
Les
représentations que les Français se font
de la Chine, y compris quand il s'agit des décideurs,
sont encore dangereusement floues. Les lieux communs
abondent, que ce soit pour apprécier les points
faibles ou les points forts de ce grand pays. Il n'est
pas question dans ce court article de proposer une vision
exhaustive de la Chine, mais seulement de fixer quelques
traits que nous pourrons préciser dans des articles
ultérieurs. La question devrait intéresser
nos lecteurs industriels et chercheurs car ce sera sur
eux que reposera la responsabilité d'équilibrer
dans l'avenir les relations économiques et culturelles
de l'Europe avec la Chine.
Le "miracle économique"
chinois
Certains
chiffres cités dans ce paragraphe ont été
tirés d'un dossier consacré par Le Monde
à la Chine les 15, 16 et 17 juin. Nous ne les
avons pas vérifiés, mais ils ne sont là
que pour donner des ordres de grandeur.
Il
s'agit aujourd'hui de ce qui impressionne le plus le
monde occidental. Les acteurs économiques chinois
sont désormais présents dans tous les
secteurs et sur tous les marchés mondiaux, qu'il
s'agisse de conglomérats industriels encore en
partie étatisés ou d'une myriade d'entreprises
dont le statut est incertain, entre l'initiative privée
et le soutien de la puissance publique ou du parti communiste.
Leur action est prolongée par celle de la diaspora
chinoise particulièrement présente aux
États-Unis et en Europe c'est-à-dire dans
les pays où le progrès technologique et
industriel est le plus fort. Même si cette diaspora
ne se livre pas systématiquement, comme on le
lui reproche parfois, à de l'espionnage économique,
elle est naturellement portée à servir
de relais aux entreprises chinoises.
Le temps n'est plus où la Chine était
considérée par les industries occidentales
comme un terrain d’investissement relativement
facile caractérisé par des salaires ridiculement
bas. Certes les autorités chinoises continuent
à encourager l'implantation des grandes entreprises
occidentales, notamment américaines, mais celles-ci
ne peuvent pas s’y avancer en terrain conquis.
Elles sont obligées de consentir à des
accords compliqués avec des partenaires locaux
souvent aussi dynamiques et parfois aussi riches qu'elles.
Par ailleurs elles sont obligées de se couler
dans le moule de la culture économique et sociale
chinoise, ce qui n'est pas à la portée
du premier exportateur venu.
En fait la Chine a réussi ce que l'économie
russe avait été incapable de faire, c'est-à-dire
mettre en place un cercle vertueux de développement
permettant de passer des vieilles industries communistes
à des industries compétitives à
la mode occidentale. Elle a joué pour cela à
fond la carte de l’exportation, ce qui lui a été
rendu possible par la mise en sommeil de toutes les
réglementations protectrices de la main d’œuvre
héritées d’un communisme plus traditionnel.
En libérant les initiatives des contraintes réglementaires,
le pouvoir a donné à une multitude de
petits et moyens entrepreneurs la possibilité
de fabriquer à bon compte des biens de consommation
et d’équipements exportables dans le reste
du monde. Il s'est agi dans un premier temps de technologie
et de produits rustique. Mais progressivement la qualité
des fabrications s’est accrue et a permis d’accéder
aux marchés d’exportations les plus exigeants,
en profitant de coûts de production particulièrement
compétitifs.
Aujourd'hui on observe une montée en gamme des
produits exportés qui permet aux industriels
chinois, d'accéder par exemple aux marchés
des ordinateurs portables et des produits pharmaceutiques
les plus évolués. La Chine fabrique ainsi
aujourd'hui 29 % des téléviseurs vendus
dans le monde, 30 % des climatiseurs, 50 % des ordinateurs
portables, 55 % des appareils photo, 70 % des jouets,
75 % des montres et 85 % des tracteurs. Par ailleurs
elle vend 50 % de la vitamine C consommée dans
le monde et 60 % des antibiotiques. Le total de ses
ventes représente 8 % des exportations mondiales.
