DIALOGUES
DIALOGUES-X
: Les
propos d'un " historien visionnaire "
Philippe Grasset 3 juin 2010
Puisque
nous y sommes, restons-y, je veux dire dans le domaine de
lhistorien visionnaire. Jy suis, vous
vous en doutez, juge et partie, sans dissimuler une seconde.
Par conséquent, je suis et je poursuis, et même
jentraîne le propos vers dautres voies,
et au galop sil le faut cest la tâche
de lhistorien visionnaire, après
tout
Vous avez
fait, dans votre texte précédent, une description
que je qualifierais de précise des catégories
dhistorien. Vous lavez fait en scientifique, en
partant du principe, qui est le vôtre, quil faut
sen tenir aux faits observables, et précisément
à ceux que vous observez. Vous verrez que ma conception
est différente de la vôtre, ce qui est par définition,
cette différence, tout le sel de nos
dialogues. Vous verrez que je ne réponds
pas point par point à vos arguments mais en use pour
faire avancer la réflexion et, surtout, pour la replonger
dans le cours de lHistoire. A mon sens, il est peu utile
de définir des catégories si lon ne confronte
pas ces catégories aux tâches dont elles ont
la charge, dans le temps où elles devraient se manifester
principalement. Il sagit donc de lHistoire et
de son flux tempétueux, dans ce texte, autant que de
méthodologie pour la comprendre, ou, mieux dit,
pour la saisir. La fonction dhistorien nest pas
une invention rationnelle dhomo sapiens, cest
une nécessité de lesprit humain placé
devant le caractère indicible, terrifiant et extraordinaire
de son destin.
Lhistorien visionnaire est un dissident
Je ne
crois pas que nos sociétés, particulièrement
la nôtre, aujourdhui, à cette heure, génèrent
à la fois des historiens scientifiques [
] mais
aussi des historiens intuitifs ou mieux encore visionnaires,
comme vous écrivez. Nos sociétés modernistes,
qui sont constituées en systèmes (anthropotechnique
pour la nôtre, certes), et la nôtre (celle du
temps courant) précisément, génèrent
des historiens officiels ; et puis il y a les
autres, ceux qui apparaissent selon des parcours souvent chaotiques,
en dissidents de la société où
ils évoluent. Les premiers ont des diplômes et
sont professeurs en Sorbonne. (Hier, ils étaient historiographes
et chroniqueurs, attachés à un prince ou à
un seigneur, sinon à un roi, pour faire le récit
de visu de sa carrière, avec quelques arguments flatteurs
le plus souvent.) Les autres deviennent ce quon en fera
peut-être (historiens visionnaires) dans
la pratique solitaire dun esprit et dune âme
confrontés au mystère du monde, parcourus dangoisse,
éclairés par des visions soudaines (ou des intuitions
On verra cela plus loin), sans chaire en Sorbonne et
sans succès de librairie (je crois que le livre Les
Âmes de Verdun na pas atteint 300 exemplaires
vendus, en deux ans).
Aujourdhui,
aux jours daujourdhui dirais-je précisément,
ma conviction est quil ny a pas dhistoriens
visionnaires, comme on dit, dans le circuit,
en Sorbonne et dans les lieux similaires, y compris dans les
grandes maisons dédition. On se veut rigoureux,
scientifiques, et sen tenir aux faits sil vous
plaît. Cest-à-dire, je traduis,
pardonnez-moi, à la façon des salons parisiens
et des talk-shows qui font de laudience, quon
a pour mission implicite, et rémunérée
pour cela, de défendre lordre existant et de
le justifier par une approche factuelle astucieuse des faits
du passé, considérés comme incontestablement
et scientifiquement observés. (Je préfère,
quant à moi, les chroniqueurs dhier, attachés
à un prince, qui jouaient cartes sur table. Après
tout, cela a été jusquà nous donner
un Machiavel face à Laurent de Médicis, ce qui
nest pas si mal, et lon en cherche un,
aujourdhui, dans cette bouillie pour les chats, qui
soit léquivalent du centième de ce que
fut Machiavel.) La limite du système se trouve dans
une frange dhistoriens dopposition, qui font,
souvent avec talent sans aucun doute, dans la nostalgie, dans
le passéisme, qui acceptent dun cur joyeux
et plein dentrain létiquette de contre-révolutionnaires
et contre diverses choses daujourdhui.
