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Les chroniques du bêta-bloquant par jp.baquiast@chello.fr( 22 Mai 1997) |
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Un premier préalable consiste à se persuader et persuader les autres (si possible les chefs, souvent coupables de s'engouer par snobisme de techniques dont ils ne perçoivent pas toutes les possibilités) qu'Intranet est un outil précieux de non communication, permettant de renforcer utilement les spécificités culturelles si précieuses de l'administration: frontières étanches entre services et entre responsabilités, isolement des services territoriaux, ségrégations entre grades, etc.
Ceci clairement admis, il convient de prendre diverses décisions permettant à Intranet de jouer ce rôle:
- en confier la responsabilité d'ensemble à un service ou à une personne dont le caractère intégriste, réducteur et introverti ne fait aucun doute.
- au delà de cette responsabilité d'ensemble, répartir les responsabilités opérationnelles entre divers sous-responsables qui de préférence nourriront entre eux de fort rapports d'agressivité: un responsable des contenus, un responsable des normes et standards, un responsable de l'informatique, un responsable du réseau, etc (il est possible d'allonger indéfiniment cette liste, dès lors que ne se crée pas une équipe motivée, décidée à utiliser l'Intranet pour expérimenter de nouvelles façons de travailler, nécessairement dangereuses parce qu'incontrôlables).
- en ce qui concerne les normes et standards, ne pas hésiter à en inventer si ce qui existe parait trop laxiste. Des protocoles de sécurité, des chartes graphiques, des dictionnaires de données, aussi confus qu'obligatoires, permettront de réduire utilement le champ de la communication.
- dans le même esprit, rechercher tous les spécificités anti-ergonomiques susceptibles d'être implémentées pour décourager l'accès aux informations et surtout l'envie d'en introduire d'autres. Les informaticiens de la vieille école, toujours soucieux de ne pas se laisser mettre en retraite anticipée par Internet/Intranet, seront précieux à cet égard. Il ne faudra pas hésiter à en placer quelques uns, avec des pouvoirs illimités, dans le Board des Ayatollahs responsable du projet Intranet. L'assurance avec laquelle ils parleront de tout cela, qu'ils ne connaissent pas, fera clairement comprendre que les autres ne doivent pas s'en mêler.
- dans le domaine des contenus, faire savoir dès le début que l'on ne trouvera sur l'Intranet que des documents non seulement censurés au moins trois fois, mais arides, voire obsolètes ou dénués d'intérêt pratique. Tout effort pour en améliorer l'accessibilité, par des images ou des artifices éditoriaux, sera proscrit.
- en ce qui concerne les plannings et les moyens, montrer qu'il s'agit, non seulement d'une tâche très difficile, mais très longue à mener à bien. Des délais de plusieurs mois, voire plusieurs années, avant de mettre en ligne les contenus annoncés, doivent être évoqués afin de bien convaincre chacun que l'affaire est gérée par des gens qui, non seulement connaissent leur métier, mais ne veulent pas être gênés par des impatiences ou des initiatives irresponsables. Si les moyens du service le permettent, l'on fera appel à des intervenants extérieurs partageant cette philosophie de la communication. Evoquer grâce à eux des délais longs, des enveloppes budgétaires importantes, voire irréalistes, peut utilement tempérer les enthousiasmes mal placés.
- ne jamais parler à l'extérieur de son projet Intranet, et veiller strictement à ne rencontrer aucun homologue, dans aucun service que ce soit. De tels contacts peuvent induire l'idée dangereuse qu'un Intranet peut servir à quelque chose, sinon chez soi, du moins chez les autres.
- proscrire tous contacts et tous échanges avec les utilisateurs éventuels des contenus mis en ligne. Il serait dangereux de les consulter sur leurs besoins ou sur leur degré de satisfaction, ce qui ne ferait qu'enclencher un cercle vicieux de demandes et réponses.
- une précaution indispensable, visant à encourager la non-participation des utilisateurs, stade ultime de la non-communication recherchée, consistera à refuser à ces derniers toute formation et tout rôle en matière de production de contenus. Ils ne devront pas réaliser ni même être autorisés à proposer des textes ou applications concernant l'Intranet, à plus forte raison des fonctions du type " boite à idées ", renseignements pratiques à l'intention du personnel, cercles de loisirs et culture, dont l'effet pernicieux n'a pas besoin d'être souligné.
- à plus forte raison, si l'on ne peut empêcher les agents de disposer d'une station de travail, il faudra leur interdire systématiquement l'apprentissage et l'utilisation d'éditeurs HTML, d'outils gérant les images, et autres déviations menant vite aux pires perversités. Il sera bon d'organiser périodiquement l'inspection des disques durs pour s'assurer que de tels logiciels, malheureusement disponibles aujourd'hui en free-ware, n'ont pas été chargés subrepticement.
- une autre façon, très efficace, de décourager l'utilisation de l'Intranet, sera de laisser entendre que la direction a l'intention de s'en servir pour ficher les activités et centres d'intérêts des agents, grâce aux traces qu'ils laisseront nécessairement dans les compteurs et autres fire-walls.
- enfin (mais est-ce nécessaire de l'ajouter) rappelons qu'il convient de ne permettre aucun passage de l'Intranet à l'Internet. Plus généralement, il faudra persuader chacun qu'il s'agit de deux mondes à part, et que ces mondes doivent rester isolés, afin d'éviter le cumul de leurs effets pervers respectifs. Comme la nature humaine est malheureusement curieuse, il sera prudent d'ailleurs de décréter le plus longtemps possible, à l'intention du personnel, qu'Internet n'existe pas.
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