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Everything
Bad Is Good for You : How Today's Popular Culture
Is Actually Making Us Smarter
Tout ce qui est mauvais est bon
pour vous. Comment la culture populaire nous rend
plus intelligents
par
Steven Johnson
Penguin
mai 2005
Présentation par Jean-Paul Baquiast
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Steven
Johnson est un écrivain new-yorkais s'intéressant
aux changements des comportements sociaux, notamment
sous l'influence des sciences et des technologies.
Ses livres ne prétendent pas faire oeuvre scientifique
approfondie, mais ils sont extrèmement bien
accueillis dans les médias et par le public.
Il a écrit deux ouvrages antérieurs:
Mind
Wide Open : Your Brain and the Neuroscience of Everyday
Life, Allen Lane Scribner 2004
Emergence:
The Connected Lives of Ants, Brains, Cities, and Software
Allen Lane Scribner 2001
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Nous avons plusieurs fois ici insisté, bravant
les tenants de la culture traditionnelle, sur la nécessité
de considérer les jeux électroniques comme
des composants essentiels de la culture dans les sociétés
modernes. En cela, nous ne faisons qu'illustrer
la thèse défendue, y compris dans cette
revue, par Bernard Stiegler, selon laquelle les industries
numériques constituent désormais des machines
à formater les intelligences au moins aussi puissantes
que l'école et l'université.
Certaines travaillent principalement dans le sens de
la « crétinisation », pour reprendre
le terme de ce philosophe. On pensera par exemple à
la Télé-réalité diffusée
par TF1 et M6 (encore que certains bons esprits y voient
au contraire d'intéressantes formes d'apprentissage
social). Mais d'autres de ces industries, au contraire,
produisent des contenus dont la complexité et
l'intelligence sous-jacente mérite bien
plus que le mépris où les tiennent les
intellectuels classiques. Nous pensons en particulier
aux Jeux électroniques et jeux vidéo,
qui ne diffèrent que par des détails techniques.
Certaines séries télévisées,
aux Etats-Unis notamment, sont elles aussi des outils
pédagogiques indiscutables, par leur capacité
à plonger le spectateur dans des univers bien
différents de ceux de la vie ordinaire.
La
question est donc posée, aux parents et aux éducateurs.
Faut-il s'efforcer de restreindre le temps que
consacrent les jeunes enfants (entre 8 et 14 ans) à
ces activités électroniques ? La réponse
générale est que, s'il est pratiquement
impossible d'en interdire la pratique, on ne peut
que souhaiter la limiter, car il s'agit de temps
perdu tant pour les études que pour la maturation
de l'intelligence. Mais un nombre croissant de
psychologues pensent aujourd'hui le contraire.
Ces jeux représentent une forme d'apprentissage
indispensable pour l'acquisition des circuits
neuronaux nécessaires à la survie au sein
des sociétés technologiques hautement
complexes. L'ouvrage de Steven Johnson, examiné
ici, défend cette thèse avec beaucoup
de conviction.
Dans l'un des passages les plus provocateurs de Everything
Bad is Good for You, sous-titré: "How Today's
Popular Culture is Actually Maling Us Smarter"
("Comment la culture populaire nous rend vraiment
plus intelligents"), Steven Johnson reprend les
arguments actuellement en vogue chez les adeptes "éclairés"
des jeux vidéos, qui y voient une nouvelle culture
et soulignent la sophistication croissante des univers
virtuels. Le joueur doit déployer des trésors
d'ingéniosité pour se sortir des pièges
des jeux de nouvelle génération, et manipuler
l'arsenal de plus en plus réaliste mis à
sa disposition. Il en est de même selon lui des
séries télévisées récentes,
qui présentent des personnages ambivalents pris
dans des situations complexes, là où "Starsky
et Hutch" sollicitait nettement moins l'intelligence
et le sens critique du téléspectateur.
