Ce
livre fera certainement l'effet d'une bombe dans le
monde de la biologie. Ce n'est d'ailleurs pas simplement
cet ouvrage mais l'ensemble des travaux de l'auteur
qui mérite d'être qualifié de
révolution conceptuelle, de la même manière
que l'a été à son époque
l'invention de la physiologie et de la médecine
expérimentale par Claude Bernard. Cette dernière,
parce qu'elle conciliait épistémologie
et physiologie, expérimentation et observation
clinique, a marqué le démarrage de l'art
de la médecine comme pratique scientifique.
Les recherches proposées aujourd'hui par Gilbert
Chauvet en sont le prolongement et le complément,
apportant un autre chapitre fondateur à cette
longue histoire. L'apport de principes théoriques
généraux mathématiques et intégratifs
adaptés au vivant - gage de la naissance d'une
véritable biologie et physiologie intégratives
- fait désormais entrer la médecine,
les sciences de la vie et leurs nombreuses applications
dans le champ des sciences théoriques dites
"dures". Dans cette perspective, la pratique
de l'art médical et de la biologie devient
ingénierie de la vie.
L'organisme
vivant est une sorte d'usine de type unique qui, malgré
les vicissitudes des interactions entretenues avec
le milieu extérieur, présente l'incroyable
pouvoir de maintenir tout au long de sa vie l'intégrité
de sa substance et des mécanismes complexes
qui l'habitent. Pour l'auteur, il est fondamental
d'expliciter la logique qui sous-tend ce phénomène
unique si on veut comprendre ce qui différencie
le vivant de l'inerte et si, en conséquence,
on veut savoir comment intervenir de façon
rigoureuse pour remédier aux dysfonctionnements
des êtres vivants, qu'il s'agisse de la cellule,
du cerveau ou de l'organisme dans son entier. Mais
pour cela, il faut disposer d'une "théorie
de la vie".
Dans
son ouvrage Prédire n'est pas expliquer
[Eshel, 1991- réédition Flammarion,
1993], René Thom regrettait que les chercheurs
se dispersent aujourd'hui dans des manipulations multiples
et ne prennent pas le recul nécessaire pour
proposer des théories nouvelles face à
l'inflation expérimentale. Et si des théories
de la vie ont été énoncées
à travers les âges, depuis le vitalisme
jusqu'au néo-darwinisme, ce ne sont finalement
là pour Gilbert Chauvet que des hypothèses
de nature philosophique. Selon lui, une véritable
théorie de la vie doit reposer sur une modélisation
mathématique explicative. Pour les biologistes,
qui ne sont ni physiciens ni mécaniciens, ceci
pourrait passer pour de l'hérésie réductionniste
: le vivant, ce n'est pas des mathématiques
! Mais, pense Gilbert Chauvet, c'est parce qu'ils
n'ont pas encore trouvé le bon type de modèle
permettant de rendre compte du phénomène
vital. Et c'est ce modèle, cette "bombe
conceptuelle", qui est présenté
dans cet ouvrage.
Ainsi,
après un travail de plus de vingt années,
l'auteur a dégagé des lois permettant
de modéliser utilement l'organisme. Elles expriment
le fait que la vie est un miracle permanent résultant
d'une intégration incessamment renouvelée
d'une grande quantité de mécanismes
physiologiques. Le professeur Chauvet en propose les
grands principes. Les interactions fonctionnelles,
dans un système vivant, sont non symétriques,
c'est-à-dire qu'elles ne sont pas réversibles.
Ceci se traduit par le fait que le vivant ne peut
jamais remonter son histoire. Ces interactions sont
également non-locales. Le stimulus chimique
ou électrique produit par un organe agit à
distance sur sa cible, en traversant de nombreux niveaux
hiérarchiques qu'il n'affecte pas. Contrairement
à un ordre donné directement par un
supérieur hiérarchique à son
adjoint situé près de lui, il s'agit
d'un ordre qui ressemblerait à celui porté
par un messager à un destinataire situé
dans un autre organisme et dans un autre pays que
celui de l'émetteur de l'ordre, et lui arrivant
selon la procédure bien connue de l'administration,
c'est-à-dire en respectant la voie hiérarchique.
On conçoit alors que si l'on veut comprendre
pourquoi le destinataire se comporte comme il le fait,
il faut que l'on ait identifié la nature du
message et les filières complexes par lesquelles
ce dernier atteint sa cible.
Enfin,
les différents messages, dans la théorie
de Gilbert Chauvet, loin de déstabiliser le
système en s'accumulant et s'entrecroisant
sans cesse, ont pour effet de lui permettre ce que
l'auteur appelle une auto-association stabilisatrice.
