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INTERVIEW
Etienne
Paillard, Directeur Général de Varioptic
propos recueillis par Jean-Paul Baquiast le 8 mars 2005
Introduction:
Révolution dans l'optique*
par Jean-Paul Baquiast
Les
caméras numériques remplacent progressivement
les appareils classiques, tant dans la photographie
que dans le cinéma - ce qui oblige d'ailleurs
les fabricants de films tels Kodak à de douloureuses
reconversions. Mais on connaît moins la petite
(ou grande) révolution qui affecte les caméras
numériques. Leur taille et leur coût
diminuent sans cesse, tandis qu'augmente en contrepartie
leur sensibilité. Les premières caméras
grand public atteignaient 300.000 pixels, alors
qu'aujourd'hui les caméras embarquées
dans les téléphones mobiles permettent
de saisir 3 millions de pixels (3 mégapixels)
et les caméras professionnelles 16 mégapixels.
Nous ne mentionnons pas ici les caméras utilisées
dans les télescopes terrestres ou en orbite,
civils et militaires, qui atteignent les gigapixels,
mais celles-ci n'étant pas encore mises à
la disposition du grand public.
L'évolution technologique
se traduit par une inflation de la demande émanant
des consommateurs. La partie la plus visible du
marché en train de se créer concerne
les mobiles téléphoniques. Au Japon
et même en Europe, les nouveaux produits incluent
presque tous une caméra permettant d'envoyer
et recevoir des photos par le réseau. Le
passage à l'Internet haut débit sur
mobiles accroîtra encore les possibilités
d'utilisation.
Plusieurs questions découlent
de ce phénomène. Les unes concernent
la technologie, les autres les usages. En matière
de technologie, le point le plus marquant est le
remplacement des optiques classiques par d'autres
solutions. L'exigence d'une grande sensibilité
impose aux lentilles classiques (souvent composées
d'une douzaine d'éléments) des contraintes
en matière d'adaptation de la distance focale
qui se heurtent très vite à des limites
à la fois physique et économique.
Dans le même temps, la capacité de
stockage des disques ne cessait d'augmenter. Il
a donc fallu inventer des solutions optiques nouvelles.
Il s'agit de ce que l'on pourrait appeler la lentille
liquide. Une goutte de liquide placée sur
une plaque et soumise à une charge électrique
voit sa forme se modifier selon l'intensité
du courant. Des lentilles de ce type permettent
de réaliser des zooms très puissants,
de façon économique et robuste.
La
firme lyonnaise Varioptic a développé
cette technologie et la commercialise à divers
grands clients, notamment l'entreprise coréenne
Samsung. Il s'agit d'une solution polyvalente pour
de très nombreuses applications : caméras
de tous types, équipement médical,
identification (sécurité) et automobile.
Le développement technologique et industriel
de Varioptic est aussi liée aux capacités
de financement dont il a pu bénéficier
à sa création et depuis lors.
Varioptic n'est
évidemment pas seule dans ces créneaux.
Un grand concurrent, Philips, expérimente
également une technique voisine. Une autre
façon de miniaturiser la saisie optique est
d'utiliser un réseau de diodes sensibles
à la lumière, formant l'équivalent
d'un œil d'insecte. Cette technologie est développée
au sein du Fraunhofer Institute for Applied Optics
à Iéna, Allemagne. Le prototype mesure
de 0,4mm d'épaisseur. (http://www.iof.fhg.de/index_e.html).
On considère généralement
que la mise en place d'une caméra dans un
mobile téléphonique et l'envoi d'images
fixes ou animées à des correspondants
n'a qu'un intérêt ludique. C'est en
partie vrai actuellement du fait de la mauvaise
définition des images. Mais il serait trompeur
de sous-estimer les retombées de ces pratiques.
Les jeunes qui auront acquis une grande familiarité
avec de tels systèmes seront bien plus disposés
que leurs aînés à entrer dans
une civilisation où l'image sera partout,
y compris dans les univers virtuels, compléments
incontournables des univers réels.
