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Editorial
Les grands programmes européens
de souveraineté
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
1er juillet 2005 |
Signalons
deux bonnes nouvelles pour l'Europe, annoncées toutes
les deux le 28 juin dernier :
- le lancement du programmes ITER qui vise à démontrer,
dans un réacteur expérimental situé en
France à Cadarache, la possibilité scientifique
et technologique de la production d'énergie par la
fusion des atomes ;
- le lancement de Galiléo, projet européen de
navigation et de positionnement par satellite destiné
à concurrencer le système américain GPS.
Depuis la création de cette revue, nous avons publié
de nombreux articles appelant à la prise de conscience
de l'intérêt capital que présentent ces
programmes pour donner à l'Europe le minimum de souveraineté
dont elle a besoin, dans le domaine énergétique,
dans celui de la géolocalisation par satellites et
plus généralement dans le développement
de centres de recherches et de potentiels industriels qui
n'ont que trop tendance à migrer spontanément
hors de nos frontières. En ce qui concerne ITER, nous
avions même, avec beaucoup de spécialistes français
du nucléaire, appelé le président de
la République à faire pression sur la Commission
afin que ce programme soit lancé en France sans la
participation des Etats-Unis, du Japon et de la Corée
du Sud, si ces pays continuaient leur guerre de retardement.
La dépense aurait été plus élevée,
mais le projet aurait peut-être été plus
facile à gérer et plus riche en retombées
que dans la configuration internationale dorénavant
retenue.
Enseignements
à retenir
Quels
enseignements retenir de la décision qui vient d'être
prise ?
Les médias, le monde politique et le grand public ont
accueilli la nouvelle du lancement de ces programmes avec
un enthousiasme certain. Ceci montre que, pour peu que les
scientifiques et surtout les hommes politiques s'efforcent
de communiquer sur les grands enjeux scientifiques et technologiques
intéressant l'Europe et à travers elle le monde
entier, l'opinion publique les suit. Il n'y a pas que la «
Ferme célébrités » pour polariser
l'intérêt des citoyens.
Il demeurent cependant, quel que soit d'ailleurs le domaine,
des opposants qu'il faut bien qualifier d'irresponsables quand
ils ne sont pas instrumentalisés par des intérêts
hostiles au développement européen. Ils s'empressent,
à peine les décisions prises, de monter des
campagnes de dénigrement ou d'incitation à la
peur. Nous avons été particulièrement
scandalisés par l'intervention d'un ancien ministre
sur une antenne publique, expliquant qu'ITER serait de l'argent
gâché et ne produirait de toutes façons
aucun résultat avant des décennies. Ce seront
au contraire dans les deux cas d'ITER et de Galiléo,
des gains positifs dans de nombreux domaines de recherches
et d'industries de pointe qui seront enregistrés par
les participants à ces projets.
Face aux hésitations et aux ignorances, la décision
de lancer enfin Iter et Galiléo a été
en partie due aux industriels européens intéressés.
Ce sont eux qui, menacés de perte de compétence
et de désindustrialisation, au profit notamment des
Etats-Unis et du Japon, ont su faire prendre des positions
réalistes. Pour cela, il ont déployé
beaucoup d'énergie, auprès de leurs gouvernements
mais surtout vis-à-vis de la Commission. Celle-ci,
pénétrée encore de l'idéologie
libérale selon laquelle des regroupements industriels
forts en Europe présentent des risques de monopole
et doivent être démantelés, a insisté
plus que raisonnablement pour satisfaire aux exigences du
Japon et des Etats-Unis dans le cas d'ITER. C'est également
la Commission qui, alors que les industries européennes
de l'espace dépérissent faute du soutien de
programmes spatiaux publics analogues à ceux conduits
aux Etats-Unis, avait voulu mettre en concurrence deux consortiums
qui ne demandaient qu'à coopérer pour unir leurs
forces dans le programme Galiléo. Ceux qui questionnaient
les fonctionnaires de la Commission sur ce qu'il adviendrait
du consortium qui n'aurait pas été retenu, s'entendaient
répondre que ce souci n'entrait pas dans les considérations
à prendre en compte.
On ne tirera pas cependant argument de ces difficultés
de dialogue avec la Commission pour reprendre le discours
de type souverainiste selon lequel seuls les Etats peuvent
décider aujourd'hui de grands programmes scientifiques
et technologiques. Il est évident que, même si
la France et deux ou trois de ses voisins européens
s'étaient fortement impliqués dans ITER et dans
Galiléo, rien ne se serait fait sans l'existence et
l'appui de l'Union européenne au sens large. Il faut
particulièrement saluer à cet égard la
persévérance et la volonté du précédent
commissaire à la science et à la technologie
Philippe Busquin, qui a su, non seulement défendre
ces projets à l'international, mais arbitrer à
la satisfaction générale entre les intérêts
nationaux en conflit. Pour nos concurrents américains
et japonais, comme pour nos alliés russes et chinois,
ces deux projets sont évidemment les succès
d'une Europe unie dans des perspectives de souveraineté
à long terme. Le reste du monde ne s'y trompe pas non
plus.