Plus le système devient complexe, plus il devient
"dur", c'est-à-dire durable et capable
de résister aux changements et agressions du
milieu - ceci dans certaines limites évidemment,
puisque les êtres vivants finissent bien par
mourir, contrairement à des machines bien entretenues.
Aujourd'hui,
et malgré ce que l'on pourrait penser, les
biologistes continuent de travailler sur un mode artisanal
et empirique. Ils procèdent à de nombreuses
observations de type descriptif et statistique : telle
hormone, par exemple la testostérone, semble
agir avec telle probabilité sur tel organe
en provoquant tel symptôme. Mais comment cette
hormone se combine-t-elle à de nombreuses autres
pour agir, d'une part sur cet organe, d'autre part
sur d'autres organes ? Nul ne peut le dire, car nul
ne dispose à ce jour d'un modèle de
la physiologie intégrant l'ensemble des observations
faites depuis les origines de la médecine puis
de la biologie moléculaire. Un tel travail
est hors de portée de la description littéraire
puisque, potentiellement, ce sont des centaines de
milliers d'actions et de réactions qu'il faudrait
intégrer pour commencer à approcher
la complexité d'un organisme vivant même
simple.
Mais
ceci, le modèle mathématique et informatique
proposé par Gilbert Chauvet permet de le faire.
Nous en aurons bientôt la preuve matérielle
puisqu'une première réalisation en vraie
grandeur de ce modèle est en train d'aboutir,
concrétisée par la création prochaine
d'une entreprise innovante par le chercheur.
A
quoi ceci servira-t-il ? D'abord au diagnostic thérapeutique
puisque sa représentation d'un système
biologique fournit une définition rigoureuse
du "terrain", c'est-à-dire de toutes
les interrelations entre les parties d'un organisme,
ce qui fournira les causes des maladies multifactorielles.
De même, on pourra mieux étudier, en
évitant de coûteuses expériences
in vivo, l'effet d'une nouvelle molécule sur
l'organisme tout entier. On voit l'intérêt
qu'y trouveront les industries pharmaceutiques et
plus généralement les soignants.
Mais
ces travaux induisent aussi d'autres avantages fondamentaux.
La pratique clinique et l'expérimentation biologique
et pharmacologique accumulent des quantités
considérables d'observations. Celles-ci aujourd'hui
vont s'entasser dans des bases de données qui,
bien qu'informatisées par les outils de documentation
automatique, n'ont guère d'intérêt
pratique. Les éléments en sont dispersés
sur d'innombrables supports, au lieu d'être
rendus disponibles au moment où le scientifique
en a besoin. Leur intégration dans le système
mathématique et informatique proposé
par l'équipe du professeur Chauvet les rendra
utilisables. Et ceci sans limites de taille et de
temps de réponse puisque les performances de
l'informatique moderne permettent aujourd'hui de traiter
des quantités considérables d'informations.
En
poussant encore plus loin notre raisonnement, on peut
penser qu'au bout d'un certain temps le modèle,
ayant atteint une grandeur suffisante, pourra faire
apparaître de l'inconnu, c'est-à-dire
suggérer des hypothèses qui seront testables
expérimentalement. Il y aura là une
source inépuisable de sujets de thèses
et d'applications pour les chercheurs, qui devraient
révolutionner la démarche biologique
et renouveler l'intérêt professionnel
de ceux qui s'y adonnent. On peut espérer aussi
que la mathématisation du vivant, encore bien
fruste disent les spécialistes au regard de
la complexité de celui-ci, pourra bénéficier
des problèmes théoriques soulevés
par le fonctionnement du modèle.
Soulignons-le
avec force : la démarche du Professeur Chauvet
est novatrice, du moins en France, et ceci pour plusieurs
raisons. Il est un représentant rare, sinon
unique (?) de trois cursus différents : la
physique, les mathématiques, la médecine
(c'est-à-dire aussi la biologie), sans parler
de sa grande connaissance de la philosophie des sciences.
Tout cela parce que pour lui "c'était
la seule façon de vraiment comprendre le fond
des choses" et que "observer n'est pas expliquer".
Mais
sa démarche est également exemplaire
par le fait qu'il ne s'est pas contenté de
théoriser, mais cherche aussi aujourd'hui les
supports financiers lui permettant de fonder sa société
et de réaliser ses prototypes. Souhaitons-lui
alors toute la réussite possible, avec un produit
industriel breveté et la création de
nombreux emplois.