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Article
Tirer profit du modèle cognitif humain dans
les recherches en intelligence artificielle
par
Nicolas Sarrasin 22/07/05
|
Notice
bio-bibliographique – Nicolas Sarrasin
Après avoir publié un livre à
Paris portant sur le développement de la
discipline médicale au Québec, il
s'est spécialisé dans la synthèse
des recherches en sciences cognitives, particulièrement
en psychologie, sur les processus cognitifs supérieurs
du cerveau humain et la représentation des
connaissances (concepts et catégorisation,
langage, inférences, mémoire et métacognition).
Ces recherches l'ont mené à rédiger
un livre de vulgarisation portant sur les processus
cognitifs humains et la métacognition. Ce
livre est paru aux Éditions de l'Homme en
janvier 2005 et sera disponible en France dès
le mois d'octobre.
En 2003, Nicolas Sarrasin a co-fondé Cognexion
inc., une compagnie visant à maximiser les
dimensions humaine et informationnelle à
travers les composantes des organisations. Il est
actuellement associé de recherche pour la
compagnie Interdoc inc. Enfin, il travaille également
à temps partiel à la bibliothèque
de bibliothéconomie et des sciences de l'information
à l'Université de Montréal
et prépare un livre qui vise à synthétiser
les grands courants théoriques en gestion
des connaissances pour enrichir ensuite cette perspective
des récentes recherches en sciences cognitives.Site
Internet d'auteur de vulgarisation en psychologie:
http://www.nicolassarrasin.com
Courriel : info arobase nicolassarrasin.com
Bibliographie
sélective
- « L'évolution du cerveau humain
» et « Comment ne pas faire soi-même
son propre malheur », magazine Vivre,
à paraître en automne 2005.
- Petit traité antidéprime : Quatre
saisons dans le bonheur, Montréal, Éditions
de l'Homme, 2005, 368 p.
Ce livre vulgarise les recherches en psychologie
cognitive portant sur les processus cognitifs supérieurs
chez l'être humain. Il présente ensuite
une synthèse des limites cognitives (distorsions
cognitives) ainsi qu'un ensemble d'outils tirant
profit de la capacité métacognitive
humaine pour aider à remédier aux
conséquences néfastes qu'engendrent
ces distorsions cognitives.
-
«Rupture et fragments dans le théâtre
de René-Daniel Dubois : L'échec à
créer une représentation adéquate
du monde», Université d'Ottawa,
l'Annuaire théâtral, no 33, 2003, p.
159-179.
- Albert Camus : un Apostolat sanglant, Essai,
Brossard, Éditions Humanitas, 2002, 182 p.
- Archéologie de la médecine au
Québec. Lecture épistémologique
d'un développement, Paris, Éditions
de l'Harmattan, 2001, 152 p.
Nous remercions l'auteur de
son aimable participation à ce numéro.
C'est toujours avec le plus grand intérêt
que nous accueillons ici les représentants
de la pensée et de la science québécoise.
A.I.
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RÉSUMÉ
Depuis quelques dizaines d'années, les recherches en
sciences cognitives, notamment en psychologie et en neurosciences,
dévoilent progressivement le fonctionnement du cerveau
humain. Malheureusement, le manque de communication entre
les disciplines rend encore difficile l'exploitation de ces
nouvelles connaissances dans les recherches en intelligence
artificielle. À partir de l'exemple des réseaux
sémantiques en IA, nous verrons quels enjeux épistémologiques
et quels domaines de la psychologie cognitive pourraient enrichir
une telle perspective.
1.
Introduction
Depuis quelques dizaines d'années, les recherches
en sciences cognitives, notamment en psychologie et en neurosciences,
dévoilent progressivement le fonctionnement du cerveau
humain. Malheureusement, le cloisonnement entre les disciplines
scientifiques rend encore difficile l'exploitation
de ces nouvelles connaissances dans les recherches en intelligence
artificielle (IA). Dans cet article, nous verrons que les
connaissances sur la cognition humaine peuvent suggérer
les caractéristiques de capacités cognitives
plus flexibles en IA, notamment dans l'exploitation
active du langage naturel (LN) lors de l'organisation
et du transfert des connaissances (Iwanska et Shapiro, 2000).
À partir de l'exemple des réseaux sémantiques
en IA, nous verrons quels enjeux épistémologiques
et quels domaines de la psychologie cognitive pourraient
enrichir une telle perspective. Cette idée promeut
plus généralement un rapprochement entre les
sciences cognitives et l'IA. En effet, une meilleure
compréhension du cerveau est propre à nourrir
de nouvelles perspectives de recherche en IA. Cette position
est d'ailleurs celle qu'a présentée
Tom M. Mitchell (2002), l'ancien président
de l'Association américaine pour l'intelligence
artificielle. Pour ce faire, nous emploierons l'exemple
des réseaux sémantiques en intelligence artificielle
qui se prête bien à ce sujet.
Mais avant de commencer, voici une brève description
de la théorie des réseaux sémantiques
en IA. Les réseaux sémantiques formalisent
la notion selon laquelle les connaissances déclaratives,
qui ont pour support le langage, peuvent être organisées
en réseaux. Un réseau sémantique est
un graphe, c'est-à-dire un entrecroisement
de lignes et de points formant un réseau, qui représente
les relations sémantiques qu'entretiennent
les mots les uns avec les autres. Le croisement –
ou nœud – entre plusieurs mots permet d'identifier
le contenu (sens) de l'un d'entre eux au sein
du réseau.
