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Dossier
Espace
Les
programmes spatiaux européens
Par Jean-Paul Baquiast
Le
Space Weapons Program américain
Par Jean-Paul Baquiast
Les
programmes lunaires et martiens américains
Par Jean-Michel Valentin
20/05/05
Les
programmes spatiaux européens
L’inquiétude
grandit dans les milieux spatiaux européens face
au manque d’ambition affiché par les gouvernements
de l’Union dans le domaine de l’espace. Ce manque
d’ambition se manifeste de nombreuses façons
: soutien insuffisant aux projets de l’Agence Spatiale
Européenne (ESA) se traduisant notamment par des
budgets constamment rognés, lenteur et lourdeur dans
la gestion des projets en cours, notamment le programme
Galiléo encore en butte aux rivalités nationales
pour l’attribution des contrats, absence complète
des enjeux spatiaux dans la communication des gouvernements
et des institutions européennes. Ceci se traduit
par une chute des inscriptions aux formations universitaires
conduisant au spatial, notamment en France jusque là
un des moteurs de la politique européenne.
Dans
cette ambiance pessimiste, le directeur général
de l’ESA, le français Jean-Jacques Dordain
(photo
ci-contre, source ESA),
vient de répondre à un questionnaire de Sylvie
Rouat dans la revue Sciences et Avenir de mai 2005 (p. 44).
Une lecture rapide pourrait donner une impression d’optimisme,
mais ce n’est pas celle que nous ressentons nous-mêmes.
On a tout lieu de croire que le directeur général,
tenu par sa position à une certaine réserve,
ne nous dit pas le fond de sa pensée et qu’en
réalité il lance un véritable appel
au secours. On en a la preuve immédiate en confrontant
le titre de l’article « Je suis sûr
qu’on ira sur Mars » avec le texte montrant
que les chances d’aller sur Mars reposent entièrement
sur la volonté politique américaine, l’Europe
ne jouant qu’un rôle d’appui puisque «
les Européens n’ont pas l’intention de
développer des systèmes de transport d’équipages
dans un avenir connu ».
Jean-Jacques Dordain rappelle les récents succès
européens : l’atterrissage de la sonde Huygens
sur Titan (première mondiale à une telle distance),
les orbiteurs lunaire (Smart 1) et martien (Mars Express),
la sonde cométaire Rosetta et le projet vers Vénus
prévu en fin d’année. Il se félicite
également du succès de Ariane 5-10 tonnes,
bien que la suite à 10 ans des programmes européens
de lanceurs lourds ne soit pas assurée. Pour lui,
l’Europe fait encore la course en tête dans
les domaines de la science, de l’observation de la
Terre et des lanceurs. Ajoutons cependant que ces succès
résultent de décisions prises il y a plus
de 10 ans, que rien ne vient relayer aujourd’hui.
Mais le directeur général ne cache pas non
plus les faiblesses ne permettant pas à l’Europe
(via l’ESA) d’égaler les autres puissances
spatiales, USA, Russie et Chine (sans mentionner bientôt
l’Inde et le Japon). La première concerne les
vols habités, où le choix de se reposer sur
les Etats-Unis et la Russie résulte de l'absence
de prise de conscience de l'importance du domaine. La dépendance
au GPS américain et au système russe Glonass
reste entière, en attendant l’arrivée
de Galiléo (voir dans ce numéro (voir dans
cette revue l'article de Alain De Neve et Fabian Giordano
http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/63/denevegiordano.htm).
Enfin rien n’existe au plan européen dans le
domaine de la défense.
Il rappelle cependant que les enjeux du spatial ne sont
plus seulement ceux d’éventuelles politiques
de puissance. Ils intéressent tous les citoyens,
par l’intermédiaire des satellites de télécommunication,
de géolocalisation, de surveillance de l’environnement,
satellites dont tous les pays, y compris les pays pauvres,
sont aujourd’hui demandeurs…C’est l’ESA
qui est responsable de ces programmes pour ce qui concerne
l’Europe. Elle doit impérativement maintenir
la compétence des équipes industrielles qu’elle
coordonne, l’expérience qui demande 20 ans
à construire pouvant se perdre en 6 mois. Dans cette
perspective, l’ESA doit se rapprocher de l’Union
européenne, puisque tous les Etats-membres sans exceptions
sont concernés par ces applications.
Le lecteur pour sa part ressent cette énumération
comme ce qu’elle est sans doute en filigrane, un appel
au secours. Car comme nous l’avons indiqué
précédemment, ni les Etats de l’Union
ni même la Commission ne prennent tout ceci très
au sérieux. Les discussions sur le budget européen
ne mentionnent pas spécifiquement les recherches
spatiales, ce qui est de très mauvaise augure.
