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Article
Solutions américaines pour lutter contre le réchauffement
de la Terre
par
Jean-Paul Baquiast
23 juillet 2005 |
Dans
toutes les conférences et débats concernant
l'actuel réchauffement avéré du climat
terrestre, les représentants des Etats-Unis ont commencé
par nier les bases scientifiques permettant d’affirmer
l’existence de ce phénomène. Ensuite
ils ont refusé d’admettre qu’il puisse
être lié aux activités humaines, notamment
à la combustion de carburants fossiles dont les Etats-Unis
sont les principaux responsables. Aujourd’hui, comme
il a été constaté à la réunion
du G8 à Gleneagles, ils sont moins
affirmatifs sur ces derniers points. Par contre ils continuent
à affirmer que la solution à long terme ne
consiste pas à réduire la consommation d’énergie,
fut-elle obtenue à partir de charbon et pétrole
producteurs de gaz à effets de serre. Ils affirment
qu’il faut faire appel à de nouvelles technologies
permettant de fixer ces gaz, notamment le CO2. Ils proposent
aussi des solutions grâce auxquelles la température
globale pourrait par ailleurs être stabilisée
voire réduite.
Il
est clair que pour eux, le recours à ces nouvelles
technologies aurait le double avantage d’agir directement
sur le climat sans limiter la consommation d’énergie,
et de produire des solutions exportables, notamment dans
le tiers-monde. Les entreprises américaines pourraient
bénéficier d'un monopole de fait dans ces
domaines si les investissements nécessaires étaient
entrepris très vite et, si possible, avec le soutien
de l’Etat.
Les
experts européens pour leur part s’interrogent
sur une politique qui leur parait une fuite en avant. Ils
doutent de la faisabilité des solutions proposées
par les industriels et scientifiques américains,
d’autant plus que leurs conséquences à
terme sur l’environnement n’auraient pas été
étudiées sérieusement. Ils doutent
aussi sur la possibilité de réunir les financements
nécessaires à des actions à grande
échelle. Mais la première question qui est
posée est de savoir que sont exactement les solutions
envisagées par les experts américains. Il
faut reconnaître que jusqu’à présent,
ceux-ci s’en sont tenus à des communications
scientifiques disposant d'une audience limitée
Le
tour d'horizon de la revue Popular Science
Un
article récent (août 2005) de la revue américaine
Popular Science / Aviation and Space, intitulé How
Earth-Scale Engineering Can Save the Planet comble
cette lacune (http://www.popsci.com/popsci/aviation/article/0,20967,1075786-4,00.html)
Il fournit des informations intéressantes permettant
l’amorce de véritables débats publics.
Selon les auteurs de cet article, plusieurs solutions alternatives
ou complémentaires pourraient être mises en
œuvre dès les prochaines années pour
refroidir l’environnement terrestre. Elles ont été
proposées non par des auteurs de science fiction
mais par des scientifiques considérés comme
sérieux, suite à une invitation de septembre
2001 faite par le président G.W. Bush dans le cadre
du Climate Change Technology Program. Elles ont
été pour la première fois discutées
publiquement dans le cadre d’une table-ronde intitulée
“Response Options to Rapid or Severe Climate
Change.” Ceci prouve
que, tout en niant officiellement à cette époque
la réalité du changement climatique, l’administration
fédérale préparait des réponses
susceptibles de préserver les intérêts
américains.
L’article est bien fait et bien documenté.
Il présente chacune des solutions, mais évalue
aussi tant bien que mal leur faisabilité, les risques
induits et leurs coûts. Ces solutions sont les suivantes
(nous renvoyons à l’article original pour des
informations plus détaillées) :
1)
Séquestrer le C02 sous terre, dans un état
compressé dit super-critique. Cette technique a été
plusieurs fois évoquée. Elle devrait pouvoir
s’appliquer aussi à d’autres gaz à
effet de serre, tels le méthane. Nous n’y insistons
pas.