Ils ne sont pas vraiment dangereux (dito, pour le système)
et on les lit, le soir à la veillée, lesprit
attristé et apaisé, en regrettant le bon
vieux temps davant. Lecture faite, on ne descend
pas dans la rue, on va se coucher.
Je vous
parle dune autre sorte qui est inclassable dans aucune
catégorie, donc insaisissable, donc silencieusement
haïe du système et discrètement mais efficacement
mise à lindex par lui. On ne se fait pas historien
visionnaire, on est happé par la nécessité
de lêtre, souvent sans le savoir ni lavoir
voulu, parce que lépoque et son chaos vous appellent
et vous distinguent. On est choisi, en un sens, selon un processus
quon peut détailler à mesure, où
se mélangent des faits improbables et des circonstances
inattendues, des situations et des impulsions personnelles
mais aussi un appel irrésistible venu den dehors
de soi, aussi et surtout, disons... Ainsi
commence une aventure qui savérera nécessairement
solitaire et dissidente, et dont lorigine est rarement,
si rarement quon peut parler dexception, un diplôme
dhistorien et une chaire en Sorbonne. La chose est si
peu une catégorie dhistorien quon
en trouve bien peu quon pourrait décrire à
son origine comme historien ; ce nest que
plus tard, lorsquon a vu lun ou lautre à
luvre, quon se dit : Mais cest
bien sûr, voilà un historien visionnaire.
Si vous voulez, lhistorien visionnaire se trouve partout,
sauf chez les historiens assermentés du système
en cours et en vogue. Autant que philosophe, psychologue,
médecin de la psychologie, voire musicien à
ses heures, un Friedrich Nietzsche est également, et
peut-être dabord, un historien visionnaire.
Nietzsche
et sa fameuse intuition de léternel retour,
identifié alors que lhomme est adossé
au fameux rocher de Sils-Maria, devant le paysage de lEngadine,
et vision qui renvoie justement à une conception de
lHistoire. Ce nest pas un hasard, voyez-vous,
si Nietzsche eut sa vision, son intuition, justement là,
adossé à ce rocher de granit, devant les paysages
grandioses de lEngadine, alors que la recherche de ce
qui est haut imprègne toute son uvre. (Je parle
de lui, pas de ses lecteurs dont un certain nombre le conformeront
à leurs vues.) Voilà qui nous fournit une transition
bienvenue pour nous conduire au problème de lintuition,
inséparable de lhistorien visionnaire, cest-à-dire
au problème de lintuition par rapport aux/contre
les faits.
Le fait à la moulinette de la postmodernité
Le problème
de lintuition par rapport aux/contre les faits
? Commençons par la fin
Pourquoi les faits
avec des guillemets ? En tant que scientifique, vous prêtez
grande attention aux faits, et cela se comprend, cest
même à lhonneur de votre rigueur théorique
de scientifique. Mais il se pourrait que je propose une bien
mauvaise nouvelle : un fait, aujourdhui,
cela nexiste plus guère selon lappréciation
strictement scientifique quon a coutume de lui donner.
Dans son
désordre et dans le caractère incontrôlable
qua acquis le système qui nous possède
et nous emporte, notre époque est involontairement
du genre iconoclaste, ce qui permet de se donner un peu de
champ. On rencontre, chemin faisant dans cette confusion,
quelques sacrées vérités bien revigorantes.
Ainsi découvre-t-on que les faits ne sont
plus ce quils étaient, ou, du moins, ce quon
avait coutume de croire quils étaient. Le système
de la communication, dans la folie dévastatrice que
lui inspire la crise systémique où il se débat,
a brisé lobjectivité de linformation
et des faits, ou plutôt ce quon présentait
sous le nom dobjectivité.
Cest
au fond, selon mon point de vue, une bonne nouvelle car le
concept dobjectivité est, à
mon sens toujours, une trouvaille de lesprit subversif
de la modernité pour déguiser ses insuffisances
et travestir sa perception déformée du monde,
et, ainsi, selon sa bonne vieille méthode, faire de
nécessité vertu. Le secrétaire à
la défense Rumsfeld nous avait averti, fin 2001,
au moins faisait-il preuve de franchise en nous annonçant
que, dans la bataille qui souvrait après 9/11,
les autorités officielles, considérant linformation
elle-même comme une partie fort importante de cette
bataille, ferait usage du mensonge comme dautres
se servent dun fusil. (Voir notre texte du 13 mars 2003,
où Rumsfeld, finaud, citait Winston Churchill en
temps de guerre : «La vérité est
une chose trop précieuse pour ne pas la protéger
de quelques mensonges.»)
