Grands
projets européens
Doper
l'Agence Spatiale Européenne
Un équipage européen sur Mars en 2030
Depuis
le début de sa parution nous avions écrit
dans la Revue Automates-Intelligents qu'il fallait à
l'Europe plusieurs grands projets fédérateurs,
le plus important et le plus significatif devant être
l'envoi d'une mission habitée sur Mars. Nous ne pensions
pas à une participation européenne plus ou
moins marginale à un programme américain,
mais à une opération entièrement européenne,
comportant le cas échéant la participation
d'autres pays, comme la Russie.
Connaissant
bien la question de l'exploration martienne, grâce
notamment à nos amis de l'association Planète-Mars,
branche française de la d'ailleurs remarquable Mars
Society, nous ne sous-estimions pas les difficultés,
les coûts et les délais d'une telle ambition.
Mais il ne fallait pas être grand stratège
pour en évaluer les retombées, immenses. D'abord,
un tel projet ne pourrait que booster les très nombreuses
sciences et technologies concernées, où l'Europe
a de très bons atouts, mais qui manquent aujourd'hui
de perspectives de développement et de commandes.
Un projet Mars aura des effets immédiats dans ce
domaine. Dès maintenant, comme nous l'avons montré
en ce qui concerne les robots évolutionnaires, précurseurs
et compagnons incontournables de l'homme dans l'espace,
des recherches et réalisations concrètes pourraient
être engagées, concernant les lanceurs, véhicules,
moteurs (notamment nucléaires), sources d'énergie,
télécommunications, etc. On comprendra également
que les développements en découlant intéresseront
l'Europe de la défense, notamment l'Agence européenne
de l'armement à créer.
Par
ailleurs et surtout, programmer l'envoi d'un équipage
européen sur Mars aura l'avantage de montrer à
l'opinion publique européenne que le Continent ne
renonçe pas - pacifiquement s'entend - à disputer
aux Etats-Unis l'avance de plusieurs années qu'ils
ont décidé de se donner ou de conserver dans
les sciences et technologies stratégiques. Les affrontements
qui ont eu lieu entre l'Union Européenne et eux sur
le projet de positionnement satellitaire Galiléo,
ceux qui se déroulent actuellement, et dont l'issue
est à ce jour incertaine, relativement à la
place de l'Europe dans le programme ITER, montrent bien
qu'il ne sera fait aucun cadeau à l'Europe. Tout
bras de fer dont nous ne nous donnerions pas les moyens
technologiques sera chèrement payé. Les Etats-Unis
trouveront des alliés dans des pays qui ne nous veulent
pas particulièrement du bien, surtout si nous ne
leur offrons aucune perspective de coopération. Pensons
aujourd'hui au Japon
Au-delà de tout ceci enfin, nul ne devrait sous-estimer
le rôle qu'un tel projet pourrait avoir auprès
de la jeunesse européenne. C'est toutes choses égales
d'ailleurs ce qu'ont bien compris les Chinois en mettant
un "taikonaute" en orbite. Le monde de demain,
sur Terre comme dans le spatial, sera entièrement
américain, si nul ne réagit. Est-ce ce que
veut l'Europe, sachant que celui qui dit sciences et technologies
dit aussi culture et façon de penser ? Nos enfants
et petits-enfants seront-ils condamnés à suivre
passivement à la télévision la conquête
de l'espace par d'autres qu'eux. Nul ne s'étonnera
alors qu'ils émigrent en masse vers les Etats-Unis.
Le réveil américain
Beaucoup
de gens, notamment en Europe, s'imaginaient que les Etats-Unis
avaient renoncé à de grandes ambitions dans
l'espace, confrontés au coût de la plate-forme
internationale ISS et aux difficultés des navettes.
Mais ceux qui comme nous signalaient que le réveil
américain serait dur pour les ambitions européennes
se voient confirmés. Déjà l'annonce
en été 2003 d'une feuille de route au titre
significatif "Renewed US Space Dominance", soutenue
par le président Bush, avait alerté. Une partie
de l'objectif d'aujourd'hui était annoncé,
notamment le fait d'utiliser la Lune pour développer
les technologies spatiales et renforcer le partenariat entre
la NASA et le Department of Defense. Un programme conclu
par l'envoi d'astronautes américains sur la Lune
avant 2020, ainsi que l'installation d'une base lunaire
permanente, procurera dès maintenant aux laboratoires
et aux industriels un vaste champ d'études et de
développements.
