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Editorial
Pour un nouveau rêve européen
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
15 juin 2005 |
Cet
éditorial paraître s'éloigner du coeur
de notre projet rédactionnel, qui concerne les sciences
émergentes. Certains lecteurs nous reprochent de
trop parler de l'Europe et pas assez de ces dernières.
Mais comme ils pourront le voir en lisant ce (trop) long
texte, les deux propos se rejoignent nécessairement.
Il serait
temps, pour l’ensemble de ceux s’estimant représentés
par les partis de gouvernement français, qu’ils
soient de droite, du centre ou de gauche, de proposer leur
vision de l’Europe après l’échec
presque certain du projet de traité constitutionnel
(TCE). Les perspectives de reconstruction seront nécessairement
diverses. Nous pensons cependant que, tout en étant
diverses, elles devront être très innovantes,
pour ne pas retomber dans les lieux communs du discours
sur l’Europe. Mais si elles sont innovantes, elles
seront dérangeantes et courront donc la risque d’être
particulièrement mal comprises. D’où
la nécessité de s’en expliquer le plus
tôt possible.
Mais avant la vision, vient le nécessaire exercice
du bilan. L’échec du TCE marque qu’on
le veuille ou non l’échec d’une certaine
conception de l’Europe, qu’il faut analyser
pour ne pas retomber dans les illusions qu’avaient
entretenues les défenseurs du Oui au traité.
Mais il marque aussi le retour en force de toutes les forces
hostiles à la construction européenne, en
France mais surtout dans le monde. Il faut également
les analyser car ces forces ne nous veulent pas de bien,
ni à l’Europe ni à la France. Elles
menacent même directement notre avenir à tous.
C'est ce que ne semblaient pas avoir compris, en pratique,
les défenseurs du Non - ceux du moins qui ne recherchaient
pas sciemment la destruction de toute souveraineté
européenne..
1.
Le bilan de l’échec du TCE
Ce bilan
ne peut pas être objectif. Il dépendra des
positions antérieures au référendum
affichées par les partisans du Oui comme par ceux
du Non. Ayant été nous-mêmes partisans
du Oui, nous présenterons notre analyse, sans prétendre
la dire objective, mais en essayant de la rendre acceptable
par le plus grand nombre, c’est-à-dire notamment
par les partisans du Non ayant milité pour une Europe
plus ambitieuse mais plus sociale. Inutile de dire que ce
faisant nous n’entrerons pas dans le discours dit
« souverainiste » visant à diminuer le
rôle de l’Europe voire à déconstruire
plus ou moins complètement l’Union européenne
et ses acquis pourtant pour certains vieux de plus de 50
ans.
1.1. Les insuffisances du Traité expliquent en partie
son rejet
Au-delà
des explications anecdotiques, dont il faut pourtant tenir
compte (manque d’un débat démocratique
sur l’Europe, qui aurait dû être bien
antérieur au référendum, volonté
de sanctionner le gouvernement), nous pouvons énumérer
quatre causes principales de rejet. Elles tiennent toutes
aux insuffisances du projet de Traité, occultées
avant les référendums, très visibles
aujourd’hui. Même les pays ayant approuvé
le Traité les admettront sans doute.
- Le
monde global, économique, social et politique, apparaît
particulièrement menaçant pour les citoyens
européens et leurs activités traditionnelles.
Il se présente comme le terrain d’affrontement
de grandes forces devant lesquelles les européens
sont conscients de ne plus faire le poids. On citera les
« Empires » géo-politiques dotés
de stratégies d’expansion et de conquête,
Etats-Unis mais bientôt Chine et Inde, les multinationales
à leur service, principalement américaines,
les pays du tiers-monde à la population constamment
en expansion désireux d’accéder aux
niveaux de vie européens. Une Europe libérale
(ultra-libérale), non protégée par
des réglementations publiques, sera submergée,
malgré ses potentiels de résistance. Les suppressions
d’emplois et les délocalisations se multiplieront.
Les nouveaux investissements se feront ailleurs. Or sur
ce plan, le TCE n’offrait pas de garanties. Il restait
fondamentalement libéral au plan économique
et social, même s’il créait l’amorce
d’un gouvernement européen au plan politique.
Le terme de « forteresse Europe », capable de
protéger ses ressortissants, aurait pu être
repris non comme repoussoir mais comme objectif. Il a été
complètement exclu. Plus grave, aucun auteur ou défenseur
du Traité n’a mis l’accent, contrairement
à ce que nous avions fait nous-mêmes, sur le
fait que seule une Europe capable d’atteindre la souveraineté
technologique et scientifique serait capable de tenir tête
à des puissances, Amérique et bientôt
Chine (encore que la Chine soit pour le moment beaucoup
plus prudente que les Etats-Unis), se donnant pour objectif
la totale domination (full dominance) technologique, industrielle
et intellectuelle.
