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Article
La France doit proposer à l'Europe un programme
de missions habitées sur Mars
par
Jean-Paul Baquiast
(25/01/05)
Voir aussi dans ce numéro
l'entretien que nous a accordé
Roger Maurice Bonnet
|
Roger-Maurice
Bonnet est ancien directeur scientifique de l’Agence
Spatiale Européenne et président du Comité
Mondial de la recherche spatiale (Cospar http://www.cosparhq.org/).
C’est-à-dire qu’il est expert en matière
de missions spatiales. Il a publié dans la page Débats
du Monde, le 22 janvier 2005, p. 20, un article d’alerte
qui ne peut laisser indifférents tous ceux qui comme
nous s’intéressent à la souveraineté
technologique et scientifique de l’Europe. Le titre
en est significatif : « Huygens sur Titan, dernière
mission spatiale européenne ? ». Le pronostic
ne peut qu’inquiéter, au moment où beaucoup
de personnes en France, le Président de la République
en premier, ont célébré le succès
de la mission Huygens.
Roger-Maurice Bonnet, après avoir souligné
les difficultés extraordinaires de la mission, rappelle
que, dans le cadre d’une coopération amicale
avec la Nasa, ce succès est dû pour l’essentiel
à l’Agence Spatiale européenne (ESA)
et à ses sous-traitants, notamment Alcatel-Espace
et les différents laboratoires ayant participé
à la mise au point de l’instrumentation. Il
rappelle aussi que ce succès a été
précédé de nombreux autres, que nous
nous bornons ici à nommer : Giotto, Hipparcos, ISO,
SOHO, les satellites Cluster, la sonde ionique SMART-1,
les observatoires XMM-Newton et Intégral puis enfin
l’orbiteur Mars Express, qui est toujours en activité
à la satisfaction générale des scientifiques
du monde entier.
Compte tenu du temps de réalisation des programmes
spatiaux, les décisions ayant permis ces succès
avaient été prises des années auparavant,
à une époque où existait une véritable
politique européenne visant à rassembler les
efforts des organismes spatiaux nationaux (le CNES en France)
dans une démarche commune plus ambitieuse. Une réunion
à Rome des ministres des sciences européens
en 1985 avait alors garanti à l’ESA un budget
en hausse de 5% par an pendant 10 ans, et doté l’agence
d’un programme sur 20 ans, dénommé Horizon
2000.
Malheureusement, nous dit l’auteur, il ne serait plus
possible aujourd’hui de décider avec quelques
chances de succès la réédition d’une
mission comme Huygens. Le tableau qu’il dresse de
la façon dont les pays européens ont laissé
se dégrader leurs ressources humaines et scientifiques
est affligeant. Les jeunes générations de
chercheurs et d’ingénieurs qui seraient nécessaire
pour prendre la relève d’équipes vieillissantes
ne sont pas au rendez-vous, pour des raisons complexes.
La principale est que de telles carrières ne sont
plus valorisées, ni dans le secteur privé,
ni dans le monde de la recherche publique. L’industrie
spatiale, pour sa part, manque de commandes et d’investissements,
notamment publics. Roger-Maurice Bonnet souligne à
cet égard l’absence de programmes militaires,
que nous ne cessons nous-mêmes de regretter dans notre
revue.
La coopération avec la Nasa, par ailleurs, est rendue
plus difficile par l’ostracisme grandissant de l’administration
fédérale. Si l’on voulait s’en
passer, il faudrait que l’Europe prenne en charge
des domaines dans lesquels elle n’a pas de compétences
propres, notamment le développement de réacteurs
nucléaires spatiaux (RTG ou radio-isotope thermal
generators 1). Le budget de l’ESA,
enfin, est stagnant. Il ne dépasse pas 3 mds d’euros
par an. L’Europe, tous programmes confondus, n’affecte
pas à l’espace plus de 6 mds d’euros,
alors que les Etats-Unis consacrent 40 milliards de dollars
à des programmes publics civils et militaires.