Aujourd'hui, on voit avec les annonces de George W. Bush
concernant Mars que la Lune était, si l'on peut dire,
considérée comme une mise en bouche. Elle
servira surtout de plate-forme pour le débarquement,
à plus long terme, sur Mars. Celui-ci est présenté
dans les mêmes termes que ceux employés par
Kennedy concernant la conquête de la Lune en 1961.
A l'époque, celle-ci s'inscrivait dans la compétition
avec l'URSS. Aujourd'hui, quels sont les rivaux potentiels
des Etats-Unis ? Il n'y en a pas, diront les fins stratèges
européens. Donc ne prenons pas ces annonces au sérieux.
Il s'agit de gesticulations pré-électorales.
En fait, Bush et son administration voient beaucoup plus
loin. Les rivaux potentiels, nous l'avons vu, sont l'Europe,
la Chine et la Russie, susceptibles éventuellement
de s'allier pour défier les Etats-Unis. Dans l'esprit
de "dominance" qui est celui, non seulement du
gouvernement républicain mais sans doute aussi de
toutes les forces vives de ce pays, il serait aussi dangereux
de laisser l'initiative à ces concurrents "pacifiques"
qu'il ne l'était de la laisser au pouvoir militaro-industriel
soviétique à l'époque de Kennedy.
Il y a plus. Les républicains ont bien compris qu'un
grand projet comme le projet martien est seul capable aujourd'hui
de faire rêver la nation et d'unifier derrière
l'administration l'ensemble des forces économiques
et politiques. L'enjeu n'est donc pas qu'électoral.
Il est presque messianique, comme un instant l'avait été
le projet d'introduire la démocratie au Moyen Orient.
Non seulement on veut unifier voire pacifier la nation derrière
le gouvernement, mais on rêve d'unifier voire pacifier
le reste du monde derrière les Etats-Unis. L'humanité
tout entière confierait alors à la nation
américaine la responsabilité de porter dans
les décennies voire les siècles à venir
ses ambitions cosmiques.
Dans ce domaine essentiel de l'effet d'annonce, les termes
employés par George W. Bush pour faire connaître
le 14 janvier les programmes lunaires et martiens des Etats-Unis
ont quelque chose d'assez révoltant pour le reste
de l'humanité. Nous irons sur Mars, a-t-il dit à
peu près, parce que c'est dans la nature des américains
d'explorer le monde et de repousser les frontières.
Et nous alors, quelle est notre nature? S'ériger
en ambassadeurs de l'humanité dans le cosmos, via
le déploiement des ressources scientifiques et technologiques
qui sont les fruits d'une politique d'hyper-puissance, ne
devrait pas être accepté.
Mais
les opinions publiques à travers le monde, y compris
en Europe, semblent trouver cela naturel. On le voit à
travers l'attention donnée aux premiers pas sur Mars
des robots de la Nasa Spirit et Opportunity. Les commentaires
ironiques ne manquent pas concernant ce que l'on présente
comme l'échec européen - échec qui
évidemment n'en est pas un, puisque l'orbiteur Mars
Express fonctione parfaitement. Personne ne souligne par
ailleurs que le budget de l''Agence Spatiale Européenne
était au moins 12 fois moins important que celui
de la Nasa.
Que
feront dorénavant les européens en matière
spatiale? Dans l'esprit d'atlantisme dénoncé
par notre revue, beaucoup de bons esprits, parmi les plus
influents en Europe, proposent déjà de rallier
la bannière américaine en espérant
bénéficier des retombées de son ambition
martienne. Mais on peut être certain, comme cela s'est
vu d'innombrables fois, qu'en échange du savoir-faire
incontestable que les scientifiques et industriels européens
apporteront, ils n'auront que de maigres contrats à
attendre, et peu de pouvoirs de décision. C'est bien
d'ailleurs ce qui s'est passé dans le cadre des programmes
navettes et ISS, dont les Etats-Unis se préparent
à signer l'abandon ou la mise en sommeil, pour raisons
d'économies, au détriment de leurs partenaires.
