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Publiscopie
Les
armées d'Europe face aux défis capacitaires
et technologiques
par Alain De Neve et Raphaël Mathieu, Bruylant 2005 Collection
: Axes, 448 pages
Présentation
par l'éditeur:
Il est actuellement
un lieu commun d'évoquer les disparités à
la fois technologiques et capacitaires dont souffrent les
relations transatlantiques sur le plan de l'intégration
militaire. La guerre du Golfe (Desert Storm, 1991), le conflit
du Kosovo (Allied Force, 1999) ont attesté du différentiel
militaire existant entre la plupart des Etats européens
et les Etats-Unis. Quelques analystes n'ont d'ailleurs pas
hésité à s'interroger sur l'aptitude
des Européens à conduire une guerre de l'ampleur
de celle qui eut cours en Irak en 2003. Tandis que la révolution
dans les affaires militaires américaine semble aujourd'hui
conduire les Etats-Unis sur la voie d'une réelle transformation
de leurs systèmes de force, les Européens tardent
à investir dans une dynamique collective de revalorisation
à la fois technologique et doctrinale de leurs appareils
de défense. Or, le temps joue assurément contre
notre capacité à préserver l'interopérabilité
de nos organisations militaires. Il serait, cependant, réducteur
de restreindre l'analyse à ce constat. La réalité
des équilibres politiques, militaires et industriels
transatlantiques se révèle plus complexe et
ambivalente. C'est d'elle dont ont souhaité nous entretenir
les auteurs de cet ouvrage.
Ce livre se veut un guide introductif aux initiatives politiques
et industrielles qui ont récemment vu le jour en Europe
en vue de combler les déficits tantôt révélés
à l'occasion des dernières campagnes, tantôt
issus des multiples exercices comparatifs des capacités.
Sans prétendre à l'exhaustivité, cet
ouvrage entend apporter des éclaircissements sur quelques
programmes majeurs qui, bien qu'ils n'aient pas attiré
sur eux la lumière des projecteurs, n'en constituent
pas moins des jalons fondamentaux dans la recherche d'une
modernisation des systèmes de forces européens.
Lucides, les auteurs de ces pages désignent les limites
auxquelles se heurtent les efforts et dressent également
les critiques constructives des quelques développements
technologiques européens dont ils retracent les évolutions.
Alain De Neve et Raphaël Mathieu sont attachés
de recherche au Centre d'Etudes de Défense de l'Institut
Royal Supérieur de Défense (Bruxelles) et membres
du Réseau Multidisciplinaire d'Etudes Stratégiques
(RMES).
Commentaires par Jean Paul Baquiast
08/02/06
Notre
revue connaît déjà Alain De Neve, qui
nous avait confié quelques articles bien documentés
sur les nouvelles technologies de défense. Le livre
qu'il vient de faire paraître, avec son collègue
Raphaël Mathieu, est une véritable somme, résultat
de plusieurs années de travail que l'on suppose
très intense. Le nombre des lectures et réflexions
qu'il a exigé, au vu des citations toutes pertinentes
qu'il comporte, est considérable. On ne peut
pas discuter sérieusement des stratégies militaires
mais aussi technologiques et scientifiques du monde d'aujourd'hui,
sans l'avoir lu.
Ceci dit, il est difficile de commenter un tel ouvrage de
façon pertinente, tellement il est riche d'informations
diverses et généralement peu accessibles aux
non spécialistes. La première chose à
faire est de recommander sa lecture à tous ceux qui
en Europe s'intéressent aux questions de défense,
que ce soit pour soutenir l'augmentation des dépenses
militaires ou pour demander leurs réductions. Ils
y trouveront tout ce qu'il est indispensable de connaître
si l'on veut s'y retrouver pour comprendre quelque
chose aux difficiles questions des nouvelles armes et des
stratégies associées. Le lecteur en sort presque
aussi compétent que ne le sont les experts des Ecoles
de guerre. Le livre est à jour des dernières
nouveautés sur la question, ou tout au moins suffisamment
à jour pour qu'avec quelques clics supplémentaires
sur le web le lecteur puisse obtenir les données
les plus récentes fournies par les sites traitant
du sujet, sans s'y perdre.
