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Création
de l'association Ars Industrialis
Manifeste
Nous sommes heureux
de vous faire part de la création de l'Association
Ars Industrialis, que Bernard Stiegler avait annoncée
dans l'interview qu'il nous avait donné le 31/01/2005
http://www.automatesintelligents.com/interviews/2005/jan/stiegler.html
Voir également notre présentation de son livre
Mécréance et Discrédit http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2005/jan/stiegler.html
Notre association Automates Intelligents formule dès
maintenant une demande d'adhésion. AI
ARS INDUSTRIALIS
http://www.arsindustrialis.org
Association internationale pour une politique industrielle
de l'esprit,
créée par Georges Collins, Marc Crépon,
Catherine Perret, Bernard Stiegler et Caroline Stiegler
Motifs de constitution de l’association
ARS INDUSTRIALIS
1. Notre époque est menacée, dans le monde
entier, par le fait que la " vie de l'esprit ",
pour parler avec des mots de Hannah Arendt, a été
entièrement soumise aux impératifs de l'économie
de marché et aux impératifs de retours sur
investissement des entreprises qui promeuvent les technologies
de ce que l’on appelle les industries culturelles,
les industries de programmes, les médias, les télécommunications,
et enfin les technologies du savoir, ou technologies cognitives.
Tous ces secteurs, étant donnée l’expansion
de la numérisation, tendent à s’intégrer,
ce que l’on a décrit voici une dizaine d’année
comme la convergence de l’audiovisuel, des télécommunications
et de l’informatique.
Nous appelons cet ensemble le secteur des technologies de
l’esprit (malgré la surcharge métaphysique
et théologique qui pèse sur ce mot, "
esprit ", que nous entendons aussi au sens anglais
de mind).
Et si le processus d’intégration en quoi consiste
la convergence a jusqu’à présent essentiellement
et brutalement aggravé les possibilités de
contrôle du marché sur la vie de l’esprit,
nous soutenons que les technologies de l’esprit peuvent
et doivent devenir un nouvel âge de l’esprit,
un renouveau de l’esprit, une nouvelle " vie
de l’esprit ".
Nous pensons que ce renouveau et cette renaissance de l’esprit
doivent constituer le motif de ce que nous appelons une
politique industrielle de l’esprit.
2. Or, une telle politique industrielle doit aussi être
une écologie industrielle de l’esprit.
La soumission des technologies de l’esprit aux seuls
critères du marché les maintient dans une
fonction de technologies de contrôle, au service de
" sociétés de contrôle " (nous
empruntons cette expression à William Burroughs,
à qui Gilles Deleuze l’emprunta lui-même).
Cette fonction, qui a pour but de systématiser le
développement des applications et des usages des
moyens de calcul, de communication et d’information
au seul service d’une massification des comportements
de production et de consommation dans le sens des intérêts
financiers investis à très court terme et
très forts rendements dans les entreprises industrielles,
bloque l’accès à ces technologies pour
toute autre finalité. Et en particulier, elle interdit
et obstrue systématiquement le développement
des pratiques sociales nouvelles et inédites que
non seulement elles permettent, mais qu’elles appellent
et par lesquelles seulement, là est notre thèse,
ces technologies pourront devenir la base d’une nouvelle
époque de la civilisation et permettront d’éviter
le chaos dont chacun sent bien qu’il constitue désormais
une menace imminente.
3. Ces technologies de " l'âme " ou "
de la conscience ", auxquelles sont en train de s’ajuster
des technologies du corps et du vivant, visent aujourd’hui
à contrôler et à façonner hégémoniquement
les modes d’existence individuels et collectifs, et
ce, à tous les âges de la vie. Or, ce contrôle
des existences, qui est un contrôle et une manipulation
des désirs des individus et des groupes, conduit
à détruire les possibilités mêmes,
pour ces individus et pour ces groupes, d’exister
: exister, cela ne peut être qu’exister comme
singularité. Et plus précisément, ce
contrôle détruit le désir des individus
et des groupes – ce que depuis Freud on appelle leur
énergie libidinale.
