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Article
A
propos de l'expérience de S. Afshar
Par Aurélien Drezet (aurelien.drezet
at uni-graz.at)
13/05/05
Aurélien
Drezet est un physicien français travaillant en Autriche.
Il nous a envoyé cet article dont nous le remercions.
Sur S.Afshar, voir notre article http://www.automatesintelligents.com/labo/2004/juil/afshar.html
On pourra lire aussi, sur un sujet connexe, celui de l'analyse
transactionnelle de Cramer, celui de Pavel Kurakin http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2005/61/pavel.htm
Il
y a de cela un an un article discutant d’une expérience
menée par le physicien Iranien S. Afshar travaillant
dans l’université de Harvard aux Etats-Unis
fut publié dans la revue hebdomadaire britannique
New Scientist (n°2457 du 24 juillet 2004). Cette expérience
d’optique très simple qui cherche à
remettre en cause la pensée des fondateurs de la
physique quantique moderne que furent Bohr et Einstein provoqua
une longue discussion dans les colonnes du New Scientist.
Lors
de sa parution cet article mentionnait par prudence que
les résultats de l’expérience n’avaient
pas été publiés dans un journal scientifique
et qu'ainsi la communauté scientifique avait encore
à juger du bien fondé des idées de
S. Afshar. Plus d’un an après aucune publication
n’est encore parue. Pour une personne extérieure
à la communauté des physiciens, deux alternatives
selon moi peuvent se présenter à l’esprit.
La première est de conclure que cette expérience
est faussement révolutionnaire et que les physiciens
préfèrent ne pas commenter le travail de Afshar.
La seconde est qu’il s’agit d’un complot
des défenseurs de l’orthodoxie qui se refusent
à remettre en question les bases de leurs pensées.
Connaissant
bien l’expérience et l’ayant critiquée
lors de nombreuse discussion avec S.Afshar il y a de cela
un an déjà, je voudrais ici décrire
brièvement mon raisonnement et dire pourquoi je pense
que l’expérience de S. Afshar n’a rien
de sensationnel ni de révolutionnaire.
Le
problème est simple et pour vous aider vous pouvez
vous référer à la figure ci-dessus.
Il s’agit d’un problème d’optique.
Si vous avez une lentille L imageant deux trous A et B de
Young par lequel passe une onde lumineuse cohérente,
vous pouvez voir dans le plan focal (F) des franges d'interférences
et dans le plan image (I) deux beaux spots A' et B' bien
distinct. Cela c'est de l'optique ondulatoire et est simple
à comprendre. En effet une onde cohérente
passant pas un écran percé de deux trou A
et B va comme des vagues dans un port créer des interférences
c'est-à-dire des oscillation dans l’intensité.
Le fait de placer une lentille (L) en face des trous permet
de visualiser ces franges simplement dans le plan focal
(F) de la lentille. Par ailleurs une lentille sert avant
tout à imager donc vous pouvez comprendre que l’on
va observer deux belles images A’ et B’ à
une certaine distance de la lentille.
Tout
cela est trivial et un lycéen pourrait le comprendre.
Maintenant si vous pensez en termes de photons alors vous
avez un problème car le photon en tant que particule
de lumière est une entité discrète
qui ne peut être absorbée que dans un et un
seul des deux plans (F ) ou (I) .
Je m’explique. Le photon qui fut introduit par Einstein
en 1905 pour expliquer certains faits expérimentaux
est une particule de lumière qui ressuscite les conceptions
corpusculaire de Newton. Einstein qui à la différence
de Newton connaît les lois de l’électromagnétisme
découvertes par Maxwell au 19ème siècle
ne peut cependant pas rejeter la théorie ondulatoire.
C’est
là que les problèmes commencent et on peut
s’en apercevoir en utilisant cette fameuse expérience
des trous de Young (physicien anglais ) discutée
précédemment. En effet comment expliquer cette
alternance de raies sombres et obscures observées
dans le plan focal (F) avec des particules ? Si on suppose
que les photons sont des balles alors cela ne pourra jamais
se produire et il n’y aura pas de franges du tout.
Peut être s’agit il d’un effet mystérieux
d’interaction entre photons, mais cela peut être
exclu si on travaille avec un seul photon à la fois
car alors le photon étant tout seul dans l’appareil
ne peux pas interagir avec un autre. Par ailleurs le photon
produit un impact bien localisé sur l’écran
de détection. On ne peut donc douter de son existence.
Tout semble ainsi se passer comme si chaque photon connaissait
l’existence des deux trous et cela même s'il
ne peut passer que par l’un des deux orifices : soit
A soit B.
C'est
ce que l'on appelle la dualité onde corpuscule et
actuellement personne ne sait pourquoi les choses se passent
ainsi. Bohr proposa en 1927 une explication curieuse cherchant
à transformer une défaite en victoire. Cette
explication n’est pas en soit une réponse à
la question ‘’qu’est ce que la lumière’’
mais plutôt un moyen de dire pourquoi on n‘a
pas besoin de savoir ce qu’est la lumière pour
faire de la physique. La réponse de Bohr consiste
en gros à dire: ne cherchez pas à comprendre
ce qu’est au fond la lumière, cela n’a
aucun sens; car d’une part il semble impossible de
concilier ces deux images que sont l’onde et la particule
et d’autre part, et cela est le point clef, on n’a
aucun moyen de décider expérimentalement en
faveur de telle ou telle hypothèse.