Selon ce modèle, la signification d'un concept,
qu'il s'agisse d'une idée, d'un
objet ou d'une procédure, réfère
toujours à d'autres concepts. Pour construire
ces représentations et référer aux
autres mots, on fait habituellement appel à des flèches
et à des étiquettes. Les relations sont le
plus souvent binaires ; des flèches indiquent le
sens de la relation. Les connaissances sémantiques
du système sont ainsi représentées
à travers un réseau de mots, donc ces connaissances
sont communicables à l'aide du langage naturel
(LN). Dans un réseau sémantique, un concept
et sa signification est représenté par un
mot et par l'ensemble des liens qui unissent ce mot
à d'autres. Un ouvrage collectif détaillé
dirigé par Lehmann (1992) présente les grandes
théories des réseaux sémantiques qui
ont été développées depuis leurs
commencements.
2. Les réseaux sémantiques
en IA
En 1956, une conférence fondatrice pour la recherche
en IA eut lieu à l'université de Darmouth
aux États-Unis. L'année suivante, deux
jeunes professeurs, Marvin Minsky et John McCarthy, lançaient
au MIT le projet de recherche en IA. Depuis cette époque,
les recherches en IA ont permis de constater que des problèmes
ardus pour un être humain sont faciles à résoudre
pour les machines alors que ces dernières ont beaucoup
plus de difficulté à faire face aux problèmes
simples. Autrement dit, grâce aux impressionnantes
capacités de calcul des ordinateurs, il est plus
facile de programmer un système expert qui excelle
dans une tâche complexe aux possibilités circonscrites,
comme jouer aux échecs, plutôt que de reproduire
les comportements humains qui composent avec un environnement
complexe, comme saisir un verre d'eau.
En effet, si les capacités linguistiques et les connaissances
du monde d'un enfant de cinq ans dépassent
encore celles des ordinateurs, c'est que l'être
humain dispose de systèmes d'« extraction
de la signification » (Bloom et al., 2003). Ainsi,
une grande part des comportements que nous qualifions d'intelligents
implique non seulement des algorithmes de traitement de
l'information mais également un vaste répertoire
de connaissances encyclopédiques sur l'environnement.
Ce sens commun, aucun ordinateur ne le possède encore.
Par exemple, une machine ne peut répondre à
des questions comme « La Terre est-elle plus petite
qu'une orange ? » ou « Est-ce que les
murs chantent ? » Elle ne possède pas les connaissances
nécessaires pour inférer les réponses.
L'ordinateur n'accède qu'au premier
niveau de la signification, ce qu'illustre particulièrement
le problème de l'ambiguïté lors
du traitement automatique du LN (Schunn et al., 2005).
Les réseaux sémantiques ont généralement
été développés à partir
de deux paradigmes de recherche aux impératifs bien
distincts : la modélisation pour reproduire et la
modélisation pour expérimenter. Le premier
paradigme, qui provient de la recherche en IA, vise à
reproduire artificiellement les processus de traitement
de l'information pour reproduire l'intelligence.
Ces processus n'ont donc pas à correspondre
exactement à ceux de l'être humain. Au
contraire, le second paradigme tente de reproduire les résultats
expérimentaux à l'aide des ordinateurs
afin d'enrichir les théories psychologiques
et de fournir de nouvelles hypothèses de recherche.
Puisque le but de cet article est de s'inspirer des
résultats expérimentaux sur la cognition humaine
pour enrichir les modèles de l'IA, nous restreindrons
nos préoccupations au premier paradigme.
3.
Incarnation et langage naturel
Les réseaux sémantiques dépendent de
deux types de langage pratiquement universels mais très
différents l'un de l'autre. Le premier,
formé des langues naturelles, constitue le matériau
de base des réseaux sémantiques, tandis que
le second, la logique symbolique, sert à organiser
le LN pour reproduire la configuration des connaissances.
Chacun de ces langages est avantageux. Les êtres humains
produisent inconsciemment le LN et la puissance expressive
de ce dernier sert de support à leurs activités.
De son côté, la logique symbolique est assez
générale et précise pour inspirer l'élaboration
des langages informatiques. Malgré ce potentiel et
les recherches effectuées à ce jour, plusieurs
facteurs limitent encore les capacités des réseaux
sémantiques.
Par exemple, l'intension d'un mot équivaut
à l'ensemble des extensions (ou référents)
possibles pour ce mot. L'extension correspond au référent,
à la partie du monde réel à laquelle
le mot réfère. Les réseaux sémantiques
ont jusqu'à présent reproduit presque
exclusivement des relations intensionnelles. Autrement dit,
ils manipulent des symboles sans entretenir d'autre
rapport à l'environnement qu'à
travers leurs programmeurs. Comment une machine peut-elle
apprendre à partir de stimuli réels lorsqu'elle
n'entretient qu'un piètre rapport à
l'environnement ?
Un réseau sémantique n'est pas seulement
un reposoir de données. Les relations entre les concepts
qu'il contient en font plutôt une base de connaissances
dynamiques. Or, malgré la constance de certains phénomènes,
l'environnement est variable. Il manque encore aux
réseaux sémantiques la capacité d'apprendre
de façon autonome, c'est-à-dire la possibilité
d'intégrer de nouvelles connaissances, de les
réviser et d'utiliser ces connaissances pour
en former de nouvelles. Pour cette raison, nous croyons
que l'apprentissage qui dépend des interventions
humaines n'est pas une méthode suffisamment
efficace. Au contraire, des méthodes comme l'extraction
des connaissances à partir des relations grammaticales
permettront de tirer profit de grandes quantités
de texte (voir Iwanska et Shapiro, 2000).