Aujourd'hui, les ventes à l'étranger ont
été multipliées par huit entre
1990 et 2004.
En conséquence d’une croissance extrêmement
rapide des ventes à l’exportation, elle-même
suivie d'une croissance plus modérée mais
régulière des ventes sur le marché
intérieur, la Chine a été obligée
d'augmenter considérablement ses importations
de matières premières et de produits énergétiques.
Aujourd'hui la Chine se situe au rang des grands consommateurs
mondiaux d’acier, de cuivre, de charbon et de
ciment. Elle est le deuxième consommateur mondial
de pétrole. Comme la plupart des matières
premières dont elle a besoin ne sont pas, hors
le charbon, produits sur son territoire, elle se porte
sur les marchés mondiaux où elle est responsable
d'une hausse des prix et des tarifs de transport. Ceci
gêne de plus en plus les industries concurrentes
qui voient ainsi augmenter leurs coûts et se réduire
leurs propres marchés. L’appétit
des entreprises chinoises pour les matières premières
et produits bruts redonne par contre du tonus à
certains secteurs auparavant menacés par la récession,
comme les aciéries et les transporteurs maritimes.
Les autorités chinoises n'ont pas l'intention
de s'en tenir là. Elles abordent dorénavant
le secteur des hautes technologies et des sciences émergentes,
secteur dans lequel les États-Unis sont encore
très largement dominants. La Chine dispose de
bons atouts pour se faire puisque, grâce à
des effectifs considérables de chercheurs et
à des réserves encore plus considérables
d’étudiants formés, elle pourra
dans l'avenir rivaliser avec les sociétés
occidentales au sein desquelles au contraire la recherche
et les études scientifiques semblent faire l'objet
d'un désintérêt social croissant.
C’est ainsi que, en dehors de leurs applications
militaires, les programmes chinois de vols habités
ont pour principal objectif de créer parmi la
populations un intérêt de plus en plus
marqué pour les perspectives stratégiques
des grands programmes scientifiques.
Les données macro-économiques fournies
par la Chine, bien que généralement reçues
avec réserve par les statisticiens occidentaux,
confirme bien le fait que ce pays est désormais
un acteur de poids dans le commerce mondial. Ceci lui
permettra notamment de jouer au sein de l'Organisation
mondiale du commerce comme dans les accords régionaux
avec ses proches voisins un rôle de plus en plus
influent. Le produit intérieur brut de la Chine
en fait la septième puissance économique
mondiale, proche du Royaume-Uni. Ses exportations ont
plus que doublé en quatre ans. Elles atteignent
aujourd'hui 600 milliards de dollars, l'essentiel se
faisant en direction du Japon et de la Corée
mais de plus en plus également vers les États-Unis
et l'Europe. Ces deux zones enregistrent d'ailleurs
un déficit commercial devenu permanent avec la
Chine, déficit qui n'est pas sans leur poser
de nombreux problèmes. On a tendance à
dire que la Chine est en train de devenir leur atelier
industriel. La compétitivité des exportations
chinoises est accrue par la sous-évaluation du
yuan, qui est aligné depuis des années
sur le dollar, lui-même considéré
comme structurellement sous-évalué. La
contrepartie de cette sous-évaluation est qu’elle
renchérit les importations, notamment d’énergie,
ce qui pousse la Chine à prendre des participations
chez les pays producteurs.
La richesse nationale enfin est évaluée
à 1.400 milliards de dollars en 2004 et son PIB
par habitant atteint environ 1000 $ par an aujourd'hui.
Le taux de croissance est depuis plusieurs années
de 9 ou 10 % par an, ce qui permet à la Chine
d’assurer 18 % de la croissance économique
internationale et 8 % des exportations mondiales.
