A propos des articles 3 à 6 la proposition
de loi 117 |
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6 pages |
©Vincent Bénard, veb@chez.com toute réponse, critique constructive, ou contradiction est bienvenue | 20-1-2000 |
Sommaire :
- introduction : contre la proposition
- conséquence immédiate de lapplication de la loi 117
- lutilisateur, celui dont personne ne se préoccupe
- que faire : les objectifs du système dinformation
- le coût global du système dinformation
- bénéfices attendus par le contribuable de linformatisation de ladministration.
- conclusion : que faire
INTRODUCTION : CONTRE LA PROPOSITION
Ceci est une contribution pour attirer lattention sur les effets pervers des articles 3 à 6 de la proposition de loi 117 visant à instaurer lobligation dutiliser exclusivement dès 2002 des logiciels libres dans ladministration.
Bien que lexposé des motifs ne figure pas sur le projet diffusé sur le site du sénat (http://www.senat.fr/grp/rdse/page/forum/texteloi.html ), on peut trouver trois motivations avouables à cette loi (hormis la publicité "politicienne" quun sujet à la mode peut rapporter à ses auteurs) :
- Nous débarrasser du quasi monopole de fait sur un grand nombre de familles de logiciels dun grand éditeur de logiciels américain, dont la qualité des produits évolue de façon inversement proportionnelle au coût des licences quil réclame, et dont les pratiques commerciales sont douteuses.
- Améliorer la qualité des logiciels fournis à ladministration, par rapport à ceux dudit éditeur, grâce à la plus grande concurrence induite entre les fournisseurs .
- Déplacer les coûts dachats informatiques de grands éditeurs américains vers des SSII européennes, qui assureront du support et du développement complémentaire.
Entendons nous bien: je ne suis pas un défenseur de Microsoft. Je suis contraint dans mon travail dutiliser intensivement le trio infernal "windows-frontpage-word" plus quelques autres babioles, et je dois avouer que jai de plus en plus de mal à allumer mon micro chaque matin, en songeant aux avanies que ces trois " médiocriciels " vont me faire subir. Je ne suis pas non plus informaticien, juste un utilisateur moyen (un peu plus que moyen, disons) qui a été amené à sintéresser au management de linformatisation et à limpact de linformatique dans une structure administrative.
Je ne suis pas non plus un pourfendeur du logiciel libre. Il y en a dexcellents, et dautres qui ne sont pas au niveau de leurs concurrents commerciaux. Je suis seulement contre lobligation dutiliser systématiquement un logiciel libre au détriment dun logiciel commercial lorsque celui ci est plus adapté à lusage attendu, et voici pourquoi.
CONSEQUENCE IMMEDIATEMENT VISIBLE DE LA LOI : LINUX QUASI OBLIGATOIRE POUR TOUS
Le fait dimposer les logiciels libres à ladministration sauf si aucun logiciel libre nexiste dans un domaine donné (art 3 et 4) pose immédiatement la question du système dexploitation dont on aura le droit de se servir: Windows étant pour linstant fermé et propriétaire, Mac OS actuel également, et le futur Mac OS X nétant que partiellement ouvert, en létat actuel, ne resterait que linux comme système sérieux utilisable au 1er janvier 2002 (il existe dautres systèmes dexploitation libres mais assez confidentiels ou non adaptés à un usage micro).
Or la logithèque linux, bien quen progrès, est encore pleine de manques: édition multimédia, prépresse, CAO, bases de données, etc... dans ces domaines, loffre linux est soit inexistante soit insuffisante en qualité (interfaces utilisateur notamment ). Bien sur, on nous répondra que "la dynamique engendrée par la vivacité du mouvement du logiciel libre conduira à rapidement combler ces vides", mais pour linstant, je ne crois que ce que je vois, et je me méfie de ce genre de prévisions (dans le monde du logiciel commercial, de nombreuses annonces de ce genre sont " bidon ", juste pour se faire de la publicité).
Plus ennuyeux, ladministration utilise pour ses besoins propres un grand nombre dapplications en réseau développées spécifiquement pour elles, et structurantes pour leur activité: ladaptation à linux de ces applications lorsquelles sont développées sous NT risque de prendre un certain temps, tant en développement quen procédures administratives (notre code des marchés publics et nos principes comptables naident pas à mener des projets rapidement et efficacement...), et dengendrer de nombreux dysfonctionnements, tant létat savère souvent piètre maître douvrage en matière dachat de prestations informatiques.