Chez l'être humain, plusieurs compétences
cognitives courantes impliquent le LN. Par exemple, la capacité
de distinguer des catégories ontologiques (choses,
événements, etc.), de décrire des états
et des modalités (possibilité, nécessité,
etc.), de communiquer des intentions, d'identifier
la valeur de vérité de propositions, de stocker
de grandes quantités d'informations sous forme
de prédicats, d'arguments et de propositions
pour, enfin, les réutiliser grâce à
différents actes de langage, comme l'ordre
ou l'interrogation (Pinker et Bloom, 1990 : 712-713).
Il ne fait aucun doute que la modélisation des connaissances
qui fait appel aux unités nominales, notamment les
réseaux sémantiques et les autres systèmes
de TAL, enrichira les capacités cognitives artificielles
dont bénéficient déjà les ordinateurs.
Ces avancées continueront de s'effectuer à
travers différents domaines, par exemple :
– de riches interactions avec les utilisateurs, à
la fois efficaces et plus conviviales (Lemon et Gruenstein,
2004) ;
– la capacité accrue d'organiser les
connaissances pour apprendre, classifier et faire des inférences
à partir de données textuelles non structurées
(Iwanska, 1997) ;
– la découverte automatisée de nouvelles
connaissances, notamment à partir de vastes bases
de données (Wren et al., 2004) ;
Les ordinateurs gagneront un nouveau type d'intelligence
lorsqu'ils seront capables d'utiliser efficacement
le LN, comme le suggère le test de Turing. Patel
et ses collègues (1995) soulignent combien le diagnostic
médical, par exemple, exige non seulement des activités
comme l'identification des connaissances pertinentes,
mais également leur procéduralisation, leur
évaluation et la prise de décision. Ce défi
demandera aux ordinateurs de disposer de capacités
telles que la reconnaissance des intentions (McKevitt et
al., 1999), la prise de décision autonome et même
la conscience (voir Cardon, 2004). C'est la raison
pour laquelle les recherches sur la cognition humaine peuvent
être utiles.
4.
Tirer profit des recherches sur la cognition humaine
Malgré ses lacunes, le cerveau humain est naturellement
capable d'apprendre, notamment à travers l'analyse
du LN ; de réviser ses connaissances à la
lumière d'informations nouvelles ; de désambiguïser
des situations et des contenus linguistiques grâce
à ses capacités inférentielles et de
motiver des comportements proactifs face à ses propres
connaissances. Par exemple, le jugement que nous portons
sur notre apprentissage (jugement sur l'apprentissage,
voir Dunlosky et Nelson, 1992) et la connaissance que nous
avons des informations dont nous disposons en mémoire
(jugement sur la connaissance, voir Reder, 1987). Dans cette
section, nous procéderons à une brève
revue des processus cognitifs supérieurs de l'être
humain. Nous nous attarderons surtout à ce qui, dans
ces processus, peut intéresser plus spécifiquement
l'IA et les réseaux sémantiques.
4.1
L'association : similarité et contraste
Depuis Aristote jusqu'aux philosophes britanniques
du XIXe siècle, l'associationnisme suggère
que le fonctionnement de la pensée découle
de chaînes de relations entre les connaissances. Mais
cette vision s'avère réductrice si l'on
se contente de représenter des informations complexes
à travers de simples associations.
La capacité humaine d'associer une information
avec une autre ne fait aucun doute au niveau conceptuel.
Une des propriétés fondamentales de l'apprentissage
et de l'utilisation des connaissances chez l'être
humain consiste à associer entre eux les stimuli
de l'environnement de manière à représenter
les phénomènes, à les analyser et à
les prévoir. Les réseaux de concepts s'organisent
ainsi à partir de leurs similarités sémantiques.
Deux concepts sont similaires s'ils partagent un grand
nombre de propriétés (Collins et Loftus, 1975
: 411). Depuis sa naissance, chaque individu a été
exposé à un grand nombre de mots. Dans ce
contexte, certains mots sont apparus plus souvent en présence
d'autres, et ce sont ces séquences qui composent
leur signification (Boucher et Dienes, 2003). Comme dans
les réseaux sémantiques, l'association
des informations entre elles et leur similarité sont
des composantes importantes des informations stockées
en mémoire.
De plus, le stockage et le traitement mémoriels sont
distribués dans différentes zones du cerveau
en fonction du type d'information. Mais ces parties
interagissent entre elles pour interpréter et intégrer
de nouvelles informations. Ce phénomène correspond
au modèle d'activation par propagation : Les
informations seraient donc stockées par groupes selon
les réseaux de neurones qui sont activés simultanément
en fonction du type d'information.
4.2
La catégorisation
L'un des processus cognitif le plus fondamental demeure
sans doute la catégorisation. Sommairement, elle
consiste à ordonner les informations en différentes
catégories selon leur degré de similarité
et le nombre d'associations entre elles. Ce processus
constitue une des bases importantes de la plupart des activités
cognitives et se manifeste autant à travers le langage
que le raisonnement (Harnad, 2003). Nous allons aborder
plusieurs caractéristiques de ce processus.