Des expériences de grande ampleur ont déjà
été conduites, notamment dans le cadre du
Weyburn Project, entrepris en 2000 dans le cadre d’un
partenariat entre EnCana, compagnie pétrolière
canadienne et le Petroleum Technology Research Centre du
Canada.
2) Prélever
les molécules de C02 dans l’air à partir
de filtres géants imprégnés de produits
chimiques capables de le piéger (hydroxide de sodium
par exemple). Ces filtres seraient régulièrement
débarrassés du CO2 qui serait ensuite séquestré
comme précédemment. Ce système n’est
pas considéré comme avantageux car il serait
très gourmand en énergie, pour séparer
le CO2 de son ligant.
Promoteur du projet : le Dr Klaus Lackner, physicien
du Earth Engineering Center de l’université
de Columbia
3)
Fertiliser les mers stériles du globe en y répandant
de la poudre de fer, laquelle favoriserait la croissance
des planctons, eux-mêmes grands consommateurs de CO2.
Mais cette solution pourrait avoir des conséquences
difficiles à prévoir et catastrophiques sur
l’ensemble des chaînes alimentaires intéressant
les espèces marines.
Promoteur du projet, l’océanographe Kenneth
Coale, directeur du Moss Landing Marine Laboratories à
Monterey, Californie
4) Pétrifier
le CO2, c’est-à-dire le transformer en calcaire
comme le fit dans le passé l’évolution
biologique née de la mer primitive. Pour cela, il
faudrait engager des réactions chimiques utilisant
un produit intermédiaire, serpentine ou olivine,
très répandue et bon marché, afin de
transformer le CO2 en carbonate de magnésium. Un
catalysateur, le bicarbonate de soude, amorcerait la réaction.
Promoteurs du projet : Michael McKelvy et Andrew Chizmeshya,
du Goldwater Materials Science Laboratory à l’Université
d’ Arizona
5)
Augmenter la couverture nuageuse pour diminuer la lumière
reçue par la Terre. Ceci se ferait notamment en ensemençant
les nuages tropicaux avec des particules de sel qui provoqueraient
une condensation accrue de la vapeur d’eau. L’ensemencement
ne se ferait pas par avion mais à partir du niveau
de la mer, des voiliers automatisés propulsés
par des tuyères à air (Flettner Rotors) projetteraient
de l’eau de mer pulvérisée autour d’eux.
Une flottille de 3.000 à 10.000 de tels navires répartis
sur les mers intertropicales devrait suffire.
Promoteur du projet, le physicien John Latham, du National
Center for Atmospheric Research à Boulder, Colorado
6)
Réfléchir (défléchir)
la lumière solaire à l’aide d‘un
miroir géant placé en équilibre entre
la Terre et le Soleil. Il s’agit du projet le plus
ambitieux et le plus coûteux. Même si le miroir
était fait d’un grillage très léger
de fils d’aluminium plus fins que des cheveux, il
devrait être déployé sur une superficie
d’environ 800.000 kms2, ce qui poserait des problèmes
logistiques considérables. Le grillage ne bloquerait
pas tout le flux solaire mais filtrerait seulement 1% des
radiations infra-rouge, ce qui serait suffisant pour stabiliser
la température terrestre. Vu de Terre, il apparaîtrait
comme un petit point à la surface du soleil. De l’aveu
même de son promoteur, un tel projet ne serait à
envisager que si tous les autres précédemment
énumérés avaient échoué.
Promoteur du projet : le Dr Lowen Wood, du Lawrence Livermore
National Laboratory. Le Dr Lowen Wood est un spécialiste
de la lutte contre les risques majeurs, naturels ou résultant
du terrorisme. Voir sur ces sujets les travaux du George
C. Marshall Institute, The Washington Roundtable on Science
and Public Policy, auxquels il participe http://www.marshall.org/subcategory.php?id=30
oOo
Il
existe évidemment d’autres projets, plus ou
moins ambitieux. On pourra juger que les uns et les autres
constituent des fuites en avant permettant de donner bonne
conscience aux Américains et leur permettre de ne
pas faire d'économies d'énergies fossiles
dans l'immédiat. Mais peut-être faut-il en
Europe s'intéresser à de telles idées.