- A
l’intérieur même de l’espace européen,
les citoyens disposant de certains acquis sociaux ou économiques
se sentent menacés par les nouveaux entrants. L’harmonisation
des situations est pourtant inévitable et d’ailleurs
profondément souhaitable pour la construction d’une
véritable nationalité pan-européenne.
Mais elle supposerait d’une part d’être
organisée par paliers au sein des structures intergouvernementales
européennes. Elle ne peut résulter de la seule
« loi du marché ». Elle supposerait d’autre
part, et surtout, si l’on voulait éviter qu’elle
se fasse par le bas, des investissements économiques
(notamment industriels) ou en termes de grandes infrastructures,
qui ne peuvent se faire sans la protection d’une autorité
tutélaire de type fédéral. Or le TCE
ne mentionnait rien de tel.
- Le
domaine des collaborations inter-étatiques dites
renforcées n’a pas été suffisamment
privilégié. On a voulu dès le départ
impliquer dans le processus de croissance l’ensemble
des Etats de l’Union, même si ceux-ci n’ont
évidemment pas les mêmes ambitions ni les mêmes
intérêts. On a donc posé le principe
que ces coopérations renforcées sont l’amorce
dangereuse d’Europe(s) à plusieurs vitesses.
C’est oublier que dans un système complexe,
le fait que certains éléments prennent des
initiatives constructives profite inévitablement
à l’ensemble. Pour beaucoup de citoyens français,
l’Europe a été symbolisée par
des opérations industrielles à partenariat
initialement limité, tel Airbus. D’autres analogues
pourraient être envisagées. Or le TCE ne prévoit
ni n’organise pas de telles possibilités de
coopération. La possibilité de faire des pays
de la zone Euro un noyau dur initial pour de telles coopérations
n'a pas été envisagé.
- Plus
généralement la construction européenne
ne fait plus rêver. Est-ce que l’appartenance
européenne apporte un plus à l’appartenance
nationale ? Et dans quels domaines ? L’Europe telle
que définie par le TCE n’aurait pas de gouvernement
ou de Parlement prestigieux, ni même de capitale véritable.
Elle ne porterait pas de message diplomatique (par exemple
la multipolarité du monde) ou humanitaire lisible.
Elle n’entretiendrait pas de grands programmes scientifiques
et technologiques reposant sur des élites reconnues
de chercheurs et d’ingénieurs. Elle n’aurait
pas de politique culturelle pouvant la différencier
des cultures de consommation dominantes (voir sur ce point
les analyses de Bernard Stiegler, auxquelles nous adhérons
pleinement). Elle n'aurait pas de puissance militaire autonome
par rapport à l'Otan. D’une façon générale
sa place dans le monde de demain, aux opportunités
mais aussi aux grands risques sans cesse accrus, n’apparaît
pas. Les citoyens les plus convaincus de l’intérêt
du TCE avaient admis que tout ceci aurait pu être
donné de surcroît et par la suite. Mais les
sceptiques n’ont pas voulu se contenter d’espoirs.
1.2.
Le rejet du Traité provoque un retour des forces
hostiles à la construction européenne
Certaines
de ces forces se manifestent au cœur même du
comportement des partisans les plus résolus de l’Europe.
Découragés et presque déconsidérés
à la suite des votes franco-néerlandais, ils
n’osent plus manifester leur enthousiasme pro-européen.
Ils se retranchent dans l’attentisme, voire se détournent
de leur idéal. Mais les forces les plus hostiles
à l’Europe sont objectives. Il s’agit
des intérêts divers qui prenaient ombrage de
la construction d’une entité européenne
solide et qui, la voyant vaciller, s’acharnent à
la faire régresser, bien en deçà même
du statut pourtant insatisfaisant résultant de l’état
de droit actuel, défini par le Traité de Nice.
Ces forces hostiles sont différentes et mériteraient
d’être traitées de façon adaptée
à chacune d’elle. Par quoi se manifestent-elles?