La
bataille pour les technologies de souveraineté
Mais
l'ouvrage présente aussi pour nous un intérêt
particulier. On sait que notre projet éditorial est
d'engager l'Europe à se dégager de sa dépendance
actuelle, notamment vis-à-vis des Etats-Unis, dans
le domaine de ce que nous nommons désormais les technologies
de souveraineté. Celles-ci ne concernent pas exclusivement
les technologies militaires. La plupart sont duales, c'est-à-dire
applicables aussi bien à des fins civiles que de défense.
Or nous avons plusieurs fois constaté – c'est
d'ailleurs une banalité - que les Etats-Unis, depuis
la 2e guerre mondiale, ont bâti leur domination scientifique
et technologique sur les recherches/développements
et sur les politiques industrielles inspirées par leur
politique de défense. Mais il faut voir ce qui se cache
derrière cette politique de défense. Dans beaucoup
de cas, et plus que jamais aujourd'hui, les menaces ont été
constamment grossies afin de faire supporter aux populations
le poids des dépenses militaires et des contraintes
en découlant. Le responsable en est ce que certains
mémorialistes américains appellent The Monster,
le Monstre, c'est-à-dire le lobby militaro-industriel
aujourd'hui associé aux mouvements néoconservateurs
et évangélistes de combat. Il en est résulté
une politique consistant à faire peur à l'opinion
de façon à encourager sans cesse de nouvelles
dépenses militaires et la recherche de nouvelles armes
de plus en plus sophistiquées – même si
celles-ci ne correspondent pas réellement à
des besoins de défense(1).
Le
commentaire n'est pas anodin. Il commence à être
fait par de nombreux observateurs politiques américains.
La guerre en Irak, dont l'Amérique est loin d'être
sortie, a été riche d'expériences douloureuses
pour les défenseurs des armes technologiques. On a
vu qu'elles n'avaient qu'une efficacité limitée
dans la lutte contre des mouvements de guérillas mettant
en œuvre des combattants disséminés dans
des populations et des territoires plus que primitifs(2).
Les ruineux hélicoptères d'attaque et les chars
Abrams sont à la merci d'un simple RPG7. Les systèmes
sophistiqués d'écoute ne permettent toujours
pas de distinguer un simple paysan d'un combattant bardé
d'explosifs. Engagés comme précédemment
les Soviétiques, dans une guerre de plus en plus totale
contre les populations, les Américains ont atteint
les limites de résistance de leur corps expéditionnaire…et
de leurs budgets. Fait autrement grave, ils sont pratiquement
impuissants dorénavant pour mener des opérations
semblables dans d'autres parties du monde. Même des
bombardements aériens sembleraient incapables, d'après
les experts, à empêcher l'Iran de développer
des armes nucléaires, vu la dispersion des sites. Il
ne resterait plus que l'arme atomique, dont les effets seraient
terrifiants, non seulement pour les pays ciblés, mais
pour la place des Etats-Unis dans le monde.
Or
malgré cela, qui n'échappe plus au Pentagone,
les laboratoires et les industriels financés par
le DOD continuent à sophistiquer de plus en plus
les systèmes d'armes. Aujourd'hui la
tendance est à la robotisation totale du combattant
et de ses véhicules, au sein du système réseaucentré.
Les « vieux » systèmes eux-mêmes
continuent à engloutir des milliards, sous prétexte
de renouvellement et de mise à jour. Le cas le plus
emblématique est le programme intéressant
l'avion de combat Joint Strike Fighter F-35. Son coût
et son manque de souplesse auraient dû en entraîner
l'arrêt depuis longtemps. Pourquoi cet entêtement
de la part des grands décideurs du système
militaro-industriel ? Ce n'est pas seulement parce
que les contrats rapportent de substantiels bénéfices.