Alors, le point intéressant à noter est que,
lorsque les experts et politiciens américains discutent
de ces diverses solutions, qui ne pourraient être
mises en œuvre qu’à l’échelle
de la planète, ils semblent considérer que
seuls les Etats-Unis sont concernés. Les réactions
des autres pays (sauf peut-être celles de la Grande
Bretagne et de l’Australie) ne semblent pas les inquiéter.
L’Amérique n’est-elle pas une hyper-puissance,
dont le pouvoir s’impose légitimement à
l’ensemble de l’humanité ?
Post-script au 30/07/05
Un
partenariat des six plus grands pays pollueurs pour échapper
à Kyoto
Les
Etats-Unis font tout ce qu'ils peuvent pour rendre inopérantes
les mesures pourtant bien timides du Protocole de Kyoto
visant à fixer des restrictions quantitatives à
la production des gaz à effet de serre. Leur thèse,
comme nous l'avons rappelé plusieurs fois, consiste
à dire que seules de nouvelles technologies de confinement
du CO2 ou de lutte contre le réchauffement global
permettront de contrôler l'accroissement des températures
(voir notre article ci-dessus ).
Cette argumentation leur permet dans le court terme de ne
rien changer à leur mode de vie hyper-consommateur
et hyper-pollueur. A plus long terme, ils visent à
vendre aux pays pollueurs, notamment asiatiques, sous prétexte
de "transferts technologiques", de coûteuses
solutions industrielles made in USA susceptibles de créer
à leur profit des marchés dépendants.
Aussi
seuls les écologistes naïfs se sont-ils étonnés
de la signature à Vientiane le 28 juillet 2005 d'un
"Partenariat sur le développement propre et
le climat dans la zone Asie-Pacifique" associant les
Etats-Unis, la Chine, l'Inde , l'Australie, le Japon et
la Corée du Sud. L'objectif affiché est de
mettre en oeuvre en commun des énergies propres et
développer les échanges technologiques. Il
est très louable dans l'absolu mais comme le dit
Steve Sawyer de Greenpeace, " ceci n'a rien à
voir avec la réduction des émissions de gaz
à effet de serre. Il n'y a pas d'objectifs, pas de
réductions, aucun contrôle des émissions,
rien de contraignant". Il ne s'agit pas de remplacer
Kyoto, proclament les signataires, mais qaund on sait qu'il
faut déjà préparer l'après-Kyoto,
en adoptant pour 2012 des mesures de restrictions plus ambitieuses
pouvant intéresser 200 pays, comme on en discutera
à Montréal en novembre sous l'égide
de l'ONU, le "Partenariat" est un alibi qui permettra
aux Etats-Unis de continuer à refuser d'entrer dans
la procédure de Kyoto, en espérant s'allier
la Chine et l'Inde. Ces dernières ont ratifié
Kyoto, mais n'ont pas d'obligations à respecter avant
la 2e phase.
L'Europe
dispose évidemment là d'une carte à
jouer, notamment dans ses relations avec la Chine. Elle
aussi peut cofinancer des centrales à charbon ou
à fusion propres destinées à ce pays,
en contrepartie d'une ratification effective et dûment
appliquées des restrictions quantitatives d'émission
de l'après-Kyoto.
Quant
à l'Australie, on ne peut que s'étonner (s'indigner)
de la voir continuer à refuser les contraintes de
la limitation de production de CO2, alors que par ailleurs,
elle constate déjà des risques de destruction
de ses barrières coraliennes liés au réchauffement
et à l'augmentation d'acidité de la mer.
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