En effet
il ne suffit pas de bâtir des modèles audacieux
sur la nature de la lumière, encore faut-il pouvoir
les tester. Bohr suivi d'Heisenberg s’est aperçu
que l'on ne pouvait pas trancher. Et il baptisa ce principe
le principe de complémentarité. Selon la complémentarité
de Bohr vous ne pouvez pas voir un photon dans les deux
plans et ce photon doit donc ou bien participer aux franges
d’interférences ou bien aux spots A' et B'.
Comme vous le voyez cette complémentarité
ne parle pas de ce qui ''est '' mais uniquement de ce que
l'on peut voir (je simplifie pour le besoin de la compréhension).
Les expériences de physique quantiques visant à
tester cette complémentarité peuvent être
beaucoup plus complexes mais au fond elles reviennent toujours
au même. Si vous chercher à savoir par où
est passé le photon (plus exactement si vous chercher
à reconstruire la distribution de particules dans
le plan des trous A et B) alors vous ne pouvez pas observer
les franges avec ces même photons et la réciproque
est vraie aussi.
Bien.
Maintenant viens la subtilité de l’expérience
de Afshar. Cette expérience cherche à mettre
en défaut le raisonnement de Bohr d’une manière
simple. Vous ajoutez dans le plan focal (F) la fameuse grille
périodique G de Afshar adroitement positionnée
de telle façon que les barres tombent exactement
sur les minima des franges dans (F) (NB : en fait Afshar
travaille dans un plan situé juste avant la lentille
mais cela ne change rien du tout au résultat).
Vous observez maintenant vos photon dans (I ) et après
accumulations vous observez encore les deux spots A' et
B' inchangés (idéalement bien sûr).
Cependant puisque les barres n'ont pas eu l'effet d'absorber
un flux conséquent vous en déduisez que l'intensité
de la lumière est nulle (ou presque) là ou
se situent les barres. Bien sûr cela est normal si
vous pensez en termes d’ondes car là où
il y a minima il n’y a pas d’onde. Si rien ne
touche les barres l’onde ne subit pas de perturbation
et les spots A’ et B’ seront inchangés.
Aurait-on réussi à prouver l’existence
des franges sans les détecter ? Aurait-on ainsi montré
que l'on peut utiliser un photon pour reconstruire à
la fois et les franges d’interférences et les
images A’ et B’ ? Clairement c’est ce
que pense Afshar mais je pense le contraire.
N’oubliez
pas que pour tester la complémentarité de
Bohr il nous faut parler d’observation et non de spéculation.
Le message de Bohr est ‘’un photon ne peux pas
servir à la fois à construire des franges
d’interférences et les images A’ et B’"
Ces deux informations sont incompatibles mais complémentaires.
Elles sont incompatibles car elles nécessitent de
faire un choix : le photon est soit détecté
pour construire des franges soit pour faire des images.
Elles sont complémentaires car seul l’ensemble
des deux types d’expériences faites avec des
photons différents permet de complètement
décrire les propriétés de la lumière.
Dans le cas de l’expérience d’Afshar
le fait de détecter les photons en A’ ou B’
est clairement une mesure de la distribution de particules
dans les trous A et B. Cependant il s’agit aussi d’une
mesure d'une partie des franges d'interférences car
en effet vous savez aussi que aucun des photons n’a
été absorbé par la grille. Vous pourriez
en principe améliorer la rigueur de cette mesure
en comptant les photons absorbés par les barres (avec
des détecteurs sur les barres).
Cependant,
et c'est la l'erreur de Afshar, le fait de savoir que pas
ou peu de photon sont absorbés au niveaux des barres
ne nous dit absolument rien sur la forme de la distribution
de particules dans le reste du plan focal et donc sur la
forme des franges. Ainsi des mesures effectuée par
Afshar dans le plan (I) des images A’et B’ vous
ne pouvez réellement expérimentalement déduire
que les franges existent dans (F). Cela serait comme dire
que en voyant le sommet de la tour Effel je connais la couleur
de la casquette du vendeur de tickets situé à
l'entrée (à supposer qu’il porte une
casquette).
C'est
donc en relevant une erreur basique de logique que l'on
peut contre-argumenter l’interprétation d’Afshar.
Je voudrais aussi conclure que je suis certain que le principe
de complémentarité de Bohr survivra toujours,
de la même façon que je suis certain que sa
position philosophique est trop extrême et que l’on
pourra un jour construire un modèle théorique
qui décrira comment ce déplace réellement
un photon. Cela peut vous sembler paradoxal mais je ne peux
ici pour ma défense que citer Bohr qui disait que
la clarté et la vérité sont comme pour
le photon deux information complémentaires ; et Einstein
pour qui les choses en physique doivent être aussi
simples que possible mais pas plus que cela.
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