Enfin, disposant grâce aux excédents de
son commerce international de réserves de change
considérables, évaluées à
600 milliards de dollars dont plus de 200 milliards
de bons du trésor américain, la Chine
peut jouer sur les marchés financiers un rôle
de plus en plus actif. Elle compte 11 des entreprises
les plus puissantes du monde, telles que recensées
en 2004 par le magazine Fortune. Il est vrai que la
moitié de ces entreprises sont domiciliés
à Hong Kong et ne représentent pas exactement
le capitalisme à la chinoise tel qu'on le trouve
à Shanghai ou dans les autres parties du territoire
national. La Chine ne se limite pas à développer
ses ventes à l'étranger. Elle investit
de plus en plus dans les pays voisins et même
dans les pays plus lointains et réputés
difficiles comme les États-Unis et l'Europe.
8.000 entreprises chinoises sont présentes dans
plus de 150 pays. Elles sont pour cela aidées
par les réseaux de la diaspora évoqués
ci-dessus, évalués à 50 millions
de personnes, qui lui servent d’intermédiaire
pour repérer les investissements potentiels les
plus rentables.
La majorité des entreprises chinoises sont à
capitaux publics, capitaux fournis par l'État
ou par des collectivités locales. Leur gestion
est la plupart du temps handicapée par la corruption,
les malversations ou la politique locale. Les premiers
milliardaires chinois enregistrés par le monde
des affaires se sont souvent enrichis dans le jeu, la
grande distribution ou la prise de participation dans
des secteurs en déficit, tous secteurs laissant
une grande place aux trafics d’influence. Mais
au contact de l'Occident, et par crainte de mesures
de rétorsions, elles tendent à devenir
plus régulières.
Les pays qui se heurtent à la concurrence chinoise
se plaignent ce pendant de son manque de fair-play.
La Chine passe, à raison plus qu'à tort,
pour l’empire de la contrefaçon et du non
respect des droits de propriétés industrielles
ou des normes destinées à protéger
le consommateur. Les industries occidentales en souffrent
mais les plus atteintes sont celles des pays intermédiaires
comme ceux d’Amérique Latine et du Maghreb
qui avaient fait de gros efforts pour devenir des partenaires
respectables au sein du commerce mondial. Aucun pays,
que ce soit à l’OMC ou dans les relations
bilatérales, n’est encore parvenu à
« moraliser » systématiquement les
comportements chinois. Ils ne veulent pas en effet se
couper des perspectives de vente en Chine qui demeurent
importantes. On l’a vu récemment à
propos du conflit entre la Chine et les Etats-Unis d’une
part, l’Europe de l’autre, en ce qui concerne
les exportations textiles. Les Européens ont
fait preuve d’un grand esprit de conciliation
pour ne pas compromettre leurs perspectives de contrats
dans le domaine aéronautique ou ferroviaire.
Les
points faibles de l’économie et de la société
chinoise
Comme l’Inde, sa grande voisine, la Chine souffre
de déséquilibres structurels importants.
Ceux-ci l'empêchent de se comporter en grande
puissance hégémonique entièrement
libre de ses choix, comme peuvent l'être les États-Unis.
Le premier de ces déséquilibres tient
à l'importance du pourcentage de sa population
vivant aux alentours de ce que l’on considère
généralement comme le seuil de pauvreté.
600 millions de personnes sont en effet isolés
dans des zones rurales de plus en plus appauvries et
privées, malgré l’exode vers les
villes, des bénéfices de la croissance
caractérisant la partie de la Chine ouverte sur
le monde. De plus cette population, jusque-là
à peu près convenablement alimentée
et disposant d'un état sanitaire moyen satisfaisant
- ce qui n'est pas le cas dans de nombreux pays sous-développés
voisins – va dans les années prochaines
se trouvée soumise à des contraintes multiples.
La première sera la faim. L'agriculture chinoise
sera en effet de moins en moins capable d'assurer l’auto-subsistance
alimentaire. Ceci tient à de multiples facteurs
: disparition de nombreuses terres agricoles devant
les grands travaux et l’urbanisation, destruction
naturelle des sols due à la surexploitation,
archaïsme des méthodes agraires, pollutions
dues à l’abus des produits chimiques.