- Par
la relance de la conception dite britannique de l’Europe,
généralement définie de façon
un peu caricaturale comme une Europe du libre-échange,
de la concurrence interne entre agents économiques,
de la non harmonisation des réglementations fiscales
et sociales, de la « relation spéciale »
avec les Etats-Unis (le terme signifiant l’acceptation
de l’unilatéralisme américain mais la
revendication du rôle de second). Il est certain que
le Premier ministre britannique cherchera dans les prochains
mois à prendre le leadership de l’Europe au
détriment des leaders historiques affaiblis, la France
et l’Allemagne. Cela représentera un obstacle
sérieux pour les défenseurs d’une Europe
interventionniste au plan économique et indépendante
des Etats-Unis au plan diplomatique. Mais il ne faut pas
exagérer le risque. Si Tony Blair veut réussir
dans ce rôle de leader, il devra proposer aux européens
des objectifs servant l’intérêt général
européen voire même l’intérêt
de l’humanité toute entière, comme il
semble actuellement vouloir le faire dans le domaine de
la protection de l’environnement et de l'aide au développement
de l'Afrique. Dans ce cas, il pourra se distinguer sinon
s’opposer aux Etats-Unis. Il fera peut-être
de même dans le domaine de la défense, en liaison
avec la France et l'Allemagne.
- Par
un nouveau développement de l’ « entrisme
» des intérêts économiques et
politiques étrangers au sein des institutions européennes
et des gouvernements européens. Nous définissons
par là d’abord les multiples formes de lobbying
politique ou commercial (non exclusifs de corruption), les
pressions voire les menaces diplomatiques qu’exercent
sur l’Europe, sur les européens, sur leurs
productions économiques et culturelles, les divers
représentants de l’hyper-puissance américaine.
Face à une Commission et à un Parlement européen
jugés affaiblis, face à des Etats tels que
la France jusque là relativement résistants,
les influences et interventions américaines se multiplieront
et seront de plus en plus audacieuses et voyantes. Elles
seront relayées au sein même des nations et
des Etats européens par les nombreux partisans autochtones
de la collaboration transatlantique, émules des défenseurs
de la collaboration avec l’Axe sous la seconde guerre
mondiale. Mais il n’y aura plus de De Gaulle pour
s’y opposer. On peut craindre qu’à terme,
encore que plus difficilement, un entrisme des intérêts
asiatiques se fasse jour en Europe, complétant l’entrisme
américain.
- par
un réveil de tous ceux qui, au sein même de
l’Europe, bénéficient de l’inégalité
des situations sociales et économiques pour développer
des activités de consommation-gaspillage profitant
aux plus favorisés, dans le mépris du développement
durable européen et mondial. Derrière ceux-ci
se situent d’innombrables intérêts mafieux
et criminels qui profitent de l’absence d’appareils
répressifs communs pour tenter de faire de l’Europe
le plus grand espace de criminalité organisé
existant, au moins dans le monde occidental. On risque donc
d’être loin de l’idéal d’une
Europe plus sociale et plus régulée espérée
de façon bien inconsidérée par les
tenants du Non.
2. Comment réagir? Quelques propositions
pour un nouveau projet européen
Le monde
politique ayant horreur du vide, il est probable que dans
les semaines ou mois à venir, les partisans de la
construction européenne, dans les Etats-membres ou
au sein des institutions, proposeront des mesures d’urgence
capables d’empêcher le « détricotage
» de ce qui existe et pouvant permettre quelques progrès
limités. Mais il vaudrait mieux dès maintenant
que ces initiatives s‘appuient sur quelques idées
fortes, dont il conviendrait de discuter sans attendre.
Nous
ne prétendons évidemment pas avoir le monopole
des idées fortes. Voici seulement quelques propositions
que nous voudrions capables de relancer le projet et, pourquoi
pas, le rêve européen, sur des bases, non pas
réalistes mais au contraire, fortement teintées,
aujourd’hui d’irréalisme. Ce seraient
de telles bases qui selon nous pourraient réveiller
le rêve.
Trois
objectifs sont à traiter en parallèle. Ils
se conditionnent réciproquement.
2.1.
Remettre en priorité et développer le projet
d’une Europe scientifiquement et technologiquement
indépendante, à vocation humaniste.
Le concept
de la souveraineté technologique et scientifique
de l’Europe, développé dans le Colloque
d'avril 2004 (voir http://www.europe-puissance-scientifique.org/)
mérite d’être repris. Il n’a pas
vieilli, du fait qu’il n’a (hélas) entraîné
à ce jour aucun début de réalisation
pratique – sauf peut-être l’insistance
de la France à héberger le projet Iter.