Aujourdhui,
le fait objectif nexiste plus. On interprète,
on déforme, presque à visage découvert,
et rien ny change. Que dire dun discours du président
iranien Ahmadinejad où, selon les linguistes les plus
honorables (le professeur US Juan Cole, par exemple), il na
jamais dit quil voulait rayer Israël de la
carte mais sen est pris simplement au régime
sioniste démarche classique de nos humanistes
occidentaux partisans à chaque occasion dun désaccord
du regime change de linterlocuteur ? Cela,
tandis que ce discours reste quasi universellement, y compris
dans les déclarations les plus officielles, celui ou
le même Ahmadinejad annonce quil va déclencher
un nouvel Holocauste ? Vous le savez, les exemples abondent
de cette sorte de falsification constante. Encore le cas Ahmadinejad
est-il un cas simple. Dans certaines autres situations, on
ne sait littéralement plus où se trouve la réalité,
même dans les canaux et réseaux officiels. Comment
un historien scientifique pourrait-il rapporter
le destin de la guerre de 2003 contre lIrak ? Victoire
US, défaite US ? Vous savez ce que jen pense,
qui nest pas loin de ce que vous en pensez je crois,
mais il faut bien admettre que lopinion adverse (victoire
US) peut aussi bien avancer des faits qui
pourraient être jugés convaincants ; cest
vrai quà partir de 2007, les pertes US se sont
radicalement réduites, la pseudo-guerre civile
a pris des apparences plus discrètes, le gouvernement
soutenu par les USA a affirmé sa position
On
sait ce quil faut penser de tout cela, mais les
faits? Les faits, finalement, sont
bien trompeurs, lorsquon arrive à les identifier,
et il faut une interprétation à mesure pour
leur faire dire une réalité, voire une vérité.
La technique
elle-même est soumise à la même étrange
subjectivité. Vous citiez le cas dun canon ou
lautre, à propos duquel un historien technique
pourrait nous donner des faits indubitables qui concerneraient
la bataille de Verdun. Cétait au temps heureux
où semblait exister cette objectivité
des faits (mais était-ce bien le cas ?). Imaginez la
situation, aujourdhui, dun de ces historiens scientifiques
placé devant la tâche de faire un historique
du programme JSF. La dissimulation et le faux semblant sont
partout, au point où lon peut parler de virtualisme,
au point où Lockheed Martin, le Pentagone, Aviation
Week, dedefensa.org, ont chacun leur vérité,
et, franchement, je ne mettrais pas un euro sur celle
de Lockheed Martin
Où sont les faits ? Quelle
source est fiable ? Silence assourdissant, en fait de réponse
Seuls lengagement, la responsabilité du choix
au nom dune vision générale, peuvent nous
satisfaire.
Voilà
la situation de notre époque
Cest pour
cette raison dune révolution du système
de la communication, avec son effet sur la perception, pulvérisant
le concept dobjectivité des faits,
quil nous est enfin révélé (parce
que je crois que cette situation existe depuis longtemps,
mais jusqualors habilement dissimulée) que nous
manquons cruellement dhistoriens prophétiques,
qui naccordent pas aux faits limportance souvent
intéressée que leur donnent les historiens scientifiques,
qui les interprètent selon leur vision justement. Cest
pour cela quon réédite beaucoup aujourdhui
Joseph de Maistre.
Laissons
donc les faits dans leur situation incertaine
et passons, puisquil est question dhistorien
visionnaire, à lintuition
Lintuition fait de lhistorien visionnaire
un missionnaire
Lintuition,
naturellement, cest notre plat de résistance.
Le phénomène de lintuition vaut, à
mon sens, bien plus que quelques vagues formules. Cest
un phénomène construit, bien plus structuré
quon ne croit, qui ne se contente pas du vague pour
le définir. Lintuition est à la fois un
trait de lumière et une construction attentive, minutieuse,
équilibrée. Je dirais que ce trait de
lumière se mérite par le travail quon
fait pour le recevoir, et quil vous récompense
ensuite en orientant votre travail à venir dans un
sens révolutionnaire qui envahit peu à peu votre
pensée.