4.2.1
Le niveau de catégorisation
Pour catégoriser les concepts, nous devons les mettre
en relation les uns par rapport aux autres. De ce fait,
une hiérarchie peut se dégager : certaines
catégories sont plus générales et en
contiennent d'autres. Ces catégories subordonnées
sont plus spécifiques et leurs concepts possèdent
plus de propriétés ; ils entretiennent plus
de liens avec d'autres concepts. À la différence,
les catégories plus générales sont
aussi plus abstraites. Leurs concepts possèdent donc
moins de propriétés (Murphy, 2002). En ce
sens, les catégories n'existent pas véritablement
(Sloman, 1998). Elles ne sont que des concepts liés
à un nombre plus ou moins élevé d'autres.
C'est la raison pour laquelle nous pouvons également
disposer d'informations à deux niveaux hiérarchiques
différents sans pour autant disposer d'informations
sur la catégorie intermédiaire. Par exemple,
on peut savoir que zébu est un animal sans savoir
qu'il s'agit aussi d'un mammifère.
Ce phénomène est relié au niveau de
base de catégorisation.
4.2.2
Le niveau de base de catégorisation
Si la structure hiérarchique des concepts semble
se manifester dans toutes les cultures (Berlin, 1992), les
recherches n'ont pas encore démontré
comment elles s'organisaient au niveau neuronal. Comment
décidons-nous du niveau de la catégorie des
concepts à employer dans chaque contexte ? L'une
des hypothèses importantes consiste à dire
que les concepts s'organisent en réseaux à
partir de l'emplacement où ils sont stockés.
Selon cette hypothèse, c'est la forme du réseau
qui contingente le choix des concepts. Il existe ainsi un
niveau qui est plus souvent utilisé lors de l'identification
des concepts. Il s'agit du niveau de base de catégorisation,
c'est-à-dire le degré de profondeur
du concept qui est le plus naturellement utilisé
dans la hiérarchie. Par exemple, lorsqu'une
personne rencontre un lévrier, par la suite, elle
risque de dire qu'elle a plutôt vu un chien.
Rosch et ses collègues (1976) ont effectué
plusieurs recherches sur le sujet. Selon eux, le niveau
de base de catégorisation est celui où les
membres d'une catégorie partagent le plus grand
nombre de propriétés importantes entre eux.
Ce niveau de base se manifesterait en raison du fait qu'il
maximise le potentiel informatif des concepts. Ainsi, les
membres des catégories superordonnées sont
moins utilisés parce qu'ils possèdent
moins d'attributs. En effet, ces catégories
très générales ne sont presque jamais
utilisées pour référer à des
objets individuels à cause du nombre peu élevé
de propriétés de leurs membres. Par exemple,
nous n'utiliserons pas le substantif mammifère
pour désigner un chat à cause de son manque
de précision.
Le modèle connexionniste de traitement parallèle
distribué reproduit bien cet effet de différenciation
des concepts en catégories. À mesure que l'apprentissage
a lieu, les stimuli qui sont réitérés
dans le réseau se séparent progressivement
les uns des autres en fonction de leurs propriétés
les plus similaires (McClelland et Rogers, 2003 : 314).
Les connexionnistes expliquent ce phénomène
à partir de la covariation cohérente des propriétés
des concepts entre elles. La covarition cohérente
réfère à la récurrence d'un
ensemble de propriétés et non simplement d'une
seule. Puisque chaque concept partage un certain nombre
d'attributs avec les autres membres de sa catégorie,
ces attributs covarient entre eux lors de l'apprentissage.
Par exemple, les mammifères possèdent des
caractéristiques qui les distinguent des plantes,
mais les chats possèdent aussi des caractéristiques
qui les regroupent pour former une autre catégorie
plus spécifique incluse dans celle des mammifères.
4.2.3
Amorçage et activation
Les catégories du niveau de base sont plus efficaces
que les autres sur le plan de l'adaptation à
l'environnement parce qu'elles sont plus faciles
à amorcer que celles qui leur sont subordonnées
(Rosch et al., 1976). Selon les modalités de propagation
de l'activation, les propriétés stockées
à proximité de celles qui sont activées
ont plus de chances d'être activées à
leur tour. C'est ce qu'illustre le fait que
les éléments les plus représentatifs
d'une classe sont appris et reconnus plus facilement
que les autres. Ces capacités adaptatives s'avèrent
très importantes pour faire face aux différents
contextes. Par exemple, le concept PIANO active les informations
qui sont associées à un instrument de musique.
Mais lorsqu'il s'agit de déplacer l'instrument,
ce sont la TAILLE et le POIDS qui deviennent les propriétés
les plus importantes (Barsalou, 1991).
4.3
Les capacités inférentielles
Les capacités inférentielles ont toujours
occupé une place prépondérante dans
les recherches en psychologie autant que dans les modèles
visant à les reproduire artificiellement. La plausibilité
et la probabilité qu'un événement
se produise constituent les premières informations
que l'être humain considère pour raisonner
(Rips, 1990). Par exemple, les sujets d'une expérience
de Sloman (1998) ont trouvé plus convaincants les
arguments qui contenaient des éléments typiques
plutôt qu'atypiques, même s'ils
étaient tous présentés selon la même
organisation logique.
Nous pouvons décrire l'inférence comme
l'activité d'identification d'un
concept à partir d'une liste de relations à
d'autres concepts. Par exemple, l'inférence
inductive vise à identifier un concept appartenant
à une catégorie plus générale
que celles auxquelles appartiennent ses prémisses.
