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Editorial
Comment suppléer à
l'abandon probable du Traité Constitutionnel Européen
par
Jean-Paul Baquiast et Christophe Jacquemin
30 mai 2005 |
Oui
à la France des labos et des start-up innovantes
ou comment créer une nouvelle dynamique européenne?
Face
aux difficultés que rencontre dans certains pays le
Traité constitutionnel européen, il devient
plus impératif que jamais de définir un mode
de développement rationnel pour l'Europe. Pour cela,
en amont des questions institutionnelles, il nous semble nécessaire
de revenir à certains fondamentaux afin de replacer
l'Europe dans le monde et dans la compétition qui y
règne. Même si en effet il faut s'intéresser
à la situation de chacun - entreprises en difficultés,
chômeurs et exclus de toutes sortes - et donc aux politiques
sociales en découlant, on ne doit pas oublier notre
appartenance à un ensemble global qui interfère
en permanence avec le plan local. A partir de ces fondamentaux,
nous tenterons de proposer une nouvelle dynamique européenne,
dans laquelle la France pourrait s'inscrire de façon
très volontariste.
Les
fondamentaux
Ceux-ci
sont bien connus, mais systématiquement oubliés
par les professions de foi politiques traditionnelles. Les
hommes politiques, de droite comme de gauche, refusent en
effet de les admettre de peur d'inquiéter leurs électeurs.
Quels sont ces fondamentaux?
-
Tout d'abord, il s'agit de rester constamment conscients
du fait que des catastrophes mondiales se produiront inéluctablement
si on ne fait pas appel à de nouveaux comportements
et à de nouvelles solutions moins destructeurs pour
la Terre. Le danger provient de la poursuite de la croissance
démographique mondiale, de la légitime volonté
des «pauvre» d'accéder au niveau de vie
des «riches» et de l'impossibilité d'augmenter
le recours aux sources d'énergie fossiles comme aux
ressources alimentaires et de matières premières
traditionnelles. On peut décliner à l'infini
les impasses, voire les risques à très court
terme que provoquent la surexploitation de la nature par
l'homme, notamment par l'homme occidental.
-
Les perspectives d'espoir existent : elles résident
dans l'existence de nouvelles sciences et technologies susceptibles
d'apporter des ressources pouvant d'une part venir en substitution
de celles qui vont faire défaut et d'autre part d'ouvrir
de nouvelles voies de croissance. Ceci dans tous les domaines
: énergies renouvelables, biotechnologies, nanotechnologies,
sciences et technologies de l’information, matériaux,
etc.
-
Ces nouvelles sciences et technologies demandent des investissements
lourds et durables (au moins 1 à 2% des PIB s'ajoutant
à ceux déjà consacrés aux dépenses
de R/D. que seuls actuellement les Etats-Unis ont entrepris,
mais que la Chine et l’Inde engagent dorénavant.
Ils le font, aussi bien dans le civil que dans le militaire,
pour assurer leur domination sur le monde de demain. L’Europe
a pris du retard, et la France plus encore. L'essentiel
de son épargne va à des dépenses de
consommation immédiate (automobile, résidence
secondaire, tourisme, etc.).
-
Si cependant ces investissements dans les nouvelles sciences
et technologies étaient consentis, notamment en France,
ils apporteraient dans l’immédiat de nouveaux
emplois locaux et à terme de nouvelles ressources
économiques et de nouvelles qualifications intellectuelles.
On dira
qu’il n’est pas possible d’investir alors
que les collectivités publiques et beaucoup d’entreprises
manquent de réserves monétaires ? Mais faut-il
s’arrêter à des considérations
comptables alors que les économies européennes
disposent de beaucoup de ressources humaines et même
technologiques non employées. Si l'Europe préparait
une guerre, elle ne s’embarrasserait pas de ces contraintes,
pas plus que ne le font les Etats-Unis actuellement.