Par ailleurs, au plan professionnel,
comme l'indique Varioptic sur son site, les personnes
équipées de telles caméras
pourront enrichir considérablement leurs
possibilités de travail à distance.
Des photocopieurs intelligents pourront saisir et
analyser en ligne des documents ou des objets (étiquettes,
empreintes digitales) en liaison avec une centrale
de traitement des données. Les urgentistes
pourront également transmettre à fin
de pré-diagnostic l'images de blessures ou
accidents corporels. D'une façon générale,
la caméra optique par téléphone
deviendra le complément indispensable du
télétravail en temps réel.
* Cet article avait
été publié dans un numéro
précédent de Automates Intelligents
http://www.automatesintelligents.com/echanges/2004/nov/varioptic.html
Pour en savoir plus
Varioptic : http://www.varioptic.com/v3/index.php
|

Un des produits de Varioptic, le PDN-1000
Tunable lens unit, ou lentille à focale variable
voir pour détails http://www.varioptic.com/v3/products.php?cat=PDN
Jean-Paul
Baquiast (JPB): Varioptic donne l'exemple d'une PME très
innovante née d'une recherche universitaire. Pouvez
vous nous retracer l'itinéraire ayant conduit son
fondateur à se lancer dans l'industrie?
Etienne
Paillard (EP): Bruno Berge, Docteur
en physique, a contribué à son développement
et mis au point des structures mécaniques ainsi que
des liquides permettant d'aboutir à des produits
industriels. Convaincu de la supériorité de
cette technologie sur les solutions concurrentes qui mettent
en œuvre des assemblages de lentilles mobiles les une
par rapport aux autres, Bruno Berge a fondé Varioptic
en 2002 dans le but de commercialiser des lentilles accordables
« SMART OPTICS ».
Issu
du CNRS et de l'ENS de Lyon, il a également
travaillé durant 2 ans à l'Université
de Chicago aux côtés du Dr. Albert Libchabert,
renommé pour ses travaux sur la théorie du
Chaos.
JPB.:
On considère que de telles initiatives sont en France
très mal aidées, que ce soit par les aides
publiques ou les financeurs privés. Vous êtes
vous heurtés à des difficultés en ce
sens et comment les avez vous résolues?
EP.:
Nous avons eu la chance, dès le départ d'être
épaulé par l'ANVAR, par la région
Rhône Alpes puis par des investisseurs privés.
Notamment Sofinnova Partners qui a cru en nous dès
le départ, puis PolyTechnos en Allemagne et NIF au
Japon.
Il
faut préciser tout de même que Bruno Berge
a fait, dès le départ, ce qu'il fallait
: création de la société, dépôt
des brevets, recherche de contacts… Je pense personnellement
que les bonnes initiatives et les bonnes idées sont
félicitées et que le fossé entre la
recherche et l'industrie se réduit progressivement.
Toutes les idées ne sont pas commercialisables. Il
faut parfois avoir la chance d'arriver au bon moment…
c'est le cas de Varioptic qui est arrivé sur
un marché très demandeur. Je pense notamment
au marché de la téléphonie mobile,
puisqu'il s'est vendu plus de téléphones
mobiles intégrant un appareil photo que d'appareils
photos seuls. Notre technologie est tout particulièrement
séduisante pour un fabricant de téléphones
mobiles puisque nous répondons à une demande
de la part des utilisateurs, qu'il s'agisse
de téléphones portables, de webcams ou autres…
De plus, notre marché ne s'arrête pas
à la téléphonie mobile, puisque nous
visons également le médical avec l'endoscopie
et l'automobile
JPB.:
Que pensez-vous des "business angels"?
Les
business angels sont des individus qui ont de l'argent
et qui aident des start-up à démarrer en leur
donnant des moyens financiers…Pour
ce qui nous concerne, avec Sofinnova, nous avons trouvé
un partenaire. Non seulement nous avons pu lever les fonds
nécessaires pour financer notre développement,
mais loin de n'être qu'un « sleeping
partner », Sofinnova s'est totalement investi,
comme d'ailleurs PolyTechnos. Nous avons gagné
en conseil, en relationnel… Ils sont très présents
dans notre stratégie ce qui est fondamental pour
une start-up. L'argent seul ne suffit pas à
faire décoller une entreprise. Il faut des idées,
des connaissances, avoir du recul aussi. C'est ce
que nous apportent nos investisseurs qui participent également
au conseil d'administration de la société.