Les catégories dont les membres sont très
similaires possèdent d'ailleurs une haute valeur
inductive puisqu'ils réfèrent efficacement
aux catégories superordonnées. À l'opposé,
l'inférence déductive consiste à
identifier un concept appartenant à une catégorie
plus spécifique. Par exemple, une personne saura
que son chien FIDO aboie parce qu'elle sait que les
CHIENS, en général, aboient.
Puisque les inférences impliquent la catégorisation
et les types de liens qui unissent les concepts entre eux,
elles intéressent directement la représentation
des connaissances. L'efficacité des inférences
effectuées par les réseaux sémantiques
varie d'ailleurs en fonction de la manière
dont les connaissances sont représentées.
L'une des caractéristiques importantes des
réseaux sémantiques réside dans la
capacité à raisonner par inférence
en utilisant différents types de relations entre
les concepts. L'inférence joue aussi un rôle
prépondérant dans la désambiguïsation
des catégories sémantique. Pour comprendre
le LN, lorsque les propriétés de deux concepts
entrent en conflit, celles qui possèdent le poids
diagnostique le plus élevé permettent de choisir
le concept le plus pertinent. Les gens utilisent également
les connaissances dont ils disposent dans un domaine pour
en désigner les propriétés critiques
(Kalish et Gelman, 1992). Par exemple, le mouvement caractérise
le concept VOITURE puisqu'il est directement associé
à l'utilité du véhicule.
4.4
Concepts et langage
Le rôle du cerveau s'avère primordial
dans le développement et l'utilisation du LN
chez l'être humain. Un ensemble de zones cérébrales
qui traitent le sens des mots ont d'ailleurs été
identifiées (par exemple, voir Pulvermüller,
1999). Ainsi, le langage nous permet d'identifier
des classes d'objets, d'en inférer de
nouvelles propriétés et de communiquer ces
informations à d'autres personnes. Les processus
cognitifs supérieurs que nous avons abordés
précédemment sont également impliqués
dans le traitement du langage. Cette relation directe entre
le langage et les connaissances a d'ailleurs été
beaucoup étudiée, ce qui nous permettra d'évoquer
des phénomènes propres à l'organisation
des mots en mémoire et à leur utilisation.
4.4.1
L'amorçage des concepts en mémoire et
l'effet des connaissances
La mémoire sémantique humaine ne contient
pas un ensemble d'informations statiques mais fait
varier le sens des mots en fonction de leur utilisation.
Par exemple, les recherches sur l'effet d'amorçage
ont depuis longtemps démontré que les sujets
lisaient plus rapidement un mot s'ils en avaient préalablement
lu un autre qui lui était rattaché au niveau
sémantique (voir Ratcliff et McKoon, 1988). Plusieurs
phénomènes langagiers illustrent ce principe,
comme l'instanciation et l'interprétation.
L'instanciation est le phénomène par
lequel les informations contextuelles – les mots dans
une phrase, par exemple – amorcent ou restreignent
l'accès à certains concepts. C'est
le cas du mot navet dans les phrases suivantes :
– Jean, en bon agriculteur, récolte ses navets.
– Ce film était un véritable navet !
La nature grammaticale et l'acception du mot changent
complètement d'une phrase à l'autre.
Selon cette perspective, les mots ne possèdent pas
un certain nombre de sens bien définis mais plutôt
un ensemble de significations potentielles (Halff et al.,
1976). La signification des mots peut donc être modifiée
de manière pratiquement illimitée. Le phénomène
d'instanciation suggère que les connaissances
jouent un rôle prépondérant dans l'utilisation
du langage. Par exemple, il est impossible d'expliquer
comment on obtient des connaissances plus générales
sur un sujet simplement à partir des termes spécifiques
contenus dans une phrase si l'on ne dispose pas de
connaissances préalables sur le monde ni de capacités
inférentielles.
Si les mots sont toujours interprétés d'une
manière plus spécifique que l'ensemble
de leurs significations potentielles, cette sélection
ne s'effectue pas au hasard et le processus de catégorisation
se manifeste de nombreuses manières. Par exemple,
les recherches ont démontré que les gens nomment
plus librement les mots à leur niveau de base de
catégorisation (Lin et al., 1997). C'est le
signe qu'une sélection s'effectue à
partir du sens des mots au cours de leur utilisation. Enfin,
Murphy (1990) a montré qu'il est plus facile
d'interpréter un adjectif lorsqu'il modifie
le sens d'un substantif tel qu'il le fait typiquement.
Par exemple, pomme rouge (la couleur utilisée dans
son acception typique) sera plus facile à interpréter
que rouge de colère (la couleur utilisée dans
une acception moins courante de relation causale).
4.4.2
Les relations inter-catégorielles
Le processus de catégorisation se manifeste dans
les relations sémantiques qu'entretiennent
les mots entre eux, comme les relations synonymiques. Il
a d'ailleurs été observé que
les comparaisons inter-catégorielles de même
niveau (synonymie) sont traitées plus rapidement
que les relations subordonnées ou superordonnées
(Chaffin et Herrmann, 1984).
La catégorisation s'exprime également
dans le phénomène de polysémie. L'instanciation
montre qu'un concept entretient des relations avec
plusieurs autres catégories, même celles qui
lui sont éloignées sémantiquement.