C'est aussi parce que derrière les ennemis
avoués aujourd'hui (le terrorisme, l'Axe
du mal), ils visent à surpasser tous les compétiteurs
possibles y compris parmi leurs alliés. Non seulement
avec des armements de plus en plus sophistiqués,
que l'opinion doit accepter même si elle est
consciente qu'il y aurait bien d'autres occasions
d'utiliser plus sainement les ressources publiques,
mais avec une avance technologique qui leur permet de s'imposer
sur les marchés mondialisés civils. Le propre
du système est en effet de faire financer les recherches
civiles par les budgets militaires tout en prétendant
que la libre concurrence, la déréglementation
et la non-intervention de l'Etat doivent être
la règle pour tous dans l'économie monde.
Les
besoins de la défense offrent pour cela un argument
imparable. Le cas du JSF, bien étudié par Philippe
Grasset(3),
est exemplaire. Son objectif était de démanteler
toutes les industries aéronautiques mondiales, à
commencer par les européennes. Il est presque atteint.
Seul, grâce au gouvernement français, Dassault
avec le Rafale a jusqu'ici échappé à
la destruction, mais il est dans une situation précaire.
Dans le même temps, les solutions développées
pour le JSF sont offertes gratuitement aux avionneurs civils
américains, mais elles ne sont évidemment pas
comptabilisées dans les aides apportées par
les Etats tant à Boeing qu'à Airbus, aides dont
le gouvernement américain demande avec tant de continuité
la suppression. Il en est évidemment de même
dans tous les domaines, moins visibles mais encore plus déterminants,
qui concernent les 4 technologies émergentes, nano,
bio, info et cogno technologies. Nous sommes donc en présence,
avec les budgets militaires américains et les multiples
produits développés grâce à elle,
d'une machine de guerre qui ne vise pas prioritairement les
ennemis avérés et futurs des Etats-Unis mais
surtout le reste du monde. Il s'agit d'imposer partout et
en tous domaines l'hyperpuissance dominatrice de l'Empire.
Les
auteurs du livre n'insistent pas véritablement sur
cet aspect des choses. On ne peut pas le leur reprocher. Mais
ils mettent cependant en évidence la façon dont
depuis la 1ère guerre du Golfe, les Etats-Unis ont
adopté ce qu'ils ont appelé la Revolution
in Military Affairs ou RMA. Il en est résulté
une véritable explosion de nouvelles technologies et
de nouvelles façons de les employer(4)
Si les Américains avaient vraiment joué la coopération
avec leurs alliés, plutôt qu'une posture de domination
et d'assujettissement, ils les auraient partagées,
au moins au sein de l'OTAN. Mais ils s'en sont bien gardés,
car la guerre économique était et demeure pour
eux prioritaire à la défense. Ceci a produit
un décrochage aujourd'hui presque achevé entre
l'Amérique et les autres membres de l'Otan, désormais
réduit à des rôles secondaires. On a beaucoup
reproché aux Européens de ne pas investir dans
les dépenses militaires, notamment dans la R/D. C'était
vrai et cela le demeure. Mais les Américains, répétons-le,
ne le souhaitaient pas. Aujourd'hui encore, on peut voir avec
quelle méfiance insultante ils traitent leurs fidèles
allés britanniques au sein de la special relation,
au point que ceux-ci commencent à vouloir s'en émanciper.
La
défense européenne
En
dehors des lumières qu'ils jettent sur les stratégies
du département de la défense US, les auteurs
consacrent la part la plus importante du livre à l'examen
de la façon dont les pays européens, malgré
et sans doute à cause du refus de coopérer des
Américains, sont en train de se doter à travers
mille vicissitudes des moyens de commandement et des matériels
nécessaires à une politique autonome de défense
et de sécurité. Là encore, pour ceux
qui hésitent encore à se plonger dans ces questions,
la lecture du livre offre une introduction précieuse.
