Retour au sommaire
Article
Pétrole ou énergies renouvelables. L'Europe
choisira-t-elle son camp?
par
Jean-Paul Baquiast
(12/11/2004)
|
Si nous abordons
un tel thème ici, c'est parce que la réponse
que donnera l'Europe engagera très largement l'avenir
des sciences et technologies émergentes sur le continent:
biotechnologies, nanotechnologies, économie des connaissances
en réseau.
Cette
question se pose à toutes les régions du monde,
en premier lieu aux Etats-Unis. Mais elle intéresse
particulièrement l’Europe pour les raisons
suivantes :
- Les pays européens n’ont que peu de réserves
en combustibles fossiles : pétrole, gaz, charbon.
Ils doivent tout acheter sur le marché international.
Pour le moment les règlements se font en dollars,
ce qui lie les acheteurs aux variations des taux de change
dollar/euro.
- Malgré leurs efforts méritoires pour économiser
l’énergie, les européens verront leur
demande globale continuer à croître sur le
long terme (trente ans).
- Les européens ont développé des sources
d’énergie de substitution faisant appel à
des technologies très développées et
offrant des perspectives d’emploi et d’exportation
importantes. Selon les pays, il s’agit soit du nucléaire
de fission soit des énergies dites renouvelables,
voire des deux comme en France et en Grande Bretagne. Pour
le long terme, l’Europe a décidé d’entreprendre
aussi des recherches en vue de maîtriser le nucléaire
de fusion.
- Les Européens ont pris la tête des efforts
pour réduire le réchauffement global, via
le protocole de Kyoto. Celui-ci, encore insuffisant, sera
relayé par d’autres dans les prochaines années.
Ce n’est pas seulement par vertu que les européens
sont sensibilisés à cette question, mais parce
qu’ils subiront directement certains des effets négatifs
de l’augmentation des gaz à effet de serre.
Il n’est
donc pas étonnant que, dans l’opinion comme
chez la plupart des décideurs économiques
et politiques (dans la mesure où ceux-ci se préoccuppent
de politique énergétique globale), l’ambition
de réduire progressivement mais substantiellement
la part du pétrole dans les sources d’énergie
soit généralement partagée. L’attitude
à l’égard du gaz, généralement
considéré comme bien moins polluant, est plus
contrastée.
L’espoir
de se libérer du pétrole est-il illusoire
?
Mais
se libérer de l’emprise du pétrole n’est-elle
pas une des nombreuses illusions que les européens,
surtout s’ils sont de tendance écologique,
entretiendraient au mépris de toutes les réalités.
Ceci oblige à poser la question de l’avenir
des combustibles fossiles dans le monde et des positions
que prendront à son égard des consommateurs
dominants comme les Etats-Unis, la Chine et l’Inde.
Sur
l’importance des réserves et l’évolution
des prix dans la période trentenaire, les experts
ne sont pas d’accord. On peut penser cependant que
les « optimistes », pour qui les combustibles
fossiles ont encore de beaux jours devant eux, s’appuient
sur beaucoup d’éléments difficilement
contestables. Citons par exemple le point de vue de Peter
Odell, professeur émérite en économie
de l’énergie à l’Université
Erasmus d’Amsterdam et auteur du livre Why Carbon
Fuels Will Dominate the 21st Century Global Energy Economy
1). L’auteur se défend d’être
un avocat partial du pétrole. Il affirme raisonner
d’une façon scientifique, dont chacun, s’il
préférait la discussion à l’anathème,
pourrait apprécier la rigueur. Quels sont ses arguments
?
- Les prix actuels (# 50 dollars le baril) sont anormalement
élevés. Ceux-ci pourraient redescendre à
$15 le baril sans que les producteurs y perdent. Ces prix
élevés tiennent à des spéculations
politiques et commerciales qui ne pourront se poursuivre
à l’avenir (sauf évidemment un embrasement
général du monde).
- Loin de diminuer rapidement, les réserves exploitables
(tous combustibles fossiles réunis) sont encore considérables
et dureront aux rythmes prévisibles de la consommation
pendant au moins 40 ans. C’est ce qu’affirme
en tous cas l’US Geological Survey.
2) Un tiers seulement des ressources exploitables l’aurait
été à ce jour. Des réserves
encore plus importantes existent partout sous les plates-formes
continentales
3)
- En matière de lutte contre l’effet de serre,
des technologies à l’efficacité croissante
rendent les carburants fossiles (pétrole et charbon
notamment) de plus en plus propres.
- Le gaz naturel, aux réserves également «
immenses » est considéré comme un «
ami de l’environnement ». Il pourra assez facilement
être transformé en hydrogène pour les
transports terrestres.
- Enfin, vu les investissements politiques et économiques
considérables déjà consentis ou prévus
par les producteurs et utilisateurs de pétrole, il
n’existe aucun espoir de voir ceux-ci se lancer dans
des aventures industrielles et commerciales en faveur des
énergies renouvelables, quels que soient les coûts
que leur imposera la recherche de nouvelles ressources pétrolières.
Les gouvernements des grands pays du monde étant
tout dévoués à ces producteurs, on
ne peut espérer d’eux qu’ils prennent
des positions différentes.
Cette
argumentation semble empreinte de réalisme. Si cependant
des gouvernements, notamment en Europe, soutenus par des
intérêts économiques et politiques défenseurs
des énergies non fossiles (nucléaire inclus)
voulaient généraliser des politiques volontaristes
en faveur de ces dernières, devraient-ils se résigner
à faire payer à leurs consommateurs et contribuables
les coûts imposés par la sortie du tout-pétrole
? Autrement dit, n’existe-t-il pas des arguments selon
lesquels, contrairement à ce que les avocats du pétrole
présentent comme une illusion, les énergies