Comme nous l'avons également vu avec l'inférence,
plusieurs propriétés ne sont pas nécessairement
apprises mais peuvent être dérivées
d'autres catégories (voir Markman et Makin,
1998). Cette caractéristique s'avère
importante dans l'organisation d'un réseau
sémantique car elle souligne la possibilité
d'utiliser les mêmes concepts dans plusieurs
contextes différents. Cela minimise d'ailleurs
la redondance et permet une certaine économie cognitive.
En effet, si une information peut être inférée
à partir des liens entre les concepts, nul n'est
besoin de l'encoder une seconde fois (Johnson-Laird
et al., 1984). Mais ce recours à l'inférence
plutôt qu'à la redondance a ses limites
puisque, d'une part, il alourdit le traitement des
liens dans le réseau et, d'autre part, son
efficacité varie en fonction de la manière
dont on représente les connaissances. De ce fait,
la position des mots dans l'« espace sémantique
» découle du contenu sémantique, donc
des relations entre eux.
5.
Quelques suggestions issues des recherches sur la cognition
humaine
Au début de cet article, nous divisions en deux paradigmes
la recherche sur les réseaux sémantiques ;
celui, psychologique, qui vise à reproduire les processus
cognitifs humains pour en comprendre le fonctionnement et
celui, issu de l'IA, dont l'objectif principal
est de rendre les machines intelligentes, qu'elles
y parviennent ou non à travers les mêmes processus
que l'être humain. Depuis plusieurs années,
les modèles de traitement parallèle distribué
ont reproduit artificiellement certains modes d'organisation
et d'utilisation des concepts par les êtres
humains, allant de l'apprentissage de l'enfant
jusqu'à la dégénérescence
neuropathologique (voir Rumelhart et al., 1986). Mais ces
recherches appartiennent davantage au paradigme de la psychologie
expérimentale. Et de son côté, la recherche
en IA n'a aucun avantage à reproduire les lacunes
du traitement cognitif humain, ce dont témoigne d'ailleurs
le recours actuellement limité à la structure
du LN (Iwanska et Shapiro, 2000). C'est la raison
pour laquelle les suggestions de cette ultime section s'intéresseront
surtout aux caractéristiques qui, à partir
de l'être humain, pourraient enrichir les réseaux
sémantiques en les rendant plus efficaces ou plus
simples.
Cependant, avant d'aller plus loin, nous croyons important
d'évoquer quelques questions à la base
de toute entreprise qui viserait à reproduire artificiellement
l'usage de la signification, ce qui s'apparente
à une théorie psychologique du sens :
– Quel est le meilleur type de représentation
?
– Quelle est la relation entre les connaissances et
le langage ?
– Comment les représentations sont-elles reliées
entre elles, notamment pour effectuer des inférences
?
– De quelle manière un réseau sémantique
peut-il apprendre de façon autonome à partir
de l'environnement et outrepasser les limites des
relations uniquement intensionnelles ?
– Est-il possible de tenir véritablement compte
du contexte aux différents niveaux d'utilisation
du LN (instanciation, apprentissage, interactions avec l'utilisateur,
etc.) ?
L'objectif de cette dernière section consiste
à mettre l'accent sur certaines informations
éventuellement utiles et ne prétend pas répondre
à ces questions. Nous verrons quelques avantages
des processus cognitifs supérieurs humains que les
réseaux sémantiques pourraient exploiter.
5.1
L'apprentissage autonome à partir du LN
Nous mentionnions précédemment l'habituelle
absence de relations extensionnelles. Les réseaux
sémantiques se contentent d'utiliser des concepts
tels que les programmeurs les encodent. S'agit-il
réellement d'un problème ? Cela constitue
au moins une limitation. Comme dans le cas du projet Cyc
(voir http://www.cyc.com), la charge de travail est colossale
pour qui tente de programmer une à une les informations
qui fourniraient un sens commun à une machine. Et
cette difficulté s'étend plus loin :
puisque le contenu de l'environnement varie sans cesse,
les connaissances changent aussi. Il faut donc poursuivre
sans relâche les corrections et la programmation des
nouveaux faits pour rester à jour pour que les représentations
restent adaptées à l'environnement.
Le LN nous semble une source particulièrement riche
d'informations, surtout lorsqu'il s'agit
de créer rapidement d'importantes bases de
connaissances sous forme de réseaux sémantiques.
Les textes contiennent des informations complexes qui impliquent,
entre autres, des relations de conjonction, de disjonction
et de négation. Des efforts pour exploiter la structure
du LN dans l'apprentissage des machines sont déjà
manifestes (voir Iwanska et Shapiro, 2000). Et les avantages
sont nombreux. Le LN implique la redondance et la contradiction
logique, ce qui permet d'intégrer les sens
non littéraux et d'identifier des fausses croyances.
Le LN motive également des apprentissages réels
même en l'absence des stimuli initiaux (ex.
: l'apprentissage humain grâce à la lecture)
et il fournit de nombreux avantages informationnels, allant
du stockage de la connaissance à l'échange
d'informations entre agents. Le LN peut représenter
la plupart des connaissances et son utilisation est généralisée
chez l'être humain, ce qui facilite les interactions
avec les machines. Enfin, l'Internet contient une
quantité croissante d'informations sous forme
textuelle qui sont encore sous-exploitées.