Il faudra
préciser, à l’attention de ceux pour
qui le concept de souveraineté signifie écrasement
des faibles par les forts dans un monde unipolaire, que
la souveraineté européenne recherchée
signifiera d’abord la recherche d’un minimum
d’autonomie européenne au sein d’un monde
multipolaire. Elle pourra signifier aussi le partage éventuel
de cette souveraineté avec des Etats ou nations s’inscrivant
dans une coopération de long terme avec les européens.
Elle devrait donc s’afficher explicitement comme humaniste
(par exemple dans le domaine des médicaments ou des
énergies renouvelables destinées au tiers-monde)
Mais
il faut définir les priorités qui s’imposeraient
aujourd’hui à l’Europe pour concrétiser
ce concept. Nous en avons fait plusieurs fois des listes.
Voir par exemple : Les quatre piliers de la souveraineté
européenne http://www.automatesintelligents.com/edito/2005/fev/edito.html
ou, plus récemment, Proposition de priorités
pour le développement scientifique et technologique
de l'Europe, publié dans notre dossier sur le
financement des sciences et technologies en Europe (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/65/dossier.htm).
On y met en exergue la recherche d’énergies
renouvelables, la protection de l’environnement et
le développement durable, les biotechnologies, les
sciences et technologies de l’information, les industries
culturelles dites de l’intelligence (évoquons
à nouveau ici Bernard Stiegler) et aussi le spatial
sous toutes ses formes. Beaucoup d’applications dans
ces domaines devraient intéresser aussi bien le secteur
civil que le secteur militaire.
Un certain
nombre de ces objectifs rejoignent la demande de mise en
place de grands programmes d'infrastructures, supposant
un engagement direct des Etats et des collectivités
locales. C'est le cas par exemple de la politique de protection
de l'environnement, qui se traduira concrètement
par le développement du ferroroutage et des satellites
d'observation de la Terre..
A l’intérieur
de ces priorités il faudra organiser la nécessaire
et indissociable continuité entre recherches fondamentales,
recherches appliquées et investissements industriels,
continuité seule capable de créer les emplois
locaux non délocalisables qui sont attendus par les
Européens. Ceci supposera une profonde réforme
des conceptions actuelles relatives à la nécessité
de réduire le rôle des Etats et des services
publics au profit d’acteurs économiques indifférenciés.
Parmi
tous les grands programmes ou grands domaines dont l'Europe
devrait dorénavant se faire la championne, il y en
a deux qu'il faudrait privilégier par leur capacité
à s'inscrire dans les imaginaires collectifs. Il
s'agit de la préparation de vols habités vers
les planètes proches et, dans une sphère moins
éloignée qu'il n'y parait, de politiques publiques
de soutien aux créations utilisant les technologies
numériques.
2.2.
Instituer un cadre de coopérations renforcées
entre Etats et institutions européennes (Agences)
permettant de mener à bien les projets en dehors
des contraintes d’une unanimité obligée
de l’ensemble des Etats-membres comme en dehors de
celles du marché.
Il est
évident qu’aucun programme, petit ou grand,
n’aboutira s’il est soumis d’emblée
à la nécessité de recueillir l’accord
unanime de l’ensemble des gouvernements et institutions
européennes. C’est ce qu’ont montré
dans les années récentes les difficultés
de démarrage, des programmes Galiléo et Iter,
qui viennent seulement d'être acceptés par
les différents partenaires intéressés.
Il faudrait admettre au contraire la règle selon
laquelle les Etats ou Agences européennes volontaires
puissent lancer des initiatives en se faisant forts d’assurer
leur démarrage. Les non-fondateurs auront ensuite
toute latitude pour rallier le projet en cas de succès.
Par
ailleurs, pour éviter que ces initiatives ne soient
ruinées dans l’œuf par la concurrence
des entreprises internationales dominantes dans leur secteur,
il faudra les protéger le temps nécessaire,
comme le font de fait d’ailleurs toutes les grandes
puissances conquérantes, Etats-Unis et Chine notamment.
Ceci en suspension provisoire des règles de l’OMC
et autres règles de bonne conduite internationales.
Une solution bâtarde mais envisageable par défaut
serait de les qualifier de projets militaires ou de programmes
de recherche fondamentale. Mais il vaudrait mieux que le
droit européen prévoit explicitement, pour
le temps nécessaire, la suspension de la concurrence
en ce qui concerne les projets jugés stratégiques,
ainsi que la façon de négocier convenablement
ces passe-droits avec nos concurrents. On objectera qu’en
procédant ainsi, on créera des niches artificielles
encourageant l’incompétence bureaucratique.
La parade à cela pourrait être l’organisation
d’importants débats démocratiques assurant
la transparence des programmes.
3.3.