Pense-t-il aux « Feux de l'amour »
dont en France, les adeptes se recrutent parait-il plus
dans les maisons de retraite que parmi les enfants des
écoles ?
"Mon
sentiment intime est que les gens sont fatigués
d'être sans cesse pointés du doigt pour
ce qu'il font", affirme l'auteur, tout en
ajoutant qu'il ne recommande qu'une "exposition
modérée" à la télévision
et aux jeux vidéos.
Cette
thèse suscite évidemment des oppositions
parmi les intellectuels et moralistes américains,
qui la condamnent comme faisant l'apologie de
la violence et de la bêtise. Ils reprochent à
l'auteur de chercher surtout à faire parler
de lui à peu de frais, en surfant sur une vague
plus commerciale que culturelle. Ces jeux et programmes
ne sont pas plus utiles pour le développement
du cerveau que la lecture d'un livre ou l'apprentissage
d'un instrument de musique, sans parler de la pratique
de jeux traditionnels difficiles comme les échecs
ou le jeu de go. Ils véhiculent par ailleurs
des messages difficilement défendables, avec
l'omniprésence de la violence, du sexe
et surtout du sexisme, c'est-à-dire de
la sujétion de la femme à des mâles
dominateurs.
Johnson
répond à cela que son appréciation
ne porte pas sur les contenus moraux des produits numériques,
qui sont ceux que secrète en général
la société pour laquelle ils sont produits.
Il ne croît pas de toutes façons à
la soi-disant moralité que voudraient imposer
des censeurs auto-proclamés, comme il s'en
trouve encore beaucoup dans l'Amérique
puritaine. Il étudie seulement le bénéfice
intellectuel que procure la participation aux jeux électroniques.
Ceux-ci sollicitent en permanence la participation critique
de l'utilisateur, contrairement à la lecture
d'un roman ou la visualisation d'un film
dont tous les éléments ont été
pré-construits et sont donc à prendre
ou à laisser. Dans un jeu, le joueur doit en
permanence évaluer l'état de ses
forces, celui des adversaires et prendre des décisions
rapides. De plus, quand les jeux supposent des participations
en équipe, ils obligent à négocier
la compétition et les alliances, comme dans la
vie réelle.
Plus immédiatement, ils obligent le sujet à
s'adapter à des produits logiciels et robotiques
complexes tels que ceux rencontrés dorénavant
dans la vie courante. La reconnaissance de forme, l'identification
de la voix et des sons, l'aptitude à résoudre
des problèmes, fussent-ils les plus triviaux,
sont désormais indispensables. Les personnes
âgées ou n'ayant pas la pratique
de ces comportements sont d'ores et déjà
dépassées par la nécessité
de s'interfacer avec la civilisation technologique.
Les jeux au contraire y préparent tout spontanément
les enfants et tous ceux qui s'y adonnent, quelque
soit leur âge.
Par ailleurs, Steven Johnson souligne qu'ils ont
un autre intérêt. Obligeant pour la plupart,
comme nous venons de le dire, le joueur à s'insérer
dans des groupes et à négocier des alliances
stratégiques, ils constituent un bon apprentissage
pour les relations par Internet ou par téléphone
portable qui deviennent l'arrière-plan
sociétal dans lequel sont plongés dorénavant
les jeunes, y compris les enfants. Ceux-ci peuvent ainsi
apprendre à manipuler ces relations et les contacts
avec les individus réels qui sont au bout des
réseaux, soit pour s'en faire des amis
ou complices, soit au contraire pour s'en méfier.
Un
regard européen
Steven
Johnson n'échappera pas à certaines
critiques, même si dans l'ensemble son effort
pour réhabiliter les jeux et produits numériques
aux yeux des éducateurs nous apparaît fondé.
La première de ces critiques est qu'il
n'existe pas encore d'études approfondies,
venant des spécialistes des sciences dites cognitives,
sur la façon dont ces objets interfèrent
avec les cerveaux et les personnalités des adeptes.