Lexpérience
que jen ai, tout à fait consciente, presque rationnellement
explicable dans ses attendus avec, à son terme, le
mystère du contenu de lintuition, se marie intimement
avec Verdun. Jai consacré tout un chapitre du
même livre déjà cité, Les Âmes
de Verdun, au phénomène de ce que je considère
comme une intuition (le chapitre III, P.105-133, Sur le chemin
de Froideterre). Jy parle de la forêt aux essences
changeantes, du ciel dune clarté superbe, du
temps si propice quil faisait ce jour-là, dun
marcheur à la fois assurée et rassurée,
mais nullement pressé, des jeux de lumière dans
une clairière paradoxalement si sombre, plongée
dans un clair-obscur qui la faisait ressembler à une
cathédrale, et sur le pourtour de laquelle se trouvaient,
enterrés dans la mousse et lherbe, les restes
dun ouvrage en béton qui faisait partie du système
de défense français
Cest alors que
je vis ces jeunes gens si cruellement massacrés
un siècle plus tôt, que jaurais pu les
reconnaître, les nommer, que je les ressentis à
la fois comme mes pères, mes frères et mes fils.
Cest alors que la bataille de Verdun acquit pour moi
une dimension humaine et intime, à partir de laquelle
je pouvais mélancer pour tenter den distinguer
lessence historique, et même métahistorique,
le sens fondamental. Cest là le trait de
lumière dans le brouillard ; une fois que vous
en avez goûté léclat qui est comme
une source féconde, commence le travail de reconstruction
sur la voie qui vous est ainsi ouverte.
Voilà
lintuition, à la fois lexaltation
de lâme et le renforcement de lesprit, jusquà
la vision dun passé dont on ne sait en rien précisément
lexactitude factuelle (que savais-je et que sais-je
de ces soldats qui furent dans cet ouvrage lors de la bataille
et de leur destin ?) mais dont on ressent soudain lextraordinaire
vérité par la puissance de sa proximité
de vous, parce que linstant spirituel réduit
le temps jusquau négligeable. En un sens, vous
revoyez le passé tel quil devait être en
vérité et tel quil était dans sa
profondeur caché, éclairé par la puissance
et le contenu de lintuition, et nullement tel quil
fut à peu près, selon les faits répertoriés
et catalogués par les historiens scientifiques,
et que nous importe alors ce passé à
peu près
Il sagit, pour un individu,
dune expérience panthéiste, à laquelle
tout participe, le ciel, le monde, la forêt, ses propres
connaissances, son imagination et ses sensations. Littéralement,
vous avez la perception à la fois de tenir le monde
dans votre main et dêtre totalement intégré
dans son unité, jusquà ne plus exister
en tant que vous-même, dans ce monde ainsi découvert
dont la beauté, lharmonie vous extasient. Cela
se passe sur les lieux dun carnage dont les esprits
pleins de faits vous disent quil na
aucun sens. Vous comprenez alors que ces esprits contrefaits
ny entendent rien, quils sont sourds à
lhistoire du monde, et que tout cela, au contraire,
à un sens
A vous de le trouver, vous à
qui lintuition ouvre la voie. Lhistorien
visionnaire est un missionnaire, en ce sens quil
a une mission.
Lintuition
Ce nest pas un hasard ni quelque
chose que nous imaginons, complètement construit dans
notre esprit
Ce trait de lumière
que jévoque, cest le terme de la démarche
dun être qui aménage les conditions intérieures
de lui-même et extérieures autour de lui-même
pour ouvrir une porte, pour recevoir une révélation.
Lintuition nest pas en nous, elle est nécessairement
hors de nous
Doù vient-elle, qui est-elle,
quo vadis? Vous admettrez que cest un Mystère,
pour le moins, tout à fait épatant. Il permet
délargir décisivement votre regard, de
lancer votre esprit dans son envol, et, aux adversaires du
domaine, de ricaner leur appréciation critique de ceux
qui se prennent pour des historiens visionnaires.
Tout le monde est content.