Plus généralement, trois grands dangers
menacent les populations rurales et par voie de conséquence
l'ensemble de la société : il s'agit d'abord
de la raréfaction des ressources en eau potable
liée à un abus de l'irrigation et à
de grands travaux généralement considérés
comme mal conçue sur le plan de la conservation.
Le deuxième fléau découle des modifications
climatiques provoquées par les rejets chimiques
et de poussière au-dessus de l'Asie. Les observations
satellitaires ont en effet montré qu'un nuage
toxiques (le nuage brun) aux multiples effets délétères
surplombe en haute altitude une partie du territoire
chinois, comme d'ailleurs des territoires voisins. D'innombrables
troubles en résultent pour les hommes, les animaux
et les plantes. Enfin, liées aux phénomènes
précédents, la déforestation et
la dévastation du manteau végétal
provoquent chaque année, notamment en été,
des tempêtes de poussière desséchantes
dont les effets nuisibles ne cessent de s'étendre.
La Chine a ouvert pour lutter contre ce fléau
des chantiers de reforestation que l'on considère
généralement comme les plus grands travaux
de restauration du milieu naturel du monde, mais il
n'est pas du tout sûr que ces travaux aboutissent
comme espéré à restaurer un équilibre
climatique.
Un quatrième danger menace l'agriculture chinoise
et par voie de conséquence l'ensemble de sa population.
Il s'agit du développement des épizooties
et pandémies frappant les espèces animales
qui composent l'essentiel de l'alimentation carnée
des Chinois, volailles et porcs notamment. On connaît
l'inquiétude que suscitent les développements
de la grippe aviaire dans certaines régions de
la Chine, développements qui risquent d'ailleurs
de s'étendre à l'ensemble du monde si
jamais ils ne sont pas contrôlés dès
le début - ce dont la Chine semble pour le moment
totalement incapable (voir sur ce sujet très
grave http://drmsfvermeulen.skynetblogs.be/.
Le fait que l'agriculture chinoise ne
puisse plus assurer la subsistance de la population
sera lourd de conséquences tant du moins que
des méthodes scientifiques n’existant pas
encore, où que ce soit dans le monde, n'auront
pas été utilisées pour assurer
une production alimentaire de substitution. La Chine
est entourée en effet de pays qui sont soit désertique
soit incapables d’assurer leur propre suffisance
alimentaire. Elle aura donc le plus grand mal à
faire appel à l'importation. Des contrats de
longue durée avec des pays dont les agricultures
sont puissantes, comme c’est le cas dans les pays
européens, pourraient permettre d'alléger
les contraintes de l'agriculture chinoise, mais pour
le moment ces contrats ne sont pas à l'étude.
Récemment, concernant l'évolution de la
démographie chinoise, une nouvelle préoccupation
est apparue, conséquences de la politique dite
de l'enfant unique. Il était légitime
pour le pouvoir de vouloir contrôler la croissance
démographique de la population chinoise qui aurait
balayé toute tous les efforts de redressement
si elle s’était poursuivie au rythme des
décennies précédentes. Mais la
préférence accordée aux enfants
mâles est en train de déséquilibrer
durablement la future pyramide des âges, en provoquant
un excédent sensible des garçons sur les
filles. À terme il pourra en résulter
une baisse de la fécondité qui diminuera
le dynamisme traditionnel de la population chinoise
et risquera de faire de la Chine vers la fin de ce siècle,
comme c'est déjà le cas du Japon, un pays
de retraités.
Même dans les zones bénéficiant
de la croissance les problèmes ne manque pas.
Ils découlent de l'absence de maîtrise
du développement : urbanisme chaotique, réseaux
de transports terrestres saturés, grande inégalité
dans l’accès aux soins et aux services
sociaux.
