni ou les pays scandinaves).
Il est donc difficile ici aux politiques d'encourager la croissance
des dépenses de recherche militaire. Les auteurs prennent
à cet égard de nombreux exemples dont celui du spatial
militaire, qui ne profite guère, ni dans un sens ni dans
l'autre, à ce qui est fait en matière de spatial
civil, sauf en ce qui concerne les lanceurs. Il en résulte
une stagnation dans les deux secteurs.
Les
auteurs ne se sont pas engagés dans une discussion de fond
concernant ce que devra être à l'avenir la politique
de défense et de sécurité européenne,
à supposer qu'elle puisse vraiment se détacher
de l'influence américaine et être mise au service
d'une véritable souveraineté européenne,
encore à construire. Ils n'ont pas non plus abordé
la question des armements nucléaires stratégiques
ou plutôt de leur insertion dans des dispositifs européens
communs. Ceci obligerait à s'engager dans des débats
difficiles sur ce qui dans l'avenir – dans un avenir
peut-être proche – menacera l'Europe. La lutte
contre le terrorisme ne cessera pas, même si on ne doit pas
grossir ses exigences. Quels types d'armes ou de dispositifs
technologiques nécessitera–t-elle, qui ne transformeraient
pas l'Europe en société policière ? A
un autre niveau, de quels types d'équipements, navires,
avions, drones, véhicules terrestres, plus ou moins robotisés,
aura-t-on besoin, et pour quels types de théâtres ?
Les perspectives possibles de l'Agence européenne de
l'Armement sont à peine abordées. Il est vrai
que le sujet est difficile à éclairer car probablement
aucun membre de l'Agence n'y voit encore clair et n'est
prêt à collaborer comme il faudrait avec les autres.
Disons
cependant que si ces questions ne sont pas discutées explicitement,
chacun des chapitres et sections consacrés par le livre à
la défense européenne permettent d'y réfléchir.
Nous sommes donc là, répétons-le, en face d'un
ouvrage émanant non d'un quelconque lobby militaro-industriel
européen (qui existe aussi) mais d'un effort de prise
de conscience politique s'imposant à tous ceux qui
veulent se prononcer sur l'avenir de notre continent.
Notes
(1) Selon l'expression explicite d'un expert :
"comment préparer la prochaine guerre que nous allons
perdre ?" 
(2) L'expérience acquise au Viêt-Nam
avait été oubliée. Mais peut-être s'agissait-il
d'un oubli volontaire ? 
(3) Voir http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=2356
Sur le même site Dedefensa, on trouvera un dossier très
intéressant sur le CMI américain, le complexe militaro-industriel
http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=2383
(4) Dont les acronymes repris dans le glossaire,
fourni en début de livre, page VII, donnent un saisissant
exemple. 
(5) Le livre, sans insister, montre bien l'indifférence
presque totale que manifestent les petits pays de l'Union aux questions
de défense. Cela mériterait d'ailleurs d'être
discuté. S'ils ne peuvent plus compter sur l'Otan, vont-ils
se borner à acquérir auprès des Etats-Unis
des outils obsolètes, du type armements de maintien de l'ordre,
incapables d'interopérer au niveau de l'espace européen
? 
Commentaires
de l'auteur
L'un des auteurs, Alain De Neve, a bien voulu nous adresser les
commentaires suivants dont nous le remercions:
"Permettez-moi
de vous remercier pour la critique particulièrement élogieuse
que vous avez rédigée à la faveur de notre
ouvrage « Les armées d'Europe ». C'est
un réel plaisir, en tant que co-auteur, de savoir que des
lecteurs intéressés trouveront des éléments
d'informations utiles dans ce livre. Mais il est vrai, comme
vous le dites, que ce bouquin comporte d'évidentes
limites : aspect didactique manquant pour les non-initiés,
impossibilité de procéder à un examen de chaque
programme « phare » de l'Europe de l'armement
et, peut-être, un certain vieillissement rapide des informations
concernant certains systèmes d'armes. Et vous faites
fort bien d'évoquer, comme nous avons tenté
d'y procéder au travers de notre introduction méthodologique,
ces quelques « manquements » ; l'essentiel étant
de ne point tromper le public sur la « marchandise ».
Quoi
qu'il en soit, j'espère sincèrement que
ce livre pourra aider à la compréhension des enjeux
stratégiques et technologiques, trop souvent effacés,
à mon sens, du débat public en raison, justement,
des données complexes qu'il brasse.
Je
suis, en outre, entièrement d'accord avec l'analyse
que vous faites de l'état présent des relations
transatlantiques, notamment, à l'endroit de programmes
sensibles tels que le JSF. Mes pensées rejoignent tout à
fait les vôtres sur ce sujet. Les risques d'une dilution
du secteur aéronautique par « aspiration » des
budgets et « vacuité » des programmes porteurs
est réelle. Ceux-ci pourraient d'ailleurs concerner,
à l'avenir, le secteur naval ; conséquence logique
dans la mesure où les états-majors pensent aujourd'hui
leurs systèmes de forces dans un logique d'intégration
aéronavale.
Je
n'ai donc rien à modifier, ni même à rajouter
à vos arguments."
© Automates Intelligents 10/03/2006

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