L'Europe
doit inventer une nouvelle dynamique
Il
résulte de ce qui précède que l'Europe
doit se résoudre à investir dans les nouvelles
sciences et technologies beaucoup plus systématiquement
qu'actuellement. Si elle ne rattrape pas rapidement le retard
pris sur les Etats-Unis et ne compense pas celui qu'elle
est en train de prendre sur la Chine et l'Inde, elle tombera
inéluctablement au niveau des pays pauvres. Non seulement
elle ne pourra pas aider ces derniers, comme elle en a parfois
la prétention, mais elle ne pourra pas s'aider elle-même.
Mais
elle devrait pouvoir le faire d'une façon aussi conforme
que possible à son modèle social, c'est-à-dire
en répartissant de la façon la plus égalitaire
possible les retombées de ces investissements.
Cependant
les vieilles recettes publiques ou privées destinées
à encourager la recherche, l'investissement et le
développement ne sont plus efficaces en Europe, car
elles reposent sur une bureaucratie stérilisante
qui paralysent les initiatives et la participation, sans
réellement protéger de la concurrence des
sociétés plus compétitives. Il faut
inventer une nouvelle dynamique, adaptée à
des pays européens aux cultures, langues et moeurs
différents. Un atout de l'Europe est l'extrême
diversité des sociétés qui la composent.
Il faut en tirer parti pour favoriser l'émergence
de solutions aussi inattendues que diverses. Notre innovation
doit avant tout être mentale. Enseignons le partenariat
plutôt que la rivalité....
Certes,
investir dans les nouvelles sciences et technologies suppose
plusieurs éléments qui doivent être
communs aux divers Etats et aux diverses populations de
l'Union, afin d'atteindre une synergie satisfaisante. La
mise en place d'un Etat fédéral sur le modèle
des Etats-Unis serait certainement un de ces éléments
facilitateurs, mais les opinions européennes ne sont
pas encore prêtes à l'accepter. Il faut donc
trouver autre chose. Trois types d'initiatives sont nécessaires
pour cela, dont le succès dépendra en grande
partie d'acteurs jusqu'ici éloignés de l'action
publique ou de la démarche commerciale :
-
Convaincre l'opinion que l'avenir à court comme
à long terme repose sur les nouvelles sciences,
les nouvelles technologies et leurs applications, tâche
d'autant plus difficile que celles-ci sont actuellement
diabolisées. Il s'agit d'une action reposant essentiellement
sur le Discours (le "langage afficheur"),
mais ceci ne veut pas dire qu'elle soit inefficace. Au
contraire. Ceci suppose des instruments de dialogue et
de discussion permanents entre responsables politiques,
«experts» et citoyens. Il s'agit d'un point
essentiel : convaincre que de nouvelles solutions existent,
qu'elles sont à la portée de chacun et qu'elles
bénéficieront à tous. La collectivité
acceptera alors plus facilement d'épargner sur
ses dépenses de consommation afin d'investir pour
préparer l'avenir.
Pour cela, les promoteurs de nouveaux projets devront
par exemple organiser des colloques et forums (très
fréquents aux Etats-Unis) où ils présenteront
leurs projets, les coûts, les moyens nécessaires,
les retombées, etc., en insistant sur les aspects
les plus immédiats. Des groupes d'étude
et de pression pourront ensuite prendre le relais. On
peut facilement envisager des centaines de débats
sur des programmes plus ou moins ambitieux, depuis de
grands programmes spatiaux, d'énergie (Iter) ou
d'équipement (par exemple une ligne TGV inter-européenne)
jusqu'à la création d'une PME innovante
dans un secteur porteur, y compris dans le domaine des
industries culturelles. A-t-on entendu le moindre responsable
politique, qu'il soit de droite ou de gauche, aborder
ces questions avant le référendum, de façon
à les présenter comme des objectifs pour
l'Europe?
-
Imaginer de nouvelles formules pour rassembler des ressources,
fonds, matière grise, facilités diverses,
comme pour partager l'intéressement et le retour
sur investissement au profit direct de ceux qui participeront
aux projets. Il ne s'agit pas seulement de mettre en place
des modalités de financement originales mais aussi
d'innover dans les méthodes de gestion de projets
en mutualisant les décisions et en les rendant
transparentes. L'évolution de chaque projet fera
l'objet d'une information continue.