Un véritable sursaut devrait donc s’imposer,
tant au plan des politiques qu’à celui des
opinions publiques. Nous avons précédemment
présenté ce que devrait être selon nous
(et les experts que nous avons consultés) une véritable
politique spatiale européenne (voir http://www.automatesintelligents.com/democratie/2005/fev/espaceurop.html).
Une planification stratégique avec la programmation
de moyens budgétaires et humains sur 10 ans est indispensable
de toute urgence. Elle devrait être placée
sous l’égide de l’Union européenne
renforcée par l’adoption d’une Constitution
encourageant les coopérations scientifiques et industrielles.
Dans les domaines aujourd’hui défaillants de
la défense et des missions habitées, la compétence
de l’Europe, notamment par l’intermédiaire
de l’ESA, devrait être affirmée. Des
missions robotisées sur la Lune et Mars, supposant
les lanceurs lourds adéquats du futur, devraient
être engagées sans attendre et sans rechercher
systématiquement la coopération avec les Etats-Unis.
L’effet d’entraînement de telles missions
serait considérable, sur l’ensemble des technologies
concernées, notamment en matière de robotique
autonome.
Mais comment faire naître la prise de conscience de
ces besoins. On pourrait envisager, pour assurer la reprise
du dialogue entre les milieux spatiaux et l’opinion,
que la France, qui a toujours été pilote dans
le domaine spatial, organise un ou plusieurs colloques internationaux
sur la question. Mais le gouvernement actuel semble bien
loin de ces préoccupations.
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Le
Space Weapons Program américain
L’Air
Force américaine soumet actuellement à l’approbation
du Président Bush une directive intéressant
la sécurité de la Nation et visant à
développer de nouvelles armes offensives et défensives.
On lira sur ce sujet un article détaillé du
New York Times en date du 18 mai 2005 (http://www.nytimes.com/2005/05/.......VfbtZ8wdA).
Ce projet risque, disent certains observateurs, d’être
présenté par les alliés (et les potentiels
ennemis) des Etats-Unis comme relançant une nouvelle
course aux armements dans l’espace. Il s’agirait
d’un changement important dans la politique de défense,
compte tenu de la politique suivie depuis les décisions
du président Clinton en 1996. Jusqu’ici l’espace
était réservé, au plan militaire, à
l’observation de l’application des traités
de démilitarisation et de non-prolifération,
ainsi qu’au renseignement.
La mise en œuvre de la directive visant à déployer
des armes spatiales provoquera beaucoup de difficultés
financières, technologiques, politiques et diplomatiques,
bien qu’aucun traité international n’interdise
explicitement de telles armes, selon les porte-paroles officiels
de la Maison Blanche. Une décision positive est attendue
dans les prochaines semaines.
En fait, selon les représentants de l’Air Force,
il ne s’agit pas de mettre des armes en orbite, mais
de se donner un libre accès à l’espace
pour des actions défensives ou offensives. Dans cette
perspective, le Pentagone aurait déjà dépensé
des milliards de dollars pour préparer des systèmes
d’armes et les modalités de leur déploiement.
Ceci avait été recommandé en janvier
2001 par une commission présidée par le ministre
de la défense nouvellement nommé Donald Rumsfeld.
Suite à ces propositions, le Président Bush
s’était retiré de l'Antiballistic Missile
Treaty qui interdisait le déploiement d’armements
dans l’espace.
Il ne fait plus de doute aujourd’hui que pour l’Air
Force, le concept de suprématie spatiale absolue
suppose la liberté d’attaquer aussi bien que
celle de se défendre à partir de l’espace
("freedom to attack as well as freedom from attack
in space").
Ceci nécessitera de nouvelles armes, de nouveaux
types de satellites, de nouveaux moyens de coopération
avec les forces armées. Les obstacles technologiques
seront énormes et les crédits sont estimés
devoir atteindre les centaines de milliards de dollars.
Il faudra aussi convaincre les « alliés »
que la frontière des Etats-Unis s’étend
dorénavant à l’espace, mais ce jusque
dans quelles limites ?
L’Air Force a élaboré une nouvelle stratégie,
dite Global Strike, qui suppose la mise au point d’un
avion spatial dit « common aero vehicle »,
porteur d’armes guidées représentant
une demi tonne de munitions. Il s’agira selon le général
Lord déposant devant le Congrès d’une
« incroyable capacité de destruction des centres
de commandement et de lancement de missiles où qu’ils
soient dans le monde ». Il pourrait atteindre sa cible
en 45 minutes après un demi tour du monde. La mise
au point de ce véhicule est considérée
comme la priorité maxima.