Pour l’auteur, le remède à cette situation
de crise ne peut venir que d’une prise de conscience
politique, au niveau de l’ensemble des gouvernements
européens. Le directeur général de
l’ESA est en effet désarmé face aux
contradictions nationales. On sait que le programme Galiléo,
pourtant essentiel, n’a été acquis qu’au
terme de plusieurs années d’arguties, notamment
au Conseil Espace. Malheureusement, l’orientation
libérale des membres actuels, le manque d’intérêt
de la Commission (l’espace étant placé
sous la tutelle du commissaire aux entreprises et non du
commissaire à la recherche) fait mal augurer de l’avenir.
Roger-Maurice Bonnet estime en conclusion que pour hâter
cette prise de conscience, les propositions faites il y
a deux ans par la commission de réflexion sur la
politique spatiale qu’il présidait
2) devraient être reprises. Il s’agissait
de créer un Conseil Spatial Européen au niveau
des chefs d’Etat. La France, qui a toujours joué
un rôle de leader dans ce domaine, devrait prendre
l’initiative de cette proposition. Elle donnerait
l’exemple en créant un Conseil français
de l’espace, comme il existe un Conseil de défense,
présidé par le Président de la République.
Le rôle et les moyens du CNES devraient aussi être
renforcé.
Une mission essentielle pour
la France
Que pourrions nous ajouter à ce plaidoyer parfaitement
convaincant, sinon regretter que les propositions de la
commission de réflexion précitée n’ait
guère eu de suites, malgré les propos chaleureux
de la ministre de la recherche de l’époque.
Un point essentiel cependant, non évoqué dans
l’article, nous parait devoir être souligné.
A un moment où le Président de la République
et peut-être l’opinion en France s’intéressent
à la relance de politiques industrielles et scientifiques
innovantes, la nécessité de donner à
ces politiques une grande visibilité et un moteur
pluri-annuel se fait sentir. Pour cela, il n’y a rien
de tel qu’un très grand programme. Le président
Bush l’a bien compris. Il a fixé à la
nation l’objectif sur trente ans de missions humaines
sur la Lune et Mars. Ceci lui a permis de mobiliser l’intérêt
de ses scientifiques et de ses industriels, en le faisant
échapper aux critiques de ces derniers relatives
à sa politique étrangère. La Nasa,
soumise à un enjeu de taille, est par ailleurs obligée
de se réformer, ce qu’elle entreprend actuellement
avec détermination 3) .
Nous pensons qu’il n’y a pas d’autres
façons pour relancer l’Europe de l’espace
et simultanément les recherches scientifiques et
technologiques associées, civiles et militaires,
que faire de même. La France devrait non seulement
prendre l’initiative, comme l’indique Roger-Maurice
Bonnet, de proposer la création d’un Conseil
Spatial européen. Elle devrait faire beaucoup plus,
décider de proposer aux autres Etats membres et aux
institutions européennes le lancement d’un
programme européen autonome sur la Lune et Mars,
analogue à celui des Etats-Unis. Ce programme existe
déjà dans les cartons de l’ESA. Il a
été baptisé du beau nom d’Aurora
4). L’ESA a fait preuve de sa maturité
à gérer de grands programmes. Elle mérite
bien de se voir confier les moyens de réaliser Aurora,
en coopération avec l’industrie, les laboratoires
et les organismes spatiaux nationaux.
Ajoutons que nous avions évoqué cette perspective
lors du Colloque d’avril 2004 consacré à
la souveraineté technologique et scientifique de
l’Europe, en montrant dans une note
5) les nombreuses retombées que pourrait avoir
un tel programme pour des coûts par européen
finalement très faibles.
Notes
1)RTG : voir l’encyclopédie
Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Radioisotope_thermoelectric_generator
2) Voir http://www.recherche.gouv.fr/discours/2003/rapcnes.htm
3) Voir l’article de James Oberg,
NewScientist, Moving on up, 8 janvier 2005, p. 17
4) Voir http://www.esa.int/SPECIALS/Aurora/index.html
5) Voir http://www.admiroutes.asso.fr/europepuissancescientifique/marsesa.htm
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