Le capitalisme, au XXè siècle, a fait de la
libido sa principale énergie : l’énergie
qui, canalisée sur les objets de la consommation,
permet d’absorber les excédents de la production
industrielle, en suscitant, par des moyens de captation
de la libido, des désirs entièrement façonnés
selon les besoins de la rentabilité des investissements.
Or, aujourd’hui, cette captation de la libido a fini
par la détruire, et ce fait majeur constitue une
immense menace pour la civilisation industrielle : elle
conduit inévitablement, à terme, à
une crise économique mondiale sans précédent.
4. Cette menace contre le désir est une menace contre
l'humanité toute entière : la ruine du désir
est aussi celle des possibilités de sublimation et
de la constitution d’un surmoi, et elle produit conséquemment,
au-delà des perturbations économiques induites
par le modèle qui oppose production et consommation,
des désordres géopolitiques, politiques, sociaux
et psychiques extrêmement alarmants. Ces dysfonctionnements,
qui deviennent pour l’humanité de véritables
fléaux, constituent les manifestations récentes
de problèmes que doit résoudre ce qu’il
convient donc d’appréhender comme une écologie
industrielle de l’esprit et du désir.
5. Le désir est constitué par des pratiques
symboliques, que soutiennent des techniques ou des technologies
symboliques. Les objets du désir sont intrinsèquement
singuliers, et en tant que tels, ils intensifient la singularité
du désirant. Or, la fabrication industrielle du désir,
qui est rendue possible par les technologies d’information
et de communication, consiste à catégoriser
les singularités, c’est à dire à
rendre calculable ce qui, étant incomparable (le
singulier est par essence ce qui ne se compare à
rien), est irréductiblement incalculable. Pour autant,
les singularités ne sont pas du tout ce qui échappe
à la technique ou au calcul, mais ce qui se constitue
au contraire par la pratique des techniques, technologies
et calculs, en vue d’intensifier ce qui n’est
pas réductible au calculable. C’est ce que
rendent par exemple immédiatement sensible toutes
les formes d’art, comme le poème, dont Claudel
écrit : " Il faut qu’il y ait dans le
poëme un nombre tel qu’il empêche de compter.
" Reste que les technologies d’information et
de communication sont précisément les technologies
spirituelles, et cela signifie tout aussi bien qu’elles
relèvent de la question des techniques de la mémoire
dont Michel Foucault analysa le sens comme techniques de
" l’écriture de soi ". Il reprit
pour les qualifier le terme grec d’hypomnémata,
qui fut la grande question de la philosophie dès
Platon : celui-ci définit déjà l’écriture
comme hypomnésis, c’est à dire comme
mémoire technique.
En tant que mnémo-technologies, les technologies
industrielles de l’esprit sont de nouvelles formes
d’hypomnémata. Et comme les hypomnémata
de l’âge antique, en particulier dans les écoles
stoïciennes et épicuriennes et dans le christianisme
primitif, dans la Rome où la skholè grecque
devient la pratique romaine de l’otium, les technologies
industrielles de l’esprit appellent de nouvelles pratiques,
c’est à dire, au bout du compte, de nouvelles
organisations sociales.
Car la relation des hommes à ces technologies ne
peut en aucun cas continuer de se limiter aux usages prescrits
par les modes d’emploi et les campagnes de marketing,
qui ne tendent qu’à garantir les retours sur
investissements les plus rapides possibles, pour des actionnaires
qui veulent, comme on dit, des " taux à deux
chiffres " - et, si possible jamais inférieurs
à 15%.
6. Une telle politique est en effet suicidaire : ce capitalisme
est autodestructeur. En affirmant la possibilité
d’une politique industrielle de l’esprit, notre
association s’assigne tout aussi bien pour but de
lutter contre cette tendance autodestructrice du capitalisme,
en contribuant à l’invention de pratiques des
technologies de l’esprit qui reconstituent des objets
de désir et des expériences de la singularité.
Nous pensons que le développement de telles pratiques
est une condition fondamentale pour un avenir pacifique
et mondial de la société industrielle.