Nous n'insisterons pas ici sur les problèmes
politiques de la Chine mais il est probable que si le
régime continue à freiner le développement
vers une démocratie à l’occidentale,
l’équilibre de sa croissance en souffrira
inévitablement. Le poids de l’armée
dans le jeu politique ne favorise pas les initiatives
citoyennes et encourage les réactions nationalistes,
comme on le voit actuellement dans les relations entre
la Chine et le Japon. Le contrôle politique du
parti sur la vie civile, la censure qui continue de
s’exercer sur les medias et les réseaux
de télécommunication, l'absence d’un
Etat de droit et le mépris des libertés
individuelles ne contribuent pas à encourager
une créativité sortant un peu de la norme,
laquelle pourrait favoriser l’auta-adaptation
du système. La population s'accommode apparemment
de ces contraintes, mais il est à peu près
prévisible que des mouvements de contestation
se développeront ici et là. Manifestement,
les élites chinoises s’estiment en mesure
de les canaliser dans l'avenir, mais il ne faudrait
pas qu’elles aient recours pour ce faire soit
au nationalisme, soit plus grave, à des gesticulations
belliqueuses toujours susceptibles de dégénérer.
Les plus grandes catastrophes pourraient en sortir,
dont le monde tout entier souffrirait.
La Chine entre la force
et la diplomatie
La population chinoise a manifestement les yeux tournés
vers le modèle américain, plutôt
que vers l'Europe. Elle ambitionne très certainement
un développement identique à celui d’un
pays qui est à la fois un modèle et un
rival. Mais moins encore que l’Inde, la Chine
ne peut espérer atteindre le niveau de vie et
la puissance des États-Unis en s'en tenant aux
recettes traditionnelles de la croissance. Elle n'aurait
pas grand chose à tirer non plus d'affrontements
directs. On ne voit pas comment le fantasme de certains
Américains, voir dans le courant de ce siècle
une grande guerre éclater entre les Etats-Unis
et la Chine, pourrait devenir une réalité.
En effet, la Chine est enfermée dans les limites
étroites d'un territoire et de ressources inextensibles.
On concevrait mal qu'elle puisse espérer, comme
le Japon d'avant la deuxième guerre mondiale,
agrandir sa zone d'influence par le recours à
des solutions militaires, fussent-elles locales. On
pourrait évidemment envisager que, pris de folie,
le gouvernement chinois s'attaque un jour directement
aux États-Unis et à ses alliés,
mais tant que l'Amérique conservera son actuelle
supériorité écrasante dans le domaine
des armes de destruction massive, cette tentative serait
évidemment vouée à l'échec.
La seule solution permettant à la Chine de devenir
une véritable super-puissance sera de faire appel
aux technologies et aux sciences émergentes.
De nouvelles sources d'énergies moins polluantes,
de nouvelles méthodes de production intéressant
l’alimentation et les biens manufacturés,
permettront seules de faire face aux exigences d'une
élévation du niveau de vie respectant
les exigences du développement durable.
Mais, malgré tous les efforts qu'elle pourra
faire en ce sens, la Chine ne pourra pas sans doute
pas se doter seule des technologies nécessaires.
Elle devra nécessairement négocier avec
d'autres pays possédant les acquis scientifiques
nécessaires. Il ne s'agira sans doute pas pour
elle de se limiter à importer des produits finis,
ni même des brevets et des savoir-faire. Il lui
faudra plutôt, dans le cadre d’accords de
co-développement, investir en profondeur avec
des partenaires recherchant comme elle des solutions
réellement innovantes. Il est difficile aujourd'hui
de dire si les États-Unis accepteront de s'engager
dans une telle politique de coopération avec
la Chine. Ils semblent très réticents
à l'idée de doter ce pays de compétences
qui pourraient se retourner contre eux, dans la perspective
d’éventuels conflits économiques
ou militaires caractérisés.