Le projet de loi reste évasif sur la transition entre létat "tout-microsoft-ou-presque" à létat "tout-libre (d-utiliser-seulement-linux)". Cela se comprend : Si létat na plus lautorisation de payer des licences à Microsoft et aux autres éditeurs de logiciels propriétaires en janvier 2002, il en résultera un recul pour les utilisateurs dans lutilisation quotidienne de leurs ordinateurs, faute de produits utilisables, et une situation assez difficile à gérer pour tous les responsables de services concernés. Il vaut mieux dans ces conditions "refiler le bébé" à quelques braves fonctionnaires qui sarracheront les cheveux pour arriver à rédiger un décret un tant soit peu acceptable pour organiser la transition... Les rédacteurs du projet de loi ont ils vraiment sérieusement étudié la question, ou voulaient-ils seulement " se faire un coup de pub " ?
LUTILISATEUR, CELUI DONT PERSONNE NE SE PREOCCUPPE
Au risque de faire bondir tous les linuxiens et macophiles, osons dire que 80% des utilisateurs (au moins) se moquent complètement des querelles parfois surréalistes du genre "cest Windows/MacOs/Linux le meilleur..." que lon voit fleurir dans les forums de discussion sur internet. De nombreux utilisateurs, qui ne connaissent que windows et en ont une utilisation légère (envoyer quelques mails et taper deux trois textes) nont aucune perception du problème que pose le monopole de fait de windows. Du fait des applications relativement légères quils utilisent, leurs plantages sont assez peu fréquents (de leur point de vue), et ne sont pas tellement traumatisants, la plupart apprenant rapidement à sauvegarder leur travail tous les quarts dheures. Bien sûr, ils ne cracheraient pas sur un peu plus de stabilité et sur quelques améliorations ergonomiques de leurs logiciels, mais ils ont dautres chats à fouetter.
Les 20% restant se partagent à parts inégales entre utilisateurs avertis satisfaits de windows (à mon grand étonnement, jen rencontre souvent, il convient quand même den tenir compte !), utilisateurs dégoûtés de windows qui sont prêts à tenter de nouvelles expériences, nayant rien connu dautre, des utilisateurs de Mac, à domicile (comme lauteur de ces lignes) ou dans une autre vie professionnelle, pour lesquels le passage de windows à linux ne constituerait quun demi-progrès envisagé avec condescendance voire inquiétude, et les quelques "branchés linux" qui commencent à fleurir, et qui pourraient enfin samuser sur leur système préféré au bureau.
Lon peut admettre sans grande démonstration que le système dinformation de ladministration a besoin de saméliorer. Il faut être conscient que de nombreux échecs de déploiement dapplications (il y a dans nos administrations des dizaines de "mini désastres de la BNF" qui au total ont coûté très cher), sont dus à la mauvaise prise en compte des besoins réels des utilisateurs, et à des choix imposés sur des considérations purement informatiques, ou pour satisfaire lego de responsables devenus experts informatiques en lisant quelques magazines.
Les utilisateurs connaissent avec la mise en réseau progressive des administrations, la mise en place des messageries, des intranets et des accès internet, une évolution certes extrêmement positive mais pas évidente à intégrer pour tous. De plus, la date du 1er janvier 2002 correspond si je ne mabuse à léchéance du passage à lEuro, qui sera difficile à gérer (bien plus que le bug, à mon avis) aussi bien par les informaticiens que par les utilisateurs, tant au niveau informatique que dans la vie quotidienne. Au risque de plus de passer pour un pessimiste primaire et dangereusement conservateur, je pense que traiter simultanément une vaste migration logicielle vers Linux engendrerait des désordres (donc des surcoûts) qui ne seraient pas seulement financiers.
Dans ces conditions, bâcler en moins de 18 mois une migration massive vers Linux, serait vécu par de nombreux utilisateurs comme une décision dinformaticiens et comme une régression (du fait du manque de logiciels ou du manque de temps pour se former à la nouvelle logithèque). Cela pourrait être désastreux pour associer ensuite ces mêmes utilisateurs à des réformes autrement plus fondamentales dont le système déchange dinformations de ladministration a besoin.
QUE FAIRE : OBJECTIFS DU SYSTEME DINFORMATION (S.I.).
Passer aux logiciels libres aurait certainement un effet remarquable sur labaissement des coûts dachats logiciels de ladministration. On peut aussi espérer que les matériels se démoderaient moins vite, Linux étant moins gourmand en ressources logicielles que windows. La loi 117 contribuerait elle pour autant à remplir les trois principaux objectifs que tout bon manager devrait assigner à son système dinformation, à savoir: réduire les coûts de fonctionnement de la structure, améliorer notre communication interservices pour plus defficacité, et surtout, améliorer notre "service au client", en loccurrence celui qui paie nos salaires, le très généreux contribuable ?
QUEL EST LE VRAI COUT DU SYSTEME DINFORMATION ?
Le paragraphe suivant paraîtra sans doute évident aux habitués de la comptabilité privée, mais sadressant à des décideurs publics, quelques rappels paraissent indispensables.