renouvelables pourraient être rentables. Nous excluons
dans cette perspective le risque que, l’accélération
du réchauffement global s’accélérant
de façon catastrophique, l’abandon des combustibles
fossiles, quel qu’en soit le prix, devienne une mesure
de salut public s’imposant à l’échelle
de l’humanité toute entière.
L'humanité
pourrait se guérir de son addiction au pétrole
Sur
quelles raisons s’appuient donc ceux qui estiment
qu’en 50 ans, l’humanité pourrait se
guérir de son addiction au pétrole
4) ?
- Il
existe un nombre considérable de solutions de remplacement,
y compris en matière d’économies d’énergie,
dont certaines sont encore mal connues du grand public,
mais aussi prometteuses que celles généralement
évoquées dans les medias. Outre le nucléaire,
que chacun connaît et qui doit conserver une part
substantielle dans les approvisionnements, elles ont l’avantage
d’être très diversifiées et très
décentralisables. Elles sont donc susceptibles de
s’adapter, dans une sorte d’évolution
de nature darwinienne, à la grande variété
des environnements, des cultures et des usages potentiellement
intéressés. Mais aucune à elle seule
(y compris évidemment le nucléaire) ne peut
être considérée comme une panacée.
Elles doivent être mises en œuvre de façon
croisée.
- Développer ces solutions de façon à
les rendre pratiquement utilisables par ceux qui en ont
besoin demandera de l’argent, mais beaucoup moins
que celui qui sera dépensé par les industriels
du pétrole en coûts de recherche, transformation
et distribution. Dans ces conditions, on ne comprendrait
pas que les plus avisés de ces industriels ne se
reconvertissent vers les énergies renouvelables,
compte tenu des bénéfices qu’ils pourraient
en tirer ultérieurement en termes économiques
et immédiatement en termes d’image.
- Selon une étude parue dans Science
5), non seulement l’utilisation systématique
des nouvelles technologies réussirait en 50 ans à
stabiliser le niveau des gaz à effet de serre, mais
elle provoquerait une incitation générale
à la croissance, dans toutes les composantes des
technologies et sciences émergentes.
-
Pour engager le processus de reconversion, il faudra faire
appel à des démarches politico-économiques
nouvelles. L’économiste américain Ross
Gelbspan en propose une dans un livre récent, Boiling
Point, qui a obtenu un certain succès aux Etats-Unis
et aurait retenu l’attention de responsables de la
Commission européenne 6).
Il s’agirait de constituer un fonds international
alimenté par les économies résultant
de la suppression des subventions à l’industrie
pétrolière. Ce fonds financerait partout dans
le monde, y compris dans les Etats pétroliers du
Moyen Orient, des équipements permettant d’utiliser
les ressources locales en énergie renouvelables dont
disposent sous des formes différentes les diverses
régions des deux hémisphères. On peut
douter du réalisme de cette solution, cependant le
discours général est très stimulant.
Faire
le choix de la jeunesse
Ceci
nous permet d’envisager un début de réponse
possible à la question donnant son titre à
cet article. L’Europe selon nous aurait d’excellentes
raisons de prendre parti contre l’archaïque économie
du carbone et de soutenir les jeunes et dynamiques énergies
renouvelables (nucléaire inclus, sous certaines conditions
liées à la sécurité des installations).
Ces raisons ne seraient pas économiques mais rigoureusement
politiques.
Autrement dit, dans une économie mondiale placée
sous le signe du libéralisme, les vieilles industries
du pétrole et de ses dérivés n’auraient
aucune difficulté à démontrer que toute
autre solution que les leurs seraient inviables économiquement
et socialement. Si au contraire, certains gouvernements
acceptaient d’en revenir à un minimum de volontarisme
et d'interventionnisme, ils pourraient très rapidement
faire décoller de nouvelles industries énergétiques
développant des technologies émergentes tant
pour l’économie que pour la production et la
distribution.
Ils seraient sans doute soutenus pour ce faire par l’enthousiasme
des populations. Pour
les jeunes notamment, il n’y a rien de plus excitant,
dès aujourd’hui, que la possibilité
de s’impliquer soi-même, par exemple dans les
écoles, en vue d’expérimenter ces solutions.
Au noir et au gluant du pétrole s’opposerait
alors le net et le scintillant des nouvelles sources d’énergie.
Les réalistes en riront, mais ils auront sans doute
tort.
Si l’Europe ne saisit pas cette chance de se construire
autour d’un grand projet de cette nature, aussi tolérant
que possible pour l'environnnement global, on peut penser
que des pays comme la Chine et l’Inde, actuellement
noyés dans les déchets de combustion des énergies
fossiles, ne manqueront pas de le faire à terme,
malgré le coût et les reconversions qui leur
seraient imposées.
Notes
1) Peter R. Odell Why
Carbon Fuels Will Dominate The 21st Century's Global Energy
Economy Multi-Science, 2004 http://www.multi-science.co.uk/whycarbon.htm

2) US Geological Survey http://edcwww.cr.usgs.gov/

3) On connaît les « espoirs
» que fait naître par exemple le recul de la
calotte polaire
arctique. D’immenses réserves en hydrates de
méthane océaniques pourraient aussi être
exploitées (au risque dont personne ne parle d'accroître
encore les rejets en gaz à effet de serre).

4) Selon l’expression d’un
article de David D. Chandler dans le NewScientist du 9 octobre
2004, p. 16.
5) Stephen Pacala et Robert Socolow de
Princeton Université (Science, vol. 305, p. 968)

6) Ross Gelbspan, Boiling point
Basic Books. Juillet 2004. Lire un extrait
http://www.grist.org/advice/books/2004/07/21/gelbspan-boiling/

Retour au sommaire