Par contre on peut penser que l'Europe ne devrait pas
nourrir de telles craintes. On n'imagine pas la Chine
décider subitement d'annexer l'Europe à
ses ambitions de superpuissance. Par contre, un co-développement
équilibré, aussi bien dans le domaine
des sciences fondamentales que dans la recherche-développement
et les politiques industrielles, pourrait servir conjointement
à la croissance de la Chine et de l'Europe dans
un monde multipolaire. On attachera à cet égard
beaucoup d'intérêt à la façon
dont la Chine coopérera avec les pays européens
dans le développement d'un certain nombre de
grands projets tels celui du réacteur thermonucléaire
Iter ou du réseau Galiléo de satellites
de géolocalisation. Les Américains font
valoir aux Européens que coopérer avec
la Chine dans ces domaines ou d’autres analogues
serait quasiment coopérer avec le diable, c’est-à-dire
lui donner des armes qu'elle retournera un jour contre
ses alliés d’aujourd’hui. Mais l’Europe
a tout intérêt à faire le pari contraire,
c'est-à-dire considérer que même
si la Chine présente dans certains cas des aspects
inquiétants, elle pourra à terme se révéler
un allié fidèle- et utile - dans la maîtrise
des grands problèmes auxquels l'humanité
tout entière se trouve dorénavant confrontée.
Bien évidemment une coopération de cette
nature avec la Chine ne devrait pas empêcher les
Européens de proposer des alliances scientifiques
et technologiques parallèles avec l'Inde ou le
Japon, si du moins ces pays se montraient ouverts à
de telles perspectives.
Avenir
à long terme des relations entre la Chine et
l'Europe
Il
est évidemment difficile sinon impossible de
faire des prévisions sérieuses dans un
tel domaine géopolitique. Ceci d’autant
plus que ces relations dépendront de nombreux
autres facteurs n’impliquant pas nécessairement
l’Europe, par exemple les relations de la Chine
avec les Etats-Unis ou avec ses voisins d’Asie.
On peut évoquer cependant une question que les
Européens devraient se poser, lorsqu’ils
sont confrontés à des géants pleins
d’ambition, tels que la Chine et l’Inde.
Est-ce que ces pays, même s’ils ne nourrissent
pas de politiques explicitement hostiles sinon belliqueuses,
ne vont pas par leur masse même étouffer
l’Europe.
Revenons à la Chine. On constate que celle-ci,
dans le cadre d’une « croissance »
qui ne pourra pas se ralentir, continuera à se
porter massivement sur les marchés de l’énergie
et des matières premières, provoquant
une inéluctable hausse des prix. Ceci même
si elle fait par ailleurs de plus en plus appel à
des produits de substitution de haute technologie dont
elle ne dispose pas encore mais dont elle se dotera
certainement dans l’avenir (par exemple l’énergie
thermonucléaire civile). Pour pouvoir continuer
à s’approvisionner, les pays européens
devront payer des prix de plus en plus élevés.
Mais d’où tireront-ils les ressources nécessaires,
si par ailleurs, ils ne sont plus capables de vendre
à la Chine des biens et services jusqu’ici
non produits par elle mais dont elle a l’intention
de devenir progressivement productrice ?
On considère désormais en effet que la
Chine est l’atelier industriel du monde. L’Europe
n’a donc aucun espoir de lui vendre des produits
et services classiques. On a tout lieu de penser qu’avec
le potentiel énorme de chercheurs dont la Chine
est en train de se doter, l’Europe ne conservera
pas indéfiniment d’avance dans les produits
à haute technologie. On ne voit pas par exemple
pourquoi la Chine ne se déciderait pas à
produire et vendre dans le monde entier des avions et
des fusées à prix cassés (comme
elle le vise déjà dans le domaine des
lanceurs et des satellites). Que resterait-il à
l’Europe comme monnaie d’échange
? On ne voit qu’une seule réponse pour
le moment : les produits agricoles et le tourisme. Ce
n’est pas grand-chose.
Mais si nous poussons le raisonnement aux limites, un
peu d’espoir pourrait renaître. La suprématie
économique chinoise repose essentiellement sur
l’exportation. La consommation intérieure
joue très peu dans son enrichissement actuel,
compte tenu de la faiblesse du revenu intérieur
par habitant. Mais si les acheteurs extérieurs,
notamment européens, sont progressivement ruinés
par la concurrence chinoise, ils ne pourront plus acheter
grand-chose à l’économie chinoise.