JPB.:
En parcourant votre site, vous ne semblez pas avoir eu besoin
de vous adosser à de plus grandes entreprises. Pourrez-vous
continuer de la sorte?
EP.:
Encore une fois, nous avons la chance d'être
soutenus par Sofinnova et Polytechnos, des sociétés
de capital risque qui ont foi en notre technologie et en
notre capacité de croissance. Grâce à
eux, nous avons noué des contacts étroits
avec des sociétés du monde de l'optique
en France et dans le monde et ces contacts sont fondamentaux
dans notre stratégie de développement.
JPB.:
Comme suite à cette question, ne craignez vous pas
des "récupérations" par des fonds
d'investissements américains, travaillant éventuellement
pour le DOD ou la Darpa. Votre technologie a un si grand intérêt,
nous semble-t-il, qu'elle devrait intéresser beaucoup
de gens de cette sorte. Voudrez-vous et/ou serez-vous capables
de vous protéger?
EP.:
Toutes les technologies peuvent être
utilisées par toutes les corporations et bien évidemment,
notre technologie est de nature suffisante pour être
utilisée à des fins militaires, pour la sécurité,
par exemple... Notre volonté n'est pas d'être
une entreprise française, mais d'être une entreprise
internationale et nous sommes ouverts à toute proposition
qui nous permettra d'avancer dans ce sens ; à condition
toutefois que nous n'ayons pas à « vendre notre
âme au diable » ! Je suis toutefois persuadé
que nous n'aurons pas à nous poser ce type de questions.
Les lentilles liquides peuvent être utilisées
dans un très grand nombre d'applications et ce serait
bien étonnant si seuls les militaires s'intéressaient
à nous !
JPB.:
Quelle part prennent les commandes publiques dans votre
CA?
Aucune
à ce jour. Nos clients sont tous des sociétés
privées.
JPB.:
Participez-vous à un pôle géographique
de compétitivité. Si oui, cela vous apporte-t-il
un appui?
EP.:
Oui, avec notamment le pôle micro technologique de
Grenoble et le pôle médical sur Lyon. Nous
bénéficions de cette proximité.
JPB.:
Vous avez été soutenus par l'Anvar. Que pensez-vous
du projet d'Agence pour l'innovation industrielle qui sera
mise en place suite au rapport Beffa? S'agira-t-il de perspectives
intéressantes pour vous?
EP.:
On attend avec intérêt les retombées de
ce rapprochement pour savoir ce qu'il apportera aux start-up
JPB.:
Plus généralement, dans l'avenir, aurez-vous
les moyens de soutenir l'effort de R&D qui paraît indispensable
dans votre secteur?
EP.:
Oui, car nous sommes bien financés.
JPB.:
Le Programme Cadre de Recherche de l'Union Européenne
vous paraît-il offrir des perspectives adaptées
à votre cas?
EP.:
Oui et nous participons actuellement à 3 projets
européens.
JPB.:
Pourriez-vous en quelques mots donner un conseil à
de jeunes chercheurs français tentés par l'aventure
industrielle en France, en Europe?
EP.:
C'est une merveilleuse aventure à la condition d'avoir
la bonne idée, au bon moment et d'avoir la chance d'être
soutenu par des acteurs financiers. Il faut beaucoup de courage,
beaucoup d'énergie, beaucoup de temps, mais c'est à
cette condition qu'il est possible de faire avancer les choses.
L'attentisme n'a jamais rien apporté à personne
et aujourd'hui, le monde de la recherche et celui des affaires
ont l'air de vouloir se rapprocher pour trouver un terrain
d'entente. L'écart qui existait jusqu'alors entre la
recherche et l'industrie se résorbe. C'est le moment
d'en profiter !
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