7. La question d’économie politique que pose
l’avenir industriel est donc la relance du désir
– et non simplement la relance de la consommation,
comme s’y obstinent frénétiquement les
mesures technocratiques et artificielles mises en œuvre
dans les pays industriels, et en particulier l’Europe,
qui ne cessent d’aggraver le mal qu’elles prétendent
réduire. Les industries de l’esprit, qui existent
donc déjà, mais qui sont mal orientées
et détruisent la société au lieu d’en
constituer une nouvelle époque, produisent toutes
sortes de technologies d’échanges symboliques
toujours accrus, et qui ne vont cesser de se développer
dans les décennies à venir – dès
à présent, avec les réseaux à
haut débit et les liaisons wifi, par exemple, et
demain, avec les nanotechnologies. Or, ces appareils et
services ne sauraient continuer à croître contre
la cohésion sociale et l’intérêt
général. Et c’est dans la mesure où
la question de l’intérêt général
est en effet inscrite dans celle du symbolique que la définition
d’une politique industrielle de l’esprit nécessite
aussi l’invention d’une nouvelle forme de puissance
publique, associant des compétences de toutes natures
et de tous horizons, acteurs économiques et institutions
publiques, instituts de recherche et associations, économistes,
artistes, scientifiques, philosophes, investisseurs, partenaires
sociaux, collectivités locales et territoriales,
etc.
8. ARS INDUSTRIALIS est située à Paris, en
France, mais se définit avant tout comme européenne.
Et elle veillera dès ses premiers pas à trouver
des interlocuteurs, des partenaires et des adhérents
dans les pays d’Europe, et à organiser ses
activités hors de France aussi souvent que ce sera
possible. Pour autant, c’est une association internationale,
et non seulement européenne, qui entend développer
des échanges internationaux bien au-delà du
continent européen. Elle entend porter sa réflexion
au niveau mondial, pour ce qui concerne tous les points
évoqués précédemment, et, par
voie de conséquence, dans les domaines de l'enseignement,
de la recherche, de la science, de l'art, des médias,
de l'organisation des services publics de l'audiovisuel,
des industries culturelles et des industries de programmes
privées, et des politiques d’aménagement
du territoire.
9. Outre ses partenaires et adhérents d’Europe
et des autres continents, ARS INDUSTRIALIS visera à
développer dans les villes de France un réseau
de lieux d’activités, d’adhérents
et de correspondants.
10. ARS INDUSTRIALIS animera ces différents réseaux
en utilisant tous les moyens contemporains de communication
disponibles, et recherchera pour cela le soutien d’organisme
set de collectivités publics et privés.
***
Sur la base de ces préalables, ARS
INDUSTRIALIS, association internationale pour une politique
industrielle de l’esprit, se fixera pour but :
. d'animer une réflexion collective, internationale
et transdisciplinaire, par des moyens tels que des rencontres,
des séminaires, des colloques,
. de diffuser les résultats de ces travaux par des
publications, un site Internet, la rédaction de motions,
. de réaliser des études et de faire des propositions,
et, chaque fois que ce sera possible, de les mettre en œuvre,
par des actions ou par des expérimentations,
. de défendre les intérêts de ses membres
contre tout préjudice résultant d'une atteinte
à l'intérêt collectif qu'elle s'est
donné pour objet de défendre.
Dans l’immédiat, ARS INDUSTRIALIS organisera
des rencontres à Paris en particulier sur les thèmes
de :
. la politique européenne passée et à
venir dans le domaine des industries de l’esprit,
. l’initiative prise par Google dans le domaine des
bibliothèques numériques et les politiques
françaises et européenne en la matière,
. la question de la recherche scientifique dans le cadre
d’une politique industrielle de l’esprit,
. les enjeux du sommet mondial de la société
de l’information organisé par l’ONU à
Tunis en novembre 2005,
. les rôles du marketing et de la publicité
dans la société industrielle d’hier,
d’aujourd’hui et de demain,
. l’art et la société industrielle d’hier,
d’aujourd’hui et de demain,
. la question des langues en Europe, et, au-delà,
de la différence idiomatique entendue au sens large,
.les désordres psychologiques et les questions de
santé publique du point de vue d’une écologie
industrielle de l’esprit,
. les questions de propriété industrielle,
. les points de vue existants aux USA, en Amérique
Latine, en Chine, au Japon, notamment, quant à la
question d’une politique industrielle de l’esprit
et d’une nouvelle puissance publique, en particulier
d’une nouvelle puissance publique internationale en
ces matières.
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