Le coût de linformatisation dun service ne se résume pas à des budgets dachat de matériels et de logiciels. Il englobe:
- des coûts de déploiement: achat des matériels, achat des licences de logiciels, temps de formation des agents chargés du support, temps de déploiement des matériels et des applications par les agents du support informatique, temps de formation des utilisateurs, coût des formateurs, temps de rodage de chaque utilisateur (i.e. le temps dentraînement nécessaire à un utilisateur pour, après sa formation, retrouver une productivité normale )
-des coûts de maintenance: les mêmes que ci dessus, où lon remplace le terme "achats" par "mises à jour"
-Les coûts liés au fonctionnement: temps passé par les utilisateurs, consommables, énergie, etc...
-les coûts liés aux dysfonctionnements: dépannage des utilisateurs par le support, souvent pour des questions simples mais insolubles du fait de la mauvaise ergonomie des systèmes en cas de panne (ah, les messages derreur de windows !), temps dindisponibilité du système suite à plantage, mauvaise ergonomie des logiciels et du système dexploitation, temps passé par lutilisateur à résoudre des problèmes dinformatique plutôt quà faire son métier: formats déchanges de fichier incompatible entre deux utilisateurs , imprimante réseau rétive, etc...
-Les coûts (difficilement mesurables) liés à labsence denvie de lutilisateur douvrir son micro si tous les dysfonctionnements signalés ci dessus sont trop fréquents.
-Les coûts induits par les erreurs obligeant à refaire ce qui a déjà été fait, généralement liés à linadaptation des logiciels à certains besoins des utilisateurs ou à une ergonomie médiocre des applications.
Sans rentrer dans le détail, on se rend compte que les coûts dachat de matériel et de logiciels ne sont pas majoritaires dans le coût du SI (de nombreuses études confirment ce point ) , et que lergonomie, la fiabilité, et laptitude à communiquer des systèmes sont essentiels. Cela ne veut pas dire quil ne faut pas chercher à réduire les coûts dachat , bien au contraire, mais il faut chercher à réduire un coût global dans lequel lachat est un élément comme un autre.
Mon expérience du monde "libre" est assez limitée. On peut supposer compte tenu de tout ce qui a été publié de sérieux sur le sujet, que des systèmes sous linux planteraient beaucoup moins. En revanche, ma toute petite expérience de KDE et de star office sous linux ne ma pas convaincu que lergonomie des solutions linux soit très supérieure à celle des solutions windows, et en tout cas reste très inférieure au toujours remarquable MacOS dans ce domaine. La multiplicité des interfaces utilisateur standard disponible (gnome, kde...) semble nuire à la prévisibilité du comportement des applications. Mais ceci reste à confirmer par des études plus approfondies.
Plus sûrement, le coût lié à labsence dapplications (ou dapplications ergonomiquement acceptables) dans certains domaines pénalise linux en terme de productivité attendue des utilisateurs.
Que représente 1000F de coût de licence dun logiciel si ce logiciel permet de faire gagner 30% de productivité à un utilisateur pendant trois ans ? restreindre le choix logiciel des administrations peut avoir des surcoûts cachés quil convient de considérer.
BENEFICES DU S.I. DE LADMINISTRATION POUR LUSAGER-CONTRIBUABLE:
Vis a vis de lusager de ladministration, tout ce qui précède na aucun intérêt: de son point de vue, limportant est que ladministration puisse à la fois linformer efficacement et de façon fiable, quelle lui inflige le moins de procédures possible, et que chacune de ces procédures aboutisse à un résultat rapide. Lutilisateur de ladministration veut passer le moins de temps possible avec elle (il a autre chose à faire de ses loisirs ou de son temps de travail), veut que ce temps soit bien employé (i.e. efficace , productif, et si possible agréable), et rêve secrètement dune baisse de ses impôts, quil ne voit pas venir depuis plus de trente ans. La loi 117 peut elle aider à atteindre ces objectifs ?
Concevoir des procédures efficaces sera un travail de longue haleine, qui suppose, bien en amont des choix informatiques, une ingénierie de nos procédures très complexe, et obligeant à des remises en cause des structures administratives et inter-administratives lourdes. Notamment, la nécessité de décloisonner les administrations est évidente. Lenvironnement technique des administrations ne doit pas constituer un frein à ces évolutions. Beaucoup plus que lusage de logiciels et de systèmes dexploitations propriétaires (on peut aujourdhui développer tout sous tous les environnements), ce sont les capacités de logiciels différents à communiquer entre eux qui seront le facteur déterminant de la réussite des SI à cet égard: la capacité de traiter des données fournies par plusieurs sources, au sein de plusieurs administrations (ce que lon appelle linteropérabilité en informatique), est primordiale. Il convient donc de travailler dans cette direction.