Ceci dit, l'histoire d'ITER et de Galiléo ne fait que
commencer. Pour qu'elle se déroule pour le plus grand
bénéfice de l'humanité et bien entendu
aussi de l'Europe, des décisions exceptionnellement
difficiles d'organisation et d'arbitrage entre conflits seront
à prendre, ceci pendant des années. En ce qui
concerne Iter, la partie européenne devra particulièrement
se méfier des modalités de la coopération
avec les partenaires japonais, américain et coréen.
Il ne faudrait pas que tout ce qui sera porteur d'avenir soit
développé en Asie, l'Europe héritant
de la chaudronnerie. Deux obstacles seront à éviter
: d'une part une volonté délibérée
de non-transparence (par exemple pour des prétextes
de sécurité) de nos partenaires non-européens
– et d'autre part l'incapacité des laboratoires
et industriels européens, faute d'un maintien à
niveau suffisant de leurs compétences, à suivre
les aspects les plus déterminants du projet, par exemple
dans le domaine des logiciels.
En ce qui concerne Galiléo, il faudra que des politiques
industrielles délibérées soient organisées
en Europe afin de permettre aux industriels européens
susceptibles de développer les multiples applications
rentables du système de ne pas laisser les marchés
de celles-ci à leurs concurrents non-européens(1).
La
souveraineté spatiale européenne
Nous terminerons en soulevant un point d'une encore
plus grande importance. La souveraineté scientifique
et technologique européenne ne se joue pas seulement
dans les domaines de la fusion nucléaire et du positionnement
satellitaire. Il ne faut pas oublier les autres, ceux des
biotechnologies, des nanotechnologies, des infotechnologies,
des industries de l'intelligence et du savoir. Il
en est un plus essentiel encore, que nous évoquons
souvent, pour déplorer qu'il soit aussi peu
pris en considération par les gouvernements et les
opinions publiques, c'est celui de la présence
de l'Europe dans l'Espace, autrement dit de
la souveraineté spatiale européenne. Ce thème
inclut tous les volets de la politique spatiale, le scientifique,
le militaire, les vols habités, avec des étapes
à ne pas manquer, notamment pour l'industrie
européenne des lanceurs et des satellites. Galiléo
à cet égard ne pourra pas tenir lieu d'une
politique européenne globale (même si l'Europe
décide de s'affranchir des interdits américains
concernant des applications militaires de ce programme).
Il faudra faire beaucoup plus et le faire rapidement.
Nous envisageons de nous rapprocher dans les mois qui viennent
des principaux défenseurs de ce thème au sein
de la communauté spatiale européenne. Nous
nous efforcerons notamment d'y consacrer un dossier
collectif et peut-être une manifestation publique
en 2006.
(1)
L'implantation du réacteur expérimental
Iter à Cadarache vise seulement à démontrer
la faisabilité scientifique et technique de la fusion
nucléaire appliquée à la production d'électricité.
Un certain nombre de physiciens doutent encore de cette faisabilité,
mais la question qui se pose aujourd'hui n'est pas là.
Elle est de savoir quelle part l'Europe prendra dans les recherches
et développements destinés à produire
un premier réacteur expérimental. Le Japon,
soutenu par son allié les Etats-Unis, a obtenu des
avantages qui peuvent paraître exorbitants, compte-tenu
de sa participation au projet, chiffrée à 10%
environ. En effet, la machine Ifmif (International Fusion
Materials Irradiation Facility) destinée à produire
des matériaux, encore aujourd'hui inexistants, capables
de résister aux neutrons rapides produit par la fusion,
sera implantée au Japon. De même ultérieurement
le premier réacteur de démonstration, entre
2020 et 2025, dit DEMO. Enfin le Japon compte bien prendre
une large part à la réalisation des outils robotisés
nécessaires aux développements du projet [voir
notre article du 30 janvier 2004 : "ITER
: un défi technologique pour la robotique de maintenance"].
Ceci est sans doute normal, vu le caractère international
du projet, mais il conviendra cependant que les pays européens
ne se dépossèdent pas du savoir-faire dans ces
différents domaines cruciaux. Des réalisations
en double seront sans doute nécessaires.
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