Déclenchent-ils des processus spécifiques
et intéressants d'apprentissage et de structuration
des espaces mentaux ? Ces processus sont-ils réutilisables
par les sujets dans leur vie quotidienne ? Sont-ils
durables ? Peuvent-ils éventuellement créer
des addictions isolant le sujet dans un monde virtuel
générateur d'associabilité
?
Une autre question concerne l'influence idéologique
ou politique sous-jacente qu'exercent les produits
numériques sur leurs consommateurs. Un regard
spécifiquement européen s'impose en ce
domaine de la culture, comme en beaucoup d'autres. On
comprend que Steven Johnson ne l'ait pas abordé
mais nous devons le faire pour ce qui nous concerne.
Ces produits sont généralement conçus
aux Etats-Unis, dans un esprit certes très ouvert
et dynamique, mais cependant marqué par les valeurs
politiques et commerciales de la civilisation américaine.
On sait que pour les penseurs de la « domination
globale » que souhaite exercer ce pays sur le
monde, il n'y a pas de combats indifférents.
Hollywood a toujours été mis au service,
dans l'ensemble, d'une vision stratégique
illustrée par le soutien donné depuis
50 ans au cinéma dit de sécurité
nationale. Il en est de même, sous des formes
différentes, des séries télévisuelles
et même des jeux et divertissements électroniques
produits par l'industrie du multimédia.
Faut-il se laisser pénétrer sans réagir
par les produits proliférants de cette industrie
?
La question intéresse plus particulièrement
les pays européens qui, comme la France, reçoivent
les créations numériques comme des produits
commerciaux « vendus sur étagère
», c'est-à-dire sans généralement
pouvoir les concevoir eux-mêmes, en fonction de
leurs propres valeurs culturelles. Il faut en effet
énormément d'argent pour réaliser
des jeux électroniques de qualité, adaptés
aux langues et spécificités intellectuelles
et affectives européennes. Ce n'est pas
le cas actuellement. On peut penser que sans un effort
concerté des gouvernements européens pour
susciter des créations originales, rien ne pourra
être fait par des auteurs ou éditeurs européens.
Ils se borneront à transposer les œuvres
américaines ou japonaises…en attendant
les chinoises. C'est le reproche qui est souvent
fait, dans le domaine du cinéma français,
à Luc Besson.
Elevons
encore le débat. La question de l'influence des jeux
"made in America" peut prendre une certaine importance,
dans les circonstances actuelles où l'endoctrinement
de la jeunesse par des internationales radicales, possiblement
terroristes, menace indiscutablement les civilisations occidentales.
Quel effet aura la diffusion des jeux électroniques
américains, notamment par Internet, dans des pays
où la jeunesse est soumise à un enseignement
islamique peu ouvert sur l'occident. Ces jeux propageront-ils
une image favorable aux Etats-Unis, susceptible d'encourager
une volonté de rapprochement sincère chez
les jeunes ? Il semble que ce phénomène souhaitable
se produise actuellement en Iran, dans la jeunesse éduquée.
Mais on peut craindre qu'ils aient parfois un effet tout
différent. Ils formeront certes les esprits à
manipuler la complexité du monde occidentale, mais
cela pourra être pour mieux le détruire de
l'intérieur. Il est inquiétant en effet de
constater, comme l'indiquent les services occidentaux, qu'un
nombre croissant de terroristes se recrutent parmi des étudiants
de 3e cycle au sein des universités occidentales,
avec le même profil psychologique que celui des auteurs
des attentats du 11 septembre. On peut alors imaginer que
de futurs candidats à de tels attentats «s'amusent»
à s'y préparer en affrontant les difficultés
d'un jeu tel que Zelda ou le Grand Theft Auto.
*
Grand Theft Auto : http://www.rockstargames.com/sanandreas/
** Présentation par Gamekult.com :
http://www.gamekult.com/tout/jeux/fiches/J000017314.html