Actuellement, les formats de codage des données utilisés par ladministration ne facilitent pas cette interopérabilité. Mais on peut très bien imaginer des logiciels libres communiquant en formats "fermé" et des logiciels propriétaires " parlant " très bien html ou xml. Le fait que le logiciel soit libre ne constitue pas une preuve de sa capacité à gérer correctement les formats déchanges de données ouverts.
En ce qui concerne la création dune agence du logiciel libre, je ny vois que des inconvénients (hormis le fait de proposer une très bonne place à un directeur, çà va se bousculer au portillon !) : tout dabord, le projet prévoit dans son article 6 de financer cette agence par laugmentation de deux taxes. Curieux, pour une mesure censée réduire les coûts de linformatisation des services... Cela nest pas acceptable, à lheure où labaissement de la pression fiscale et où la simplification de notre système dimposition sont plus que jamais nécessaires (je sais que tout le monde nest pas daccord avec ce dernier point, mais argumenter là dessus avec ceux qui pensent quon peut toujours prélever plus est ici hors de propos).
Quant à lidée de devoir demander à une autorité dont le correspondant local sera placée sous lautorité du préfet lautorisation dacheter des logiciels, ceux qui proposent cela ont dû quitter ladministration il y a longtemps ! Dans une administration où les pesanteurs hiérarchiques, lobligation de "demander une autorisation pour prendre la moindre initiative" est le lot quotidien de beaucoup de fonctionnaires, qui en souffrent dans lexercice de leurs fonctions, dans une époque où plus que jamais les fonctionnaires doivent pouvoir être réactifs, et où le management par la confiance doit progresser au profit du service rendu au citoyen, imposer un échelon dautorisation supplémentaire est non seulement une absurdité, mais un danger. En effet, le correspondant de préfecture ne pouvant tout traiter à lui seul, on aboutira à une situation où le moindre besoin dachat de logiciels allongera considérablement les procédures et les projets concernés. Les tentations de "contourner lobstacle" seront grandes, et toute sanction à ce propos risque de paraître disproportionnée par rapport à lenjeu. Il y a dans ladministration assez de freins juridiques à lefficacité de notre action ( gestion des personnels abracadabrante, code des marchés infernal de complexité, dincohérences, principes de la comptabilité publique obsolètes, quasi absence de gestion du patrimoine public, etc...) pour que lon créé un organisme bloquant (parasite ?) supplémentaire. On ne peut pas prétendre réduire le "procédurisme" des administrations vis à vis des usagers en augmentant les tracasseries inter-administratives.
CONCLUSION : QUE FAIRE ?
Si lon veut vraiment améliorer lefficacité du SI de létat, il convient plutôt dimposer, dans des délais raisonnables des formats déchanges de données standard (cest à dire libre et ouverts, et non titulaires dune grosse part de marché) entre les administrations, et de diffuser massivement ces standards auprès des éditeurs et des entreprises. Je lis un peu partout que le format XML permettrait de coder à peut près tout (textes, images, bases de données, tableaux de calcul - jai failli écrire: "tableaux excel ;-)" - jignore ce quil en est pour les sons et les vidéos...), en séparant contenus, mise en forme, et modalités de traitement des données. Si cette assertion se vérifie (je nen sais pas assez moi même pour le dire), alors il faut aller dans cette direction, au moyen dun décret, ou de circulaires, peu importe. En revanche, il ne faut pas forcer les administrations à migrer dans des délais irréalistes vers linux, quels que soient les reproches que lon puisse faire aux logiciels actuellement en usage et à leurs éditeurs (et au premier dentre eux).
Parce que la situation actuelle vis à vis de Microsoft nest guère acceptable (prix de licences en hausse, marges énormes aux dépens de clients " captifs ", qualité déplorable de nombreux produits avec tendance à la baisse, formats déchange instables dune version à lautre dun logiciel, mauvaise prise en compte des formats déchange ouverts...) , Il conviendrait peut être de fixer à ladministration un cahier des charges plus strict en matière dachat de logiciels, fondé sur:
- lachat à un prix forfaitaire (interdiction dacheter des licences annuelles, ou limitation de ce droit).
- la prise en compte (certifiée par le W3C ou tout autre organisme indépendant et compétent) des formats de fichiers standards, ouverts et libres de droit du marché .
- La séparation complète de lachat du système dexploitation et des autres applications.
- La prise en compte de véritables " tests utilisateurs " approfondis.
En tant quutilisateur, je peux même rêver dune époque bénie où grâce à linteropérabilité totale des données entre plusieurs systèmes, chaque utilisateur pourra choisir son matériel et ses logiciels en fonction de ladaptation à son coeur de métier, et à lespoir de productivité et de plaisir au travail quil en retire... " Lutilisateur au centre des décisions informatiques... "
Jai rêvé, là ?
http://admiroutes.asso.fr/espace/logilib/tregouet.htm
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