Il en
résulte une libération de lesprit de toutes
les conventions et les normes des établissements, universitaires
et autres, de notre société. Votre vision du
passé na rien à voir avec le passé
stricto sensu, le passé académique, si
vous voulez, quon cultive en Sorbonne, mais avec
une vérité du monde qui vous est offerte en
un instant. A partir de là, vous travaillez, vous réfléchissez,
vous avancez, vous construisez, vous bâtissez avec votre
raison la cohérence terrestre de ce que lintuition
vous a laissé entrevoir, paradoxalement avec tant de
force. Vous êtes complètement un homme de votre
temps et, appuyé sur le passé, vous embrassez
votre temps et vous pouvez parler aux autres de ce que votre
temps leur réserve, à la lumière de ce
passé redécouvert. Lhistorien visionnaire
nest pas un futurologue mais dans sa vision, bien entendu,
sinscrit notre avenir.
Lhistorien
visionnaire nest pas une catégorie du savoir
mais une nécessité pour des temps historiques
dont le fondement échappe à notre raison parce
que notre raison sest cru libérée des
fondements du monde en croyant avoir les siens propres. Cest
pourquoi lon sen méfie et quon tente
de le tenir à distance, aujourdhui plus que jamais,
dans nos temps apocalyptiques. Il nest rien en lui-même
mais il est une partie dune entreprise de résistance
contre la construction dune fausse réalité,
cela, pour revenir aux caractères pressants
de notre crise, puisque jamais les entrepreneurs en construction
de la fausse réalité nont été
aussi florissants. Ainsi ai-je établi un lien entre
Verdun, enterré sous la poussière des docteurs
de la Sorbonne décomptant le nombre dobus et
le tracé des tranchées, et la crise terrifiante
qui bouleverse notre monde. Nous sommes bien loin des faits
et de la science historique.
La grâce dêtre des historiens visionnaires
Ma conclusion
pour ce propos me ramène au contenu de La grâce
de lHistoire, qui est lenfant de cette expérience.
Ce contenu même, qui tente de décrire un formidable
accident historique qui rompt une civilisation, la
première civilisation occidentale accouchant de la
seconde dans un acte de rupture dune force inouïe,
qui prend le pouvoir en installant dans
lHistoire en cours limposture de lidéal
de puissance
A partir de là, sinstalle
une situation de crise permanente, parce que lHistoire
est confrontée à limposture désormais
installée.
Cest
alors quil nous faut des historien visionnaires,
parce que les historiens scientifiques savèrent
impuissants à rendre compte du phénomène
et, prétendant tout de même décrire lhistoire
du monde, nous entraînent dans une voie générale
complètement faussaire. Dune façon bien
significative qui repousse la catégorisation
réductrice, jidentifierais ces historiens
visionnaires à ceux quAndré Compagnon
nomme les antimodernes. (1) Il sagit non
pas de réactionnaires au sens restreint
mais de modernistes déçus, qui connaissent la
chanson (à propos de Péguy, Compagnon écrit
: «Celui qui peut dire nous modernes tout
en dénonçant le moderne»).
Cette
catégorie sinstalle pleinement, justement, au
moment de cette rupture correspondant au passage du XVIIIème
au XIXème siècle, déjà avec Joseph
de Maistre, Chateaubriand, etc. Cette référence
me permet de bien situer mon sentiment à propos de
ce que nous nommons aujourdhui les historiens
visionnaires, en désignant la lignée moderne
(ou antimoderne) du domaine. Leur résurgence, à
partir de références dun passé
plus lointain qui assure la continuité dune vision
métahistorique du monde, répond à une
nécessité de lHistoire, au moment où
lHistoire subit lattaque corruptrice de lidéal
de puissance. Il sagit bien de cela, pour mon
compte, lorsque je parle aujourdhui des historiens
visionnaires de notre époque moderniste et postmoderniste
; une catégorie dressée, une veine activée
pour répondre au défi dune entreprise
subversive plantée au cur de lHistoire
elle-même ; une vision métahistorique pour annoncer
enfin les grands ébranlements causés par la
riposte de lHistoire contre limposture.
Philippe
Grasset
(1) Les antimodernes, André Compagnon, Gallimard, 2004.
Voir aussi nos propres références, sur ce site,
à partir de notre texte de présentation en page
daccueil.