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Politique
scientifique
Les
nanotechnologies inaugurent-elles une nouvelle course
aux armements ?
Jean-Paul
Baquiast 27/07/05
|
Le magazine
américain SIGNAL est dédié aux informations
et réflexions intéressant l'évolution
des systèmes d'armes et des stratégies
de défense. Il est incontestablement une des formes
d'expression les plus lues de ce que l'on appelle
encore en France le lobby militaro-industriel américain.
Sa bonne réputation incite à prendre au sérieux
ses articles. Ils ne sont certainement pas exempts de tentatives
de manipulation de l'opinion, notamment en ce qui
concerne l'appel aux crédits publics pour soutenir
les recherches/développements dans le secteur militaire.
Mais il se garde de tout sensationnalisme.
On lira donc avec intérêt l'article qu'il
vient de consacrer, sous la plume de Maryann Lawlor, à
l'avenir des nanotechnologies dans la perspective
des futurs affrontements entre les Etats-Unis et leurs rivaux
dans le monde. C'est un débat initialisé
par le Foresight Institute qui lui sert de prétexte.
Le Foresight Institute, de Palo Alto, Californie, peut être
considéré comme le représentant «
scientifique » des milieux industriels et académiques
militant pour le développement des applications à
base de nanosystèmes et, bien entendu, pour l'augmentation
des ressources humaines et budgétaires dédiées
aux recherches correspondantes.
Le Foresight
a souhaité poser la question des nanotechnologies
dans la perspective de leurs applications militaires, applications
pouvant être mises en œuvre par les Etats-Unis,
à l'initiative du Pentagone, mais aussi pouvant
apparaître dans des pays potentiellement hostiles
voire entre les mains de groupes terroristes. Pour clarifier
le débat, Christine Petersen, vice-présidente
de l'Institut, a proposé à ses interlocuteurs
de la défense de distinguer les technologies prévisibles
à court terme, soit 5 ans, à moyen terme,
soit 10/15 ans, et au-delà. C'est en effet
indispensable car beaucoup de fantasmes circulent concernant
notamment les promesses et risques des nanotechnologies
moléculaires, capables de se reproduire seules comme
l'avait prédit Eric Drexler, fondateur de l'Institut.
Celles-ci sont pour le moment considérées
par les experts comme relevant du long terme, tel que défini
ci-dessus.
Pour
le court terme, les nanoproduits pouvant intéresser
les militaires concernent des matériaux susceptibles
d'alléger et rendre plus résistants les équipements
existants. Pour le moyen terme, selon notamment le Dr. Edwin
L. Thomas, directeur de l'Institute for Soldier Nanotechnologies
au MIT, il faudra considérer des systèmes plus
avancés, capables par exemple de se réparer
eux-mêmes, qui constitueront l'environnement complexe
dans lequel le soldat abordera le champ de bataille, en coordination
avec toutes les aides électroniques dont il pourra
disposer. Mais les vraies révolutions n'apparaîtront
qu'à plus long terme encore. Ce seront alors de nouvelles
armes intelligentes disposant de moyens chimiques de contamination
qui seront disponibles. On verra aussi apparaître des
matériels reconfigurables, qui changeront de forme
selon les besoins. Les armes conventionnelles en bénéficieront
aussi. Ainsi la production d'armements atomiques utilisant
les techniques de la nano-ingénierie deviendra beaucoup
plus aisée, quasiment réalisable « sur
le bureau ».
Cela,
selon les experts, oblige à envisager l'apparition
de nouvelles courses aux armements, car les nanotechnologies
ne resteront pas le monopole des Etats-Unis, même
si ceux-ci font tout leur possible pour conserver en ce
domaine comme dans les autres une supériorité
suffisante sur leurs rivaux. Il n'y a pas de raison
pour que la Chine et l'Inde, notamment, ne développent
pas elles-mêmes leurs propres solutions. Elles seront
très certainement à finalité militaire
dès le début, car c'est ainsi que la
recherche scientifique progresse dans ces pays encore peu
libéraux. Il faut donc que les Etats-Unis se mettent
vraiment dans la course et la gagnent. Or, selon Christine
Petersen, ce n'est pas le cas actuellement. Certes,
l'Administration a lancé la National Nanotechnology
Initiative (NNI), mais celle-ci est très dispersée.
Elle finance des projets hétéroclites et n'est
pas orientée, comme avaient pu l'être
jadis des programmes stratégiques tels que le Projet
Manhattan ou même le programme Apollo, vers la réalisation
d'objectifs précis visant à doter les
armées d'outils opérationnels à
échéance prévisible. Mme Petersen milite
donc pour la mise en place de programmes d'armement
bien définis, utilisant toutes les ressources des
technologies émergentes, y compris les nanotechnologies
“What we want is something
that has the destructive chemical action of a chemical weapon,
which is really easy to do, combined with sensing and computation,
so that when it lands on an object or on a person it can
identify that object or person. If it's a person,
[it can] even read their DNA—and then decide whether
to implement the weapon or not.” Est-il
nécessaire de traduire?
Cet
avis, assez terrifiant car il consiste à remettre
dans les mains des militaires l'avenir des nanotechnologies,
n'a pas été entièrement partagé
par d'autres experts. Lawrence Gasman, co-fondateur
d'une firme de conseil en matière de nanotechnologies,
NanoMarkets Limited Company, Sterling, Virginia, admet que
les possibilités de ces dernières sont considérables
mais que le gouvernement fédéral n'est
sans doute pas le mieux à même de définir
les objectifs et les moyens de les obtenir. Gasman ferait
beaucoup plus confiance aux entreprises et à leurs
laboratoires de recherche pour ce faire. Laisser jouer librement
les initiatives, même si c'est dans le désordre,
est le plus sûr moyen de découvrir réellement
des éléments nouveaux que des recherches pré-ciblées
risqueraient de ne pas apercevoir. De plus, un contrôle
militaire trop étroit sur de telles recherches serait
la meilleure façon de provoquer le rejet de l'opinion
publique, déjà très prévenue
contre les risques pouvant en découler. Il ne croit
pas non plus à la possibilité qu'auraient
des pays éventuellement rivaux des Etats-Unis de
rattraper ceux-ci dans des domaines où ces derniers
disposent déjà d'une avance certaine.
Certes, les militaires doivent veiller, aussi bien pour
l'offensive que pour la défensive, à
l'évolution du secteur, mais tout placer dans
la perspective d'une course aux armements mondiale
serait une erreur.
Quoi qu'il
en soit, ce débat, pour nous Européens, devrait
être instructif. Nous sommes loin, que ce soit dans
le domaine militaire ou dans le domaine civil, de prendre
suffisamment au sérieux les perspectives des nanotechnologies.
Les pôles de compétitivité récemment
mis en place en France, par exemple à Grenoble, n'aborderont
encore que des aspects très limités et très
immédiats de cet immense domaine.
Pour en savoir plus
* L'article de SIGNAL http://www.afcea.org/signal/articles/anmviewer.asp?a=989&z=38
* NanoMarkets LC: http://www.nanomarkets.net
* Molecular manufacturing movie: http://www.foresight.org/nanofactory.mov
(film d'animation)
*The National Nanotechnology Initiative: http://www.nano.gov
* Institute for Soldier Nanotechnologies: http://web.mit.edu/isn
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