Si l'industrie aéronautique européenne avait
espéré atteindre le niveau qu'elle a aujourd'hui
en se proposant comme partenaire minoritaire de Boeing,
on devine où elle en serait.
Doper l'ESA
Ceux qui comme nous se posent la question de l'avenir de
l'Europe dans les sciences et technologies de puissance
n'ont donc qu'une alternative. Il faut que les gouvernements
dopent l'Agence Spatiale Européenne (ESA) en portant
ses crédits et ses effectifs à la hauteur
de l'enjeu martien. Tous ceux qui ont approché l'ESA
ont loué son professionnalisme, son profil d'excellence,
sa bonne gestion. Mais les différences de moyens
qui l'affectent par rapport à la Nasa sont atterrants.
Pourtant l'ESA dispose d'un schéma martien, baptisé
Aurora, que personne ne connaît mais qui devrait aboutir
au débarquement d'une mission habitée vers
2030. Une première tranche de dépenses d'environ
1 milliard d'euros pourrait être engagée d'ici
2009. Mais comment l'ESA pourrait-elle sérieusement
concurrencer la Nasa, alors qu'elle dispose d'un budget
annuel de 2,8 milliards d'euros, contre celui de la Nasa
qui est de plus de 12 milliards d'euros et devrait croître
de 5% par an ces prochaines années. De plus, l'ESA
n'aurait pas dans un tel programme l'acquis spatial considérable
des Etats-Unis, au plan civil comme militaire.
Est-ce à dire qu'il faudrait renoncer ? Pas du tout.
Ce que nous disons, c'est que les gouvernements européens,
la Commission et l'opinion publique devraient dès
maintenant décider de lancer et financer un programme
martien compétitif sérieux, en prévoyant
les budgets nécessaires. Faut-il envisager une enveloppe
? Certainement. Certains estiment le budget martien global
que devrait financer le contribuable américain à
quelques 250 milliards de dollars sur 30 ans. L'ESA, qui
est plus économe et mieux gérée que
la Nasa, pourrait peut-être se satisfaire des 4/5e
de cette somme. Serait-ce trop cher payer pour mettre les
Européens aux portes du cosmos ? Poser la question,
c'est selon nous, y répondre.
Un éditorial significatif de Michel Schifres, dans
le Figaro du 11 janvier, se terminait en disant que les
Européens sont en face d'un choix crucial : choisir
la rivalité avec les Etats-Unis ou l'union sous leur
égide. Parler ainsi nous paraît dangereux,
car impliquant la seconde branche de l'alternative. Nous
dirons ceci autrement. Ou bien l'exploration spatiale sera
réalisée dans l'avenir sous l'égide
d'une unique hyper-puissance, ou bien elle le sera dans
le cadre de projets "multipolaires" à la
fois concurrents mais capables de coopérer sur un
pied d'égalité. C'est ce dernier choix que
l'Europe devra proposer au monde.
Il
est bien évident que plusieurs projets Mars, d'ici
2030, pourraient et devraient coopérer, tant du moins
que ce serait utile à l'efficacité d'ensemble.
Mais pour coopérer utilement, il faut que les partenaires/concurrents
investissent à peu près symétriquement.
C'est en général ce qui se fait dans le domaine
des grands observatoires astronomiques terrestres. Mais
là, les enjeux sont surtout scientifiques et ne mettent
pas en cause, sauf marginalement, les rapports politiques
entre puissances.
Pour
en savoir plus
Le projet
Aurora de l'ESA : http://www.esa.int/export/esaMI/Aurora/
Voir
aussi More about Aurora :http://www.esa.int/export/SPECIALS/Aurora/SEMZOS39ZAD_0.html
Plus généralement, il faut
visiter en détail le site de l'ESA. Il est d'une
richesse considérable, bien peu connu hors des spécialistes.
On pourra aussi travailler utilement à partir du
site de l'association NSS.France, très riche également
: www.nssfrance.fr.st
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