L'analyse automatique de nombreux types de textes
à partir d'algorithmes inspirés de la
structure du LN constituera un moyen efficace d'apprentissage
pour les réseaux sémantiques (Voir par exemple
Church (1988) qui utilise la récurrence statistique
des mots pour leur associer la bonne étiquette grammaticale
lors de l'analyse textuelle.). Des recherches en linguistique
informatique ont également montré qu'il
était possible d'acquérir des informations
linguistiques (ex. : morphologie, classes sémantiques,
noms composés, etc.) à partir de vastes corpus
de textes (Joshi, 1999). Sans être la réponse
à tous les problèmes, une plus grande utilisation
du LN pourrait engendrer de réelles améliorations.
Mais même si nous utilisons de grandes quantités
de textes pour l'apprentissage des connaissances,
il n'existe aucune théorie générale
sur la manière d'organiser automatiquement
ces concepts dans un réseau. Il n'est donc
pas suffisant de disposer de liens entre des concepts, encore
faut-il rendre ces liens polyvalents pour les exploiter
de façon productive.
5.2
La catégorisation en contexte
Comme nous l'avons vu, la catégorisation est
un processus cognitif fondamental chez l'être
humain. Un réseau sémantique performant devrait
catégoriser ses concepts de manière efficace
et pouvoir les consulter de manière productive. Les
concepts les plus efficaces sont ceux qui sont définis
de manière très spécifique, car ils
ne sont pas ambigus. C'est ce que nous retrouvons
dans la plupart des réseaux sémantiques actuels.
Mais cette univocité est lourde à programmer
et reste limitée dans ses performances. Idéalement,
il faudrait pouvoir modifier l'activation des liens
entre les concepts selon le contexte, ce qui est une caractéristique
de l'apprentissage humain. Par exemple, si le mode
de locomotion usuel de l'oiseau est le vol, dans le
cas du pingouin, il s'agit de la nage.
Les connaissances représentées de façon
plastique seront celles qui permettront des échanges
plus élaborés, comme une plus grande précision
dans l'interaction avec les utilisateurs (voir par
exemple, McKevitt et al., 1999). La plasticité est
l'une des caractéristiques de la catégorisation
telle qu'elle s'observe chez l'être
humain. Elle réfère à la capacité
des représentations à changer de forme ou
de fonction selon les altérations de l'environnement.
À la lumière des recherches en psychologie
précédemment citées, nous croyons que
les réseaux sémantiques gagneraient à
incorporer plusieurs des caractéristiques des processus
cognitifs humains. Par exemple, le niveau préféré
de catégorisation donnerait accès aux concepts
les plus utiles. Dans un réseau sémantique,
ce niveau préféré dépendrait
évidemment des types de liens entre les concepts
et de leur nombre. Mais ces liens gagneraient aussi à
pouvoir varier facilement, ce qui rendrait leur préprogrammation
moins pertinente.
Cet exemple correspond aussi à l'effet des
stéréotypes, c'est-à-dire à
la reconnaissance rapide des concepts les plus typiques
dans le réseau. Un avantage indéniable des
stéréotypes consiste à fournir un ensemble
cohérent d'informations, hautement disponibles
et caractéristiques des situations qui, malgré
leur complexité, ont le plus de chances de se produire
(Bodenhausen et al., 1999). Les nombreuses recherches sur
les stéréotypes en psychologie illustrent
également l'importance de l'utilisation
contextuelle des stéréotypes entre les individus,
ce qui rejoint la problématique des interactions
homme-machine. En effet, il est possible de postuler que
le LN s'est développé chez l'être
humain principalement à travers des actes de communication
(Pinker et Bloom, 1990).
Cependant, comme d'autres caractéristiques
de la cognition humaine, les stéréotypes ne
sont qu'une approximation ; ils ne permettent pas
d'obtenir toujours un résultat valide. De telles
possibilités aideraient néanmoins les réseaux
sémantiques à composer avec les problèmes
classiques du LN en IA, comme l'ambiguïté
sémantique et la polysémie.
Pour composer avec des informations variables, un système
plus adaptatif devrait donc pouvoir raisonner directement
à partir de ses connaissances et obtenir des conclusions
sur le monde, même si elles sont éventuellement
fausses. Un réseau sémantique qui tirerait
profit du modèle humain n'aurait donc pas à
assurer la validité complète de ses inférences
car l'inférence humaine est un dispositif visant
à composer avec des informations essentiellement
lacunaires. Les réseaux sémantiques pourraient
ainsi disposer d'heuristiques rapides et frugales
pour raisonner et même prendre des décisions
(voir Gigerenzer et al., 1999).
Un exemple concerne l'évaluation de la validité
des inférences, qui implique souvent des relations
éloignées avec d'autres concepts. La
fausseté d'une conclusion peut, entre autres,
être identifiée grâce à la présence
de contre-exemples. Dans ce cas, la proposition «
Tous les mammifères sont des chiens » demande
au système d'identifier une sous-catégorie
autre que chien qui appartient à la catégorie
mammifère. À partir du moment où il
découvre qu'une autre sous-catégorie,
comme chat, fait aussi partie de la catégorie mammifère,
il constatera la fausseté de sa conclusion. Cela
revient à identifier une propriété
superordonnée commune mais mutuellement exclusive
aux deux concepts subordonnés (Holyoak et Glass,
1975). Ici, l'exclusion s'avère primordiale
car certaines propriétés peuvent coexister
malgré leurs différences (ex. : on peut à
la fois être comptable et musicien).