L’Air Force a déjà réalisé
divers prototypes de telles armes, dont nous avons présenté
les essais dans notre revue. On citera notamment le XSS-11,
un micro-satellite capable de brouiller les satellites de
communication et de reconnaissance des autres nations. Le
Pentagone n'a pas caché qu'il n'hésiterait
pas à utiliser de tels armes pour détruire
les satellites des "alliés" qui leur porteraient
ombrage, par exemple les satellites du futur programme européen
Galiléo au cax où ceux-ci auraient été
développés avec la participation de pays réputés
ennemis comme la Chine.
Un autre programme, significativement dénommé
les “Verges de Dieu” (Rods From God)
vise à précipiter de l’espace des cylindres
de tungstène, titanium or uranium appauvri afin de
pénétrer en profondeur des objectifs terrestres.
Arrivant à des vitesses de 10.000 kms/h, ils auraient
l’effet de petits obus atomiques.
Un troisième programme utilisera des rayons laser
ou des ondes radio-électriques susceptibles d’immobiliser
ou détruire des troupes et matériels au sol.
Le général James E. Cartwright, chef de l’United
States Strategic Command, a expliqué récemment
à la sous-commission du Sénat compétente
pour la question des armements nucléaires que l’objectif
était de permettre à la nation de “délivrer
une attaque très rapidement, sans long plannings
préparatoires , n’importe où à
la surface de la Terre.
Mais beaucoup de sénateurs se sont inquiétés.
Comment la Russie, l’Union Européenne, la Chine
et l’Inde vont-elles réagir. Et que feront
les Etats-Unis si l’un de ces pays décidait
à son tour de développer de telles armes.
Faudra-t-il en venir à des frappes préventives
? Ce discours raisonnable a été relayé
par Teresa Hitchens, vice présidente du Center for
Defense Information, Think Tank qui analyse et critique
la politique du Pentagone. « L’espace doit rester
un domaine international non militarisé ni militarisable”.
De plus, les budgets évoqués par l’Air
Force elle-même (de 220 milliards à 1 trilliard)
paraissent hors de portée. La frappe unitaire passerait
de 600.000 dollars avec un Tomahawk à 100 millions
de dollars avec les systèmes proposés. D’ores
et déjà, les “simples” satellites
de reconnaissance et d’observation voient leurs coûts
au moins tripler. C’est le cas du nouveau programme
de satellites-espions dit Future Imagery Architecture, dont
le coût est de 25 milliards (et dont les résultats
seraient d’ailleurs décevants). Ces coûts
ne seraient supportables que si l’ensemble des systèmes
d’armes actuels étaient reconvertis, ce qui
parait à la fois utopique et dangereux.
Pourtant le général Lord considère
que toutes ces objections ne tiennent pas. « La supériorité
spatiale est notre destin. Il s’agit aujourd’hui
d’une mission devant être conduite quotidiennement.
Mais il s’agit aussi d’une vision pour le Grand
Futur ».
On peut supposer que les industriels qui espèrent
profiter de ces flots de milliards, non seulement pour développer
des armes mais pour réinvestir le savoir-faire dans
le civil, partagent totalement ce point de vue. 22/05/05
Pour en savoir plus
*Common
Aero Vehicle http://www.fas.org/spp/military/program/nssrm/initiatives/cbmcav.htm
*XSS-11 http://www.afrlhorizons.com/Briefs/Dec03/VS0304.html
*Center
for Defense Information http://www.cdi.org/
*Future Imagery Architecture
http://www.fas.org/irp/program/core/fia.htm
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Les
programmes lunaires et martiens américains
Les
programmes lunaires et martiens des USA sont animés,
comme tous les grands programmes américains,
par plusieurs dynamiques en même temps.
Ce sont de formidables machines de recherche/développement,
mais aussi des outils de promotion de la recherche
fondamentale. Les objectifs lunaires et martiens
servent donc à "propulser" la
science et la technologie américaine. Il
ne faut pas oublier, d'ailleurs, la recherche
en biologie moléculaire qui est menée
dans le cadre des programmes martiens, les début
de la xénobiologie, l'intégration
des recherches médicales sur les réactions
corporelles et psychosomatiques en milieu extrême,
etc...