Celle-ci perdra donc une partie de ses revenus et par
conséquent une partie de sa capacité à
investir dans les produits d’avenir.
Ce raisonnement certainement critiquable parce qu’un
peu simple, montre cependant une voie pour l’Europe.
Elle devrait d’abord se rendre compte qu’elle
ne pourra pas survivre à la masse chinoise sans
un effort considérable d’investissement,
visant notamment la réduction des dépendances
extérieures, par exemple la dépendance
au pétrole et à l’acier. Mais il
lui faudra aussi comprendre – et faire comprendre
à ses partenaires asiatiques, Chine en premier
lieu – que des affrontements sauvages dans le
cadre d’un marché international entièrement
soumis à la loi du plus fort, seraient destructeurs
pour les uns comme pour les autres. Il conviendrait
au contraire, comme nous l’avons indiqué
plus haut dans cet article, programmer des accords à
long terme de co-développement et co-investissement,
dans les sciences et technologies émergentes
comme dans les grands programmes à portée
mondiale. Ces programmes ne peuvent que relever de politiques
publiques, ce qui impose à la Chine comme à
l’Europe de ne pas saborder ce qui leur reste
de structures et procédures décisionnelles
dans le domaine de l’Etat.
Certains milieux politiques américains ont déjà
commencé à le comprendre en ce qui concerne
les relations Etats-Unis/Asie. Ils poussent à
la coopération. Réussiront-ils à
l’emporter face aux faucons de la radicalisation,
quasi-défenseurs de « frappes préventives
» ? On peut le penser et d’ailleurs l’espérer.
Mais il faudra que l’Europe ne reste pas à
la traîne. Elle doit se doter de sa propre politique
de co-développement avec l’Asie (y compris,
pourquoi pas, dans le domaine militaire).
Hélène
Lavoix propose les observations suivantes en complément
de l'article ci-dessus.
Je
propose d'ajouter à cet article les suggestions
suivantes, mais qui demanderaient un autre débat:
- la diaspora chinoise est aussi très présente
en Asie du sud-est.
- il est important de garder à l'esprit lorsqu'on
pense Chine que, compte tenu de la diversité
et du gigantisme auxquels le gouvernement chinois fait
face, les autorités doivent toujours prévenir
la possibilité d'une "désintégration".
Ce risque a été récurrent tout
au long de l'histoire de la Chine et l'évolution
actuelle de l'ex-URSS ne peut que réactiver la
peur. Donc, l'Etat chinois n'est pas toujours aussi
fort qu'il pourrait le souhaiter, et il le sait.
- sur le nationalisme, je crois qe celui-ci n'est pas
seulement manipulé, mais aussi très présent
au sein de la population.
- il me semble que les Chinois sont sages de progresser
lentement sur le chemin démocratique, car la
démocratie se superposant à un Etat faible
produit des catastrophes. Un scénario à
l'Irakienne n'est jamais impossible et serait dramatique.
L'optique des dialogues politiques développés
par l'Union Européenne pour aider à la
transition vers un Etat de droit, de façon très
« douce » et respectueuse, me semble très
judicieuse.
-
d'accord sur l'improbabilité d'un scénario
d'attaque des Chinois. La Chine fut un empire, mais
pas un empire impérialiste... Si jamais ils se
révélaient agressifs, ce serait parce
que poussés dans leurs derniers retranchements...
Si le scénario se précisait, l'axe crucial
à surveiller serait ici l'axe Japon/US, qui pourrait
en se militarisant, nécessairement contre la
Chine, faire tout basculer. Les pays du sud-est asiatique
et de la zone le sentent bien et ont les yeux rivés
sur la montée du nationalisme japonais complété
d’éventuels alliances entre ce dernier
et le militarisme américain.
On trouvera en annexe un tableau de chiffres
que j’ai établi pour illustrer la situation
actuelle de la Chine dans le monde et son évolaution
possible.
Pour
en savoir plus
La Chine par l'encyclopédie Wikipedia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chine