-
Mobiliser et mêler des créateurs et promoteurs
de toutes origines. Il s'agira de tous ceux, publics ou
privés, grands ou petits, ayant des idées
innovantes et la volonté de les faire aboutir :
des Etats ou groupes d'Etat, des régions ou collectivités
locales, des entreprises petites et grandes, des laboratoires
ou des scientifiques, des associations ou même de
simples individus. Chacun devrait bénéficier
d'un environnement favorable lui permettant non seulement
de se faire connaître et proposer des idées
mais de commencer à les réaliser. Cet environnement
sera fourni par les institutions, les entreprises mais
aussi les ONG et associations diverses. Une certaine concurrence
entre promoteurs sera inévitable, mais elle devra
être soigneusement organisée au plan légal
pour éviter que les gros ne tuent les petits plus
innovants qu'eux, ce qui est fréquent dans le domaine
des technologies.
Dans
cette perspective les institutions publiques, y compris
l'Union européenne, devraient organiser les échanges
et faciliter les rapprochements entre les promoteurs de
projets et les populations au plan transversal, c'est-à-dire
en évitant les cloisonnements correspondant aux anciennes
frontières géographiques et sociales de l'Europe.
Il ne s'agira pas seulement de reprendre le rôle de
bailleur de fonds déjà tenu depuis 50 ans
par les banques et les administrations, mais plutôt
de s'inventer un rôle d'accoucheur d'idées
et de faiseurs de contacts. Pour cela, les think tanks,
les médias spécialisés dans l'échange
et la communication, les rencontres plus ou moins informelles
devront être encouragés.
Enfin,
le recours à Internet pour généraliser
les débats d'idées et les confrontations de
projet devra être systématisé. Il s'agit
d'une nouvelle forme efficace d'action politique distribuée.
La campagne référendaire a montré l'intérêt
nouveau des Français pour ce type d'échange
et de débat hautement politisé. Il faudra l'étendre
progressivement à l'ensemble des pays européens.
Mais il est temps de donner la parole à la France des
laboratoires et des PME innovantes(1).
Dans
un tel programme, il est possible que notre revue, appuyée
par ses lecteurs, puisse jouer un rôle utile.
(1)
Ce n'est pas seulement en France qu'un tel besoin s'exprime.
On lira avec intérêt dans le NewScientist du
28 mai 2005, p. 18 un article de William Cullerne Bown (voir
http://www.newscientist.com/channel/opinion/mg18625015.900).
L'auteur est éditeur de Research Europe, un périodique
international dédié aux politiques de recherche
(http://www.researchresearch.com/entry/entry.htm).
Il estime que les responsables des Etats Européens
discutant à Bruxelles des questions de la recherche
sont de plus en plus sensibles à la nécessité
de ne pas laisser les Etats-Unis mener en tête la course
à l'innovation scientifique. Selon lui, pour cela,
les européens vont être conduits à mêler
deux approches traditionnelles. La première, qu'il
qualifie d'anglo-saxonne, reposera sur la compétition
entre laboratoires. La création espérée
pour 2007 de l'European Research Council mettra à la
disposition des meilleurs, sélectionnés après
appels d'offres, plus d'1 milliard d'euros par an.
Mais
parallèlement l'Europe mènera, sans doute plus
particulièrement à la demande de la France et
de l'Allemagne, une politique de grands programmes (Joint
Technology Initiatives). Certaines sont déjà
programmées dans le domaine par exemple de la pile
à combustible et de la nano-electronique. Dans ces
programmes, la Commission européenne et un certain
nombre de grandes entreprises européennes se partageront
le contrôle. L'objectif affiché sera clairement
de réaliser un contre-poids à la domination
américaine, comme Airbus l'avait fait vis-à-vis
de Boeing.
Encore
faudrait-il que les PME innovantes ne soient pas écartées
de ces programmes, comme certaines se plaignent déjà
de l'être. Il ne faudrait pas non plus que le probable
rejet du TCE handicape tous ces projets, comme le craint
William Cullerne Bown.
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