Les gigantesques budgets impliqués ont
aussi une finalité sociétale majeure,
en déversant des milliards de dollars sur
le système éducatif américain,
pour l'aider à créer et à
amplifier la production d'élites strictement
autochtones dans les domaines scientifiques, et
non plus essentiellement juridiques et commerciaux.
De plus, ces programmes sont en synergie avec
la recherche spatiale militaire, de façon
programmatique, budgétaire et sociétale
(n'oublions pas que les pilotes d'essai de la
NASA, les pilotes de navette, ou de fusée,
les astronautes, viennent en majorité de
l'armée, en particulier de l'Air Force).
Or, le système stratégique américain
est lancé dans un vaste "métaprogramme"
de quadrillage de la surface de la Terre et du
cyberespace par ses capacités spatiales
et électroniques. Le tout vient alimenter
le programme de NMD.
Cet aspect va très loin, dans la mesure
où les responsables de l'appareil américain
de sécurité nationale sont très
conscients de la raréfaction des ressources
naturelles sur Terre, en raison de la croissance
exponentielle de l'humanité ces 70 dernières
années. Il existe un certain nombre de
lobbys, de plus en plus entendus, qui envisagent
la ceinture des astéroïdes comme de
nouvelles ressources minières et aquifères.
De plus, ces programmes sont de formidables "pompes
à investisseurs": ils permettent d'attirer
des fonds, qui ne vont pas dans d'autres recherches
non-américaines. Comme l'industrie aérospatiale
européenne est, depuis la fin des années
quatre-vingt-dix profondément intégrée
à ces dynamiques, tout en conservant un
statut de sous-traitant, et très encadrée
par le système juridique, d'intelligence
économique et de "brain drain"
US, l' "attracteur US" voit sa position
dominante renforcée par ses clients, qui
s'ôtent ainsi les moyens de travailler à
leur propre développement "souverain".
Ce facteur géopolitique acquiert une dimension
"métastratégique" avec
l'insistance sur les vols habités. Contrairement
à ce que l’ancien ministre Claude
Allègre peut déclarer sur ces orientations,
les vols habités ne sont pas de la "c..."
(je cite le ministre), mais de la politique, au
sens le plus pur: il s'agit là du progressif
élargissement de la "polis" américaine
à l'échelle du système solaire.
Les premiers arrivés sur la Lune, sur Mars
et sur la chaîne d'astéroïdes
seront technologiquement, stratégiquement,
et surtout, politiquement et symboliquement dominants,
à une échelle encore jamais expérimentée
dans l'histoire humaine. Il faut d'ailleurs rappeler
le projet "Deep Impact", qui devrait
avoir leu le 4 juillet prochain, qui consiste
à "heurter" une comète
avec un robot US.
Enfin, le prestige associé à ces
efforts, et leur médiatisation, ne fait
que renforcer le mythe inhérent aux Etats-Unis,
et transcende leur réalité dans
l'imaginaire partagé aujourd'hui par l'humanité.
Cependant, cette démarche américaine
qui cherche à englober la réalité
de la planète et du système solaire
dans sa sphère d'influence, et ce sans
aucun complexe, est le produit d'une réalité
fondamentale: les USA pensent leur puissance,
leur devenir et le futur. Pour eux, le concept
de "projet" est vécu de la façon
la plus vitale qui soit: un projet est outil non
seulement pour réaliser un objectif, mais
aussi pour se PROJETER dans l'avenir, pour le
conquérir. Ce rapport au temps leur confère
un avantage stratégique énorme sur
les Européens et sur l'Union Européenne.
En effet, le concept de puissance", de "macht",
s'enracine dans la pensée de l'action,
de la réalisation, du "faire",
de l' "agir", de l'actualisation du
potentiel.
Face à cela, l'Union Européenne
n'a d'autre possibilité que de se considérer
comme "terre porteuse de devenir et d'avenir".
C'est d'ailleurs ce qui est proposé dans
le Traité Constitutionnel. Mais il faut
aller loin, et vite, en assumant l'indépendance
et la puissance de l'Europe. Pour ce faire, le
rapport à la science doit aussi être
un rapport à l'avenir et à l'idée
d'une Europe non pas "gestionnaire",
mais "volontaire" et, surtout, idéaliste
au sens le plus fort du terme, et la politique
européenne se doit d'être animée
par "l'appel du large", car cette compétition
est lancée, le binôme Chine/Inde
est ultra-dynamique et offensif, la Russie a mal
à suivre, mais n'est pas en reste, et le
tout se joue sur les 15 à 20 ans qui viennent.
Let's wake up!
Jean-Michel Valantin
Docteur en études stratégiques
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