Alain De Neve et Raphaël Mathieu mettent bien en évidence
la disparité des efforts et des résultats qui
pénalise les Etats de l'Union européenne. C'est
la France et ses industriels qui sortent les grands gagnants
de l'évaluation, la Grande Bretagne et l'Allemagne,
loin derrière, venant ensuite. Mais leur regard reste,
fort justement, sévère, y compris à l'égard
de la France, bonne élève de la classe. Ni dans
chacun des grands pays(5)
ni au niveau communautaire, on n'a su encore trouver le
moyen de concurrencer efficacement les Etats-Unis. Ce ne sont
pas seulement les crédits ou les bonnes idées
qui manquent, mais la coordination entre forces, entre industries
et entre laboratoires.
C'est
aussi en général la grande difficulté
d'assurer de bonnes retombées civiles des investissements
de recherche consacrés à la défense.
On considère généralement en France
que les dépenses de R/D militaires n'ont pas
de retombées dans le civil. C'est sans doute
vrai en France mais c'est tout à fait faux
aux Etats-Unis (et même dans des pays plus ouverts
au dialogue internes comme le Royaume Uni ou les pays scandinaves).
Il est donc difficile ici aux politiques d'encourager
la croissance des dépenses de recherche militaire.
Les auteurs prennent à cet égard de nombreux
exemples dont celui du spatial militaire, qui ne profite
guère, ni dans un sens ni dans l'autre, à
ce qui est fait en matière de spatial civil, sauf
en ce qui concerne les lanceurs. Il en résulte une
stagnation dans les deux secteurs.
Les
auteurs ne se sont pas engagés dans une discussion
de fond concernant ce que devra être à l'avenir
la politique de défense et de sécurité
européenne, à supposer qu'elle puisse
vraiment se détacher de l'influence américaine
et être mise au service d'une véritable
souveraineté européenne, encore à construire.
Ils n'ont pas non plus abordé la question des
armements nucléaires stratégiques ou plutôt
de leur insertion dans des dispositifs européens
communs. Ceci obligerait à s'engager dans des
débats difficiles sur ce qui dans l'avenir
– dans un avenir peut-être proche – menacera
l'Europe. La lutte contre le terrorisme ne cessera
pas, même si on ne doit pas grossir ses exigences.
Quels types d'armes ou de dispositifs technologiques
nécessitera–t-elle, qui ne transformeraient
pas l'Europe en société policière
? A un autre niveau, de quels types d'équipements,
navires, avions, drones, véhicules terrestres, plus
ou moins robotisés, aura-t-on besoin, et pour quels
types de théâtres ? Les perspectives possibles
de l'Agence européenne de l'Armement
sont à peine abordées. Il est vrai que le
sujet est difficile à éclairer car probablement
aucun membre de l'Agence n'y voit encore clair
et n'est prêt à collaborer comme il faudrait
avec les autres.
Disons
cependant que si ces questions ne sont pas discutées
explicitement, chacun des chapitres et sections consacrés
par le livre à la défense européenne
permettent d'y réfléchir. Nous sommes
donc là, répétons-le, en face d'un
ouvrage émanant non d'un quelconque lobby militaro-industriel
européen (qui existe aussi) mais d'un effort
de prise de conscience politique s'imposant à
tous ceux qui veulent se prononcer sur l'avenir de
notre continent.
Notes
(1) Selon l'expression explicite d'un expert
: "comment préparer la prochaine guerre que nous
allons perdre ?" 
(2) L'expérience acquise au Viêt-Nam
avait été oubliée. Mais peut-être
s'agissait-il d'un oubli volontaire ? 
(3) Voir http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=2356
Sur le même site Dedefensa, on trouvera un dossiertrès
intéressant sur le CMI américain, le complexe
militaro-industriel http://www.dedefensa.org/article.php?art_id=2383
(4)
Dont les acronymes repris dans le glossaire,
fourni en début de livre, page VII, donnent un saisissant
exemple. 
(5) Le livre, sans insister, montre bien
l'indifférence presque totale que manifestent les petits
pays de l'Union aux questions de défense. Cela mériterait
d'ailleurs d'être discuté. S'ils ne peuvent plus
compter sur l'Otan, vont-ils se borner à acquérir
auprès des Etats-Unis des outils obsolètes,
du type armements de maintien de l'ordre, incapables d'interopérer
au niveau de l'espace européen ? 
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