Admettre que le financement des programmes à finalité
stratégique tels qu’évoqués ci-dessus
ne peut être assuré dans le cadre budgétaire
national ou européen actuel. On se trouve
devant des investissements qui ne seront pleinement rentables
qu’au bout de plusieurs années et devraient
en bonne logique être financés par des emprunts
à long terme. Il convient donc de les sortir d’une
façon ou d’une autre des contraintes, par ailleurs
utiles sinon nécessaires, du pacte de stabilité.
Ces emprunts eux-mêmes ne peuvent être garantis
solidement sans engagement voire sans participation directe
des Etats. Mais personne n'envisage pour le moment en Europe
la mise en place de structures financières capables
d'assurer la collecte et la garantie des fonds publics et
privés nécessaires à de tels programmes
On évoquera
à cette occasion la politique dangereuse de la Banque
Centrale Européenne (BCE), qui refuse de réagir
en modifiant le taux de change de l'euro face à la
dévaluation volontairement programmée du dollar
et de la monnaie chinoise associée, le yuan, qui
lui est associée. La question ne concerne pas seulement
la rentabilité des investissements mais la vie économique
européenne en général. En quelques
mois, les exportations européennes (pensons aux Airbus)
ont perdu 30% de leur compétitivité sur le
marché en dollar et en yuan, ce qu'aucun effort de
productivité ne peut compenser. La politique de la
BCE vise clairement la protection de certains fonds d'épargne
mais condamne l'industrie. Il s'agit d'une véritable
anomalie devant laquelle on s'étonne de ne voir que
des protestations verbales et isolées.
Les
impératifs énumérés ci-dessus
dessinent des perspectives politiques manifestement incompatibles
avec le libéralisme radical. Les Etats et
les services publics redeviennent des acteurs incontournables
du développement économique et de la croissance,
sur des bases ménageant les intérêts
à long terme des populations. Il faudra en tenir
compte lorsque l'on voudra, à gauche mais aussi à
droite, reprendre le travail d'élaboration d'un cadre
constitutionnel européen.
Par
ailleurs se pose la question du budget européen proprement
dit. Il faudra revoir entièrement, projet par projet,
la répartition des contributions budgétaires
entre Etats-membres et Union européenne, ainsi que,
au sein du budget de l'Union, le poids des différents
postes. On pourra admettre que certains programmes soient
financés exclusivement par les Etats s'y intéressant
directement, notamment au sein d'Agences existantes ou à
créer, sans apport de l'Union. A l'inverse, d'autres
présentant un intérêt général
indiscutable pourront être pris en charge par le budget
communautaire, dès lors qu'il aura été
convenu de l'alléger de la plus grande partie des
dépenses traditionnelles qui le plombent actuellement
(PAC et Cohésion notamment). D'autres enfin pourront
être conçus à financement partagé.
Sur les questions budgétaires intéressant
la recherche, on pourra se reporter à nos deux notes
figurant dans dossier précité (http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/65/dossier.htm)
Le financement de la recherche par l’Union européenne
et Le financement de la recherche en France.
On objectera
que les économies européennes seront de toutes
façons hors d’état de supporter les
milliards d’investissements aujourd’hui nécessaires
au lancement de ces programmes. C’est évidemment
faux. D’une part lesdits programmes ne seront pas
aussi coûteux qu’ils en ont la réputation.
Ils ne dépasseront pas quelques % supplémentaires
des PNB. Par ailleurs, des réserves importantes existent
dans les sociétés européennes, notamment
en termes d’épargne et surtout de potentiels
humains, qui pourraient être mobilisées si
des objectifs et des processus suffisamment motivants étaient
proposés aux citoyens. L’exemple des Etats-Unis
montre d’ailleurs que cette nation, fortement soutenue
par un esprit de conquête, trouve sans difficulté
les centaines de milliards de dollars nécessaire
à la réalisation de ses buts, ainsi qu’une
foison de capitaux risqueurs. Il en sera de même de
la Chine et de l’Inde, pourtant bien plus pauvres.
Ce sera
seulement sur ces prémisses que pourront ensuite
être envisagées de nouvelles structures politiques
pour l'Europe, capables de prendre le relais et conforter
les structures actuelles. Rien n'empêche d'y réfléchir
dès maintenant. Mais mettre le constitutionnel en
priorité s'étant révélé
mettre la charrue avant les boeufs, il faut aujourd'hui,
avant toutes choses, remettre l'Europe sur ses pieds, c'est-à-dire
se battre pour une Europe des grands programmes et grands
projets, assortie des quelques réformes politiques
rendant ceux-ci possibles.
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