En outre, puisque les processus inférentiels identifient
de nouveaux concepts à partir des relations qu'ils
entretiennent avec les autres, l'héritage des
propriétés d'une catégorie à
une autre s'avère être important. Pour
comprendre la proposition « Ce film était excellent
», nous devons inférer que l'on parle
du contenu du film, et non de son goût… À
la différence, affirmer que le livre est plutôt
laid référera probablement à sa couverture.
L'utilisation du LN ne demande pas seulement d'accéder
aux concepts auxquels les mots réfèrent mais
oblige surtout à activer les liens pertinents en
fonction du contexte. Chez l'être humain, la
communication oblige à compléter constamment
les informations qui ne sont pas fournies dans l'échange
linguistique et à désambiguïser le sens
des mots (Sperber et Wilson, 1995). Ainsi, un réseau
sémantique s'inspirant de l'être
humain devra transférer des propriétés
d'une catégorie à une autre suivant
certaines contingences contextuelles.
Nous espérons que de nouvelles avenues inspirées
des heuristiques frugales et du LN suggéreront des
nouvelles avenues de recherches plus interdiciplinaires.
Ainsi, il ne s'agira plus seulement d'obtenir
des représentations dont les liens sont valides.
Puisque la pondération de ces liens variera en fonction
de la nature et de la quantité des connaissances,
il sera possible de considérer acceptables des conclusions
approximatives qui se fondent sur des liens critiques activés
dans un contexte spécifique.
5.3
De riches interactions avec le contexte
Puisque les réseaux sémantiques visent à
représenter efficacement les connaissances, nous
sommes en droit de nous demander ce qui sous-tend la sémantique
en tant que théorie linguistique de la signification.
Une suggestion, simpliste du point de vue psychologique,
consiste à associer un mot à chaque idée.
Malheureusement, nous atteignons rapidement les limites
de cette suggestion puisque toutes les idées ne possèdent
pas toujours un mot qui y réfère et pratiquement
tous les mots impliquent un certain degré de polysémie.
Nous gagnerions donc à considérer la signification
à la lumière de la finalité communicative
du LN : son utilisation (Pinker et Bloom, 1990).
Le LN dépend fondamentalement du contexte parce que
son utilisation est largement sous-spécifiée.
Par exemple, une différence existe entre les membres
d'une catégorie et la catégorie générale
(CHIEN). Si une personne appelle son chien FIDO, elle n'active
pas la signification entière de CHIEN, et active
des concepts associés à son expérience
personnelle de FIDO. La majorité des phénomènes
observés chez l'être humain dans l'utilisation
du langage découlent directement du contexte. Cela
souligne l'importance des représentations plastiques
pour désambiguïser le sens des phrases. Il serait
d'ailleurs surprenant que toutes les composantes sémantiques
d'un mot soient activées lorsqu'il est
interprété dans une phrase. Chaque mot oriente
plutôt progressivement la définition des relations
et l'ordre d'utilisation des autres mots (McKoon
et Ratcliff, 1988).
6.
Conclusion
Dans cet article, nous avons brièvement présenté
la théorie des réseaux sémantiques.
Nous avons ensuite décrit les grands domaines de
la recherche sur les processus cognitifs supérieurs
humains et avons noté certains de leurs résultats.
Enfin, nous avons émis quelques suggestions qui tenaient
compte de la recherche sur la cognition humaine pour voir
comment elle pourrait éventuellement nourrir la recherche
en IA, notamment celle sur les réseaux sémantiques.
En effet, nous croyons qu'il est possible de tirer
davantage profit de la structure du LN, ce qui dotera les
ordinateurs de capacités cognitives plus raffinées,
notamment dans leur interaction avec les êtres humains.
Malheureusement, ces améliorations ne seront pas
sans engager certains désavantages, comme l'approximation
et la confusion inter-catégorielle. À la différence
des machines, les êtres humains connaissent intimement
le monde dans lequel ils évoluent, car ils y sont
incarnés. Leurs connaissances ne se limitent pas
à des symboles et à des relations. Il n'existe
aucune condition pour circonscrire universellement et a
priori le sens d'un mot. Mais il n'existe pas
davantage de raisons pour limiter le sens des mots à
des relations exclusivement intensionnelles. C'est
la raison pour laquelle, puisqu'elles abordent de
près la question de la représentation et de
l'utilisation des connaissances, les recherches futures
sur les réseaux sémantiques devront également
se préoccuper du problème de l'incarnation
(Sharkey et Ziemke, 2001).
Pour ouvrir de nouvelles avenues en IA, il sera utile d'améliorer
la communication au sein des sciences cognitives, particulièrement
entre l'informatique, la linguistique et la psychologie
cognitive. Des initiatives contribuent également
à développer la dimension intelligente associée
à la signification dans le LN. L'Internet et
la quantité croissante d'informations disponibles
dans les organisations rendront de plus en plus nécessaire
la capacité de synthétiser des connaissances
à partir de grandes quantités de données
textuelles. L'IA nous réserve des percées
impressionnantes, comme des interactions plus fluides avec
des ordinateurs qui parleront et comprendront le LN à
la manière de l'être humain, qui posséderont
des connaissances générales sur le monde et
seront capables de raisonner et de prendre des décisions
autonomes. Mais avant d'obtenir de tels résultats,
sans aucun doute, nous devrons nous attacher à mieux
comprendre le fonctionnement du cerveau humain.
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